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Visio-conférence internationale des 15 et 16 avril 2023

Les trois piliers de l’alternative au système de spéculation financière à l’agonie Par Pedro Páez, professeur d’économie et homme politique équatorien

3ème session

21 avril 2023

Ancien ministre de la Coordination économique (2007-2008) du gouvernement Rafael Correa, président de la Commission présidentielle pour la Nouvelle architecture financière régionale en Équateur, il est très actif sur le plan international : Commission Stiglitz, Université d’été 2011 des Attac d’Europe, etc.

Je salue chaleureusement et remercie ceux qui m’ont aimablement invité à cet événement, et je les félicite, car il devrait y avoir davantage d’initiatives comme celle-ci, émanant d’écoles de pensée économiques et politiques les plus diverses et des lieux géographiques les plus variés.

La situation mondiale est très fragile. Nous sommes au cœur d’une crise structurelle de la surproduction capitaliste, qui avait déjà du mal à gérer son gigantesque potentiel productif. Le capitalisme est devenu prisonnier de son propre succès productif, inondant le monde de marchandises trop bon marché pour les taux de profit exigés par les grands monopoles.

Pour fuir ces problèmes de rentabilité, la direction choisie par l’axe anglo-américain, l’hégémonie anglo-américaine, a engendré un gonflement parasitaire du système spéculatif, auto-entretenu, basé sur un réseau financier mondial dont le centre se trouve dans ce qui était autrefois l’Empire britannique, avec deux gigantesques plaques tournantes à la City de Londres et à Wall Street. Les chances de survie de ce système sont extrêmement faibles, compte tenu de la manière prédatrice et littéralement criminelle dont sont menées ces activités financières.

Ce sont des crises de surproduction capitalistique du même type qui ont ouvert la porte aux Première et Seconde Guerres mondiales, dans le contexte d’un conflit impérial qui a fait des millions de morts.

Aujourd’hui, la situation est encore plus grave, non seulement en raison de l’existence d’armes de destruction massive d’une puissance sans précédent, mais aussi parce que ce gonflement parasitaire du système financier a érodé les fondements de la coexistence et de la civilisation occidentale, même d’un point de vue capitaliste.

Le développement des dérivés financiers, de la finance de l’ombre (Shadow Banking), des « budgets de l’ombre », des paradis fiscaux offshore, a rompu avec les bases de l’organisation et de la cohérence des États-nations, et a également porté atteinte aux principes de la propriété privée et même de la comptabilité en partie double. Le mode de fonctionnement des produits financiers dérivés crée une déstabilisation intrinsèque d’un système financier mondial devenu un vaste « système de Ponzi » dont la survie est sans espoir. C’est pourquoi le programme des puissances impériales pour nos peuples ne peut qu’être orienté vers la déstabilisation, le chaos et la guerre.

Bâtir dès maintenant une paix durable, soutenable, nécessite donc d’élaborer différents types de moyens de financement de ce que nous pourrions appeler la démocratisation du progrès scientifique et technologique. L’essor continu du progrès technologique depuis les années 1960 est devenu une malédiction pour la rentabilité de certains monopoles, mais il fournit la base matérielle pour construire un autre modèle d’humanité, un autre système de coexistence entre tous les peuples du monde, une nouvelle forme de civilisation respectant différents courants de pensée non seulement religieuse mais aussi philosophique et politique, capable d’élever la fraternité humaine à un niveau supérieur.

Une autre histoire est possible pour l’humanité, en partant des périphéries et du centre, en partant de chaque région, seule condition pour pouvoir financer de réels progrès en matière d’infrastructures et de développement des talents humains, permettant de rendre ce progrès technologique réalisable pour tous les peuples.

Cela devient possible précisément en transformant l’architecture financière que l’oligarchie spéculative anglo-américaine a introduite avec la destruction du système de Bretton Woods en 1971, à travers ses politiques néolibérales, la déréglementation et la nouvelle capacité de ces innovations financières à asphyxier le monde de la production, le monde de la vie.

