« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Pour en finir avec la géopolitique

L’indispensable dialogue des civilisations pour bâtir le monde de demain

14 juin 2019

La Conférence sur le dialogue des civilisations asiatiques qui s’est tenue le 15 mai à Pékin sous l’égide du président Xi Jinping est passée quasiment inaperçu en Occident. Elle rassemblait pourtant des représentants de 47 pays d’Asie et de 50 autres dans le monde. La présidente de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, figurait parmi les intervenants avec un discours intitulé « L’idéal le plus élevé de l’humanité réside dans le potentiel que recèle le futur » (voir ci-dessous).

Alors que les pays occidentaux cultivent la théorie aussi toxique que dépassée du« choc des civilisations », le président Xi Jinping a de nouveau souligné pendant cette combien l’enseignement mutuel et les échanges culturels font partie intégrante des politiques économique et étrangère de la Chine. En ouvrant la Conférence sur le dialogue des civilisations asiatiques (CDCA), il rappela que les Nouvelles Routes de la soie, « avec les Deux Corridors, la Ceinture et la route, l’Union économique eurasiatique et d’autres initiatives, ont permis d’élargir considérablement les échanges inter-civilisationnels et l’enseignement mutuel. La coopération entre nations dans les domaines de la science, la technologie, l’éducation, la culture, la santé et les échanges entre personnes n’a jamais été plus florissante. »

Dans ce contexte, il a fermement rejeté la thèse du « choc des civilisations », propagée par tant de faiseurs d’opinions en Occident. « Nous devons respecter la diversité des civilisations du monde et la beauté de chacune d’entre elles, a-t-il dit. Les civilisations ne doivent pas s’affronter ; ce qu’il nous faut, ce sont des yeux pour voir la beauté de toutes les civilisations. Il nous appartient d’entretenir le dynamisme de nos propres civilisations et de créer les conditions pour que d’autres puissent s’épanouir. Ensemble, nous pouvons rendre le jardin des civilisations mondiales plus coloré et plus vibrant. »

Un peu plus tard, Xi a souligné que « toutes les civilisations prennent leurs racines dans un environnement culturel unique. Chacune incarne la sagesse et la vision d’un pays ou d’une nation, et chacune est précieuse pour ce qu’elle est en elle-même. (...) Aucune civilisation n’est supérieure à une autre. »

Comme nos lecteurs s’en rendront compte, ces paroles font écho à l’article rédigé par Helga Zep-LaRouche pour la CDAC, quelques semaines avant l’ouverture de la conférence. Tant il est vrai que depuis sa fondation, l’Institut Schiller s’est donné pour but de favoriser le dialogue des cultures, en s’appuyant sur ce que chacune peut offrir de meilleur.

Quant à Xi Jinping, selon un article paru récemment dans Xinhua, il y a longtemps qu’il s’efforce d’instaurer ce type d’échanges culturels. « Il y a plus de 40 ans, alors qu’il était encore adolescent, Xi était fasciné par le Faust [de Goethe]. (...) C’est vers la fin des années 1960, une époque de pénurie où les livres étaient rares, que Xi dut quitter Beijing pour aller travailler comme paysan dans un village extrêmement pauvre du nord-ouest de la Chine, dans la province de Shaanxi. Avide de littérature, non seulement chinoise mais aussi étrangère, pendant ces sept années passées là, Xi lisait tout ce qui lui tombait sous la main, de vieux livres chinois aux pièces de William Shakespeare. ‘Etre ou ne pas être’ ; réfléchissant à cette question sur ce plateau aride, Xi décida finalement de se consacrer au service de son pays et de son peuple. »

Cet article reprend des citations de Xi en 2014 : « L’art et les œuvres littéraires sont les meilleurs moyens, pour des nations et des peuples différents, de se comprendre et de communiquer entre eux. » Les Nouvelles Routes de la soie partent également de cette idée : « L’une des priorités dans cette initiative phare de Xi, est de construire une route qui connecte les différentes civilisations entre elles, où la discrimination fera place au respect mutuel, où l’isolement sera remplacé par l’échange et l’enseignement mutuel remplacera l’affrontement ».

