« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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L’Europe a tout à perdre du découplage effectif Europe/Russie, et du découplage en gestation Europe/Chine. Elle doit de toute urgence réorienter son horizon vers l’Est (Asie) et vers le Sud (Afrique).

par Christophe Lavernhe

Initialement rurale et pauvre, la République populaire de Chine est capable désormais de concurrencer les nations développées parce qu’elle s’est industrialisée en masse et en profondeur. En même temps que le pays s’ouvrait au marché sous l’ère Deng Xiao Ping (1978-1989), la Chine a progressivement élaboré, au prix d’un effort considérable, une politique d’équipements en infrastructures et en industries à l’échelle du pays. Elle a fait de sa faiblesse initiale une force : sa main d’œuvre nombreuse, s’accommodant de salaires très bas, lui a permis d’exporter ses produits à des prix imbattables. Devenue l’usine du monde, la Chine a pu accumuler un trésor de guerre pour investir et sortir du dénuement.

Aujourd’hui, les produits chinois demeurent très compétitifs, non pas tant à cause de la main d’œuvre peu chère que parce qu’ils bénéficient de technologies équivalentes ou supérieures aux nôtres. C’est sur des chaînes de production quasi-automatiques que s’élabore la compétitivité de « l’innovation à la chinoise » qui remplace le made in China. Forte de ses 1,41 milliards d’habitants, la Chine a également bénéficié de son immense marché, car chaque produit revient bien moins cher quand il est fabriqué en grandes quantités. Ajoutons que les moyens financiers considérables accumulés, au fur et à mesure que sa balance commerciale affichait des excédents, permettent au pays de piloter des investissements à très long terme.

Cette grande politique attire l’intérêt et la curiosité du monde entier, comme ce fut le cas pour la France des années 60-70. Cela s’est fait selon un chemin spécifique à chacun de nos deux pays, avec des tempéraments et des facultés bien différentes. En France, c’est avec l’économiste Jacques Rueff que le Général de Gaulle a remis en 1958 le Franc d’aplomb et disposé l’économie en ordre de bataille. Le fer de lance ? Sa capacité à émettre du crédit productif, sa recherche de pointe et les applications révolutionnaires qui ont suivi : le supersonique Concorde, le TGV, le parc de centrales nucléaires le plus grand au monde, les fusées Ariane etc.

Au sein de l’Europe, l’Allemagne a connu un succès similaire, mais avec une approche encore différente, celle du « capitalisme rhénan » [1], qui s’est étendu aussi à la Belgique, aux Pays-Bas, à la Scandinavie, l’Alsace et la Suisse. Une façon de faire selon laquelle l’intérêt commun émane non pas du rôle direct de l’Etat comme c’est le cas en France, mais du sentiment d’appartenir à un tout, qui est supérieur à ses parties composantes, et qui infuse un esprit de partenariat entre les différents acteurs de l’économie (banques régionales, syndicats, entreprises..).

La montée en puissance du champion européen Airbus, premier constructeur mondial d’aéronefs, ou celle d’Arianespace, leader des lanceurs spatiaux, a montré que les pays européens, s’ils s’en donnent les moyens, ont la capacité de mener des projets à l’échelle d’un continent. Pour les Nouvelles routes de la soie comme pour Airbus/Aérospatiale, il y va de projets concrets au sein de coopérations intergouvernementales. Débarrassée des différentes camisoles de l’UE, l’Europe doit redevenir le laboratoire pour intégrer dans des réalisations concrètes le meilleur de chaque tradition nationale. Elle sera alors dans la disposition d’esprit d’une coopération continentale gagnant/gagnant.

Voyons maintenant ce que cela implique.

- Se dissocier des sanctions occidentales

L’Etat profond américain craint que les économies d’Europe occidentale et d’Asie puisse trouver leur avantage dans une intégration plus étroite avec la Chine et la Russie. Avant même le conflit en Ukraine, la politique des sanctions visait à empêcher les pays de l’Otan et les autres alliés occidentaux de s’ouvrir davantage au commerce et à l’investissement. Le conflit ukrainien est tombé à point nommé pour que les sanctions envers la Russie soient massifiées, empêchant plus de 50 milliards annuels d’exportations de l’UE et pas loin de 100 milliards d’importation.

