« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visio-conférence internationale des 15 et 16 avril 2023
3ème session
21 avril 2023
Marcos de Oliveira Rédacteur-en-chef duMonitor Mercantil, journal brésilien spécialisé dans l’économie, les affaires et la politique, publié à Rio de Janeiro, São Paulo et Brasília.
Je salue tous les participants à la conférence et remercie l’Institut Schiller de m’avoir invité à participer à cette importante réunion.
Le monde traverse une période intense et tendue. L’ordre mondial construit autour du dollar et de la suprématie du capitalisme financier, avec la domination de l’empire anglo-américain, est remis en question par des acteurs nouveaux et anciens. Mais plus important encore, cet ordre s’effondre sous l’effet de ses propres contradictions.
Lors d’une récente visite en Russie, le président chinois Xi Jinping a souligné que nous vivons des changements comme nous n’en avions pas vus depuis cent ans. « Et nous menons ces changements ensemble », a-t-il déclaré à M. Poutine. « La crise consiste précisément dans le fait que l’ancien se meurt et que le nouveau ne peut pas naître ; dans cet interrègne, une grande variété de symptômes morbides apparaissent », affirmait déjà Antonio Gramsci.
Parlons un peu du rôle et des contributions du Brésil pour faire évoluer le monde vers un prochain niveau.
Tout d’abord, il est important de garder à l’esprit les récents développements politiques au Brésil. Depuis la première élection de Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence et sa prise de fonctions en 2003 - et bien qu’il n’ait jamais mis en œuvre de changements radicaux dans la gestion économique et politique - il a été victime d’une campagne de déstabilisation. En 2005, les grands médias ont mis en lumière le fameux « Mensalão », un système de rémunération mensuelle aux parlementaires (mis en place par les successeurs de Lula) pour qu’ils approuvent les projets du gouvernement.
Les attaques se sont intensifiées au cours du second mandat, qui a débuté en 2007 et a été marqué par des avancées en matière de politique économique en réponse à la crise financière de 2007-2008.
Avec l’accession de Dilma Rousseff à la présidence, les journées d’action de juin 2013 s’apparentent à une révolution de couleur, suivie de l’opération Lava Jato, une attaque contre de multiples cibles, en grande partie préparée aux États-Unis. La conséquence a été le coup d’État contre Mme Rousseff au début de 2016. Dès lors, l’économie, la politique, les droits du travail et les droits sociaux ont subi de gros revers. « L’autonomie » de la Banque centrale a été approuvée, protégeant la politique économique des changements dans les urnes.
Ce furent donc 20 années d’attaques. La victoire de Lula en 2022, avec son investiture en 2023, s’inscrit dans un contexte différent, avec moins de soutien et moins de marge de manœuvre. Il doit faire face à des contraintes fiscales et financières et à un parlement hostile (dont le président a des liens étroits avec les banquiers les plus spéculatifs) et a fait face à une tentative de coup d’État, le 8 janvier.
Ce dernier fait est remarquable car si, d’une part, il ouvre la voie à la lutte contre les forces du système défaites dans les urnes, d’autre part, il constitue pour le gouvernement une épée suspendue au-dessus de sa tête.
L’escalade des attaques contre le gouvernement élu porte l’empreinte évidente des États-Unis, tout comme l’appui de l’armée brésilienne au coup, suite à la position du gouvernement américain.
Lula subit des pressions internes et externes. Face à cela et aux événements dans le monde, la recherche d’une solution internationale apparaît comme une alternative fondamentale pour le gouvernement nouvellement investi. De même, le retour du Brésil sur la scène mondiale est salué, mais aussi contesté par les pôles d’opposition qui s’étaient formés.
Notons que Lula s’est d’abord rendu aux Etats-Unis, pour se démarquer politiquement, et donc avec peu de gains économiques, puis en Chine. Son voyage dans le pays de Xi Jinping a dû être reporté en raison de problèmes de santé. Cependant, la nouvelle date prévue, établie en très peu de temps, montre l’importance que les deux pays accordent à cette rencontre.
Pour le Brésil, le partenariat avec la Chine est à la fois une opportunité et une nécessité. Il permet des gains politiques et ouvre la porte aux investissements nécessaires pour surmonter les contraintes internes que Lula ne semble pas avoir la force ou la volonté de surmonter. Si les investissements se font dans les proportions et sous la forme attendues par le gouvernement, ils pourraient faire doubler ce que le gouvernement Lula devra investir en quatre ans.
Le président brésilien a déclaré : « Je veux que les Chinois comprennent que leurs investissements ici seront les bienvenus. Mais pas pour acheter nos entreprises (...) Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de vendre les actifs que nous avons, mais d’en réaliser de nouveaux. C’est ce dont je veux convaincre mes amis chinois. »
Le partenariat avec la Chine est stratégique, économique et technologique. Les accords déjà signés ou qui seront mis en œuvre concernent l’agriculture, les énergies renouvelables, la 6G, l’internet, les télécommunications, le soutien aux startups brésiliennes en Chine. Plus important encore, ce voyage devrait marquer l’adhésion du Brésil à l’Initiative ceinture et route (BRI), que la Chine attend pour contribuer aux investissements.
Pour Beijing, le Brésil est stratégique pour son rôle dirigeant en Amérique du Sud. En 2022, la Chine a investi 8,4 milliards de dollars en Europe, 4,7 milliards aux États-Unis et entre 7 et 10 milliards en Amérique du Sud. Le Brésil à lui seul en aurait reçu 5,9 milliards en 2021. Le président chinois Xi Jinping s’est déjà rendu 11 fois en Amérique du Sud depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Entre 2000 et 2022, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique du Sud ont été multipliés par 26.
