« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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La Triple Entente : comment l’Empire britannique a déclenché la Première Guerre mondiale

2 juillet 2023

Par une équipe de recherche de l’EIR

Cet article est tiré d’un rapport spécial publié dans l’EIR, le 24 mars 1995, intitulé « Londres ouvre la voie à une nouvelle triple entente ».

La Première guerre mondiale nous est enseignée comme la conséquence des nationalismes. s’il est vrai que ceux-ci ont été savamment instrumentalisé, cet article nous montre comment cette terrible boucherie a été le résultat d’une vision impériale au moment où sa prééminence s’est vue menacée.

Le 28 juin 1914, l’archiduc Ferdinand, héritier du trône d’Autriche, est abattu par des assassins serbes dans Sarajevo, capitale de la Bosnie. Les assassins sont membres de la « Main noire », ils revendiquent la libération des Serbes vis-à-vis de l’oppression étrangère. La Bosnie qui faisait partie de l’empire ottoman a été annexée par l’Autriche six ans auparavant. Depuis, la Serbie a revendiqué les terres bosniaques comme faisant partie de son territoire. L’Autriche est alors une alliée de l’Allemagne ; la Russie, la France et l’Angleterre sont les protecteurs des Serbes. La chaîne d’événements provoquée par l’assassinat de l’archiduc Ferdinand va conduire le tsar russe à ordonner la mobilisation de son armée ; l’Allemagne répond. En quelques semaines, la guerre la plus destructrice du XXe siècle est déclenchée.

La manière dont les agissements de la Grande-Bretagne ont amené à cette guerre est un cas d’école de la méthode impériale - diviser pour régner - et de la création puis la manipulation des mouvements nationalistes-chauvinistes qui ont caractérisé l’Europe moderne, en particulier depuis les révolutions de 1848 orchestrées par le Premier ministre britannique Lord Palmerston. De concert avec une France déstabilisée, les Britanniques ont exploité leurs positions dans les Balkans afin de bloquer le développement économique eurasien. Tel était leur plan au début de ce siècle, comme il devait l’être à nouveau après la réunification de l’Allemagne en 1989. À l’époque, comme aujourd’hui [mars 1995 - NdlR], la stratégie consistait à forger d’abord une Entente cordiale avec la France (1903-04), puis une Triple Entente en y adjoignant la Russie, qui fut entraînée dans la toile de la manipulation britannique (1907).

Le cadre stratégique

La Triple Entente et la Première Guerre mondiale étaient la réponse du roi Édouard VII d’Angleterre à une série de défis à la domination mondiale continue de l’Empire britannique, qui, au début de notre siècle, englobait environ un quart de la superficie et de la population du globe. L’Empire britannique avec son exploitation coloniale brutale ne craignait pas tant une agression militaire que l’extension des chemins de fer européens ainsi que d’autres infrastructures modernes au sein des colonies, brisant ainsi le monopole de la puissance maritime britannique.

Gabriel Hanotaux (1853-1944)

Au cours des années 1890, on trouvait au sein des institutions des principaux États continentaux des groupes plus ou moins influents prêts à s’investir dans la construction de nouvelles infrastructures. En France, on comptait parmi eux le ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux ainsi que Ferdinand de Lesseps, le constructeur du canal de Suez. En Russie c’était le ministre des Finances Sergueï Youlévitch Witte, constructeur du Transsibérien, avec son allié, l’éminent scientifique Dmitri Ivanovitch Mendeleïev. En Allemagne, ce fut Georg von Siemens, de la société Siemens, alors que la Deutsche Bank, elle, s’investissait dans la réalisation de la ligne chemin de fer Berlin-Bagdad. Ces groupes pouvaient également être en contact avec des industriels du chemin de fer aux États-Unis et dans d’autres pays. Certains, dont Hanotaux, coopéraient avec le pape anti-oligarchique Léon XIII.