Après la Russie, et sous la pression intense de Washington, les sanctions contre la Chine sont maintenant activées en représailles au soutien apporté par Beijing à la Russie. Les Européens ont déjà beaucoup perdu à cesser les relations avec Moscou, ils ont encore bien plus à perdre à se couper commercialement de la Chine. Ce serait un coup double pour Washington, l’Europe devant importer plus des Etats-Unis, à des prix plus élevés, tout en s’éloignant de son partenaire chinois sur fond de guerre commerciale.

Plus généralement, les politiques de sanctions perturbent, ralentissent, étranglent les économies qu’elle visent. Le sort réservé à Cuba, sous embargo américain depuis 1962 illustre leur inutilité. Aucun aspect positif n’a pu y être trouvé après plus de 60 années. L’objectif affiché de renverser le régime cubain n’a jamais été atteint. Par contre, la maltraitance de la population n’a jamais cessé.

Les sanctions sont en définitive une arme contre les populations des pays visés. Les raisons invoquées pour les appliquer sont des prétextes. Le triage ethnique en cours en Palestine en est une version extrême. Sous couvert de représailles pour les crimes commis le 7 octobre, il y a la volonté initiale d’ostraciser tout un peuple dont l’existence est considérée comme un empêchement au projet de Grand Israël.

Si l’on veut vraiment la paix, il faut d’abord le développement. De réelles perspectives dans ces domaines feront beaucoup plus pour les pays sous embargo que n’importe quelle sanction. Il y va d’une nouvelle architecture de sécurité et de développement explicitée dans

Les cinq principes de la coexistence pacifique mis au point par l’Inde et la Chine
La Charte des Nations Unies qui les reprend
Les dix principes d’une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement proposée par Madame LaRouche et l’Institut Schiller. [2]

Mettre en oeuvre ces principes, c’est d’abord et sans préalable abandonner unilatéralement la politique de sanctions de l’UE, que ce soit à l’égard de la Russie ou de l’Afghanistan, de la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Iran, Myanmar, la Syrie etc..

C’est aussi et surtout s’engager en même temps dans les multiples projets de développement régionaux qui existent, comme le plan Oasis au Moyen-Orient ou ceux de l’initiative chinoise la ceinture et la route (BRI)

Se donner les moyens d’une grande politique européenne de développement à l’Est et au Sud

La désindustrialisation a affaibli l’Europe mais il lui reste des atouts majeurs étant données son potentiel humain (éducation, recherche) et ses capacités matérielles (industries de pointe, grandes infrastructures).

L’Europe a tout à perdre du découplage effectif entre l’Europe et la Russie, et du découplage en gestation entre l’Europe et la Chine. Elle doit de toute urgence réorienter son horizon vers l’Est (Asie) et vers le Sud (Afrique). Il faut renouer à l’échelle européenne, et en coopération avec les pays des Nouvelles routes de la soie, avec une planification indicative.

Levier incontournable pour assurer ce décollage continental, la découverte de principes physiques nouveaux grâce à la recherche fondamentale permettra de maitriser et partager les technologies les plus avancées. Le tempo ainsi donné vers une économie de paix et de co-développement doit surpasser la course actuelle vers l’économie de guerre, qui nous emmène tout droit vers la guerre tout court.

Dans leur conduite des affaires, les gouvernements européens et asiatiques, doivent avoir la possibilité de recourir à la palette d’outils qui ont montré leur utilité dans le passé : aide au financement, à la recherche, protectionnisme sélectif s’il le faut, crédits d’impôt etc.

