« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

Accueil > Veille stratégique

En Chine, « les arbres commencent à faire reculer le sable »

10 septembre 2024

Par Karel Vereycken

Cet article a été publié en chinois dans le cadre de « Written in the Sky, My China Story », une série de témoignages publiée dans le cadre des commémorations du 75e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine.

Les chiffres donnent le vertige. Une étude réalisée en 2019 par l’Administration nationale chinoise des forêts et des prairies (NFGA) indique que, malgré les efforts considérables déployés depuis 46 ans pour la réhabilitation des terres, 2,57 millions de kilomètres carrés, soit 26,81 % de la superficie du pays, demeurent des zones désertiques.

En Chine, au cours des 40 dernières années, le désert s’est étendu de 15 %. Des tempêtes de sable balaient régulièrement le pays, de la Mongolie à Pékin, endommageant à la fois les infrastructures et les récoltes. La désertification et la dégradation des sols font partie des menaces les plus graves auxquelles la Chine est confrontée, affectant plus de 400 millions de personnes.

Mais ce n’est pas tout. Comme on le sait, la Chine est très peuplée. Elle doit nourrir 22 % de la population mondiale avec seulement 10 % des terres arables de la planète.

Bien que la croissance démographique soit en berne, une classe moyenne en plein essor réclame une hausse constante des importations alimentaires, qui sont passées de 49 milliards de dollars en 2013 à 139,62 milliards de dollars en 2022, soit un taux de croissance annuel de 12,3 %. C’est pourquoi, plus que jamais, l’éradication des déserts est à l’ordre du jour. Les domestiquer pour les transformer en terres agricoles est devenu un défi existentiel.

Cette année, cependant, la Chine a passé un cap.

Le 17 juin 2024, 30e journée mondiale de la désertification et de la sécheresse et 30e anniversaire de l’adoption de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, Lin Jian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a pu annoncer avec fierté une double victoire : la Chine est le premier pays au monde à avoir enrayé l’expansion du désert, tout en réhabilitant une partie des déserts existants. Si cette tendance se confirme, ce serait une contribution majeure à la réalisation de l’objectif mondial visant une dégradation nette des terres nulle d’ici à 2030.

Entre 2009 et 2019, les terres désertifiées ont connu en Chine une diminution nette de 50 000 km², ce qui représente un changement significatif par rapport à l’expansion de 3436 km² par an à la fin du siècle dernier. Selon la NFGA, dans les principales zones de projet, après une longue période de gestion, la végétation des forêts et des prairies a été efficacement restaurée et les principales zones gérées ont réalisé un basculement historique, passant d’un processus de « sable forçant les humains à reculer » à celui « d’arbres forçant le sable à reculer ».

Signe d’optimisme, l’expansion agricole et économique des déserts est désormais appelée « exploitation des mines de sable ».

Comment cela s’est-il produit ?

Ce résultat est le fruit d’une longue bataille. En novembre 1978, le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et le Conseil d’État avaient décidé de lancer un projet sur 72 ans (1978-2050) pour lutter contre la désertification, appelé « Programme des trois brise-vent nord » (Three North Shelterbelt Program – TNSP).

L’idée de base était de créer au nord, au nord-est et au nord-ouest, des bandes forestières protectrices (brise-vent) autour de la Grande Muraille de Chine, cette fois pour freiner, non pas l’expansion des Mongols mais celle du désert de Gobi, et fournir du bois de construction aux populations locales.

Des monstres

Le Gobi, qui signifie « sans eau », est le plus grand désert d’Asie et le cinquième au monde. Il peut être torride ou glacial, suivant la saison. On estime qu’il ne contient que 5 % de sable, le reste étant constitué de roches dures et nues, avec quelques steppes stériles, des steppes herbeuses et de hautes falaises de boue.

Par ailleurs, dans le bassin endoréique du Tarim au Xinjiang, on trouve un autre monstre, le désert du Taklamakan, le deuxième plus grand désert de sable mouvant au monde. Ses dunes de sable sont toujours en mouvement, comme les vagues d’un océan. Il est surnommé « la Mer de la mort » ou « le lieu de non-retour ».

La longueur totale de ce que Deng Xiaoping a appelé en 1988 « la grande muraille verte » devrait atteindre 4500 kilomètres en 2050.

Le programme concerne 551 comtés dans 13 provinces et couvre une superficie totale de 4 069 000 km2 (plus de 40 % du territoire chinois).

Mobilisation

Pour réaliser ce programme herculéen, pendant plusieurs décennies, avec l’aide de milliers de fonctionnaires forestiers et le soutien d’initiatives citoyennes et privées, des millions d’hectares de brise-vent et de forêts de fixation des dunes ont été créés pour restaurer et protéger plus de 10 millions d’hectares de prairies et de pâturages de l’érosion éolienne et de l’envasement.

Chaque année, le 12 mars, tous les citoyens chinois vont planter des arbres. C’est ainsi que Mme Yin Yuzhen, dont les efforts ont été érigés en modèle par le président Xi Jinping, a pris sur elle de planter toute seule des arbres pour réhabiliter l’environnement désolé de la « bannière d’Uxin », un paysage semi-aride de l’ouest de la Chine.