La pensée stratégique de Witte et Hanotaux tendait vers une coalition continentale européenne France/Allemagne/Russie, selon une communauté d’intérêts allant dans le sens d’un développement économique mondial. Les deux hommes voulaient également que l’on puisse tendre la main aux États-Unis et aux autres puissances, et surtout qu’on mette un terme à la politique du “diviser pour régner” qui découlait de la doctrine de « l’équilibre des pouvoirs » chère aux impérialistes britanniques. On aurait pu constituer cette ligue continentale à plusieurs occasions au cours des années 1890 ; une occasion en or se présenta à la suite de la confrontation franco-britannique de Fachoda, à une époque où l’agression britannique en Afrique du Sud, communément appelée la guerre des Boers, révélait le caractère malveillant des intentions britanniques et en même temps leur incroyable faiblesse militaire. La guerre des Boers de 1899-1902 avait cristallisé le sentiment de dégoût de la plupart des gouvernements de l’époque vis-à-vis de la politique britannique. Durant les événements de Fachoda, Hanotaux n’était plus au pouvoir, il avait été remplacé par le très anglophile Théophile Delcassé. L’empereur d’Allemagne Guillaume II représentait un obstacle bien plus sérieux encore, non pas tant qu’il était le monstre sanguinaire dépeint par la propagande de l’Entente, mais plutôt qu’il se comportait en idiot pathétique, obsédé par un complexe d’infériorité à l’égard de la monarchie britannique. L’empereur avait ainsi toujours fait montre de duplicité ; avec ses réactions à géométrie variable, il était à n’importe quel moment susceptible de succomber à la prochaine ouverture de Londres.

L’échec des tentatives pour amener l’Allemagne à rejoindre la France de Hanotaux et la Russie de Witte dans une communauté de principes, ce qui aurait été possible jusqu’en 1902, constitue au minimum une grande occasion manquée, et plus encore un tournant de l’histoire du monde au sens du punctum saliens de Friedrich Schiller. On perdit alors l’occasion de faire du XXe siècle le siècle d’une véritable renaissance de la raison et du développement économique mondial. L’impasse sanglante de Verdun symbolise ce qui est arrivé à la place, suite aux machinations britanniques.

Édouard VII : le roi-démiurge maléfique

Edouard VII (1841-1910)

La Triple Entente fut une création personnelle du roi Édouard VII. On lui doit l’alliance Grande-Bretagne/Japon, la guerre russo-japonaise et la révolution russe de 1905. Agissant en autocrate de la politique étrangère britannique, Édouard VII organisa également l’Entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France en 1903-1904, et scella ensuite la fatidique Entente anglo-russe de 1907. C’est lui qui a manipulé Theodore Roosevelt et d’autres dirigeants américains pour mettre en place la « relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni, intervenue sous son règne. Ce travail diplomatique fut orchestré et mené à bien par le roi lui-même, les différents ministres, cabinets, tables rondes et autres relais du pouvoir britannique ne faisant que suivre son impulsion. Édouard avait une vision géopolitique héritière de la tradition vénitienne, et elle était d’une simplicité brutale : l’encerclement de l’Allemagne par une coalition hostile, suivi d’une guerre d’annihilation par laquelle de nombreuses nations qui étaient à l’époque « alliés » de la Grande-Bretagne - notamment la France et la Russie - seraient également décimées et réduites.

Édouard VII mourut en mai 1910, avant d’avoir pu mener à bien l’œuvre de sa vie. Mais on lui devait l’alliance de guerre entre la Grande-Bretagne, la France, la Russie et le Japon, avec le soutien des États-Unis, qui allait entrer en campagne en août 1914. Il avait créé le monde cauchemardesque des mobilisations croisées de l’Allemagne, la France et la Russie. Et il avait essaimé un réseau de copenseurs, d’agents et de dupes dans toutes les chancelleries d’Angleterre, d’Europe et d’Amérique, qui, le moment venu, appuieraient sur les boutons de mobilisation et déclencheraient la guerre.

Il était de notoriété publique, dans les années 1920, qu’Édouard VII régnait en dictateur de la politique étrangère britannique d’avant-guerre, ce que nient les biographes récents. Au cours des derniers mois de la vie d’Édouard, Robert Blatchford, rédacteur en chef du Clarion, écrivait dans le Daily Mail du 14 décembre 1909 que « le roi et ses conseillers ont tout fait pour établir des Ententes avec la Russie et avec l’Italie ; et ont agi de même avec la France, ainsi qu’avec le Japon. Pourquoi ? Pour isoler l’Allemagne. »

Les principaux ambassadeurs et ministres du ministère belge des Affaires étrangères ont clairement fait savoir qu’ils comprenaient le projet d’Édouard. Voici ce qu’en pensait - c’était en avril 1906 - le baron Greindl, ambassadeur de Belgique à Berlin, : « On est amené à la conclusion que la politique étrangère britannique est dirigée par le roi en personne, il y a sans aucun doute en Angleterre une politique de cour menée en dehors et parallèlement à celle du gouvernement ».

L’alliance Witte-Hanotaux pour le progrès

Pour mieux appréhender l’énormité des crimes d’Édouard, examinons d’abord plus attentivement l’attitude des factions continentales européennes qui lui étaient opposées, constituant une telle menace pour l’oligarchie britannique.