Les guerres commerciales géopolitiques doivent faire place à la coopération

Le contraste entre l’optimisme envers le futur en Asie et le pessimisme dans la partie trans-atlantique du monde est plus frappant que jamais, a pu constater Helga Zepp-LaRouche lors de sa visite de dix jours en Chine (du 15 au 24 mai). D’autant plus que ce voyage se déroulait sur fond des élections européennes les moins enthousiasmantes qui soient et de l’escalade des tensions autour de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Lors de la Conférence sur le Dialogue des Civilisations asiatiques, a-t-elle souligné, la fierté des Asiatiques envers les accomplissements passés de leur civilisation et ceux à venir était palpable. Tous les orateurs, a-t-elle noté dans son webcast international du 30 mai, faisaient valoir qu’il n’existe aucun conflit qui ne puisse être résolu par le dialogue plutôt que par la confrontation.

En plus d’une présentation au Chongyang Institute for Financial Studies de la Renmin University de Pékin, Hega Zepp-LaRouche a pu s’entretenir en privé avec de nombreux professeurs et chercheurs de différentes universités et think tanks, dont certains connaissaient l’Institut Schiller depuis des années. Tous s’inquiètent de plus en plus de l’attitude du gouvernement des Etats-Unis et ce qu’il espère obtenir avec la guerre commerciale. Cela a mené à diverses discussions sur le danger du « piège de Thucydide », selon lequel le pouvoir dominant tente par tous les moyens d’empêcher l’émergence de « compétiteurs » potentiels, y compris par des moyens militaires. Par le passé, cela a presque toujours mené à des guerres.

Dans ce contexte, Helga Zepp-LaRouche et le correspondant d’EIR à Washington William Jones ont expliqué à leurs interlocuteurs les différentes factions rivales qui s’affrontent dans les centres du pouvoir occidentaux. Certaines d’entre elles ont délibérément choisi la confrontation envers la Chine, ainsi que la Russie, ne voyant pas d’autre moyen de maintenir leur suprématie. C’est là la motivation de la doctrine du « clash des civilisations », associée en général à Samuel Huntington, mais conceptualisée au départ par Bernard Lewis.

Or, ces idéologues néo-conservateurs et néo-impériaux sont très influents auprès des décideurs politiques occidentaux, en particulier aux Etats-Unis, ont-ils souligné. Si Donald Trump tend à vouloir favoriser le dialogue et les « bonnes relations avec la Chine », ce n’est pas le cas de nombre de ses conseillers en matière militaire, sécuritaire et commerciale.

Probablement cherche-t-il par ce moyen des tarifs punitifs à protéger l’industrie et les emplois américains, mais d’autres au sein de son administration, estime Helga Zepp-LaRouche, veulent clairement empêcher la Chine de devenir une puissance technologique de premier plan, comme on le voit avec l’affaire Huawei. Comment expliquer autrement que le côté américain exige de fait que la Chine abandonne le modèle économique qui a fait son succès.

Il s’agit d’un « effort vain », mais dangereux, commentait la présidente de l’Institut Schiller lors de son webcast du 30 mai. « Tout d’abord parce qu’on ne peut pas endiguer un pays de 1,4 milliard de personnes dont le gouvernement a de toute évidence mis le gouvernail dans la bonne direction, avec un formidable succès sur ces 40 dernières années d’ouverture, au cours desquelles 800 millions de personnes ont été sorties de l’extrême pauvreté. » De plus, de nombreux pays en voie de développement envisagent le « modèle chinois » pour sortir de leur propre sous-développement. « Donc l’idée de pouvoir endiguer une nation du simple fait qu’elle n’est pas occidentale est complètement absurde. Cette dynamique est irréversible. »

L’idéal suprême de l’humanité est le potentiel du futur

Nous reproduisons de longs extraits du document rédigé par Helga Zepp-LaRouche pour la Conférence sur le dialogue des civilisations asiatiques, et publié dans les actes de la conférence. Dans son discours sur place, Mme Zepp-LaRouche en a fait une présentation légèrement raccourcie. En voici le début :

Le fait que la majorité des gens ne se rendent pas compte de ce qu’il se passe est caractéristique d’un tournant historique. Seuls les visionnaires ayant une idée claire du potentiel positif de l’avenir, sont capables d’intervenir dans le processus au moment décisif pour éviter la catastrophe éventuelle et ouvrir une nouvelle ère à l’humanité. Nous nous trouvons dans ce changement de phase : le vieil ordre mondial, tel qu’il a été érigé après la Seconde Guerre mondiale et surtout suite à l’effondrement de l’Union soviétique, est en pleine désintégration, mais le nouvel ordre mondial n’est pas encore défini. Nous sommes à un moment où le droit international paraît caduc, ni les Nations unies ni aucune autre institution n’étant en mesure de le faire appliquer.