Grâce à toute cette énergie et à tous ces efforts, plusieurs centaines de milliers de km2 de terres ensablées ont été converties en terres agricoles, vergers et pâturages. Selon une étude, les brise-vent entourant les terres agricoles ont permis d’augmenter la production de céréales de 15 à 20 %, ce qui représente un excédent de 1,88 milliard de kilogrammes par an. Les rendements de la production céréalière dépassent désormais les 300 kg par mu (1/15 ha), alors qu’ils n’étaient que de 100 kg avant le lancement du programme.

Créativité et innovation

Pour relever ce défi, la Chine n’a cessé d’explorer de nouvelles technologies et des méthodes innovantes :

— ensemencement aérien, lorsque c’est possible, dans les zones semi-désertiques ;
— surveillance rigoureuse du désert par satellite ;
— aménagement en « damier de paille », technique consistant à enfouir de la paille en damier pour fixer le sable ;
— amélioration des sols, notamment grâce à l’application d’une pâte faite d’un mélange de cellulose végétale et de sable, permettant à la terre de mieux retenir l’eau, l’air et les engrais ;
— utilisation de Liquid Nano Clay (LNC), mélange d’eau et de nanoparticules d’argile pouvant transformer des terres sèches et sablonneuses en sol arable retenant l’eau ;
— utilisation de « cyanobactéries cultivées en laboratoire » pour former des croûtes de sol biologiques à la surface du sable, ce qui peut réduire le temps de formation de l’humus de 10 ans à seulement un an ;
— irrigation au goutte-à-goutte et au goutte-à-goutte sous-film et fertirrigation (eau+engrais) ;
— machines de semis automatisées alimentées par l’IA ;
— machines de pavage permettant de « planter » plus efficacement les filets de paille ;
— méthode précise de contrôle du sable, telle que l’ajustement de la densité du boisement en fonction de la capacité des ressources en eau locales, afin d’éviter le dépérissement des jeunes arbres et des arbres de taille moyenne.

À ce jour, le PSTN a permis de reboiser 320 000 km2 et de traiter 0,85 milliard de km2 de prairies dégradées, le taux de couverture forestière étant passé de 5,05 % en 1978 à près de 14 % aujourd’hui. En conséquence, la Chine, avec 211 millions d’hectares, possède aujourd’hui la cinquième plus grande forêt du monde, même si elle ne représente que 22,1 % de sa superficie totale.

Tirer la leçon de ses erreurs

Si le programme a indéniablement fait ses preuves au niveau de la restauration des terres, sa mise en œuvre a été émaillée d’erreurs et d’écueils. Les obstacles surmontés au fil des décennies permettent de tirer des leçons qui valorisent l’expérience chinoise.

Par exemple, le choix du type de végétation (notamment du point de vue de la profondeur d’enracinement), le choix des espèces (endémiques ou importées), leur diversité, la densité du couvert, etc. sont autant de facteurs qui ont dû être ajustés aux conditions écologiques locales et à la nature des ressources spécifiques en eau de pluie ou de sol.

La combinaison de diverses mesures biologiques et de techniques de restauration des sols a également été un facteur important dans la réussite du projet : brise-vent, plantations artificielles, clôtures de pâturages pour permettre la régénération naturelle, ensemencement aérien, techniques de conservation de l’eau et du sol, etc.

La Chine a beaucoup appris de ses erreurs, alors que ceux qui ne font rien n’apprennent rien de nouveau. Très rapidement, il s’est avéré que la « solution universelle à taille unique » n’était pas la bonne approche et que la politique basée sur les essais et les erreurs devait non seulement être acceptée, mais qu’elle était essentielle à la réussite.

Par exemple, au début, on a planté des millions de peupliers parce qu’ils offraient des résultats rapides en termes de bois d’œuvre. Beaucoup d’entre eux n’ont pas survécu longtemps, car ces arbres ont besoin de beaucoup d’eau !

Autre anecdote, celle d’un village de Mongolie intérieure où l’on a transplanté des arbustes qui, dès le lendemain, ont été emportés par le vent. « Nous avons réussi à garder quelques jeunes arbres, mais en raison de la sécheresse et du manque de pluie, ils ont eu du mal à survivre une deuxième année », rapporte un responsable local.

Après plusieurs échecs, il a constaté que les abricotiers sauvages de la montagne désertique survivent contre vent et sable :

« L’abricotier de montagne résiste à la sécheresse et au froid et possède une grande capacité d’adaptation. C’est une excellente espèce d’arbre indigène pour la fixation du sable et la conservation de l’eau. Les gens peuvent profiter des fleurs au printemps et des fruits en été, ce qui lui confère une valeur économique ».

En 2012, il a poussé ses villageois à planter plus de 60 000 abricotiers de montagne. Après plusieurs années de préservation, les arbres étaient en mesure de protéger le village des tempêtes de sable. Avec le soutien du département des forêts, ils ont alors planté 17 variétés d’arbres fruitiers et de plantes médicinales afin de diversifier les sources de revenus.

