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Tribune libre
1er février 2022
. Alors que nous sommes à quelques heures de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, peu nombreux sont ceux qui ont le sens du type de mobilisation auxquels ils ont donné lieu en Chine et dans quelle mesure ils peuvent avoir des retombées intéressantes pour la France.
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par Léa Camus, spécialiste de l’économie chinoise
Pékin accueille les JO d’hiver de 2022 avec d’autant plus d’enthousiasme que ceux-ci constituent un accélérateur de croissance pour son jeune marché organisé autour du tourisme axé sur le ski et le patinage. De quoi générer aussi des opportunités pour les échanges sino-français.
C’est dans un contexte global de développement d’un écosystème organisé autour du tourisme axé sur le ski et le patinage, nouveau vecteur de croissance pour la Chine, qu’il faut replacer les JO d’hiver 2022 de Pékin. Autrement dit, la plus importante rencontre sportive de l’année – où vont concourir, du 4 au 20 février, près de 3000 athlètes venus des quatre coins du monde –constitue une pièce maîtresse sur l’échiquier de l’économie sportive de la Chine, qui se veut à la fois « verte » et génératrice d’opportunités.
Depuis 2015, année où la Chine a été désignée comme pays hôte, d’importants investissements ont été effectués, notamment pour améliorer la qualité de l’air. En effet, du fait que les jeux vont se dérouler dans la province du Hebei – réputée pour son industrie sidérurgique très polluante et où se situe Pékin –, la Chine a pris plusieurs mesures importantes. Parmi lesquelles : plantation de plusieurs milliers d’hectares d’arbres afin de porter le taux de couverture forestière de Zhangjiakou – l’une des zones de compétition des JO d’hiver – de 56% à 70 voire80% ; construction de nombreuses centrales éoliennes et solaires ; déplacement de plusieurs centaines d’entreprises polluantes ; réutilisation de certains sites existants des JO d’été de 2008 ; utilisation de véhicules électriques. Un skieur chinois, cité par le site d’information en chinois de RFI, explique avoir constaté une nette amélioration de la qualité de l’air à Pékin mais aussi une qualité de l’air meilleure à Zhangjiakou que sur certaines stations de ski à l’étranger. Aux dernières nouvelles, l’indice de la qualité de l’air à Pékin est de 33 μg/m3 contre 71u μg/m3 en 2016. A noter aussi que Chongli, une cité de Zhangjiakou, compte à présent 104 entreprises spécialisées dans l’énergie éolienne, avec une capacité installée d’énergie renouvelable atteignant 20,63 millions de kilowatts. Chongli devient ainsi la plus importante source d’énergies renouvelables hors eau de Chine, avec une consommation d’énergies renouvelables représentant 30% du mix énergétique ; et, en ce qui concerne l’électricité utilisée sur ses sites pendant les JO d’hiver, elle provient à 100% des énergies vertes.
Située au nord-ouest de Pékin, Yanqing, l’une des trois zones de compétition des JO d’hiver avec Pékin et Zhangjiakou, comporte cinq sites dont deux sont destinés à recevoir les 21 épreuves de ski alpin, bobsleigh, luge et skeleton. Jusqu’à présent, 160 moniteurs de ski ont été formés pour apprendre aux enfants à pratiquer le ski et le patinage à l’école. D’ici à la fin 2022, plus de 20 000 collégiens et lycéens seront ainsi formés, qui viendront s’ajouter aux 31 000 collégiens et lycéens déjà formés. En parallèle, près de 20 000 personnes ont reçu des formations dans les domaines de la réception en hôtellerie, de la gestion des hôtels-restaurants et de la plomberie. Et pour populariser les sports de neige et de glace, la municipalité de Yanqing a ouvert, pour le compte de la municipalité de Pékin, un centre de formation et d’entraînement ; elle possède plusieurs stations de ski, dont celle de Wanke Shijinglong – la première et la plus importante station à avoir été ouverte près de Pékin – et celle de Badaling, ainsi qu’une patinoire de 40 000 m2 destinée au grand public. Aux dernières nouvelles, Yanqing va construire d’ici à 2024 l’unique base d’entraînement de standing international de Chine et une station de ski pour le grand public, et améliorer les stations de Wanke Shijinglong et de Badaling.
