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Premier forum économique Russie-Mali : « plus d’offres, moins de discussions !  »

5 mai 2025

Helen Borodina, rédactrice en chef du magazine économique russe Goodwill, était présente au premier Forum économique Russie-Mali organisé le 25 mars à Moscou. Elle a recueilli les commentaires des représentants des entreprises russes et africaines et des agences gouvernementales qui aident les parties à coopérer. Son article montre le grand intérêt du gouvernement russe à travailler avec les pays africains sur un pied d’égalité, dans un format gagnant-gagnant.

Par Helen Borodina

« Mais que fait la France en Afrique ? Depuis la fin du colonialisme et la mise en place d’un système prédateur néocolonial, la France n’a jamais réussi à changer son logiciel paternaliste et destructeur afin de répondre à la volonté des pays africains francophones de recouvrer leur souveraineté en dénonçant les accords de coopération militaire et monétaire. A ce jour, quinze pays d’Afrique sont toujours sous la curatelle du franc CFA, une monnaie qui entretient leur sous-développement. L’Afrique se tourne donc vers d’autres partenaires comme la Chine et la Russie. Nous publions ici le reportage de notre amie et journaliste russe, Helen Borodina, qui a participé au forum Russie-Mali. »

Sébastien Périmony, responsable Afrique à l’Institut Schiller France

Sergueï Lavrov et Abdoulaye Diop

Le 25 mars 2025, s’est tenu au Centre international d’affaires de Moscou la première édition du Forum économique russo-malien, « Les enjeux actuels de la coopération économique entre la République du Mali et la Fédération de Russie », organisé par l’agence de presse African Initiative, l’association malienne Perspective sahélienne et la Chambre de commerce et d’industrie russe, avec le soutien de la CCI du Mali. En connexion directe entre Bamako et Moscou, la conférence avait pour modérateur Mikhaïl Pozdniakov, responsable de la rédaction française d’African Initiative, côté russe, et Mamadou Bah, président de l’association Perspective sahélienne, et le journaliste Robert Dissat, côté malien.

Programme actuel

L’ordre du jour portait sur les priorités de coopération dans de nombreux domaines : alimentation, technologie et ingénierie mécanique, agriculture, énergie, sécurité, médecine, économie et finances, éducation et formation professionnelle.

Les représentants de la Chambre de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie et du Centre d’exportation russe, qui fournit un soutien efficace aux exportateurs nationaux, en accordant une attention particulière aux représentants des petites et moyennes entreprises, ont évoqué la question de l’ouverture des marchés du Sahel, et de l’Afrique en général, aux exportateurs russes. La partie russe proposa à ses partenaires maliens diverses options de coopération dans le secteur agricole, avec des offres avantageuses toutes faites par un certain nombre d’entreprises russes.

« Il existe de nombreux domaines de coopération que nous devons développer aujourd’hui. Nous avons besoin d’aide pour développer les technologies, former le personnel et éduquer la jeunesse qui façonnera l’avenir du Mali. Ces domaines d’activité constitueront la base de l’approfondissement et du renforcement de la coopération entre nos pays, et je suis convaincu que ce travail sera aussi efficace que possible. Nous sommes capables de résoudre ensemble tous les problèmes existants, en nous réunissant autour d’une même table et en conjuguant nos efforts », a déclaré Issa Togo, consul honoraire de la République du Mali à Saint-Pétersbourg.

Apprendre à connaître les spécificités des marchés africains est l’une des priorités des entreprises nationales. La plupart des participants à la conférence étant depuis longtemps impliqués dans les processus commerciaux, socioculturels et éducatifs, dans le cadre de la coopération russo-africaine, ils ont donc pu échanger leurs expériences, examiner des propositions et analyser la situation réelle et les opportunités potentielles.

« Plus d’offres, moins de discussions ! » – c’est le souhait exprimé par Dmitri Kouznetsov, député à la Douma et membre de la commission des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, dans son discours de bienvenue au Forum. « Nos pays partagent des valeurs spirituelles et morales traditionnelles. Plus les affaires se développent, plus la diplomatie et la bienveillance des citoyens s’accroissent. » La médecine étant pour lui l’un des domaines clés, il a invité le Mali à simplifier le processus de certification des médicaments et des équipements médicaux produits en Russie. « Nous avons quelque chose à offrir et à livrer. La bureaucratie ne devrait pas interférer avec le sauvetage des vies humaines », a déclaré Kouznetsov.