En 2019, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), qui se décrit comme rien moins qu’un « Think Tank libéral progressiste et européen », a voulu émettre des propositions sur le thème « politique de concurrence et industrie européenne ». Elle y constate dans des termes choisis que, pour éviter d’être le dindon de la farce à force d’être le bon élève du néo-libéralisme, l’Europe doit se protéger :

« La donne actuelle, marquée par les investissements publics massifs en Chine et aux États-Unis vers les technologies de pointe, risque en conséquence d’exposer les producteurs industriels européens à une concurrence déloyale. Dans ce contexte, l’Europe doit établir des règles de politique commerciale adéquates. Il s’agit là de la juste contrepartie au régime de concurrence strict qui s’applique au sein du marché intérieur. » [3]

Par « règle de politiques commerciales adéquates », il faut comprendre l’élévation de barrières douanières. La décision de L’UE en octobre 2024 d’imposer, en sus des 10% déjà existants, une taxe de 35% sur les véhicules électriques importés relève de cette logique.

Dans la conclusion de son travail, la Fondapol repose la question posée dès l’introduction, comme si sa réflexion tournait en rond :

« Pour autant, ce constat n’enlève rien à l’acuité du questionnement initial : que faire pour que les entreprises européennes puissent exister dans la compétition mondiale face aux entreprises étrangères, notamment chinoises, largement subventionnées par la puissance publique ? »

Les questionnements tortueux de Fondapol illustrent la difficulté à se détacher de la matrice intellectuelle du capitalisme financier néo-libéral. Plus royaliste que le roi, l’UE suit la ligne de Fondapol et, au nom de cette pensée hégémonique, continue à s’interdire le soutien aux filières industrielles européennes. Elle suit en cela les consignes de Washington qui, lui, n’hésite pas à subventionner à tour de bras !! (voir ci-dessous « Quand Washington adopte ici les mesures qu’il dénonce là »).

Les voix qui s’élèvent par contre au sein de l’Assemblée nationale française pour proposer une réponse européenne au vaste plan adopté par l’administration Biden l’été dernier, l’Inflation Reduction Act (IRA), n’ont pas ces pudeurs déplacées. La commission des affaires européenne appelle à :

« l’ouverture d’une réflexion globale sur l’assouplissement des règles relatives aux aides d’Etats, de manière à soutenir la compétitivité des entreprises européennes dans la compétition mondiale et à favoriser l’émergence de champions industriels européens dans les secteurs stratégiques ». [4]

Un bon exemple de la direction à prendre existe dans le domaine des batteries. Pour l’instant, « l’Europe, avec une capacité de production de batteries de 281 gigawatts (GWh) en 2023, apparaît en net retard sur la Chine (1 290 GWh). D’autant plus que la plupart de ses ’gigafactories’ [usines permettant de construire des équipements, des batteries ou d’autres systèmes, sur de grands volumes] actuellement appartiennent à des industriels asiatiques ». [5] En France, la filière batterie est restée embryonnaire suite à des choix industriels malheureux et le temps nécessaire pour revenir dans la course entraine encore des années de dépendance vis à vis des batteries asiatiques. Qu’à cela ne tienne :

« En Europe, plus de 25 sociétés de constructions de batteries projettent la création de plus de 100 gigafactories d’ici 2030. Cela représente, au moins, 150 milliards d’euros d’investissements sur la chaine de production des batteries électriques, comprenant d’importants équipements industriels et machines de production, recherche et développement, innovation et formation (…) Les asiatiques possèdent 10 ans d’avance technologique sur l’Europe mais nous serons compétitifs. 11 pays européens sont d’ores et déjà mobilisés pour se lancer dans la construction de lignes de productions ». [6]

Ce projet émane d’un groupe d’industriels et d’universitaires qui se sont réunis depuis octobre 2022 et ont créé le consortium Upcell Alliance, destiné à soutenir les acteurs locaux dans le développement de leurs activités et de leurs capacités de production de batteries électriques.

Yohan Dupuis l’un des ingénieurs pédagogiques associé au projet précise :

« La France possède une forte expertise pour adopter une approche intégrée et inclusive, faisant converger et dialoguer industrie, formation et entrepreneuriat ».

La filière photovoltaïque est le deuxième domaine où l’Europe a pris un grand retard. Si elle veut continuer à exister, elle doit voir aussi très grand. Dans une note publiée en avril 2024, l’Académie des technologies rappelle que la Chine a investi près de 50 milliards de dollars au cours de la dernière décennie dans son industrie photovoltaïque, soit dix fois plus que les investissements réalisés en Europe [7]. Aujourd’hui, le marché des panneaux photovoltaïques est ultra-dominé par la Chine constate-t-elle. Le pays produit 80% des composants dans le monde. Et, en Europe, 96% des galettes de silicium, élément-clé du panneau photovoltaïque, proviennent de Chine.