C’est pourquoi il est crucial d’établir de nouvelles capacités basées sur des arrangements monétaires et financiers, des ensembles régionaux pour promouvoir et parrainer les initiatives des secteurs public et privé, de grandes entreprises ainsi que d’autres formes de production organisée, afin de permettre aux populations non seulement de développer leur capacité à défendre leur propre économie et celle de leur communauté, mais aussi d’aspirer à de meilleures conditions de vie.

Trois piliers sont fondamentaux.

L’approche que nous avons adoptée en Amérique latine il y a plus de 15 ans s’est avérée viable, à la fois dans le contexte des défaites politiques qui se sont produites ici, et surtout dans les expériences impliquant les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les monnaies numériques et les nouvelles avancées en matière d’informatique.

Adopter un autre type de monnaie qui ne soit pas basé sur la spéculation, sur l’exploitation, sur des mécanismes impériaux tels que ceux qui ont été déployés par le monopole mondial du dollar, avec ses privilèges exorbitants, avec ses pièges de la dette extérieure. Sans oublier d’autres puissances, comme la France, avec sa domination sur une bonne partie de l’Afrique francophone [avec le franc CFA], avec ses mécanismes coloniaux dans l’ancienne Indochine. Tout cela doit être dépassé pour construire un autre type de monnaie qui sera un mécanisme non seulement de communication entre les peuples, mais aussi de validation du travail et de la richesse des différentes nations.

Un autre type de commerce international est désormais possible, précisément grâce à l’utilisation de mécanismes régionaux, de chambres de compensation des paiements, qui nous permettront de rétablir la cohérence entre la production et la consommation dans des zones géographiques proches, établissant ainsi les bases de la paix, afin de dissuader les complexes militaro-industriels des pays impériaux de profiter du chaos et des haines ataviques entre les peuples.

Une coopération productive prenant en compte l’intégration sociale et géographique définira de nouvelles conditions pour le développement productif. C’est pourquoi il est essentiel de disposer d’un nouveau type de banque pour un autre type de développement, comme ce qui a été proposé ici en Amérique latine avec la « Banque du Sud », et comme ce qui est déjà une réalité avec la Banque des BRICS, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et d’autres initiatives qui reflètent les possibilités d’un monde multipolaire dans lequel la démocratisation du progrès technologique devient réalité.

Enfin, il est crucial de construire une alternative, une série d’alternatives, un réseau d’alternatives, pour contrer le pouvoir de chantage que le Fonds monétaire international a exercé avec ses conditionnalités, ses programmes de stabilisation et ses procédés de cartellisation de l’accès aux mécanismes de financement internationaux, en particulier pour le Sud global.

Créer différents types de fonds de stabilisation et de défense pour que les pays puissent faire face à la volatilité et à la férocité avec lesquelles les marchés internationaux affectent nos économies, se transformant dans certains cas en véritable guerre économique par le biais des systèmes de sanctions de l’Alliance atlantique - explicites ou non - contre toute dissidence, toute alternative en vue de construire un processus souverain dans nos pays.

Ces trois piliers sont :
• un nouveau type de banque pour un nouveau type de développement ;
• de nouveaux types de fonds de stabilisation et de protection de nos économies contre cette militarisation de la monnaie et de la finance que les puissances anglo-américaines sont en train de perfectionner ;
• un nouveau concept de monnaie, basé sur des arrangements de chambres de compensation pour les paiements régionaux, éventuellement réunis dans un système de chambre de compensation mondiale, qui pourrait également empêcher l’émergence d’un autre type d’hégémonie unilatérale et unipolaire, comme celle qui a été établie avec Bretton Woods, et ouvrirait au contraire les portes à une gestion multipolaire.

Ces trois piliers constitueraient la base pour bâtir un nouveau type de paix, pour bâtir un nouveau type de civilisation.

Je vous remercie de votre attention.

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