« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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par Yves Paumier, président de l’Institut Schiller France
1er mars 2024
La proposition d’équipement des chotts tunisiens et Algériens avancée en 2010 reste solide sur le fond, elle n’en sera que plus belle avec cette mise à jour. Douze ans plus tard, des avancées scientifiques et techniques acquises sont à mettre en œuvre directement alors qu’elles n’étaient qu’un espoir. L’environnement international a aussi beaucoup évolué. C’est l’objet de ce texte
Cet article est une mise à jour de la première version, en 2010
En ce début du XXIe siècle, les populations maghrébines sont atterrées. Leurs économies nationales sont plongées dans un désarroi amplifié par la politique menée par les dirigeants actuels. Si les bases économiques de leurs pays diffèrent, elles se recoupent sur un point : leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur dans un monde ultralibéral en décomposition et de plus en plus violent. C’est tout leur malheur, et les conséquences internes en sont désastreuses : corruption, pouvoir d’achat, inégalité, jeunesse oubliée, etc. Vouloir sortir de cette enfer impose une trajectoire de reconstruction que l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche a précisée en détail : 1) Reprise du contrôle de la finance mondiale par un retour au crédit public et une séparation des banques d’après les critères de la Loi Glass-Steagall adoptée par Franklin Roosevelt en 1933 pour casser le pouvoir impérial de cette oligarchie monétariste. 2) Chasser du pouvoir leurs principaux agents et créer un contre-pouvoir comme celui né du Mouvement des non-alignés, les BRICS. 3) Reconstruire par des grands projets d’infrastructures mettant en œuvre les meilleures technologies du moment et transformant fondamentalement la géographie du Maghreb. L’impulsion significative de cette Renaissance fut donnée en 2013 par la Nouvelle Route de la Soie, et les grandes réalisations qu’elle a fait germer. L’exemple des chantiers de transfert d’eaux du sud au nord de la Chine, de plus de mille kilomètre chacun, [1] a suggéré aux Afghans de faire seuls leur canal de Qosh-Tepa ; canal dans les cartons depuis cinq décennies mais réalisé promptement en 2022. Pour LaRouche il ne s’agit pas là simplement de gros projets d’aménagement du territoire, mais de vraies révolutions culturelles. C’est dans cet esprit que nous réécrivons, ici, complètement, le projet de ‘mer intérieure’ de François Elie Roudaire. Si l’Académie des sciences a mis justement un terme à son entreprise en 1882, la technologie a rattrapé l’histoire. Les techniques de l’eau conjuguées à celle du nucléaire vont libérer de la misère les citoyens qui osent vivre fièrement en bordure du Sahara. Pour rendre cette histoire vivante, projetons-nous dans le futur.
Notre belle cité ne va pas tarder à dépasser le demi-million d’habitants. Depuis vingt ans, la jeunesse du Maghreb, au lieu de se précipiter vers les banlieues de Paris, de Berlin, Montréal ou Riad, s’est installée ici ; car c’est ici qu’on touche des bons salaires et que les enfants disposent des meilleures écoles et des soins de santé les plus performants. C’est dans l’agro-chimie et la recherche spatiale que des milliers d’emplois ont été créés depuis quelques décennies. Tout cela fut le résultat de « la Révolution Bleue » ; elle a rendu l’eau disponible à volonté pour tous. Quel renversement ! car à l’époque, ici c’était le Sahara, le plus grand désert du monde. Bien que l’on puisse encore croiser quelques pans de déserts intacts, depuis 2011 et le plan de M. Paumier, des lacs sont sortis des mirages, des centaines d’oasis ont été créées et chacune abrite une voire plusieurs villes nouvelles reliées entre elles et avec l’étranger par un réseau de transport rapides. Les légumes sont bon marché et les plus beaux vergers du monde vous accueillent à Roudaireville-les-palmiers ! Alors nos enfants demandent avec insistance : « Papa, raconte-moi la révolution bleue ! ».