Pour que les projets industriels proposés en Europe aboutissent, la France et l’Union européenne doivent absolument mettre en place des politiques volontaristes fortes, précise l’Académie, avec des « politiques interventionnistes et de protection » . Au risque, sinon, de passer d’une dépendance chinoise à une autre. En effet, selon de nombreux experts, la menace que ces investissements fuitent vers les Etats-Unis ou l’Inde est réelle. L’industriel norvégien REC, l’un des principaux acteurs de l’industrie solaire mondiale, qui prévoyait d’ouvrir une gigafactory à Hambach en Moselle, a finalement renoncé pour la construire en Inde. Il planche désormais sur un projet pilote outre-Atlantique.

L’Inflation Reduction Act évoqué ci-dessus pourrait ainsi absorber de nombreux projets européens, tant les conditions pour développer des projets industriels en faveur du climat sont devenues attractives outre-Atlantique. Du solaire à l’automobile, en passant par l’éolien, l’hydrogène, l’extraction et le recyclage, quelque 200 projets d’usines sont déjà en cours. « Pour chaque étape, il y a une subvention. Au total, entre un quart et un tiers du panneau photovoltaïque est subventionné », souligne un spécialiste du secteur énergétique.

« En cas de tensions géopolitiques accrues, la Chine, mais aussi Etats-Unis ou l’Inde qui sont désormais en capacité d’être compétitifs vis-à-vis de la Chine, serviront en priorité leurs marchés domestiques. C’est une évidence », s’inquiète le directeur de l’ISA (Alliance Solaire Internationale) Philippe Malbranche. « Or, le photovoltaïque n’est pas destiné uniquement aux centrales au sol, il équipera aussi les toitures, les balcons, nos véhicules. Cette souveraineté est une source importante de leadership dans de nombreux autres secteurs », affirme-t-il.

« L’IRA reste un vrai défi [voir l’encadré ci-dessous]. Il faut un réveil de l’Europe et des Etats membres », souligne le chercheur du Commissariat à l’Energie Atomique et responsable du laboratoire Liten Simon Perraud.

- Lever l’hypothèque anglo-américaine

Si l’UE reste encore très imperméable aux efforts des chercheurs et industriels que nous venons de décrire, c’est que, sous influence anglaise et américaine, elle n’est plus une entente d’états souverains. Elle l’est d’autant moins que nous sommes 27 états membres, ce qui rend très difficile la formation d’un front uni. L’élargissement indéfini de l’UE a toujours été favorisé outre-Atlantique, pour cette raison qu’il dilue les initiatives au profit d’une bureaucratie qui ne cesse de s’arroger des pouvoirs. Washington est plus à l’aise avec un interlocuteur bruxellois ouvert à tous les vents du lobbying qu’avec des nations qui défendent leur souveraineté, que ce soit individuellement ou collectivement.

Nous avons montré pourtant que, quand nous le voulons, nous pouvons accomplir de grandes réalisations, souvent en marge de l’UE il est vrai (la Politique Agricole Commune, Airbus, Arianespace, Euratom, le CERN, les Trains à Grande Vitesse, Galiléo, EuroHPC etc.). Ces succès suscitent d’ailleurs de redoutables inquiétudes outre-Atlantique.

Mais nous arrivons à un point où le compromis réalisé entre les forces vives de nos pays et les intérêts oligarchiques n’est plus possible. L’apparente liberté européenne est de plus en plus une liberté sous condition. L’Allemagne en est l’exemple le plus explicite. Il lui a été accordé de bâtir une vraie puissance économique à condition d’accepter d’être un pays politiquement occupé. Mais on en arrive depuis quelques mois à un point où la promesse implicite d’une prospérité industrielle ne tient plus. L’obligation de se soumettre à l’empire anglo-américain demeure par contre. Sur le plan économique tout d’abord. L’ordre occidental basé sur les règles, dans sa corruption financière, entraîne avec lui ce qu’il reste des secteurs productifs allemand et européens.

