« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visioconférence des 7 et 8 décembre 2024
Session 2
28 décembre 2024
par Alexander K. Bobrov, professeur associé au département de diplomatie, Université MGIMO, Moscou
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Tout d’abord, je voudrais vous remercier de me donner la parole pour m’adresser à un auditoire aussi respectable et à tous ceux qui réfléchissent vraiment à l’avenir de l’humanité et à l’avenir des relations internationales.
Je m’appelle Alexander Kirillovich Bobrov. Je suis professeur associé au département de diplomatie de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGIMO), et comme vous pourrez le comprendre, je m’occupe de diplomatie. Et la diplomatie, à mon avis, est un outil de l’art de gouvernement d’un Etat, visant à résoudre différents conflits politiques par des moyens pacifiques.
Ce que nous constatons actuellement, c’est une crise générale de la diplomatie. C’est quelque chose qui me semble très important, et qui est la racine de tous les maux qui existent aujourd’hui dans les relations internationales contemporaines. Mon discours sera donc consacré essentiellement à la crise de la diplomatie, aux caractéristiques distinctives de cette crise et à ce qu’il faut faire pour y remédier.
Tout d’abord, je voudrais dire que la crise de la diplomatie n’est pas un phénomène généralisé dans le monde. Nous pouvons le constater ne serait-ce qu’en se concentrant sur ce qui se passe actuellement dans les relations bilatérales entre l’Occident et la Russie en général, et entre les États-Unis et la Russie en particulier.
Nous constatons l’absence de toute négociation entre les dirigeants de ces pays, entre le président Vladimir Poutine et ses homologues américains ou européens, nous constatons qu’il n’y a absolument aucun dialogue entre les ministres des Affaires étrangères, le département d’État américain et le ministère russe des Affaires étrangères. Il en va de même entre notre ministère des Affaires étrangères et ceux des pays européens, et je crois que c’est par excellence l’exemple même de la façon dont la diplomatie en général ne devrait pas fonctionner.
Nous constatons également que les diplomates russes sont expulsés de différents pays occidentaux, ce qui empêche toute forme de dialogue officiel entre nos pays. Comme vous pouvez le comprendre, cela, combiné aux différentes vagues de sanctions qui ont été introduites contre la Russie et contre notre économie, crée une situation dans laquelle nous sommes coincés dans un cercle vicieux d’hostilités et d’activités politiques qui nous empêchent de trouver un consensus.
De nombreuses stratégies occidentales appliquent la politique diplomatique du « coup pour coup », ce qui signifie que chaque action entreprise par la Russie, par exemple, doit entraîner des mesures de rétorsion, ce qui nous conduit dans une impasse, dans laquelle la diplomatie n’existe plus ou ne fonctionne plus dans nos relations bilatérales.
Je pense que la seule façon de sortir de ce cercle vicieux est de commencer à communiquer les uns avec les autres. La diplomatie consiste à parler, à écouter et à s’entendre les uns les autres. Et je dois dire que la position officielle du gouvernement russe est également très claire, elle est ouverte à toute forme de dialogue, même si nous ne sommes pas d’accord avec ceci ou cela. Cela ne veut pas dire que nous devons être d’accord sur tout ce qui se passe dans le monde, sur nos relations bilatérales, sur tout ce qui se passe en Eurasie, par exemple. Cela signifie que nous devons être capables de transmettre des messages, de comprendre quelles sont les implications réelles des actions entreprises et, bien sûr, ce que nous pouvons faire pour rapprocher nos civilisations, nos pays.
Dans mon discours, je voudrais aborder brièvement quelques questions clés qui ont trait à la stratégie globale de la Russie, car c’est quelque chose de très important et qui m’intéresse beaucoup, en tant que spécialiste qui écrit beaucoup, en anglais et en russe, sur ce sujet, sur la politique étrangère de mon pays et sur la diplomatie en général. Je pense que la seule manière de procéder est de discuter des principes du droit international, des accords internationaux grâce auxquels on peut réellement créer les conditions pour qu’un pays [partenaire] puisse mener une politique qui soit plus ou moins conforme à l’intérêt national de votre [propre] pays. Et c’est seulement par la diplomatie que ce genre de négociations peut être scellé. En même temps, je pense que les relations entre les États-Unis et la Russie sont également lourdes de conséquences, surtout si l’on tient compte du fait que les États-Unis et la Russie possèdent 90 % de toutes les armes nucléaires et que nous risquons une guerre nucléaire à grande échelle si nous ne prenons aucune mesure. Et tout d’abord, ce qu’il faut faire, c’est trouver un nouveau moyen de donner un nouveau souffle aux différents désaccords en matière de contrôle des armements. Nous avions autrefois de nombreux accords, ceux qui visaient à réduire les armes nucléaires et à empêcher toute forme d’utilisation directe de ces armes. Et c’est quelque chose qui a également été ignoré, complètement ignoré par l’Occident, en particulier lorsque le gouvernement américain a décidé de se retirer de plusieurs traités signés entre les États-Unis et l’URSS pendant la guerre froide ou entre les gouvernements américain et russe dans les années 1990 et au début du XXIe siècle.