Or, il est incontestable que l’équilibre qui a favorisé la civilisation occidentale ces derniers siècles (même si l’Asie a tenu pendant des milliers d’années une place exceptionnelle, voire dirigeante, dans l’histoire universelle) s’est inversé depuis quelque temps. En témoignent l’essor démographique de l’Asie, de nouvelles interventions stratégiques comme l’Initiative une ceinture, une route (ICR) et la définition d’objectifs précis comme le concept « Made in China 2025 » ou la perspective fixée par le président Xi Jinping pour la Chine pour 2050.

Tout cela offre d’immenses opportunités à l’Asie et sans doute aussi une nouvelle forme de responsabilité, qui devraient encourager à élaborer des concepts sur la manière de faire avancer l’humanité dans son ensemble. C’est l’approche que le président Xi Jinping a en tête lorsqu’il parle de la « Communauté d’un avenir partagé de l’humanité ». Nous vivons un moment précieux, car la tâche consistant à élaborer consciemment une nouvelle ère fondée sur la noble idée d’une humanité unifiée n’a, à aucun moment de l’histoire, été aussi clairement définie. Si nous voulons créer un ordre plus humain, on doit le fonder sur les meilleurs concepts développés par les différentes cultures. Ces concepts doivent avoir un caractère pour ainsi dire ontologique, c’est-à-dire dépourvu du moindre élément accidentel ou simplement contemporain, pour définir le dharma – l’ordre moral – que les dirigeants spirituels et, partant, les sociétés asiatiques devront respecter dans ce nouveau chapitre de l’histoire universelle.

L’impulsion vers cette « voie vertueuse » doit provenir des anciennes traditions d’Asie, comme le confucianisme, le bouddhisme ou le jaïnisme, qui sont étroitement associées à l’engagement en vue d’un épanouissement personnel tout au long de la vie et de l’ennoblissement de l’humanité. Bien que le même engagement ait prévalu à l’Ouest pendant ses périodes classique et de la Renaissance, l’idée de faire de l’amélioration éthique de l’homme l’objectif de la vie est à l’opposé du modèle libéral occidental actuel. (...) »

Quels principes doivent étayer la communauté de l’humanité à venir, demande alors Mme Zepp-LaRouche, principes qui répondent aux impératifs de la science naturelle moderne et d’un nouveau système de relations internationales. Un bon point de départ serait les « Cinq principes de la coexistence pacifique », ou Panchseel, signés entre la Chine et l’Inde en 1954, et complétés en 1955 par le Premier ministre chinois Zhou Enlai et le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru lors de la première conférence des Etats indépendants d’Asie et d’Afrique à Bandung. Ils devinrent un élément décisif du droit international lors de la conférence des pays non alignés en 1961 à Belgrade.

Ces principes de coexistence pacifique, poursuit Helga Zepp-LaRouche, sont profondément ancrés dans plusieurs cultures asiatiques, celle de l’Inde et de la Chine notamment. Pour ce qui concerne l’Inde, les anciens textes védiques, les Upanishad, et la littérature sanskrite classique recèlent des concepts de nature religieuse et politique, comme la notion d’ahimsa, qui dicte la renonciation à toute violence, non seulement physique mais aussi verbale ou spirituelle. Le Rig-Veda, la plus ancienne œuvre littéraire complète ayant survécu, contient des pensées fondamentales sur l’ordre cosmique, qui se traduisent aussi dans l’action humaine sur Terre, tandis que les Upanishad prévoient cinq principes de base, que Helga Zepp-LaRouche va alors esquisser.

L’inspiration des textes védiques

Le concept le plus fondamental est le Brahman universel. « Ishawaram idam sarvam jagat kincha jagatvam jagat » – Tout ce qui existe, où qu’il existe, est imprégné du même pouvoir divin. On trouve une idée similaire chez Gottfried Wilhelm Leibniz dans sa notion de la monade, chaque monade recelant en soi toute la légitimité de l’univers.

