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26 avril 2025
La disparition du pape François a rappelé combien le sort de Gaza comptait pour lui alors même que les pays occidentaux brillaient par leur silence complice. Dans ce contexte, des éléments nouveaux mettant à nu la dimension criminelle de Netanyahou, l’ampleur des destructions et de la souffrance infligée, la lassitude, la prise de conscience de ce qui s’est passé à Gaza par la société israélienne pourraient être de nature à faire basculer la situation.
Aujourd’hui, samedi 26 avril, les yeux sont braqués sur Rome à l’occasion des funérailles du pape François, dans un rare moment de recueillement et de concorde. Pourtant, c’est en Palestine, dans Gaza chère au cœur de François, où il « les rivières de sang » était en contact quotidien avec la communauté chrétienne, que continue de se jouer le sort de l’humanité, une Palestine que le Saint-Siège avait reconnu en tant qu’Etat, en 2015, sous l’impulsion du pape François.
Le révérend Munther Isaac, pasteur luthérien à Bethléem, a présenté une réflexion profondément personnelle, dans un post sur X, sur la mort du pape, soulignant sa relation particulière avec les Palestiniens, en particulier les chrétiens palestiniens. Isaac considère le pape disparu non seulement comme une figure religieuse, mais aussi comme un symbole mondial de compassion et de courage face à l’injustice.
Le révérend évoque notamment deux moments : le contact du pape avec les chrétiens de Gaza et sa visite à Bethléem.
« Les Palestiniens, et les chrétiens palestiniens en particulier, ont perdu un ami très cher aujourd’hui », a-t-il commencé. « Le pape François était aimé en Palestine. Il a fait preuve d’une véritable compassion envers les Palestiniens, en particulier envers ceux de Gaza pendant ce génocide. Son coeur pastoral était évident dans son insistance à appeler constamment la communauté chrétienne assiégée à Gaza, même depuis son hôpital. »
Dans son livre, The Other side of the Wall (L’autre côté du mur), Isaac Munther rapporte la visite du pape François à Bethléem en 2014 où il s’est notamment rendu au mur de séparation construit par Israël et y a prononcé une prière, ce qui a été amplement commenté dans les médiats du monde. Il revient sur le fait que « Le pape François n’a pas pu s’empêcher de remarquer la laideur de cette structure de béton au cœur de Bethléem. Ce mur devrait tous nous mettre mal à l’aise. Face à ce malaise, le pape n’a pu s’empêcher de réagir et de tendre la main. En réagissant de la sorte, le pape a touché plus que le mur. Il a touché la laideur de l’occupation et de la guerre. Il a touché la profondeur de notre souffrance. Avec humilité et faiblesse, il a regardé l’injustice dans les yeux et l’a défiée. (...) »À la fin de la journée, le pape est parti, et l’occupation et le mur sont restés. Mais nous sommes repartis avec un regain d’espoir, sachant que nous ne sommes pas oubliés. (The Other side of the Wall, pp. 182-183)"
Le souvenir du pasteur se termine par les souhaits du Pape pour la région, en citant un texte écrit par celui-ci en novembre 2024 : “Je pense surtout à ceux qui quittent Gaza au milieu de la famine qui a frappé leurs frères et soeurs palestiniens, étant donné la difficulté d’acheminer la nourriture et l’aide dans leur territoire. (…) Selon certains experts, ce qui se passe à Gaza a les caractéristiques d’un génocide qui devrait faire l’objet d’une enquête approfondie afin de déterminer s’il correspond à la définition technique formulée par les juristes et les organismes internationaux".
« Les millions de personnes qui pleureront sa mort ces prochains jours respecteront-elles son souhait ? » demande Isaac. « Se soucieront-ils des Gazaouis et des Palestiniens comme ce pape en avait soin ? »
Une question d’une actualité brûlante, si l’on s’en tient aux déclarations du ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, telles que rapportées par Haaretz, affirmant qu’une victoire militaire à Gaza est considérée comme plus importante que la libération des otages israéliens. S’exprimant à l’antenne de Galei Israel, Smotrich a froidement déclaré que la libération des otages n’était pas « l’objectif le plus important ». Il s’agit plutôt d’un objectif à atteindre : « Nous devons éliminer le problème de Gaza ».
Pour Smotrich, Israël a maintenant une « formidable opportunité » d’agir de manière décisive et de « prouver au monde entier et au peuple d’Israël qu’il existe une solution militaire à la terreur. » tout en critiquant le chef d’état-major de Tsahal, Herzl Halevi, pour avoir autorisé l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza et a rejeté l’idée d’un accord négocié avec les otages comme une forme de reddition à une « organisation terroriste ».
Ses remarques ont suscité de vives réactions en Israël, à l’exemple du Forum des familles d’otages et de disparus qui considèrent dorénavant que le gouvernement « a sciemment décidé d’abandonner les otages ». Einav Zangauker, dont le fils Matan a été enlevé le 7 octobre 2023, a exprimé un sentiment croissant dans la population : « la seule vérité est que [Smotrich] est prêt à sacrifier mon Matan et un pays entier pour ses délires messianiques et psychotiques ».
A cette colère, s’ajoute l’indignation face aux calculs scélérats de Netanyahou aujourd’hui dénoncés au plus haut niveau. Ainsi, comme le rapporte Luc Bronner dans Le Monde, « Le patron du Shin Bet [Ronen Bar] limogé par le gouvernement a transmis à la Cour suprême une déclaration sous serment accusant le premier ministre d’atteinte grave à l’Etat de droit ». Parmi les accusations rendues publiques : Netanyahou « lui a demandé de signer un texte censé justifier une impossibilité à comparaître pour des raisons de sécurité lors de son procès pour corruption, (...) le premier ministre lui a demandé que les moyens du Shin Bet soient utilisés afin d’enquêter sur des opposants au gouvernement, (…) Netanyahou a exigé que Ronen Bar s’engage à obéir au premier ministre et non à la Cour suprême dans l’hypothèse d’une crise constitutionnelle ». A cette liste aussi partielle qu’explosive, s’ajoute entre autres le Qatargate impliquant des proches du Premier ministre qui auraient illégalement reçu de l’argent du Qatar.
La réalité est que les dangers pour la sécurité d’Israël, constamment invoqués pour justifier la guerre contre les Palestiniens, semblent avoir changé de nature et, comme le note Luc Bronner, « La séquence témoigne de la dégradation du climat politique. Au point que des personnalités comme l’ancien président de la Cour suprême Aharon Barak ont exprimé leur crainte d’une ‘guerre civile’. »
Signe du changement et de la prise de conscience qui s’opère dans la société israélienne, les manifestations hebdomadaires de Tel Aviv sont passées à la vitesse supérieure depuis la reprise de l’offensive contre Gaza et l’on estime que celle de samedi dernier a réuni quelques 10 000 manifestants. Si elles ont principalement Netanyahou pour cible, l’on a vu y apparaître, tenus à bout de bras par des manifestants dénonçant « les rivières de sang », les portraits d’enfants palestiniens tués lors des raids de l’armée israélienne à Gaza. « Le mouvement, qui a bondi de vingt à plusieurs centaines de participants en trois semaines, est né spontanément, sous l’impulsion de femmes israéliennes horrifiées par la guerre ». Une lueur d’espoir.