« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Israël/Palestine
4 août 2025
Au fur et à mesure que les crimes de guerre commis par le régime Netanyahou s’accumulent et que ceux-ci portent sans ambiguïté les caractéristiques définissant juridiquement le génocide, toute perspective d’entente entre Palestiniens et Israéliens semble relever de l’illusion. Et pourtant ! Le futur pour la Israël et la Palestine ne pourra se faire qu’avec des hommes et des femmes qui, comme Maoz Inon et Aziz Abu Sarah, sauront reconnaître l’être humain dans le visage de l’autre, et choisir le seul « camp » qui vaille, celui de l’humanité.
Ce qui suit est une transcription éditée de l’interview de Maoz Inon par l’Institut Schiller du 30 avril 2025. M. Inon est un entrepreneur israélien spécialisé dans le tourisme et un militant pour la paix. Après avoir perdu ses deux parents lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Maoz Inon a commencé à travailler en étroite collaboration avec son ami et collègue militant pour la paix Aziz Abu Sarah — un Palestinien dont le frère avait été tué par des soldats israéliens — dans le but de redéfinir les relations entre leurs deux nations, et au-delà. Tous deux ont participé à des interviews et à des événements médiatiques à l’échelle internationale et sont devenus des défenseurs convaincus de la paix, de la réconciliation et du dialogue.
Ils ont participé à la création du groupe It’s Time, une coalition de 60 organisations israéliennes et palestiniennes œuvrant pour la paix. Au moment où cet entretien a été réalisé, le groupe se préparait à ce que Maoz Inon (à droite) et son ami, collaborateur et camarade palestinien, Aziz Abu Sarah, appelaient « la plus grande manifestation pour la paix de l’Histoire d’Israël et de la Palestine ». L’entretien a été mené par Gerald Belsky de l’Institut Schiller. Les sous-titres ont été ajoutés.
Gerald Belsky : Gerald Belsky, de l’Institut Schiller et de la Coalition internationale pour la paix. Je m’entretiens avec Maoz Inon, un célèbre militant israélien pour la paix dont les parents ont été tués le 7 octobre. Il se bat pour la paix, la réconciliation, le refus de la vengeance et la préférence d’un avenir. Maoz, pourriez-vous nous expliquer l’idée que vous vous faites de la paix, votre campagne et ce que vous faites aujourd’hui ?
Maoz Inon : Eh bien, Gerald, je suis très heureux, ravi et honoré d’être ici avec vous et votre coalition, devant votre public. J’espère que c’est le début d’un partenariat et d’une relation durable.
Gerald Belsky : Absolument.
Maoz Inon : Nous pensons que le changement se produit en cinq étapes : celles de la transformation d’un rêve en réalité. Aziz Abu Sarah, mon partenaire palestinien, et moi-même l’avons pratiqué dans nos vies antérieures d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs, et nous l’appliquons aujourd’hui au rétablissement de la paix. La première étape consiste à avoir un rêve ; sans vision, nous mourrons, c’est dans la Bible. Il nous faut donc avoir un rêve. Nous devons identifier notre socle commun et nos valeurs partagées. Notre partenariat pour la paix est fondé sur l’égalité et la dignité, la reconnaissance partagée, la réconciliation et la guérison, la sécurité et la sûreté. C’est sur ces valeurs que nous fondons notre rêve.
La troisième étape, sur laquelle je pense que nous sommes totalement d’accord, consiste à mettre en place une coalition. Parce que personne ne peut réaliser de grands rêves tout seul, nous devons former une coalition très puissante d’Israéliens et de Palestiniens avec un soutien international et des alliés. C’est pourquoi je suis ravi que nous soyons ici aujourd’hui.
La quatrième étape consiste à établir une feuille de route. C’est bien beau d’avoir entrevu la Terre Promise en rêve, comment l’atteindre sans savoir comment y arriver ? Nous devons donc disposer d’une feuille de route très détaillée. La cinquième étape consiste à passer à l’action, à commencer à exécuter la feuille de route que nous avons élaborée. Celle-ci reste très simple et se déroule en cinq chapitres.
Le premier est consacré au rêve. Au cours des 18 derniers mois, j’ai vécu une transformation spirituelle. Nous avons rencontré des dirigeants mondiaux, comme le défunt pape François, mais aussi d’autres dirigeants spirituels, des leaders religieux, des scientifiques. Nous avons appris que le seul moyen de changer la réalité est de commencer par rêver. Nous devons rêver, et nous devons être très fiers d’avoir un rêve. C’est le premier chapitre.
Le chapitre numéro deux consiste à amplifier notre rêve. Nous devons le crier, nous devons en parler. Nous devons le danser, nous devons le chanter, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’amplifier. Le chapitre trois consiste à légitimer le rêve. Légitimer la paix. Car ceux qui croient que la guerre c’est la paix, que les bombes apaisent et les combats sécurisent, ceux-là ont échoué comme nous l’apprend l’Histoire de l’Humanité. J’en suis la preuve. Pendant la guerre qui a détruit la maison de mes parents, la barrière la plus haute et la plus investie que l’humanité ait jamais construite ne se trouvait qu’à 200 mètres. Il a suffi de quelques minutes au Hamas pour la réduire en miettes, tuer mes parents et les brûler vifs. Seuls la diplomatie, la résolution des conflits, et la négociation peuvent assurer sécurité et sûreté. Nous devons donc le légitimer, car malheureusement trop de gens ont oublié la leçon la plus importante de l’Histoire.