Enfin, entre 2022 et 2025, Yanqing prévoit de candidater pour organiser des compétitions internationales de haut niveau, telles que la Coupe du monde de ski alpin ou le Championnat du monde de ski alpin.
Ce sont là, rien qu’à Yanqing, petite ville de 345 671 habitants, autant de personnes qualifiées et d’infrastructures nécessaires pour répondre, aujourd’hui, aux besoins des JO d’hiver, et pour relever, demain, un défi de taille : l’essor – et probablement l’explosion – d’un marché organisé autour du tourisme axé sur le ski et le patinage après les JO d’hiver.
Selon un sondage récemment mené en Chine, 68,4 % des touristes chinois affirment que, influencés par les JO d’hiver de Pékin, ils veulent pratiquer davantage le ski et le patinage. Par ailleurs, le Rapport 2022 sur le développement du tourisme axé sur le ski et le patinage montre qu’entre 2016 et 2017 le nombre de touristes amateurs de ski et de patinage était passé de 170 millions à 254 millions et qu’entre 2021 et 2022 il pourrait frôler les 305 millions, ce qui permettrait de générer un revenu de 323 milliards de yuans (44 milliards d’euros), soit l’équivalent de 50% du total des recettes touristiques de la France en 2020 ! L’effet d’entraînement des JO d’hiver de Pékin est flagrant.
Derrière le chiffre des 323 milliards de yuans se profile un marché dont le développement repose sur la réalisation de 157 projets de construction d’ampleur entre 2018 et 2021 dans l’ensemble de la Chine, lesquels sont soutenus par 128 projets d’infrastructures de transports (chemins de fer, routes, etc.). Surtout, inscrit dans le 14e plan quinquennal, le plan de développement du tourisme axé sur le ski et le patinage de 2021 à 2025 s’avère encore plus ambitieux. Ainsi, un tel marché devrait toucher : 300 millions de personnes dans le Nord-Est de la Chine, avec un revenu de 500 milliards de yuans (66 milliards d’euros) ; 100 millions de personnes dans la région Pékin-Tianjin Hebei, avec un revenu de 250 milliards de yuans (35 milliards d’euros) ; 100 millions de personnes dans le Xinjiang, avec un revenu de 200 milliards de yuans (28 milliards d’euros) ; et 50 millions de personnes dans le Tibet et le Qinghai, avec un revenu de 100 milliards de yuans (14 milliards d’euros). Le tout soutenu par le développement de la production de matériels de ski et l’industrie de services.
Selon Les Echos du 7 janvier 2022, la filière française du ski, réputée pour son excellence, a déjà été partie prenante des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de Pékin, par des missions de conseil et l’installation de remontées mécaniques ou d’équipements d’enneigement. Mais la France pourrait aller plus loin, bien plus loin, en se positionnant dès à présent sur le tourisme chinois axé sur le ski et le patinage, un marché à très fort potentiel à en juger par les données citées plus haut.
L’organisation (après la crise sanitaire) de vacances au ski et à la neige dans l’hexagone est une piste à exploiter, sachant que 50% des amateurs chinois de sports de neige et de glace vont au Japon, contre 20 % qui optent pour l’Europe et l’Amérique du Nord. D’autres possibilités peuvent aussi être exploitées, comme par exemple la formation ou l’entraînement des sportifs ou amateurs de sports d’hiver venant de Chine, la promotion des matériels de ski français de grande qualité sur les médias sociaux chinois, l’aide à la construction des stations de ski chinoises, l’amélioration de la visibilité des marques françaises sur les sites d’e-commerce chinois, la promotion des produits agro-alimentaires français, en tant que fournisseur, auprès des stations de ski chinoises.
La concurrence est certes rude, mais le jeu en vaut la chandelle.