Sur le plan stratégique ensuite. L’administration Biden n’a pas demandé son avis au chancelier Scholz quand elle a décidé en août dernier d’installer des missiles de moyenne portée sur le territoire allemand pour viser la Russie. Elle lui a quand même laissé - comme le petit télégraphiste de Washington - le soin de saluer une « décision nécessaire et importante, prise au bon moment », qui « garantit la paix ». Et que dire de ce secret de Polichinelle, le sabotage par les Américains du gazoduc Nordstream2, installation financée par la Russie, l’Allemagne et la France ? Cet acte de guerre n’a pas engendré de réaction. Il scelle l’abandon de l’approvisionnement en gaz russe. Tant pis pour l’industrie allemande gourmande en énergie. Et tant mieux pour les Etats-Unis où une partie de ces usines déménagent - ou vont devoir déménager - pour faire baisser leur facture énergétique.

Cette dépendance touche certes beaucoup de pays européens y compris la France et ses élites en majorité soumises. Mais notre pays a, de par son histoire, une tendance encore réelle à se démarquer des puissances dominantes. Plus que l’Allemagne, empêchée par son histoire, nous pouvons agir sur ce plan. C’est notre responsabilité.

C’est ce qu’a exprimé le Président Emmanuel Macron en juin 2024 lors la visite du Président Xi Jin Ping quand il a souligné que « la France refuse de s’enfermer dans une logique de blocs », ajoutant :

« La situation internationale (...) nécessite plus que jamais ce dialogue euro-chinois (…), qu’il s’agisse des échanges économiques, avec une logique de découplage qui serait néfaste, ou de notre responsabilité à assurer des règles équitables pour tous. » [8]

Espérons qu’il ne s’agit pas d’une simple rhétorique. S’adressant à ses concitoyens, le Dirigeant de Solidarité et Progrès Jacques Cheminade a évoqué un partenariat de la France avec le Sud planétaire, qui a besoin « de notre combat, de votre combat ». Sa devise s’applique également à nous tous, Européens : « L’Europe avec le Sud, notre combat, votre combat »

Encadré 1

Chine/Etats Unis, deux façons différentes d’investir

Les Etats-Unis, après la guerre, ont utilisé leurs excédent pour lancer le plan Marshall. Les excédents commerciaux que la Chine cumule depuis des dizaines d’années ont été utilisé pour lancer les Nouvelles Routes de la Soie (NRS). Mais les philosophies sont tout à fait différentes.

Le souci américain au sortir de la guerre était de consolider l’Europe qui faisait face à une Union Soviétique conquérante, qui avait intégré dans sa sphère les pays dits de l’Est. Après avoir servi à la reconstruction, les excédents américains ont rapidement financé la guerre au Vietnam, les conflits de la guerre froide et la montée en charge de ce qui est devenue, et de loin, la plus grandes armée du monde avec plus de 700 implantations à l’étranger.

Le Chine, elle, inscrit sa réflexion dans une longue tradition évoquée également par le pape Paul VI, pour qui « le vrai nom de la paix c’est le développement économique ». Ses excédents sont utilisés à tisser un réseau de nations amies avec lesquelles elle dialogue, commerce et construit, dans une logique de bénéfices mutuels sans laquelle il ne peut y avoir de véritable paix.

Notons que les Etats Unis sous l’administration Kennedy portaient encore l’espoir d’un monde meilleur débarrassé de la domination coloniale et du racisme. Kennedy était sur le plan intérieur en accord avec Martin Luther King pour arrêter la ségrégation raciale. Sur le plan extérieur, il a oeuvré à une politique de développement conjoint avec l’Amérique du Sud, l’Alliance pour le Progrès, et s’est opposé à l’envoi de troupes au Vietnam.