Le deuxième principe est que le Brahman, le principe créateur dont l’expression est l’ensemble du monde réalisé, réside dans chaque conscience individuelle, ou Atman. Celui-ci est le reflet de ce Brahman universel, c’est la conscience individuelle mais sans être fondamentalement séparée du Brahman. « Ishwara sarvabhutanam idise tishtati » – le Seigneur réside dans le cœur de chaque individu. C’est autour de la relation entre Atman et Brahman que tourne l’ensemble de la doctrine védique. Dans la philosophie de Nicolas de Cues, ceci correspond à l’affinité du macrocosme et du microcosme, qui permet à une force intangible – une idée créée par la raison créatrice – de provoquer le développement de l’univers physique.

Un autre principe védique veut qu’en raison de leur spiritualité partagée, tous les gens sont membres d’une même famille. Les Upanishad appellent l’humanité amritasya putra, « des enfants de l’immortalité ».

Le quatrième concept des Upanishad présente l’idée de l’unité essentielle de toutes les religions et toutes les voies spirituelles. (...) Cette idée correspond au « Sanatana Dharma », la religion unique, au-dessus de toutes les autres. Nicolas de Cues exprime cette idée dans son dialogue platonicien De Pace Fidei, qu’il rédigea tout de suite après la chute de Constantinople en 1453 et les conflits sanglants associés à cela. Dans ce dialogue, des représentants de différentes religions et nations se tournent vers Dieu pour les aider, car ils se battent dans des guerres et s’entretuent en son nom. Dieu leur enseigne qu’ils sont tous philosophes de leur nation et religion respectives – au-delà des traditions et enseignements des divers prophètes – et ils peuvent par conséquent comprendre que, au-delà de la religion, il existe un Dieu, et qu’au-delà des différentes traditions, une vérité. (...)

Un cinquième concept védique concerne le bien-être de toutes les créatures. « Bahujana shukhaya bahujana hitaya cha », la philosophie hindoue recherche « le bien de tous les gens et de toutes les formes de vie sur cette planète ». On voit l’affinité avec l’idée confucéenne du développement harmonieux de tous, car Confucius dit explicitement : « Ceux qui obtiennent le succès doivent aider les autres à l’atteindre ». C’est d’ailleurs cette idée qui anime l’ICR et la « coopération gagnant-gagnant » entre nations. (...)

L’idée du développement harmonieux de tous comme fondement d’un ordre de paix mondial est ancré dans plusieurs cultures asiatiques, et contredit la notion selon laquelle les relations entre nations constituent un jeu à somme nulle. Toutefois, le réaliser dans la pratique nécessite le franchissement d’un nouveau stade de développement dans l’évolution humaine, à l’instar de l’âge de l’homme spirituel envisagé par Sri Aurobindo, ou de la domination croissante de la noosphère sur la biosphère qui, pour Vladimir Vernadski, reflète en quelque sorte la trajectoire tracée par la loi naturelle de l’univers.

L’univers a une légitimité inhérente qui le fait évoluer vers des stades de développement plus élevés. Dans la pensée de Vernadski, la raison créatrice de l’humanité est un élément essentiel de cet univers, en tant que puissance géologique qui fait avancer qualitativement ce développement supérieur depuis l’existence de l’évolution humaine. Dans la science de l’économie physique, Lyndon LaRouche a démontré dans son concept de la densité démographique relative potentielle l’efficacité absolue de la créativité humaine, qui distingue l’homme de toutes les créatures vivantes connues. (...)

Pour mener à bien l’élaboration consciente d’un nouveau paradigme pour l’humanité, tâche présentée ci-dessus, la culture chinoise et d’autres cultures asiatiques ont cet avantage énorme que, grâce à la philosophie de Confucius, le développement du caractère moral est l’objectif primaire de l’éducation dans de vastes régions d’Asie. Malgré tout le discours en faveur de la numérisation de l’économie et du rôle de l’intelligence artificielle dans les futures plateformes économiques, ce sont les qualités morales des êtres humains qui détermineront si les nouvelles technologies seront déployées au profit de l’humanité, ou à des fins perverses. D’où l’implication stratégique de la lettre de Xi Jinping envoyée il y a plusieurs mois à huit professeurs de l’Académie des Beaux-Arts de Chine, dans laquelle il souligne l’importance extraordinaire de l’éducation esthétique pour le développement mental de la jeunesse chinoise. L’éducation esthétique joue un rôle déterminant dans le développement d’une belle âme, écrit-il, remplissant d’amour les étudiants et favorisant la création de grandes œuvres d’art.