Pour Aliou Tounkara, membre du Conseil national de transition du Mali, la coopération avec la Russie joue un rôle prioritaire, notamment dans le domaine économique. Le vice-président de la Commission de la défense, des forces armées et de la sécurité du Parlement du Mali, Fousseyni Ouattara, a noté, pur sa part, que l’accent devrait être mis sur le transport ferroviaire et aérien, les infrastructures de transport, l’énergie et l’agriculture, ainsi que la création d’un système bancaire fiable et bien développé et la fourniture de garanties financières.

De longues années d’expérience pour de nouvelles réalisations

Représentante permanente de la Crimée auprès du président de la Fédération de Russie, Svetlana Kolodiajnaïa-Chérémétieva a évoqué les axes de travail pouvant servir de base à une coopération mutuellement bénéfique et au maintien de liens économiques de haute qualité entre la Crimée et le Mali. En effet, la Crimée peut offrir au Mali une large gamme de produits, tels que des équipements de soudage industriels uniques, des machines, des appareils électriques, des engrais phosphatés et des produits chimiques. Mme Kolodiajnaïa-Chérémétieva a également exprimé la volonté de la République de Crimée de créer et de développer des coentreprises avec le Mali et, en particulier, d’ouvrir une maison de commerce commune. La Crimée possède déjà une expérience similaire, ce qui contribuera à établir rapidement des mécanismes commerciaux et économiques efficaces et à faciliter le travail des entreprises de part et d’autre.

L’ancien conseiller de la présidence malienne, l’économiste Modibo Makalu, a souligné l’importance d’un approvisionnement fiable et constant en produits pétroliers russes, qui représentent 33% des marchandises que le Mali achète à la Russie. Les Maliens voient également le rôle particulier que pourrait jouer la Russie dans le développement de leurs infrastructures énergétiques. Cela s’applique également à la formation des employés destinés à travailler dans les installations et entreprises énergétiques. Produire de l’énergie à partir du recyclage des déchets est également une solution intéressante pour le Mali.

Son ancien ministre de l’Industrie et du Commerce, Haruna Niang, a déclaré que le manque de spécialistes dans le secteur de l’énergie était le principal obstacle à son développement. Selon lui, la création d’un Institut de l’énergie pour former du personnel compétent contribuera à faire face à ce problème. Niang a également évoqué la construction, avec l’aide de la Russie, d’une usine qui pourrait générer 15 à 20 MW d’énergie en traitant jusqu’à 400 000 kg de déchets par an, ainsi qu’une centrale électrique qui fonctionnerait au biocarburant, offrant une capacité de 10 à 15 MW.

Le directeur général de la société russe Tokchin-MSK, Bair Sanjimitupov, a proposé de construire au Mali une usine pour transformer les déchets organiques en engrais et en énergie. Cela permettrait de résoudre certains problèmes environnementaux et de développer le secteur agricole, en utilisant le plus efficacement possible les composants des matières premières transformées. Son entreprise pourrait également mettre à disposition des spécialistes pour former le personnel.

Dans son exposé, Yaroslav Yakoubov, directeur du développement international chez JSC REC, a pointé à son tour le niveau élevé de la demande en produits agro-alimentaires russes dans les pays du continent africain.

Ignat Ananyin, directeur du développement d’Anson Logistics, et Ahmad Hammash, PDG de la société agro-industrielle Dimas, ont fait une présentation conjointe sur « Les problèmes de rotation des produits de base et du commerce entre les organisations commerciales de la Russie et du Mali ».

« Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Afrique depuis le début des années 2000, à une époque où ce n’était pas encore un courant dominant », a déclaré Ananyin. Interrogé sur les changements intervenus depuis lors dans la coopération russo-africaine, il a expliqué : « Aujourd’hui, l’État soutient activement le travail avec les pays africains, en aidant à trouver des solutions à des problèmes qui étaient assez complexes récemment encore. »

Ainsi, les entreprises russes continuent d’augmenter leurs expéditions vers l’Afrique, surmontant avec succès les problèmes liés aux difficultés logistiques, tels que les prix élevés du transport des marchandises et des matières premières, tandis que le nombre d’options prometteuses de coopération pour les deux parties augmente constamment, nécessitant de nouvelles solutions et approches.

