« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visio-conférence internationale des 15 et 16 avril 2023
4ème session
25 avril 2023
par Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès, ancien candidat à l’élection présidentielle
Mobiliser la puissance du travail humain est notre défi immédiat pour construire une nouvelle architecture de sécurité et de développement pour tous. Les pays de la « majorité globale » et les peuples du monde occidental portent une même exigence immédiate de justice sociale. C’est le vrai sens de nos manifestations en Europe.
A l’opposé, les élites financières du Nord mènent une politique de guerre sociale contre leurs propres peuples et de réarmement contre les nations qui leur résistent. Leur politique est un danger pour tous : face à la crise de leur système financier prédateur, elles sont comme des tigres blessés qui se transforment en mangeurs d’hommes. Contre elles, notre arme décisive est notre conception de l’Homme : sa capacité de faire le bien. Les réalisations du travail humain incarnent et prouvent notre puissance créatrice !
Cependant, les élites oligarchiques tentent par tous les moyens de réduire le travail à un rapport de force au sein de leur environnement établi, prédéfini par la règle de l’argent et des prix.
Le but de mon intervention est donc de contribuer à libérer la puissance du travail humain. Humain, d’abord parce qu’il n’est ni animal ni mécanique. Être exploité physiquement dans une mine de coltan ou d’or n’est pas du travail humain, c’est de l’esclavage colonial. Le travail humain consiste à transformer physiquement la nature dans un but social utile, et non à exécuter une tâche pour obtenir une rétribution. Le travail d’un être humain développe et élargit ses pouvoirs créatifs. Il ne s’agit pas d’une chose en soi, mais d’une contribution à notre bien commun et à notre avenir social. Le travail est un droit de l’homme à développer ses capacités créatrices pour le bien commun, pas un prix.
Mais il ne suffit pas de dire cela. Les fondements philosophiques nécessaires à un nouveau paradigme exigent une enquête plus approfondie sur ce qu’est l’être humain. La meilleure référence que j’ai pu trouver est une série d’exposés présentée par [l’économiste et penseur américain] Lyndon LaRouche sur « la puissance du travail, la loi naturelle et le progrès technologique », le 25 avril 1984. LaRouche commence par la nécessité d’augmenter le potentiel relatif de densité démographique (PRDD) d’une société pour lui éviter de disparaître. Potentiel, c’est-à-dire supérieur à son niveau actuel de population.
C’est la découverte de nouveaux principes physiques et leur application pour favoriser le progrès technologique qui augmente les pouvoirs productifs du travail, par être humain et par unité de surface. Car l’homme possède une qualité particulière pour améliorer son environnement et augmenter la densité du flux d’énergie et la capacité d’accueil de son univers ! A l’opposé, voyez dans quel état se trouve notre monde transatlantique ! Il est potentiellement condamné, il a détruit son potentiel sous la domination d’une oligarchie financière qui émet de plus en plus d’argent sans rien créer, et maintenant, en détruisant la croissance réelle et physique. Politiquement, notre combat contre cet ennemi est clair.
Mais faisons un pas de plus avec Lyndon LaRouche. L’animal ou l’oligarque n’est pas capable d’améliorer son environnement.
Nous allons voir que l’intelligence artificielle peut traiter les données, mieux que les humains, mais ne transforme pas l’univers physique. Le travail humain le peut, parce qu’il émet des hypothèses. Il a le pouvoir de transformer et de créer un univers meilleur en changeant les règles du jeu, économiquement, socialement et culturellement, il brise les contraintes établies ! LaRouche définit trois niveaux d’hypothèses qui rendent unique le travail humain.
Les « hypothèses simples » sont compatibles avec les axiomes et les hypothèses existants, c’est-à-dire qu’elles « découvrent en cours de route ».
Les « hypothèses supérieures » renversent les axiomes et postulats existants de l’opinion acceptée, scientifique ou autre. C’est le type de pensée qui reconstruit toutes les découvertes scientifiques, ouvre la voie à la découverte de nouveaux principes physiques, appliqués sous forme de progrès technologiques que chaque être humain a le pouvoir de comprendre et d’appliquer socialement. C’est leur mise en œuvre sociale qui constitue le pouvoir du travail humain d’augmenter la densité potentielle relative de la population.
« L’hypothèse de l’hypothèse supérieure » est un principe qui génère efficacement des révolutions scientifiques successives réussies. C’est le domaine que Vladimir Vernadski appelle la noosphère, le pouvoir du travail humain de devenir une force géologique qui façonne la Terre en cohérence avec les lois de l’univers physique.
Faisons maintenant un pas de plus : la soi-disant révolution de l’intelligence artificielle. L’IA traite des données et établit des corrélations logiques en « apprenant » à induire et à déduire dans des domaines comportant un nombre de cas « incalculable » mais fini. Elle ignore ce qu’elle fait réellement sur le plan physique, elle n’est pas consciente d’elle-même. Certes, elle peut gagner contre un rival humain aux échecs ou au jeu de go. Elle l’a fait, cela relève de la logique existante. Mais elle ne peut pas agir dans le domaine des processus physiquement discontinus - le travail humain créatif. Elle se résume à un modèle statistique très sophistiqué quantifiant les corrélations entre des échelles de valeurs. Pour l’IA, une métaphore - un changement de sens d’un niveau de pensée à un niveau supérieur - est comme une poule qui trouve un couteau.
L’IA ne peut pas atteindre le niveau de « l’hypothèse supérieure » ! Cela signifie qu’elle peut traiter mieux que l’être humain ce qui n’est pas humain, le domaine ennuyeux des données. L’apprentissage automatique et l’apprentissage profond lui permettent d’explorer ce qui est déjà connu et de procéder utilement dans ce domaine. Mais jamais de métaphore, jamais de nouveau principe physique.