À partir de 1892, le principal architecte du développement industriel accéléré en Russie durant la dernière décennie du siècle dernier fut Sergueï Witte. Il fut ministre des Finances de la Russie pendant 11 ans, jusqu’à son limogeage en 1903. Jamais l’économie russe n’avait connu un taux de croissance aussi élevé que pendant les années Witte.

Sergueï Witte (1849-1915)

C’est en tant que directeur au sein des chemins de fer que Witte commença sa carrière dans l’administration russe. Pendant la guerre russo-turque (1877-1878), il était l’unique responsable du réseau ferré d’Odessa, par lequel transitait tout le trafic vers le front, et son travail le fit remarquer par le tsar Alexandre III. Après différents postes dans cette administration, Witte fut nommé en 1892 ministre des Voies et des Communications. À la demande du tsar, Witte créa un comité des chemins de fer sibériens pour commencer à construire une voie ferrée vers le Pacifique. Lorsqu’il fut nommé en octobre de la même année au poste de ministre des Finances, Witte eut les moyens de réaliser ce programme.

En tant que ministre des Finances, Witte a réformé l’ensemble des finances russes et transformé le ministère des Finances en une véritable chancellerie du royaume, établissant de vastes réseaux de renseignement dans toutes les grandes capitales politiques et financières du monde. Son objectif était de faire sortir la Russie de son statut agricole primitif pour en faire une grande puissance industrielle.

Le rapprochement franco-russe de la fin de la décennie précédente a contribué à jeter les bases de la collaboration économique Witte-Hanotaux au cours des années 1890. En assainissant les finances russes et en travaillant en étroite collaboration avec Hanotaux, Witte a constaté que les marchés financiers français étaient ouverts à la Russie. Sous son impulsion, des prêts importants ont été négociés afin d’étendre le réseau ferroviaire russe. Alors qu’entre 1879 et 1892, 5 466 miles de nouvelles lignes ferroviaires avaient été construites, sous la direction de Witte entre 1892 et 1901, quelque 14 814 miles de nouvelles lignes ferroviaires virent le jour, soit près du triple. Le rythme de construction atteint durant cette période dépassait celui de tous les autres pays à l’exception des États-Unis.

Construction de la « Grande Voie Sibérienne » et déjà plus de trois millions de passagers en 1912

Le Transsibérien figurait au cœur de ce système qui, une fois achevé en 1902, devait s’étendre sur 9 000 kilomètres de Tcheliabinsk, dans l’Oural, à Vladivostok, sur la côte Pacifique. Mais la ligne transsibérienne était bien plus qu’un moyen de transport rapide à travers les vastes étendues sibériennes. C’était ce que Lyndon LaRouche qualifierait plus tard de « pont terrestre » vers l’Asie. Par voie ferrée, le trajet de Londres à Shanghai devenait deux fois plus rapide et deux fois et demie moins cher que par la voie maritime. Le principal canal de transport pour le commerce avec l’Orient passerait rapidement des voies maritimes plus lentes et toujours sous la surveillance de la marine britannique, aux voies terrestres à travers l’Europe continentale et l’Extrême-Orient russe.

Gabriel Hanotaux, qui fut promu ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Sadi Carnot (petit-fils du grand Lazare Carnot), avait travaillé avec le Premier ministre Jules Ferry, pour mettre en oeuvre en Afrique un développement par les infrastructures.
Il avait aussi étroitement collaboré avec le cardinal Lavigerie, fidèle ami du pape Léon XIII, à la construction de la cathédrale Saint-Louis de Carthage et à d’autres projets en Afrique.

En tant que ministre des Affaires étrangères, Hanotaux a poursuivi une politique triple : 1) renforcer l’alliance franco-russe initiée par le président Carnot ; 2) poursuivre la politique de détente avec l’Allemagne initiée par Jules Ferry ; et 3) orchestrer une série d’accords internationaux pour consolider la position française en Afrique occidentale et centrale autour du lac Tchad, et pour empêcher les Britanniques de s’emparer de toute la partie orientale de l’Afrique, de l’Égypte à l’Afrique du Sud, du Cap au Caire, comme de leur domaine exclusif.

En 1895, Witte et Hanotaux réussirent à réunir une coalition composée de la Russie, de l’Allemagne et de la France pour dissuader les Japonais d’annexer la péninsule de Liaodong, une région de la Mandchourie chinoise que le Japon avait conquise en guise de butin après sa victoire sur les Chinois lors de la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Grâce à la démonstration d’unité des trois puissances continentales, le Japon accepta de renégocier son traité avec la Chine, renonçant à toute annexion du territoire chinois et préservant ainsi l’intégrité territoriale du pays, condition préalable aux plans de développement de Witte-Hanotaux dans la région.

