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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020
Session 4
28 avril 2020
discours de Cédric Mbeng Mezui, Auteur, expert du secteur financier, think tank FinanceAfrika, Gabon
. Mesdames et Messieurs,
Je suis très honoré d’être parmi vous pour partager quelques idées sur l’avenir de l’Afrique.
J’étais loin de soupçonner qu’il existait toute une institution et un réseau pour relayer les idées d’Alexander Hamilton (1757-1804, premier secrétaire au Trésor des Etats-Unis, sous la présidence de George Washington).
En effet, suite à un article publié en 2019, en français, sur mon récent livre Libérer le potentiel de l’Afrique – Les idées d’Alexander Hamilton, M. Sébastien Périmony a tenté de me contacter via tous les réseaux sociaux, Facebook, linkedin, etc. Interpellé par son insistance, j’étais même un peu inquiet, mais après quelques échanges, nous avons depuis entamé une collaboration fructueuse. Et avons pu nous rencontrer à Abidjan et à Paris.
Je parlerai ici simplement à titre personnel et ce sera une occasion de partager mes opinions personnelles avec vous. Pour notre sujet de cet après-midi, j’irai au-delà de 2019. Comme le dit le proverbe chinois : « Les paroles ne font pas cuire le riz. »
J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs pays d’Afrique, plus de 40 au total, en rencontrant des acteurs du secteur privé et public. J’ai eu l’occasion de discuter avec des étudiants et des commerçants travaillant dans des entreprises du secteur informel.
A travers le continent, on sent l’énergie pour trouver des solutions concrètes. Chez les jeunes, il y a ce sentiment d’appartenance à un groupe plus large, le désir d’une Afrique mieux intégrée et unie.
Je voudrais aborder le problème de l’industrialisation de l’Afrique, qui doit et devrait s’inspirer des idées phares d’Alexander Hamilton.
Cette première diapositive indique le nouveau récit sur l’Afrique, depuis le début du siècle. Après la période des politiques d’austérité des années 1980 et 1990, ainsi que le programme PPTE (Pays pauvres très endettés) qui a vu des annulations de dette dans de nombreux pays, le début de ce siècle a été marqué par un cadre macroéconomique sain, des politiques de diversification économique et des programmes d’investissement dans les infrastructures.
Dans de nombreux pays, des plans sont mis en place pour leur permettre de devenir des « économies émergentes ». Mais 20 ans plus tard, la plupart des pays semblent encore dépendre du « yo-yo » des conditions des marchés internationaux. La base productive est restée faible, les matières premières restent les principaux produits d’exportation et les États dépendent toujours des importations de produits alimentaires, ainsi que de biens et services.
La réalité est que le continent a besoin d’une croissance à deux chiffres qui devrait être dirigée par des facteurs internes. L’Afrique doit s’industrialiser et ajouter de la valeur à sa production. Il faut créer plus d’emplois dans le secteur formel.
Comme nous l’avons appris d’Alexander Hamilton, il y a plus de 200 ans aux États-Unis, l’industrialisation, principalement manufacturière, est le moteur, la clef pour absorber la main-d’œuvre existante, promouvoir l’innovation et soutenir la dynamique de croissance.
Les pays africains importent plus de 400 milliards de dollars chaque année. Beaucoup d’entre eux importent encore des œufs, des tomates, du lait, de la nourriture, des vêtements et d’autres produits qui ne nécessitent pas de technologies sophistiquées. Dans de nombreux pays, plus de 90% de la population active travaille dans le secteur informel. Ce n’est pas acceptable…
Sur la diapositive 2 :
Discutons des potentiels. L’Afrique a plusieurs atouts :
Sa démographie croissante pour promouvoir le commerce intra-africain. Dans les années 1950, avant l’indépendance de la plupart des États africains, la population africaine était d’environ 300 millions, elle est actuellement supérieure à 1,2 milliard et elle devrait atteindre 2,5 milliards en 2050. Cette tendance est unique dans l’histoire de l’humanité.
La structure de sa population (jeune) - une démographie positive - est également un facteur clef pour favoriser la mobilisation de l’épargne intérieure, pour renforcer la créativité et la capacité de travail.
L’un des messages clefs de cette diapositive est qu’il n’y a pas de surpopulation en Afrique si l’on considère la densité de population, la superficie et les terres arables disponibles.
Le graphique le plus intéressant est celui sur le « rapport de dépendance démographique global (liée aux personnes dépendantes en fonction de leur âge) » :
Dépendance élevée des enfants (Afrique sub-saharienne) ; Modérée pour le Maroc ; Double dépendance : dépendance modérée des enfants et forte dépendance de la vieillesse (France, USA) ; Forte dépendance des personnes âgées (Europe, Asie et Canada) ; Cela a des implications en termes de croissance, de rendement des actifs financiers et d’allocation de capital, etc.
Il ne faut pas oublier que la richesse créée dans les pays repose avant tout sur le comportement des individus en termes de consommation, d’investissement et d’épargne.