Grâce à l’influence durable du confucianisme – interrompue seulement par les dix années de la Révolution culturelle – il existe une tradition millénaire pour laquelle le développement d’un caractère moral représente l’objectif ultime de l’éducation. Il est donc acquis en Chine que le respect de la morale publique et la lutte contre les mauvaises tendances constituent la condition préalable à une société hautement développée. A titre d’exemple, le rapport sur les Objectifs éducatifs du ministère des Affaires académiques du gouvernement Qing en 1906 donnait la priorité sur les autres disciplines, à l’enseignement de la morale publique (gongde) et aux enseignements confucéens sur la vertu, afin que « chacun s’occupe des autres, comme il le fait pour lui-même et aime l’État comme on aime sa propre famille ».

La pensée confucéenne et l’éducation esthétique de Schiller

Au-delà des enseignements de Confucius, pour qui la poésie et la musique jouent un rôle crucial dans le développement du caractère, il est une autre figure clé de l’éducation esthétique en Chine : c’est le premier ministre de l’Education de la République de Chine, Cai Yuanpei, qui influença plus que tout autre le système d’éducation moderne. A l’âge de 15 ans, grâce à son extraordinaire intelligence et à sa diligence, Cai acquit le titre de xiucai, puis celui de jingshi neuf ans plus tard, pour devenir en 1894, à 26 ans, un bianxiu, le plus haut niveau académique de la dynastie Qing. Maîtrisant à l’excellence les textes classiques, il était connu pour son beau style classique. (...)

Cai était convaincu qu’il fallait faire évoluer la conscience du peuple pour garantir la survie de l’Etat et que cela ne pourrait se faire qu’en améliorant le contenu de l’éducation. Il commença donc par étudier les systèmes d’éducation japonais puis européens. Plus tard, il se rendit en Allemagne et en France, où il étudia l’histoire civilisationnelle et culturelle de l’Ouest à Leipzig de 1907 à 1911, avant d’être nommé ministre de l’Education par Sun Yat-sen en 1912.

Cai entreprit des études approfondies des écrits esthétiques d’Alexander Gottlieb Baumgarten, Emmanuel Kant et Friedrich Schiller, ainsi que du concept d’éducation de Wilhelm von Humboldt. En s’inspirant des excellents travaux de Wilhelm Windelband sur l’histoire de la philosophie et en étudiant directement Kant, Humboldt et Schiller, il comprit très vite que la conception de l’éducation esthétique de ce dernier était en parfaite affinité avec la morale confucéenne. Ainsi, le concept de « belle âme » de Schiller correspondait tout à fait à l’idée confucéenne du junzi. Il comprit en outre que Schiller abordait ces questions avec plus de clarté et d’un point de vue plus élevé que tous les philosophes antérieurs ou contemporains.

« La théorie d’ensemble de Friedrich Schiller et l’idée d’éducation esthétique ont apporté à tous une grande clarté, écrit Cai. A partir de là, l’idée européenne de l’éducation esthétique peut nous fournir beaucoup d’éléments à partir desquels développer notre propre compréhension du sujet. » Cai Jianguo cite ainsi Cai Yuanpei : « En Allemagne, l’éducation esthétique m’a beaucoup impressionné. Je veux utiliser tout ce qui est en mon pouvoir pour la promouvoir. » Cai inventa le terme chinois meiju, qui n’existait pas auparavant dans cette langue.

Rappelons que Schiller avait écrit les Lettres esthétiques en réaction à l’échec de la Révolution française. Il y affirme que toute amélioration dans le domaine politique ne peut venir que de l’ennoblissement de l’individu. L’Etat ne peut prospérer que si l’homme s’élève au-dessus du bonheur transitoire du monde des sens, s’il consacre ses efforts non seulement à lui-même mais à la communauté ; non seulement pour le présent, mais pour le futur ; pas pour le plaisir physique, mais pour la créativité spirituelle. Dans ses Lettres et dans d’autres écrits pionniers sur l’esthétique, Schiller explique pourquoi l’immersion dans le grand art classique permet de réaliser un tel ennoblissement.