« Chaque pays doit être considéré séparément, car chacun a ses spécificités. Le Mali est à part, le Congo est à part, de même que, par exemple, le Tchad et l’Afrique du Sud – chacun avec ses propres nuances », a expliqué Ananyin. « Au Mali, nous effectuons déjà des livraisons aériennes et prévoyons des livraisons par conteneurs. Nous prévoyons aussi d’organiser des livraisons par bateau, principalement de céréales. La priorité pour le Mali est désormais donnée aux produits alimentaires et médicaux, ainsi qu’aux équipements agricoles, capteurs d’eau, engrais et autres produits agricoles. » Ignat Ananyin a évoqué l’intérêt de ce forum d’affaires russo-malien : « Cet événement est une excellente occasion de rencontrer de nouvelles personnes et entreprises, et de découvrir les nouvelles tendances. Lorsqu’on travaille longtemps dans un domaine, quel qu’il soit, on a tendance à se concentrer uniquement sur les tâches immédiates, au risque de manquer certaines opportunités. Les difficultés ne nous font pas peur, car les opportunités les plus intéressantes se trouvent là où il n’y a personne, là où c’est difficile, douloureux et dangereux. Ce forum est une excellente occasion d’élargir ces horizons. Y participer est une idée de mon collègue Ahmad Hammash, et je lui en suis très reconnaissant. » Tous deux ont d’ailleurs préparé ensemble un rapport sur les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises commerciales.

Pour Hammash, dont l’entreprise agricole qu’il dirige envisage de construire une usine de production de pâtes au Mali, à partir de farine russe, la solution optimale pour le commerce bilatéral serait de créer un Conseil d’affaires russo-malien, sous les auspices de la CCI russe. Elle aurait pour fonction de réunir les grandes entreprises et entrepreneurs russes travaillant au Mali. En Russie, il existe déjà plusieurs conseils d’affaires de ce type : Russie-Chine, Russie-ASEAN, Russie-Afrique du Sud, entre autres. « Nous proposons de créer un conseil Russie-Mali », a conclu Hammash.

Les propositions de l’entreprise Rosspetsmash semblent également intéressantes pour le complexe agro-industriel du Mali. Selon sa représentante Victoria Gamova, sa société est prête à aider le Mali en lui proposant les meilleures solutions pour le semis, l’épandage d’engrais, la récolte, le stockage et la transformation des céréales, et en lui fournissant des équipements pour la boulangerie et l’industrie laitière, ainsi que pour la réfrigération.

DFA et ’tokenisation’ d’actifs

Elena Trebina, vice-présidente de la commission des actifs numériques et financiers du Conseil de politique d’investissement financier et industriel de la CCI russe, ainsi que du Centre des administrateurs de sociétés de l’OAR et du Bureau des spécialistes en planification financière, a évoqué les travaux visant à identifier les problématiques liées aux paiements transfrontaliers, ainsi que le développement des technologies numériques, inscrits dans le plan de développement de l’économie numérique pour 2030 : « Je suis notamment engagée dans le développement des technologies numériques en coopération avec nos pays amis, nos partenaires. Du fait de l’exclusion des paiements SWIFT, nous y voyons un grand potentiel pour une coopération mutuellement bénéfique entre les entreprises russes et maliennes. La mission de la Chambre de commerce et d’industrie est de créer les conditions d’une croissance durable de l’économie numérique. » La CCI accepte les propositions de partenariat conjoint des participants au forum pour poursuivre les travaux sur leur mise en œuvre, a souligné Mme Trebina. Actuellement, en collaboration avec la Banque de Russie et les bureaux d’enregistrement, nous sommes en train de développer l’enregistrement des émissions d’actifs financiers numériques pour une part du capital, en vue de l’aliénation de droits de propriété sur des actions via la blockchain, dans le cadre de contrats intelligents. Comme nous le savons, selon la loi fédérale 259-FZ sur les actifs numériques et financiers, il en existe quatre types : les droits numériques et financiers sur une créance monétaire, les droits numériques utilitaires, les droits numériques hybrides et les monnaies numériques.