Plus important encore, le boom démographique est positif pour le continent car la valeur de l’esprit humain est infinie... chaque individu est une mine d’opportunités.
L’Afrique possède 60 % des terres arables disponibles dans le monde ; il ne faut pas oublier que l’Afrique est une terre de 30 millions de km2.
La Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Union européenne, tous ensemble, peuvent s’intégrer dans la masse continentale de l’Afrique. La carte que nous avions l’habitude de voir vient de la projection dite « Mercator » et elle est moins crédible que la carte dite de Peters… cela a une implication dans la perception de l’Afrique vis-à-vis du reste du monde.
Un autre facteur important est la montée en puissance technologique, avec l’ère numérique, pour faire un bond en avant dans le développement industriel et faciliter l’avancement dans plusieurs secteurs tels que l’utilisation des terres, la finance, l’agro-industrie, le commerce, la sécurité, la médecine, l’éducation, et promouvoir la croissance verte. Nous allons nous industrialiser au moment où le coût de production des énergies renouvelables diminue.
Diapositive 3 : commerce intra-africain
Concernant l’industrialisation, je voudrais dire qu’il me semble souhaitable de l’organiser autour de blocs régionaux et non de micro-Etats.
Les étapes suivantes sont attendues :
La mise en œuvre d’une vision qui favorise le « vivre ensemble » et protège les intérêts des États et de la région.
La conception d’une stratégie régionale d’industrialisation endogène avec des implications pour le capital humain et physique.
La protection des industries naissantes par la promotion d’une politique de substitution des importations, le développement d’un secteur privé local, les industries légères au service du marché intérieur et l’absorption d’une main d’œuvre abondante avec des technologies accessibles.
Promotion et diversification des exportations, basées sur les industries locales de biens de consommation.
La mise en place progressive d’une industrie lourde.
Pour être clair, c’est la main visible de l’État qui anime l’économie.
Cela nécessite la création de plusieurs institutions appropriées pour atteindre ces objectifs. Il s’agit, par exemple, des banques publiques et des banques centrales dotées d’un mandat de développement.
L’un des effets de la crise actuelle est la fermeture des chaînes d’approvisionnement internationales qui exposent les États à une vulnérabilité extérieure.
Il est donc urgent de rapprocher les chaînes d’approvisionnement. Il est nécessaire d’intensifier les actions d’autosuffisance alimentaire en favorisant la production locale et régionale. Il faut repenser les modèles d’industrialisation initiés et privilégier plutôt les chaînes de valeur régionales. Parallèlement, deux politiques phares accompagnent chaque étape, le développement d’un système financier national dynamique et la mise en place d’infrastructures modernes.
Il contient tous les mécanismes clés de la politique de Hamilton.
Diapositive 4
Outre la structure démographique et l’approche d’industrialisation, un autre facteur clef de ce décollage est la dynamique d’accumulation de l’épargne intérieure.
Sur ce dernier point, il est essentiel de se rappeler qu’historiquement, les économies africaines ont été tributaires de financements concessionnels de donateurs, principalement des gouvernements occidentaux et des banques internationales de développement.
En raison de la faible collecte des impôts internes et de la taille du secteur informel, certains gouvernements dépendent toujours de la communauté internationale des donateurs pour s’acquitter de leurs obligations budgétaires.
Il est essentiel de comprendre que l’adoption de systèmes financiers sophistiqués est un élément crucial de la construction d’économies modernes.
La raison veut qu’à mesure qu’une économie se développe, l’épargne s’accumule dans ses différentes parties… les banques, les fonds de retraite, les entreprises d’assurance sont des acteurs naturels pour capter cette dynamique.
Au fil du temps, les pays passent de systèmes basiques à des mécanismes efficaces d’allocation des capitaux.
En Afrique, au cours des 20 dernières années, nous constatons une dynamique étonnante sur le total des actifs du secteur bancaire : les actifs de retraite augmentent. Nous pouvons voir la transformation des marchés de capitaux locaux et plus de transactions transfrontalières.
Les capitaux levés sur les marchés de capitaux locaux dépassent la dette extérieure de tous les pays.
Le stock de dette souveraine est supérieur à 400 milliards de dollars, tandis que la dette extérieure est d’environ 360 milliards de dollars, dont 100 milliards pour les euro-obligations uniquement.
Cependant, les marchés de capitaux locaux restent superficiels et sous-développés. Seuls cinq pays sur plus de 54 représentent 80 % de l’encours de la dette souveraine.
C’est le moment idéal pour mettre en place les institutions appropriées pour collecter l’épargne comme des caisses de retraites et l’industrie de la gestion d’actifs.
Vous trouverez plus d’informations dans mes deux livres récents, encore en français. Ils s’inspirent des idées d’Alexander Hamilton. Je reste ouvert pour les versions anglaises. Au cours de cette conversation, je serai plus qu’heureux de fournir plus d’informations.