Je pense que tout ce qui se passe actuellement en Ukraine est aussi un exemple accablant de la façon dont la structure européenne et le système européen de sécurité ne devraient pas fonctionner, surtout quand on regarde la crise de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, qui n’assure plus la sécurité et la coopération sur ce continent. Je veux dire par là que l’OTAN et les États-Unis ont pris en otage toutes les autres institutions multilatérales, l’Union européenne n’étant plus qu’une dimension économique de l’alliance européenne dirigée par l’OTAN. Et c’est quelque chose qui afflige non seulement la Russie, mais aussi différents pays neutres qui sont obligés d’entrer dans l’OTAN et de faire partie de ce système antirusse. Et en disant cela, je pense d’abord à la Suède et à la Finlande qui étaient neutres, même à l’époque de la guerre froide, et qui font maintenant partie de tous les préparatifs qui sont faits contre la Russie, au nom d’un éventuel conflit, quelque chose que les diplomates essaient d’empêcher.
Je pense que cette crise diplomatique entre les États-Unis et la Russie n’a pas seulement un impact sur ce qui se passe en Europe, ou en Eurasie en général, mais aussi dans d’autres parties du monde. Par exemple, ce que nous voyons actuellement au Moyen-Orient, notamment dans le bras de fer entre Israël et l’Iran, est aussi lié au fait que nous avons de si mauvaises relations entre Moscou et Washington : nos deux pays auraient pu créer plusieurs conditions pour une résolution diplomatique de ce conflit, afin d’empêcher Israël d’attaquer directement les Palestiniens, de lancer une opération militaire contre le Liban.
Quand je parle de la situation stratégique, je pense d’abord et avant tout à la région Asie-Pacifique, en particulier à ce qui se passe en termes d’endiguement contre la Chine, d’endiguement contre la Corée du Nord et à toutes ces politiques que les États-Unis promeuvent dans cette région indo-pacifique ; le soutien apporté par les Etats-Unis à l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, dans le but de mettre des bâtons dans les roues de l’économie chinoise. Cela ne crée en aucune façon les conditions favorables à une coexistence pacifique dans cette région.
Créant de telles divisions ne fait qu’aggraver les conflits potentiels qui existent dans ces pays et dans cette région. Je pense donc que cette crise diplomatique est lourde de répercussions directes dans le monde entier. Elle ne concerne pas seulement Washington et Moscou, ou Washington et les pays européens. Elle concerne notre village global. Elle concerne la façon dont nous vivrions au XXIe siècle dans le monde. Je crois, et j’espère vivement, que la diplomatie l’emportera.
Pour l’emporter, nous devons comprendre nos intérêts communs. Nous devons comprendre nos stratégies respectives. Pour comprendre cela, nous devons nous mettre à la place de l’autre et essayer de comprendre chaque conflit et chaque point de l’ordre du jour, non seulement à travers nos propres yeux, mais aussi à travers le prisme de nos homologues.
Je vois clairement que la Russie essaie de comprendre les motivations des pays occidentaux, de l’Ukraine et d’autres pays qui sont très agressifs envers la Russie, mais nous ne voyons pas de réponses face à cela. C’est pourquoi j’espère vraiment que cette conférence contribuera à une compréhension collective des différents problèmes qui existent dans le monde et que, collectivement, nous pourrons au moins aider les politiciens à tirer les bonnes conclusions de tout ce qui se passe et à sortir une fois de plus de ce cercle vicieux de réponses agressives du type des diplomaties de « coup pour coup ». Merci beaucoup de m’avoir donné la parole. Et je serais ravi de répondre à différentes questions s’il y en a. Merci beaucoup.