Reprenons au début. Le 19 mai 2025, un navire arriva du grand nord tractant une étrange cargaison. Il jeta l’ancre à quelques encablures au large de Gabès, le port de pêche tunisien. Cela inquiétait les anciens et même les touristes qui venaient se bronzer sur l’ile de Djerba, certains firent le détour pour dévisager cet étrange objet ; une cargaison qui en imposa encore davantage à ceux de la côte, d’autant plus que son arrivée avait été soigneusement préparée : un vaste réservoir avait été installé sur les hauteurs du seuil de Gabès qui borde la mer, et une grosse conduite en descendait jusqu’à la mer. Un mois plus tard, on entendit déjà un torrent d’eau à l’entrée du réservoir et très rapidement celui-ci se remplit à ras bord.
L’étonnement des gens du voisinage fut double : celui de voir un réservoir d’eau en haut des collines alors que les rivières ne grimpent pas les collines et surtout, de découvrir que ce réservoir se remplissait d’eau de mer ! Mais d’où venait donc cette eau salée ? C’est là que les anciens découvrirent que l’étrange objet flottant n’était rien d’autre qu’une centrale nucléaire dont la puissance permettait de pomper l’eau en hauteur ! Quant au réservoir, il ne servait que de château d’eau en prévision des phases à venir. Autre avantage de l’installation c’est qu’en laissant l’eau redescendre vers la mer le courant produit de l’électricité à la demande (une STEP en français ou Water pumping station en anglais). Des mois plus tard, d’autres bruits s’ajoutèrent : ceux d’une autre usine qui dessale l’eau de mer. En premier lieu, l’eau douce fût distribuée à la ville de Gabès où elle est devenue si abondante que les rayons du soleil se délectent à jouer dans les gerbes jaillissant d’une sympathique fontaine publique.
Mais l’eau se dirigea surtout vers l’intérieur des terres là où jadis se situait le désert et où les moutons paissaient. C’est justement dans ces lieux que des travaux impressionnants débutèrent. En premier lieu avec la construction de l’aqueduc, alimenté depuis l’usine de dessalement d’eau de mer, qui finit par ceinturer le chott.
Au sud de la Tunisie et en face en Algérie, au pied de la chaine de l’Aurès et aux abords du Sahara, s’étend sur une longueur de près de quatre cents kilomètres, une vaste dépression qui, à la saison des pluies, ressemble à des terres marécageuses voire à un petit lac et dont le fond est couvert de sel cristallisé. Il se divise en plusieurs cuvettes secondaires désignées par les Arabes sous le nom de chotts (de l’arabe chatt, « rivage »).
Alors, pour rendre fertiles ces terres, commença un indispensable travail pharaonique qui consistait à enlever le sel emprisonné depuis de millénaires dans ces cuvettes ainsi que dans le sol. Un drain fit l’affaire, un tuyau de grand diamètre fut percé sous le seuil de Gabès, et sous la mer jusqu’au milieu du golfe. Pluie après pluie, des tonnes de sel du chott furent ainsi retirées, rendant à la vie ces sols stériles. L’eau douce qu’apportait l’aqueduc, était destinée, sur le pourtour du chott, avant tout à l’irrigation et à ravitailler les villageois, mais comme d’une pierre deux coups, elle permettait aussi de rincer les sols et d’ emporter vers la Méditerranée encore et encore ce sel si empoisonnant. La joie des citadins de Gabès, déjà éblouis par leur belle fontaine, fut doublée par celle des ruraux quant à la perspective