Cai Yuanpei reconnut la cohérence frappante entre les enseignements de Confucius et l’esthétique de Schiller. S’immerger dans la poésie, la musique et la peinture pendant les heures de loisirs éveille un plaisir esthétique dénué de désir ou de rejet du monde sensible, qui forme le goût et ennoblit les émotions. La sensibilité esthétique embrasse la beauté et la sublimité, formant ainsi un pont entre le monde sensuel et la raison. Si tous les hommes ont une âme, tous ne sont pas capables d’accomplir de nobles et grands actions. On doit donc renforcer cette âme en l’ennoblissant.

L’influence durable de Cai Yuanpei en Chine

Cai rédigea les Thèses sur la nouvelle éducation et le Manuel de développement moral et personnel pour l’école secondaire, dans lesquels il qualifie la conscience humaine de guide essentiel du comportement. Dans un essai du 10 mai 1919, il écrivait : « Je crois que la racine des problèmes de notre pays réside dans la myopie de tant d’individus qui veulent un succès rapide ou de l’argent rapide, sans aucune pensée morale supérieure. Le seul remède est l’éducation esthétique. »

Rappelons qu’en tant que président de l’Université de Beijing, Cai assura la renommée scientifique internationale de cette institution, en reprenant de nombreuses propositions de Wilhelm von Humboldt, qui avait établi l’unité entre recherche et enseignement, et fixé pour objectif à l’université de Berlin la beauté du caractère. Vu le prestige de Cai, l’université de Beijing devint rapidement un pôle d’attraction pour de nombreux jeunes universitaires chinois revenant de l’étranger, et lui-même inspira de nombreuses autres écoles et académies d’arts.

La conception de l’Etat en tant que famille élargie, dans laquelle les intérêts de l’Etat doivent prévaloir sur ceux de chaque famille est, à mon avis, d’une grande importance pour comprendre la politique du président Xi Jinping et son idée de « Communauté pour l’avenir de l’humanité ». Car pour Cai, la prospérité de l’Etat était la condition préalable au bonheur des citoyens. Toutefois, les intérêts du monde, où résident tous les êtres humains, doivent également primer sur ceux de chaque Etat. Cai écrit : « Tant que la ‘grande communauté’ du monde ne sera pas réalisée, les intérêts de la société ne peuvent être identiques à ceux du monde. »

En outre, il soulignait qu’en respectant son devoir envers l’Etat, on doit veiller à ne pas contredire le devoir du monde. Il rêvait d’une « grande communauté » du monde entier (datong shijie) pacifique et harmonieuse, sans distinction de classe ni de frontières, sans armée ni guerre. Tous les êtres humains de cette communauté mondiale se comprendraient et s’entraideraient.

Cai considérait le « dialogue des cultures » comme la voie à suivre pour atteindre cet objectif : « J’ai souvent pensé qu’une nation doit nécessairement absorber la culture des autres peuples. C’est comme le corps d’un être humain, qui ne peut grandir sans respirer l’air du monde extérieur, sans manger ni boire. » Il voyait dans cette rencontre des cultures le préalable absolu du développement vers un stade supérieur : « Si on regarde l’évolution de l’histoire du monde, on se rend compte que la rencontre de cultures différentes conduit toujours à l’émergence d’une nouvelle. »

La possibilité de réaliser cette vision à l’avenir émerge de la dynamique et de l’esprit de la Nouvelle Route de la soie. Les principes devant déterminer « la bonne voie » pour le nouveau paradigme ne sont pas des axiomes statiques, mais relèvent des perspectives offertes par l’éducation esthétique de tous les êtres humains. Dans un monde où la politique économique repose, non pas sur la recherche du profit maximal et la plus grande satisfaction possible de la cupidité individuelle, mais sur la promotion optimale de la créativité humaine comme moteur d’un univers en développement anti-entropique ; où « l’ordre cosmique », en quelque sorte, inspire la vie politique, économique et culturelle, alors les rêves de Confucius, Schiller, Cai Yuanpei, Xi Jinping et Lyndon LaRouche seront les législateurs politiques de l’humanité. Comme Tagore l’exprima dans son célèbre dialogue avec Einstein : « Lorsque notre univers est en harmonie avec l’homme, nous ressentons l’éternel que nous connaissons comme la vérité, comme la beauté. »


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