Dans le sens où LaRouche disait que « l’argent est un idiot », l’IA en est un autre, un idiota senza mente, un analyste de données dopé aux stéroïdes électroniques.
Bonne ou mauvaise nouvelle ? C’est une question d’intention.
Très mauvaise nouvelle si l’IA est laissée entre les mains de ceux qui tentent d’éradiquer la pensée créatrice grâce à un niveau plus sophistiqué de contrôle du comportement humain, le jeu oligarchique pour former les humains à être non humains - détruisant le travail humain à travers le contrôle algorithmique des images, des fausses nouvelles et des opérations financières. En ce sens, le véritable ennemi de la connaissance et du travail humains n’est pas l’ignorance, mais, comme le savait Socrate, l’illusion de savoir.
C’est une très bonne nouvelle, en revanche, si l’IA est sous le contrôle du pouvoir du travail humain. Elle peut être une aide très utile non seulement pour accomplir des tâches qui prennent du temps, mais aussi pour procéder par elle-même dans un domaine de relations logiques connues. Par exemple, il faut plus d’une demi-heure dans les deux sens pour communiquer avec un astromobile sur la planète Mars. L’IA peut entraîner l’engin à faire face à tout ce qui est prévisible. Très utile. Cependant, lorsque survient un évènement inattendu, hors des principes logiques existants, l’intervention humaine devient indispensable.
Certes, l’IA va remplacer de nombreux travaux accomplis par des êtres humains. Mais ces emplois ne sont pas du travail créatif ! Ce sont donc des emplois non créatifs qui vont être remplacés. Principalement les emplois bureaucratiques, comme les consultants en stratégie, les MCKinsey, traders, compilateurs de jurisprudence et autres experts en power-points, tous les imposteurs qui prétendent maîtriser les règles du jeu et qui sont en fait des profiteurs.
Si nous contrôlons le domaine de l’IA, notre travail sera humain, car notre assistant sans cervelle accomplira ce qui n’est pas créatif ! La question politique décisive est de savoir qui contrôle l’émission de crédit et dans quelle intention.
La conscience que notre travail est véritablement humain est le point clé. Faute de temps, je ne peux pas approfondir ici le sujet. Je vous conseille donc simplement de lire Nicolas de Cues (Cusanus), le meilleur ami philosophique d’Helga Zepp-LaRouche.
Juste un mot : dans son Traité du béryl (1458), entre autres, Cues nous indique la véritable voie de la connaissance humaine, libérée du principe stérile aristotélicien de non-contradiction pour entrer dans le domaine de l’intellect au-delà de celui de la raison, où l’esprit humain conçoit la « coïncidence des opposés » et devient capable d’atteindre un niveau d’action plus élevé. La métaphore de cette intuition créatrice de ce qu’il appellera plus tard posse ipsum, le pouvoir lui-même, est le béryl, une pierre semi-précieuse dans laquelle on taillait les lunettes à l’époque.
Les yeux de l’homme seraient ainsi dotés du béryl intellectuel permettant à son esprit de saisir la coïncidence des contraires. Aujourd’hui, Helga Zepp-Larouche applique cette approche à la résolution des conflits humains, pour sortir « par le haut » de la logique destructrice de bloc contre bloc. C’est donc à partir de son propre esprit et en écoutant celui des autres, dans l’esprit de la Paix de Westphalie (1648), que le travail humain créatif établit la feuille de route pour sortir du dilemme.
C’est sa nature même, à son niveau le plus élevé, celui de la perspicacité, de l’intuition créatrice, porteuse d’une dynamique de paix, non pas à partir de données recueillies sous forme de plans mais de principes générant la puissance du travail humain. Le basculement du monde en cours est la meilleure occasion pour nous de devenir les acteurs de ce changement pour le meilleur.
Permettez-moi de terminer par une citation de Bernhard Riemann sur le concept de Gesteismasse :
« L’esprit est une masse cognitive compacte [Geistesmasse], multi-connectée par les connexions internes les plus intimes. Il se crée continuellement, au fur et à mesure que de nouvelles masses cognitives y pénètrent, et c’est ainsi qu’il continue à se développer. »
C’est donc l’apport d’idées nouvelles qui résonne et stimule l’ensemble de nos connaissances. Helga Zepp-LaRouche et mon épouse Odile ont exploré l’apport de Johann Friedrich Herbart à la pédagogie des capacités créatrices pour forger l’âme de l’élève, et non pour le formater comme c’est le cas aujourd’hui. Le travail humain est l’expérimentation de ce progrès permanent dont toute la vie de l’Humanité et le meilleur de la nôtre apportent la preuve expérimentale.
C’est ce qui est menacé aujourd’hui par la guerre et le chaos économique. Prenons-en conscience. Mobilisons plus d’hommes pour travailler à inverser le flux dans notre partie transatlantique du monde et à rapprocher les contraires. C’est une question de vie ou de mort. La puissance du travail humain doit nous inciter à penser de façon métaphorique et à élaborer des hypothèses au-delà d’une expérience sensorielle qui, laissée à sa propre logique, nous rendrait pessimistes et donc impuissants.
Suivons le conseil de Lyndon LaRouche à qui l’on demandait le secret de sa créativité : « Le travail, encore le travail ! »
Le moment décisif de l’histoire que nous vivons exige que nous mobilisions notre travail humain créatif pour que notre grand moment d’histoire échoie à des peuples plus grands.