d’avoir de l’eau douce disponible tout au long de l’année. Remplacer l’eau saumâtre du fond des chotts leur parut bizarre et incongru au début, mais depuis le doute n’est plus permis. La révolution bleue est en marche ! les paysans alors se lancèrent à fond dans la réhabilitation de leurs champs. Il fallut quand même laisser le temps à l’eau pour faire son travail dans le chott. Aucun bulldozer n’aurait pu accomplir cette tâche tant le sel y est profondément incrusté, il ne part pas aussi vite ! Pourtant, comme prévu par le plan, le sel remonta mois après mois et finit par rejoindre l’eau de surface ; pourtant, bien qu’une grosse partie fût éliminée, tout ne le fut pas. Mais là aussi, l’homme avait prévu une solution et il resta maître du temps : les agronomes semèrent des plantes dites halophiles, c’est-à-dire capables de vivre avec le sel ou de l’absorber dans leur croissance. C’est seulement en 2017 que, grâce aux biotechnologies, on put mettre au point des variétés de riz halophile ; d’autres plantes aussi intéressantes suivirent. Mais l’étape importante avait été franchie. Ainsi, après quelques années de rinçage, un vrai lac s’était substitué au premier chott, un résultat plus avantageux qu’une mer intérieure, qui aurait aggravé la salinité des sols. A l’instar des fameux polders hollandais, où les hommes ont transformé la mer intérieure en terres utilisables (au total, les Néerlandais conquirent 750 000 hectares) les gens du désert inventèrent un nouveau paysage sur 670 000 ha. Ici aussi grâce à l’aqueduc et à des centaines de petits canaux, fut-il gagné sur le sel.
Ces surfaces avaient été progressivement transformées en champs cultivables. Au début, ces terrains semés de plantes halophiles et d’arbustes rustiques conçus pour l’occasion, ont pu être remplacés par des céréales, des vergers et des palmiers. D’autres parcelles restèrent à l’état initial et d’autres encore furent adaptées à la pisciculture. Cette multitude de champs encadrés de talus, bordés d’arbres aux racines profondes rythment de nos jours la vue là où la platitude blanche brûlée par le soleil ne permettait pas le regard. Le lent passage de barques chargées de récoltes et l’éclat des chants d’oiseaux donnent une ambiance romantique restée inconnue ici depuis des millénaires. Bref, ce que les touristes ne connaissaient qu’en Andalousie se trouve ici, chez nous, depuis la mise en oeuvre de la révolution bleue.
Après le Chott el-Fejal, ce fut, tour à tour, au Chott el-Djerid et au chott El-Gharsa d’être « poldérisés ». La disponibilité de l’eau attira alors les hommes en grand nombre et c’est là que fut fondée Djeridville à l’endroit même où les serpents se satisfaisaient d’insectes. Avec la civilisation sont venus aussi les oiseaux, en particulier les migrateurs qui retrouvèrent, accueillantes, ces contrées après des siècles d’oubli.
Une phase supplémentaire de la révolution bleue fut alors lancée.
Tout au long du réseau d’aqueducs on se mit à construire des derricks, non pas pour extraire du pétrole, mais pour y injecter de l’or bleu, de l’eau dans le sous-sol, une eau produite par l’usine de dessalement de Gabès. C’est ainsi qu’on a ranimé l’extrémité tunisienne de la nappe aquifère (SASS) du Sahara, une des plus grandes du monde. La bonne santé de cet aquifère est aujourd’hui le garant de notre agriculture et il mouille nos lèvres à chaque instant.