Witte et Hanotaux créèrent ensuite, en grande partie avec des capitaux français, la Banque russo-chinoise, destinée à être le canal d’un prêt substantiel accordé à la Chine afin qu’elle puisse payer son indemnité de guerre au Japon, et ainsi apaiser la colère des Japonais après la perte de la péninsule de Liaodong.

La Russie a également signé un traité de défense mutuelle avec la Chine, en vertu duquel elle lui viendrait en aide si elle était à nouveau attaquée par le Japon.

Ces arrangements ayant mis la partie chinoise dans de bonnes disposition, la Banque russo-chinoise fut autorisée à louer le territoire nécessaire à la construction du dernier tronçon du Transsibérien, à travers la Mandchourie, et à créer à cet effet une nouvelle société, la Compagnie des chemins de fer de l’Est chinois. La France put également signer une série d’accords favorisant son expansion commerciale en Indochine et en Chine, ouvrant la Chine à un commerce accru au-delà de la frontière avec l’Indochine (qui était sous contrôle français) et permettant la construction de nouvelles voies ferroviaires dans le sud de la Chine.

Le Japon n’était cependant pas censé être le perdant du plan complexe de Witte pour le développement de l’Asie. Witte avait l’intention d’engager les Japonais dans un traité par lequel les deux nations profiteraient des avantages commerciaux du nouvel accès ferroviaire aux marchés européens. Pour ce faire, Witte était même prêt à sacrifier les intérêts commerciaux russes en Corée, acquis pendant la guerre sino-japonaise, en considération des intérêts japonais dans ce pays. Mais une alliance avec le Japon trouva de solides opposants dans la coterie entourant le tsar.

De l’autre côté du Pacifique se trouvait une autre puissance, qui devenait rapidement une puissance du Pacifique, les États-Unis d’Amérique. L’alliance russo-américaine qui s’était formée pendant la guerre civile américaine était généralement comprise par les groupes nationalistes en Russie comme une alliance transpacifique, les deux nations commençant à « se frayer un chemin » vers l’océan Pacifique. Cela aurait pour effet d’évincer les Britanniques de l’Asie.

Mais pour que la politique de Witte en Extrême-Orient soit couronnée de succès, il fallait que la situation en Europe demeure stable. La création de ce que Witte appelait la « ligue continentale », composée de la France, de l’Allemagne et de la Russie, était une condition préalable à cette politique.

En 1897, Witte fit appel à l’empereur Guillaume pour l’aider à créer une telle ligue. Il déclarait : « Pour y parvenir... nous devons d’abord nous hâter d’établir des relations solides entre la Russie, l’Allemagne et la France. Une fois ces pays rassemblés dans une union ferme et stable, tous les autres pays du continent européen rejoindront sans aucun doute ce noyau central et formeront ainsi une union de tout le continent qui libérera l’Europe du fardeau qu’elle s’impose à elle-même en raison de rivalités de part et d’autre. »

Bien que le Kaiser allemand ait souvent fait référence à l’idée de la « ligue continentale », il n’a jamais vraiment saisi, pour son plus grand malheur et celui du monde, son importance primordiale.

L’encerclement de l’Allemagne par Édouard

Édouard a procédé sur plusieurs fronts pour encercler et neutraliser l’Allemagne, empêchant la consolidation d’un bloc continental orienté vers le développement eurasien :

• Il a poussé à la guerre russo-japonaise et ses agents ont fomenté la révolution russe de 1905. La Grande-Bretagne a signé un traité avec le Japon, donnant carte blanche à l’Amiral Togo pour attaquer par surprise la base de Port-Arthur en Russie ( elle eut lieu le 8 février 1904).

• La Russie étant détruite par la guerre et en proie à des troubles sociaux (attisés par des agents britanniques), Édouard s’est efforcé de piéger les Français. La tentative d’Hanotaux de limiter les visées expansionnistes britanniques en Afrique avait été sabotée par la mission malheureuse du capitaine français Marchand à Fachoda, au Soudan, en 1898. C’est Delcassé, principal opposant à Hanotaux, qui avait la responsabilité de cette mission pendant une courte période où Hanotaux avait quitté le pouvoir. La société française avait été affaiblie par l’affaire Dreyfus, qui avait déclenché une germanophobie rampante dans la population. Sous l’impulsion de Delcassé et de deux obligés britanniques, Georges Clemenceau et Paul Cambon, un accord a été conclu, ramenant la France dans le giron britannique. En 1904, les deux pays signèrent l’Entente cordiale.

