« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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10 mars 2022
Devant les yeux ébahis des « experts » en géopolitique, entrainant dans leur nouvelle indignation les masses endormies, la guerre ensanglante « de nouveau » l’Europe. Ainsi tout le monde s’étonne, s’insurge et s’agite en réaction à la « délirante et surprenante invasion russe de l’Ukraine ». Pourtant, si l’invasion russe contrevient au droit international, elle n’a rien de surprenant étant donné les nombreux avertissements lancés par la Russie depuis l’accroissement de l’extension de l’OTAN et la multiplication des actes inamicaux envers la Russie.
Si la guerre doit cesser, son terme ne sera un succès sans un accord en Europe s’inspirant des traités de Westphalie de 1648 qui mit fin à 150 ans de guerre en Europe. C’est donc à un nouveau traité westphalien qu’appelle l’Institut Schiller ; signez ici notre appel : https://www.institutschiller.org/Appel-de-l-Institut-Schiller-a-convoquer-une-conference-internationale-afin-d.html
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Il est communément admis que les traités de Westphalie sont le fruit de quatre longues années de négociations diplomatiques qui posent les fondements juridiques des relations entre Etats-nations souverains, basés sur le principe de non-ingérence. En reconnaissant la souveraineté des pays membres du Saint-Empire, ils briseront le pouvoir de l’empereur, et donc des Habsbourg. Tout cela est vrai mais ne permet pas de saisir l’esprit qui donne toute leur puissance à ces traités.
L’on peut pourtant s’en rendre compte en les comparant au traité de paix signé la même année entre l’Espagne et les Pays-Bas. Dans le premier article de ce traité, le roi d’Espagne reconnaît que les États généraux des Pays-Bas et les provinces et pays associés sont « libres et souverains », que lui et ses successeurs n’auront jamais aucune prétention sur eux et qu’il conclut avec eux une « Paix perpétuelle ».
Le deuxième article proclame une paix « bonne, ferme, fidelle et inviolable » et que « cesseront tous actes d’hostilité ».
Puis l’article III :
« Chacun demeurera saisi et jouira effectivement des Pays, Villes, Places, Terres et Seigneuries, qu’il tient & possède à présent, sans y être troublé ny inquiété directement ny indirectement, de quelque façon que ce soit. »
La paix apparaît ici comme l’arrêt des hostilités : on laisse l’ancien ennemi tranquille. Que dit au contraire le premier article du traité de paix entre la France et le Saint-Empire ?
« Qu’il y ait une paix Chrétienne, universelle, et perpétuelle, et une amitié vraye et sincère entre la sacrée Majesté Impériale, et la sacrée Majesté très-Chrétienne ; comme aussi entre tous et un chacun des Alliez, et adhérans de sadite Majesté Impériale [...] et un chacun des Alliez de sadite Majesté très-chrétienne [...] ; et que cette paix et amitié s’observe et se cultive sincèrement et sérieusement ; en sorte que les parties procurent l’utilité, l’honneur, et l’avantage l’une de l’autre ; et qu’ainsi de tous côtez on voye renaître et refleurir les biens de cette paix et de cette amitié par l’entretien sûr et réciproque d’un bon et fidèle voisinage. »
Le deuxième article proclame :
« un oubli et une amnistie perpétuelle de tout ce qui a été fait depuis le commencement de ces troubles [...] ; si bien que tout ce que l’un pourroit demander et prétendre sur l’autre pour ce sujet, soit enseveli dans un éternel oubli. »
Ici, contrairement au premier traité, la paix n’est pas l’absence de conflit, mais un principe qui agit et transforme. Il s’agit d’une paix « chrétienne », bien commun qui sera construit sur les principes universels partagés par les deux religions. Le pardon permet d’émanciper le futur du mal causé dans le passé. Mieux, plutôt que de laisser son ennemi tranquille, on va chercher à agir à son avantage !
Ainsi, l’article III interdit à chaque partie d’assister « les ennemis présens ou à venir de l’autre » et tous les signataires de ce traité sont « obligés de défendre et protéger toutes et chacunes des loix ou conditions de cette paix contre qui que ce soit sans distinction de religion » (article CXXIII).
Défendre le droit des autres devient une responsabilité pour chacun (en cas de différend, « tous et chacun des interessez en cette transaction sont tenus de se joindre à la partie lézée ») et il est interdit aux Etats de l’empire de « poursuivre son droit par force et par armes ».
Ces droits sont délimités collectivement par les restitutions de territoires détaillées dans le traité. Ce n’est pas seulement le rapport de force militaire qui détermine ces arbitrages, mais aussi les montagnes de documents rassemblés par les diplomates pour prouver la légitimité de leurs revendications.
Les bases économiques de la paix sont aussi établies : fidèle au principe de compassion qu’il proclame dès les premières lignes, le traité prévoit un examen de la légitimité des dettes, et même des moratoires pour briser le cercle infernal dette-guerre. De même, la liberté de circulation et de commerce sur terre et sur mer est aménagée en supprimant les péages installés par des autorités privées « contre l’utilité publique ».
Finalement, ce qu’incarnent ces textes, c’est la volonté de créer un Etat de droit où la souveraineté et l’avantage de chacun seront respectés, au-delà de sa puissance ou de sa culture. Ce principe jeta les fondations de cette Europe d’États-nations souverains coopérant librement dans le grand dessein dont Henri IV et Sully avaient rêvé et, de l’autre côté de l’Atlantique, celles de la République des États-Unis. Imaginez nos hommes politiques sortir de leur cynisme et le défendre à nouveau.
À nous maintenant de faire mieux qu’eux, en faisant redécouvrir à l’humanité ce paradoxe savoureux : la meilleure manière de servir ses propres intérêts, c’est de défendre ceux des autres !