Certes, la nappe souterraine existe et alimente depuis longtemps les sources en plein Sahara et ressurgit comme source chaude ici ou là. Mais, depuis le XXème siècle sa surexploitation augmenta drastiquement et sa salinité avec. Si l’homme ne l’avait pas sauvé, son avenir aurait été scellé. Une des conséquences des injections faites a été que les pluies tombant loin sur l’Aurès ont fait renaitre des oasis un peu partout. L’autre conséquence fut un retour du droit de l’eau (Cf : la civilisation des eaux cachées du Dr Aly Mazahéri [2] ). Le droit occidental est un droit basé sur la propriété territoriale ; mais qu’importe si ton champ est grand en plein désert, il faut encore qu’il puisse être travaillé, donc irrigué ! Les grandes civilisations du désert avaient un type de pouvoir où le chef de l’eau était relativement indépendant du chef de tribu et du chef religieux. La pérennité de l’oasis était son seul critère ; sa durabilité dirait-on aujourd’hui. En fait il détenait sa petite autorité d’un mode impérial et culturel disparu avec la colonisation. Aujourd’hui où l’eau souterraine est de plus en plus saumâtre et de plus en plus profonde, elle est souvent transfrontalière. Il faut que la gestion de l’eau se fasse au plus haut niveau des États avec, en tête de priorité, le souci du bien commun. C’est dans ce sens que notre constitution fut reconstruite. Entre-temps, au large de Gabès, la centrale nucléaire flottante fut remplacée par d’autres bien plus puissantes. L’eau douce y est produite dans une usine directement posée sur le fond comme une île nouvelle dans le golfe. Elle aussi fût flottée jusque-là comme la première fois, l’effet de surprise fut moindre mais la fête populaire grandiose. Pour accueillir les hommes qui, depuis lors, y travaillent, on créa un lieu de vie exceptionnel, l’île-ville d’Aquagabès.
La phase algérienne fût un défi plus grand. Tous ces travaux du coté tunisien n’étaient pas passés inaperçus de ce côté de la frontière. On avait vu des oasis disparues reprendre soudainement de la vigueur, des couleurs, et des souches d’arbres morts redonner de la tige. L’Algérie lança, elle aussi, sa révolution bleue, mais la nature y étant plus violente et la ‘dépression’ d’el Melrhir cachant le fait qu’on est à 35 mètres sous le niveau de la mer, plus question de drainer le sel vers la Méditerranée, une autre solution s’imposait. Le premier choix qu’exigèrent les politiques fut de ne pas importer l’eau du Golfe de Gabès, mais de la côte algérienne au nord (435 Km au lieu des 420 Km), ce qui fut rendu possible par une centrale nucléaire et une usine de dessalement, toutes deux immergées. Ces prodiges permirent la création de réservoirs d’eau (STEP) en montage près de Béjaïa, le rechargement des nappes aquifères locales et des usines électriques produisant à la demande. L’objectif n’étant pas fixé sur le chemin de l’aqueduc mais au bout, dans le Melrhir, regardons ce qui s’est passé. Sur le pourtour puis occupant l’ensemble du Chott, des armées de travailleurs avaient quadrillé le vaste terrain salé (6700 Km2) en bassins plus petits. Un immense réseau de digues fut créé sur les indications des satellites. Pour faciliter le travail de dessalement progressif des sols, l’eau douce fut patiemment introduite dans chacun des polders nouvellement créés. Au cœur du dispositif, une usine de dessalement supplémentaire fut construite pour extraire le sel qui imprégnait le sol et qui s’était dissout dans l’eau. Un terrain spécial fut réservé pour entasser le sel une fois recristallisé. Ce sont ces pyramides qui ne cessent de s’élever et que tu vois briller de si loin. Comme l’eau domestiquée est arrivée généreusement en plein Sahara, les oiseaux et l’homme l’ont suivie. C’est à partir de la révolution bleue que l’Algérie a pu rétablir une certaine souveraineté : Au lieu d’exporter son gaz à bas prix, on décida de faire passer le gazoduc, qui dans le passé allait directement de Hassi Messaoud à la Méditerranée, par les agglomérations nouvellement sorties de terre dans la région des chotts. L’État y créa un grand complexe pétrochimique. Le peuplement de la région entraîna le développement d’autres activités, notamment les manufactures et l’extraction minière des sels de lithium, devancées par la construction de routes et de transports rapides. Grâce à ces « couloirs de développement », l’industrie de transformation s’ affirma enfin au sein d’un urbanisme particulièrement audacieux. Ce fut le départ d’une nouvelle aventure, celle de s’attaquer à l’avancée du désert, que nous vivons jour après jour. La coopération entre la Tunisie et l’Algérie lors de la révolution bleue provoqua aussi une révolution au niveau du droit. Comme l’eau ignore les frontières des hommes, le droit fut redéfini à partir de ce nouvel accès à l’eau et de la notion de bien commun universel (comme celui du traité de Westphalie de 1648, qui mis fin à la guerre de trente ans, remplaçant la loi du plus fort par celle d’un développement mutuel fondé sur « l’avantage d’autrui »). Selon le professeur Aly Mazahéri, le « droit de l’eau » est un héritage de la Perse, des parties désertique de l’Empire. Les principes auxquels il fait appel, nous ont permis d’en finir avec les conflits transfrontaliers alors que le droit positif moderne occidental en fut incapable et aboutit au pire en Méditerranée orientale.