Afin de réduire l’influence du dollar, un accord entre les gouvernements brésilien et chinois a été annoncé en mars, de sorte que les exportateurs puissent faire des affaires sans avoir à utiliser la monnaie américaine. La banque Bocom BBM (une institution financière brésilienne traditionnelle contrôlée par de puissantes banques chinoises) est devenue la première institution financière d’Amérique latine à faire partie du système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS, l’équivalent chinois de SWIFT).
Le yuan a dépassé l’euro pour devenir la deuxième devise la plus importante dans les réserves internationales du Brésil, selon un rapport de la Banque centrale datant de la fin de 2022. Le yuan représente 5,37 % du total, dépassant les 4,74 % de l’euro. Toutefois, le dollar continue de dominer avec 80,42 %.
L’unité des BRICS est plus importante encore. Bien que l’idée d’une monnaie digitale pour les transactions des pays du bloc n’en soit qu’à ses balbutiements, la Russie montrant plus d’intérêt que les autres pays, les BRICS représentent une force économique et géopolitique de poids pour s’opposer au bloc États-Unis/OTAN. Lors de son voyage en Chine, Lula a souligné l’importance d’une alternative au dollar dans les échanges commerciaux entre les BRICS.
De son côté, l’Académie russe travaille sur un projet d’accord international pour l’introduction d’une nouvelle monnaie mondiale pour les règlements financiers, basée sur des technologies modernes telles que la blockchain, liée aux monnaies nationales des pays participants et aux biens échangeables qui en déterminent la valeur. Un concept similaire a récemment été présenté dans un article par le ministre brésilien des Finances, Fernando Haddad, et par le numéro deux du ministère, Gabriel Galipolo.
Le bloc dirigé par les États-Unis ne restera pas inactif face aux attaques contre le dollar. Ses élites dominantes tenteront d’empêcher tout changement et de ne pas laisser les pays s’écarter du droit chemin. Le Brésil a de nouveau été invité à participer à la réunion du G7 au Japon, en mai (la dernière fois, c’était en 2009, sous la deuxième administration Lula). Comme nous l’avons dit au début, les États-Unis seront toujours en mesure d’encourager des initiatives menaçant le Brésil, tenant le gouvernement Lula en état de siège.
Dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, le Brésil doit maintenir sa politique de non-alignement, en cherchant à tirer parti des contradictions mondiales. Pour David Deccache, professeur d’économie d’une université fédérale brésilienne (UFF) et conseiller parlementaire, l’accord avec la Chine garantit la diversification du risque géopolitique pour le Brésil, avec deux systèmes optionnels pour mener des opérations, et non plus un seul. Ainsi, le Brésil n’est plus totalement subordonné à l’hégémonie du dollar.
Le sénateur républicain de Floride Marco Rubio a averti que le rapprochement entre le Brésil et la Chine était un autre signe de la dédollarisation du monde. Le déclin du dollar et la recherche d’alternatives sont causés en grande partie par les sanctions américaines contre la Russie, qui ont entraîné le gel de quelque 300 milliards de dollars d’actifs russes par les banques occidentales.
Par le passé, les États-Unis sont entrés en guerre contre des pays qui remettaient en cause l’hégémonie du dollar, comme l’Irak et la Libye. Aujourd’hui, ils font la guerre à la Russie par l’entremise de l’Ukraine, avec des objectifs allant au-delà de la punition pour avoir remis en cause le dollar, et qui visent notamment à maintenir leur domination sur l’Europe occidentale.
Le président Lula a présenté au monde sa proposition de former un « club pour la paix » et insistera sur cette question avec Xi Jinping. Y adhérer est difficile, mais c’est l’une des rares initiatives des pays non-alignés pour trouver une issue pacifique à la guerre en Ukraine.
Les opposants au monde multipolaire réagissent. Le Premier ministre japonais s’est rendu en Ukraine. Dans leur communiqué final, Fumio Kishida et Zelensky soulignent « l’inséparabilité de la sécurité euro-atlantique et indo-pacifique » ainsi que « l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taiwan ».
Un nouvel ordre économique mondial est en train de se former à la périphérie, notamment en Asie, avec pour objectif principal d’accroître le bien-être des populations. La Chine a connu une croissance trois fois plus rapide que l’économie américaine pendant plus de 30 ans. La Chine, l’Inde et l’Indochine sont des régions qui produisent déjà plus que les États-Unis et l’UE.
Le système financier mis en place après la Seconde Guerre mondiale a permis de financer le centre privilégié au détriment de la majorité mondiale. Aujourd’hui, ce système financier s’effondre. La transition ne sera pas facile. Nous avons affaire à des centaines de milliers de milliards de dollars de valeurs de pacotille. Il s’agit également de l’appauvrissement terrible de la population américaine. De telles situations ont, par le passé, conduit à des guerres.
L’utilisation internationale du dollar est le dernier pilier de l’impérialisme américain. Au début de mon discours, j’ai rappelé la déclaration de Xi Jinping à Poutine, selon laquelle nous vivons des changements comme nous n’en avons jamais vus en cent ans. Il y a cent ans, nous vivions entre deux guerres mondiales et nous assistions à la fin du colonialisme britannique. Serons-nous capables d’éviter une nouvelle guerre mondiale ? Je l’espère.
Je vous remercie tous.