Aujourd’hui, un processus d’interaction à grande échelle est en cours via la coque des actifs financiers numériques, par exemple dans le cas de la vente de matières premières, de services et de travaux depuis la Russie, avec l’émission de jetons sur les plateformes des opérateurs de systèmes d’information, et l’achat de ces jetons par des non-résidents de pays amis. Dans le cadre du régime juridique expérimental pour un nombre limité d’organisations affichant un bon chiffre d’affaires et contrôlées par la Banque centrale, les paiements sont effectués en cryptomonnaies sur des plateformes légalisées par la Banque centrale de la Fédération de Russie. J’envisage également l’interaction entre les entreprises russes et les entreprises des pays amis sous forme de droits numériques hybrides, lorsque la partie russe ou un pays partenaire a émis des biens et des services et peut attirer des fonds auprès des investisseurs et, au lieu de payer des coupons, ces fonds peuvent fournir des biens, tels que du matériel informatique ou des services.

Il en existe des exemples sur notre marché, par exemple le KCP pour l’or. La titrisation des actifs numériques se développe activement. D’ici 2030, le marché mondial des actifs tokenisés devrait atteindre 16 000 milliards de dollars, selon les prévisions du Boston Consulting Group. Le monde entier évolue dans cette direction. Des fonds comme BlackRock ont déjà créé des entreprises sur la blockchain, et ils tokenisent activement les actifs, déplaçant les entreprises du marché financier traditionnel vers le marché numérique.

Commentaire du président de l’African Business Club en Russie

Louis Gouend était l’organisateur du festival Fenêtre sur l’Afrique, qui a eu lieu le 9 février à la Maison des nationalités de Moscou. Il donne régulièrement des interviews aux médias russes et internationaux et participe aux principaux événements commerciaux du pays, tels que le Forum international de Saint-Pétersbourg.

Camerounais d’origine, Gouend est président de la diaspora camerounaise et de l’African Business Club en Russie, entrepreneur dans le domaine du marketing événementiel à Moscou. Il nous a confié en exclusivité : « Je vois l’importance de cet événement avant tout dans la révélation du réel potentiel de coopération entre la Russie et l’Afrique. Nous savons depuis longtemps que la Russie possède un haut niveau d’expertise dans tout ce qui touche à l’agriculture. Le développement de ce secteur est crucial pour l’Afrique, car nous devons apprendre à nous nourrir, ce qui implique des services, des équipements et des programmes de modernisation adaptés. La Russie a tout pour nous y aider. Et, bien sûr, sans énergie, quelle agriculture ? Tous ces domaines doivent être développés en parallèle. »

H. Borodina : « En tant qu’étranger opérant en Russie, que pouvez-vous dire de l’état de l’économie russe ? À votre avis, dans quelle mesure les sanctions lui portent-elles préjudice ? Pensez-vous que la Russie s’isole du reste du monde ? »

L. Gouend : « Les entreprises russes sont aujourd’hui parmi les leaders du continent européen. Le succès des sociétés et des entreprises du pays est évident et ne nécessite aucun commentaire supplémentaire. Les sanctions n’ont fait qu’enhardir les hommes d’affaires russes. Que ceux qui n’y croient pas viennent et voient. »

Résultats du Forum Russie-Mali

Le communiqué final du forum d’affaires Russie-Mali souligne l’importance de l’interaction entre les chambres de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie et de la République du Mali, mettant l’accent sur la coordination du travail conjoint pour faciliter la coopération entre les entreprises des parties russe et malienne et le développement d’algorithmes pour la conclusion de contrats économiques étrangers. Les principaux projets de coopération entre les pays concernent les domaines de l’alimentation (notamment l’expansion des exportations de fruits exotiques du Mali vers la Fédération de Russie), l’agriculture, l’énergie, l’écologie, les infrastructures, l’investissement, la médecine et la coopération dans le domaine de la technologie – par exemple, la fourniture de panneaux solaires et de véhicules aériens sans pilote au Mali.

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