Chaque jour, une nouvelle ville surgissait là où des oasis se perdaient dans les sables. En général, elles naissaient aux flancs des reliefs, plus accueillants, et les plaines restaient pendant longtemps des immensités désertiques. Le travail des géologues avançait à grand pas et leur connaissance de l’intimité des nappes souterraines et des fleuves paléolithiques leur permit de prédire dans quel endroit du désert allait germer la prochaine ville. Et ce qui paraissait d’une grande uniformité se révéla au contraire plein d’opportunités, offrant à chaque fois une ressource particulière à tous les talents nouveaux attirés par cet eldorado. Au-delà de la révolution bleue proprement définie, deux corridors, l’un routier et l’autre ferroviaire, permirent ensuite de désenclaver le Sahara. Le premier formait l’axe d’ une liaison entre le Maghreb algéro-tunisien, le lac Tchad et l’Afrique centrale, le second reliait le Maghreb algéro-marocain avec le delta intérieur du Niger et l’Afrique de l’ouest. Toute cette activité mit un point final à l’exode démographique vers le Nord et la jeune population du Maghreb quitta les bords surpeuplés de la Méditerranée pour ces lieux accueillants et verdoyants.
L’agriculture des oasis fut perfectionnée. Des champs de céréales et d’agrumes poussèrent sous les palmiers, les khejris et les acacias, sur des étendues inimaginables. La rosée matinale apparut ici et là. Des centaines de microclimats furent crées à partir de rien. Aujourd’hui, ce qui fut à l’époque un désert pour la végétation ne nourrit pas seulement le Maghreb, mais aussi de lointaines contrées et rend l’Afrique indispensable aux nations Méditerranéennes. L’agro-chimie remplace le pétrole pour fabriquer des matières plastiques, et jour après jour, elle reconstitue les sols vivants.
Le Sahara a été transformé par l’eau infiltrée arrivant de l’Atlas au nord-est, de Gabès d’abord et ensuite d’autres endroits algériens, marocains et mauritaniens. Les Libyens, qui à l’époque puisaient dans la réserve d’eau fossile du désert libyen, décidèrent de renverser le cours de leur « Grande Rivière Artificielle ». L’eau douce trouvée dans une fantastique nappe géologique au fin fond du désert, allait à l’époque de Kadhafi irriguer la côte Méditerranéenne. Depuis quelques années, la Libye a même fait renaitre le « deuxième Nil », ce fleuve qui était à sec depuis des lustres, dont le tracé fut découvert en 2009, et qui coule désormais de nouveau sur son territoire. L’autre victoire contre le désert est venue de la belle coopération entre l’Éthiopie, l’Egypte et le Soudan, qui gèrent ensemble depuis une décennie les eaux du Nil. Mais la jonction la plus fondamentale est celle faite avec les efforts de revitalisation du bassin du lac Tchad et la Grande Muraille verte. Carte des régions endoréiques ou l’écoulement des eaux vers la mer est inexistant ou faible>
Le lac Tchad demeure le fleuron d’un système d’aquifère endoréique et sa désertification provoque depuis des centaines d’années des vents de sables qui atteignent régulièrement Lyon et jusqu’au Brésil. En bref, le désert avance par la faiblesse du lac Tchad, et surtout de son sous-sol : le lac Tchad n’est la trace visible que de ce qui se passe à l’abri du soleil. C’est en gagnant la bataille pour cette entité comme un tout qu’on a pu retrouver les chemins transsaharien du désert, maintenant de vrais corridors. Le premier et le plus évident fut la Grande Muraille Verte qui fut commencée au Sénégal et en