• Édouard a provoqué deux conflits franco-allemands à propos du Maroc.

• Il n’a ménagé aucun effort pour isoler l’Allemagne, entraînant la Norvège, la Suède, l’Espagne et le Portugal dans l’orbite britannique.

• Le jour même de l’entrée en vigueur de l’Entente franco-britannique, en avril 1904, il rencontra son agent, le ministre russe des Affaires étrangères Alexandre Izvolski, pour proposer une alliance anglo-russe. Le résultat fut l’Entente anglo-russe, signée en septembre 1907.

L’anneau autour de l’Allemagne s’est ainsi refermé. Le vieux « cauchemar des coalitions » de Bismarck et la guerre sur deux fronts étaient désormais une réalité. Avec l’aide d’Izvolski, Édouard se lança immédiatement dans une nouvelle tentative afin de déclencher une guerre générale. Cela commença par l’accord de Buchlau entre Izvolski et l’Autriche, conclu en septembre 1908 et révélé un mois plus tard. En vertu de cet accord, l’Autriche avait le feu vert pour annexer officiellement la Bosnie-Herzégovine, qui avait été occupée par l’Autriche après le Congrès de Berlin, mais n’avait pas été annexée. L’Autriche prononça l’annexion, mais la Serbie, qui voulait la Bosnie-Herzégovine, signifia son opposition absolue. Chacun des deux pays déclencha une mobilisation de guerre. L’Allemagne s’efforça de tempérer l’Autriche tandis que la Russie se sentait trop faible pour entreprendre une guerre à ce moment-là. L’Allemagne fut en fait un médiateur dans le conflit. Mais les agents d’Édouard créèrent bientôt une légende selon laquelle l’Allemagne avait humilié la Russie en la menaçant d’une guerre.

A la suite de la crise bosniaque de 1908-1909, les slavophiles russes tournèrent de plus en plus leur colère contre l’Allemagne, qu’ils considéraient comme un obstacle à leur expansion dans les Balkans. Les agitateurs de la Grande Serbie devinrent fous furieux. Le gouvernement autrichien en conclut que la Serbie constituait une menace pour son existence et devait être écrasée. C’est ce schéma qui, après une seconde crise marocaine en 1911 et après les guerres balkaniques, déclencha la guerre en 1914.

Si Édouard VII avait eu gain de cause, il aurait eu cinq puissances coalisées contre une Allemagne isolée. Édouard VII n’a jamais abandonné l’option autrichienne qui, si elle avait réussi, aurait laissé Berlin sans aucun allié.

Pendant quelques instants, au début du mois d’août 1914, le Kaiser Guillaume comprit ce qui s’était passé :

“L’Angleterre, la Russie et la France se sont mises d’accord entre elles... après avoir posé les bases du casus foederis pour nous par l’Autriche... pour prendre le conflit austro-serbe comme excuse afin de mener une guerre d’extermination contre nous... Telle est l’abrupte situation, lentement et habilement mise en place par Edouard VII et... finalement amenée à sa conclusion par George V… Ainsi, le fameux encerclement de l’Allemagne est finalement devenu une réalité, malgré tous les efforts de nos politiciens et de nos diplomates pour l’empêcher. Le filet a été soudainement jeté sur nos têtes, et l’Angleterre récolte en ricanant le plus brillant succès de sa politique mondiale purement anti-allemande, poursuivie avec persistance, contre laquelle nous nous sommes montrés impuissants, tandis qu’elle serre le nœud coulant de notre destruction politique et économique à cause de notre fidélité à l’Autriche, tandis que, isolés, nous nous tortillons dans le filet. Un grand exploit, qui suscite même l’admiration de celui qui doit être détruit en conséquence ! Édouard VII est plus fort après sa mort que je ne le suis encore en vie ! Et il y a eu des gens qui ont cru que l’Angleterre pouvait être conquise ou pacifiée, par telle ou telle mesure insignifiante !”

La France, la Russie, le Japon, les États-Unis, avec d’autres, ont été utilisés par Édouard VII comme des pions géopolitiques et ils en ont payé le prix fort. Quatre-vingt-dix ans après les Ententes d’Édouard, les citoyens et les hommes d’État doivent tirer les leçons de la manière dont la monarchie et l’oligarchie britanniques ont orchestré la catastrophe de 1914.


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