L’homme a été assassiné en 1963, et avec lui sa politique. Dans l’avion présidentiel qui retournait à Washington après la mort du président, le vice président Lyndon B Johnson était investi et son premier décret fut d’envoyer les troupes au Vietnam. L’Alliance pour le Progrès a été abandonnée en 1964. Ce fut l’époque où la CIA faisait remplacer ou assassiner les chefs d’état qui tentaient d’assurer la souveraineté économique et politique de leur nation (Mohammed Mossadegh en Iran en 1953, Patrice Lumumba au Congo en1961, Mehdi Ben Barka au Maroc en1965, le Che Guevara en 1967, Salvador Allende au Chili en 1973, Thomas Sankara au Burkina Faso en 1987…).

Encadré 2

Aides gouvernementales aux entreprises américaine... quand Washington adopte ici, les mesures qu’il dénonce là

La pression monte à Washington où l’on redouble d’effort pour ne pas se faire dépasser par la concurrence chinoise. Quitte à violer les lois sacrées interdisant les aides de l’état. Deux lois ont été adoptées pour tenter de remettre en selle le cowboy malheureux : le Chips and Science Act et l’Inflation reduction Act . Et d’autres mesures encore sont à attendre de la nouvelle administration Trump.

Le Chips and Science Act, signé par Joe Biden fin août 2022, prévoit 250 milliards de dollars d’investissement dans l’industrie américaine des microprocesseurs, incluant 52 milliards de subventions et 24 milliards de crédit d’impôt pour que les entreprises se délocalisent aux Etats Unis. Le but : faire de l’Amérique la plus grande nation scientifique mondiale et un leader de la production de semi-conducteurs, alors qu’elle ne produit en 2020 plus que 10% des semi-conducteurs mondiaux, contre 37% en 1990. Cette loi s’inscrit comme une réponse à la compétition que se livrent les Etats-Unis et la Chine, alors que celle-ci produit 15% des circuits intégrés mondiaux et prévoit d’augmenter drastiquement ses capacités de production, concentrant encore plus la production en Asie de l’Est. [9]

Aux termes de l’Inflation reduction Act promulgué en même temps que le Chips and Science Act, une somme 432 milliards de dollars est prévue sur 10 ans pour soutenir l’industrie verte. Elle comprend des subventions à la production, l’obligation d’acheter américain et des allégements fiscaux. Les entreprises européennes sont invités à s’installer aux Etats Unis où le prix de l’énergie est deux à trois fois (électricité), jusqu’à cinq fois moins élevé (Gaz). Les constructeurs tels que Porsche, BMW ou Audi qui ferment leurs usines en Allemagne pour en ouvrir aux Etats-Unis, font dire à l’agence Bloomberg que « les jours de l’Allemagne en tant que puissance industrielle sont comptés ». Où l’on voit que l’apitoiement de la revue Foreign Affairs sur la désindustrialisation de l’Europe est tout relatif. Notons également que, si l’Europe élève définitivement ses taxes douanière sur les véhicules électriques venant de Chine (la négociation se poursuivait après le vote européen qui a eu lieu de 1er octobre, confirmant le maintien des taxes annoncées), les constructeurs chinois envisageront peut-être de s’implanter plus en Europe.

Il y a là matière à des négociations au terme desquelles chacun devrait pouvoir trouver des avantages. Une fois la relation d’amitié clairement établie, les deux parties peuvent aborder avec sérénité les domaines où leurs intérêts semblent s’opposer.

Parallèlement, les mesures protectionnistes américaines, allant à imposer jusqu’à 100% de surtaxe douanière sur les exportations de produits à haute valeur ajoutée en provenance de Chine (automobile, particulièrement les VE, panneaux solaires, semi-conducteurs..) ont provoqué une réorientation des flux d’exportations chinoises vers le marché européen. Si l’on considère que l’industrie européenne est déjà fragilisée par la concurrence chinoise, la posture américaine aggrave le problème européen.


Notes

[3Fondapol, Politique de concurrence et industrie européenne, l’Europe face aux nationalismes économiques américain et chinois

[4Commission des affaires européennes, Amendement n°3 à la Proposition de résolution européenne n°1914, adopté le 22 novembre 2023

[5Alternatives Economiques, n°453 décembre 2024, « L’Europe des batteries accélère mais restera à la traîne »

[8Lire « Une main tendue à la France pour coopérer avec le Sud planétaire », par Christine Bierre
https://solidariteetprogres.fr/spip.php?article16656

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