Éthiopie, avant de se joindre ici où elle gagna toute sa puissance contre l’avancée du Sahara. Son succès fut en même temps prométhéen, à l’échelle du continent, mais aussi profondément rural, par la reconfiguration de l’agriculture villageoise devenue pérenne, car soutenue pendant des décennies. Avec l’aide des géologues, les massifs montagneux, les restes du super lac Tchad géologique, de l’eau de Libye, il fut possible de recréer un chapelet de localités à travers le désert. Ce combat fut celui de tout un continent car il avait lieu semblablement depuis la Namibie. Tout effort local ne fut qu’illusion et échec, et il y en eu beaucoup jusqu’à cette réussite. Comme nous l’avons indiqué plus haut, si nos pays vivent aujourd’hui en bon voisinage et s’épanouissent dans des relations de coopérations mutuelles bénéfiques à tous, c’est parce que nous nous étions engagés ensemble dans la Révolution bleue, dans cet amour du bien commun, celui d’une communauté de destin qui a pu renaître autour de l’eau, d’abord créée, partagée ensuite, et finalement sublimée par le droit de l’eau, autrement dit à l’opposé de la petite débrouillardise et du chacun pour soi. Si aujourd’hui, en 2050, l’homme est capable de s’installer sur Mars, c’est notamment grâce à nos découvertes. Car, une fois la vie rendue aux sables du Sahara, la terraformation de Mars ne nous fait plus peur.
Postscriptum :
Remerciements à M. Mucci qui m’a sollicité pour venir exposer sur place cette proposition. Si des conditions du moment ont reporté l’occasion, il a exprimé ainsi le besoin d’une actualisation. En relisant les arguments de l’Académie des sciences qui conseilla, en mai 1882, d’abandonner le projet de mer intérieure de Roudaire, l’évidence de deux points refait surface : d’une part, la thèse universitaire maintenant acquise de Mohamedou Ould Baba Sy que les sources chaudes de Tunisie ne sont que la trace d’un système phréatique endoréique (le SASS) alimenté par les pluies tombées sur l’Aurès et l’Atlas (et non d’une nappe géologique, comme en Libye), et, d’autre part, mon idée que la faiblesse de la proposition de Roudaire fait la force de la mienne, sont congruentes et puissantes : à savoir que les chotts étant un peu plus hauts que le niveau de la mer Méditerranée, alors ils peuvent être drainés par simple gravité. La transformation des chotts par l’eau redevient possible, comme l’imagina Jules Verne, mais cette fois en chassant le sel et la mer au profit de l’eau douce. Le droit de l’eau fait partie du sujet ; je l’ai abordé grâce au Dr Aly Mazahéri et il est pratiqué de diverses façon auprès de foggaras [3]. La foggara (en arabe maghrébin, kariz, khettara, ailleurs, ou qanât en Asie), impose que le maître de l’eau ait un pouvoir indépendant de pouvoir religieux ou politique, du moins sur le court terme. Le mot même oasis n’existe que dans une tradition continue ‘aménagiste’ que je partage. L’exploitation des foggaras ne peut se maintenir que dans la mesure où le pouvoir persévère assidûment dans l’entretien des aqueducs et de la recharge de l’aquifère. Or, sous la pression de profits immédiats, on sacrifie toujours l’entretien des égouts chez nous ou des foggaras dans les zones arides. Le monétarisme n’est pas solvable dans l’eau.
[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1103819/eau-chine-diversion-nord-sud-aqueduc-pipeline
[2] https://www.persee.fr/doc/epide_0768-5289_1973_edc_6_1
[3] http://zoumine.free.fr/sahara/donnees_geo_climatiques/eauausahara.html