Le lien entre l’eau, l’énergie et l’alimentation

Bien entendu, la gestion efficace de l’eau et des techniques d’irrigation modernes jouera un rôle clé dans le recul du désert. L’eau, l’énergie et l’alimentation sont trois facteurs tellement interdépendants qu’il est impossible d’obtenir des résultats durables dans l’un de ces domaines sans faire progresser les autres.

Lors de sa présentation à la conférence sur « l’Eau pour la Paix », organisée le 9 janvier 2024 à Paris par l’Institut Schiller, le professeur Yungang Bai, vice-président de l’Académie des sciences de l’eau du Xinjiang, a dressé un rapport d’étape impressionnant des dernières réalisations en matière de technologies d’économie d’eau dans la région aride du Xinjiang.

Si les scientifiques chinois ont découvert en 2015 qu’une « quantité terrifiante d’eau », et même « un océan » - équivalant à 10 fois l’eau des cinq Grands Lacs d’Amérique du Nord - se cachait sous le bassin du Tarim, on ne sait toujours pas comment exploiter cette eau. Pour l’instant, les ressources en eau totales du Xinjiang ne représentent que 3 % du total de la Chine, et l’utilisation de l’eau à des fins agricoles constitue plus de 91 % de l’approvisionnement total.

Les techniques d’économie d’eau ne sont évidemment pas nouvelles dans cette région. Comme dans le désert du Néguev en Israël, les techniques d’irrigation traditionnelles telles que l’inondation et l’aspersion ont été graduellement remplacées par l’irrigation au goutte-à-goutte et, mieux encore, par l’irrigation au goutte-à-goutte « sous-film » et la « fertirrigation » : « Avec la promotion et l’application à grande échelle de la technologie d’intégration eau-engrais [fertirrigation], le champ d’application s’est progressivement étendu, du coton, du maïs et du blé, aux fruits de la forêt, aux légumes, aux melons et à d’autres cultures. Les avantages de la technologie d’intégration eau-engrais se traduisent principalement par ‘trois économies, une augmentation’, à savoir économie d’eau, d’engrais et de terres, et augmentation des rendements. Par rapport aux méthodes traditionnelles, l’efficience de l’eau augmente de 40 à 60 %, l’efficience des engrais de 30 à 50 %, l’efficience des terres de 5 à 7 %, l’efficience de l’irrigation de plus de 15 % et le rendement des cultures céréalières de 20 à 50 % », a souligné le professeur Yungang Bai.

Par conséquent, l’augmentation de la disponibilité de l’eau, et donc de l’accès à la nourriture, dépendra également de l’augmentation de la disponibilité d’une énergie sûre et bon marché. Dans les régions reculées difficiles à raccorder à un réseau, l’énergie solaire peut jouer un rôle utile, mais sa faible densité et son intermittence, en l’absence d’un système hydroélectrique pour compenser les manques, la rendent peu fiable pour une véritable transition vers une société industrielle moderne.

Avec la mise au point par la Chine de petits réacteurs nucléaires modulaires de quatrième génération, sa lutte héroïque contre la désertification enregistrera bientôt de nouveaux records, car cette technologie permettra de dessaler des ressources en eau jusqu’ici inexploitées, et de transformer des terres actuellement considérées comme impropres à l’usage humain, en terres fertiles de haute valeur. Sous de nombreux déserts sommeillent des aquifères profonds, dont les eaux sont trop salines pour être utilisées sous leur forme naturelle. La construction de SMRs dans le désert peut offrir des solutions.

Faire émerger les conditions de la paix

Tout en prenant la tête de la lutte contre la désertification au cours des dernières décennies, la Chine a procédé à de nombreux échanges et coopérations au niveau international, partageant son expérience avec des pays confrontés à des défis similaires, notamment en Afrique.

Depuis 2005, des chercheurs de l’Institut d’écologie et de géographie du Xinjiang (XIEG), de l’Académie chinoise des sciences, partagent avec l’Asie centrale et l’Afrique des technologies matures de lutte contre la désertification, par le biais d’ateliers et de pratiques sur le terrain.

En Asie centrale, les scientifiques ouzbeks collaborent depuis longtemps avec les scientifiques chinois dans la recherche de solutions pour la mer d’Aral, qui était autrefois le quatrième plus grand lac du monde et qui a rétréci à la suite d’une mauvaise gestion de l’irrigation.

Au fil des ans, les scientifiques des deux parties ont mis en place plusieurs zones de démonstration pour les champs, économes en eau, et ont introduit dans la région diverses technologies d’économie d’eau.

La Chine s’est activement acquittée de ses obligations au titre de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, en créant à Ningxia, en décembre 2019, un Centre international de gestion des connaissances dans ce domaine, afin de partager son savoir-faire et son expérience avec d’autres pays dans le monde entier.

Il faut donc reconnaître à leur juste valeur les actions chinoises de lutte contre la désertification, qui valent bien plus que mille discours. Elles méritent le plus grand respect, car elles créent les conditions non seulement d’une Chine prospère, mais aussi de la paix dans le monde.


A lire aussi :

Votre message

Dans la même rubrique