Le quatrième chapitre consiste à changer de politique. La seule chose qu’on envoie aujourd’hui dans la région, au Moyen-Orient, ce sont des armes. Donc, c’est évident, qui sème les armes récolte le sang. Nous devons changer de politique, commencer à investir dans le dialogue, dans les initiatives de vie commune, dans la réconciliation. Le cinquième chapitre consiste à créer la volonté politique. La volonté politique de forcer les hommes politiques à s’asseoir dans une salle et à commencer à négocier. Nous devons nous assurer d’une stricte mixité de genre, parce qu’il a été prouvé que celle-ci porte les chances de succès à 40%. Nous devons nous assurer que seront présents non seulement des politiciens, des généraux et des avocats, mais aussi des leaders spirituels. Des gens de foi, des musiciens, des éducateurs, des experts en réconciliation. Ensuite, ils s’assiéront — quelques heures, ou jours, ou semaines — pour n’en sortir qu’avec la seule solution possible : la paix.
Gerald Belsky : Permettez moi de vous poser une question, Maoz. Il y a eu d’importantes manifestations en Israël contre Netanyahou, et notamment une manifestation récente à Tel Aviv qui m’a marquée, parrainée par l’un des membres de la coalition avec laquelle vous travaillez, Standing Together, où l’on brandissait des photos d’enfants palestiniens tués, et d’otages. Dans quelle mesure pensez-vous qu’en Israël l’opinion s’oriente vers la fin de la guerre et la collaboration à un processus de paix ?
Maoz Inon : J’ai participé à cette manifestation pacifiste. Avec ma sœur Marian, nous avons brandi la photo de deux enfants de Gaza, un frère et une sœur tués pendant la guerre. Le seul point positif de l’opinion, et du discours, est leur grande flexibilité. Ils changent vite. Le discours actuel est identique à celui qui prévalait quatre ans après la guerre du Kippour en 1973. La grande majorité des Israéliens juifs étaient alors opposés à toute négociation avec l’Égypte. Moshe Dayan disait alors qu’il valait mieux avoir le Sinaï sans la paix que la paix sans le Sinaï. Golda [Meir] ne voyait pas la paix possible de son vivant. Mais quand, quatre ans seulement après la guerre — la guerre la plus dévastatrice qu’Israël ait jamais connue, en prenant en compte la guerre actuelle — le président [égyptien] Sadate est venu en Israël, les enfants d’Israël brandissaient deux drapeaux — à Tel Aviv, à Beersheba, à Haïfa et à Jérusalem — le drapeau israélien et le drapeau du plus grand ennemi d’Israël jusqu’alors, le drapeau égyptien. Et le discours a changé du jour au lendemain. Le discours est donc très flexible.
Pour changer le discours, nous devons donc revenir aux cinq étapes : comment transformer un rêve en réalité, et au plan en cinq chapitres, qui est notre feuille de route pour y parvenir. Je dis — je sais, plutôt — que nous parviendrons à la paix d’ici à 2030 ; pas après. Il a fallu six ans à Israël, à partir d’octobre 1973, pour signer le traité de paix avec l’Égypte, notre ex-plus grand ennemi. Il faudra moins de temps, je crois, pour faire la paix, non seulement entre Israël et la Palestine, mais aussi entre Israël et l’ensemble du monde arabo-musulman. La seule question est de savoir ce qu’il nous faudra sacrifier. Combien de vies seront-elles perdues avant cette paix durable ? C’est pourquoi nous travaillons jour et nuit, 365 jours par an, pour la faire advenir le plus rapidement possible.
Gerald Belsky : Les concepts que vous avez promus en Israël et au niveau international lors de vos diverses apparitions, sont la réconciliation, une paix fondée sur le bénéfice mutuel, le pardon du passé et la préférence au futur — ce futur, dites vous, est le point de rencontre d’Israël et de la Palestine. Au sein de l’Institut Schiller, nous avons considéré ces principes comme la base de ce que nous appelons une nouvelle architecture de sécurité et de développement mondial. Les pays du Sud en sont actuellement les principaux sponsors. Mais nous estimons que les États-Unis et l’Occident devraient changer d’orientation et adhérer à ce nouvel ordre.
Cette idée, nous la défendons depuis des décennies : c’était celle de feu l’économiste Lyndon LaRouche — qui, soit dit en passant, a été traité d’antisémite pour l’avoir défendue. Dès 1975, il appelait à une paix entre Israël et la Palestine qui soit fondée sur le développement d’un intérêt mutuel commun à tous : l’eau. Il faut augmenter le débit d’eau pour deux États ; il faut favoriser le développement et irriguer les déserts, mettre en place des installations de dessalement (de préférence à l’aide de petits réacteurs nucléaires). Cette idée est actuellement débattue dans la région. Un grand journal égyptien vient de l’exposer dans le contexte du plan de reconstruction de Gaza proposé par l’Égypte.
Que pensez-vous de cette idée de paix par le développement ? Des bienfaits mutuellement partagés qui permettraient aux gens de se concentrer sur l’avenir ?
Maoz Inon : Encore une fois, c’est un outil formidable. Et des outils, il nous en faut beaucoup. Toute la boîte à outils, tout ce sur quoi nous pouvons mettre la main. C’est un outil formidable, et il ne s’agit pas seulement de l’eau, mais aussi de l’air et de la terre. Pendant que nous réalisons cette interview, un incendie fait rage entre Tel-Aviv et Jérusalem. L’autoroute 1 est totalement bloquée. Cela signifie qu’alors que nous sacrifions notre vie pour la terre, nous compromettons notre avenir en n’investissant pas suffisamment dans le changement climatique, l’approvisionnement en eau et les infrastructures qui nous permettront d’y vivre. Mais, je le répète, de nombreuses solutions existent.
On me demande parfois si je suis pour l’État unique, la solution à deux États, ou la création d’une confédération. La seule chose qui m’importe, ce sont les valeurs. Parce que deux États peuvent se faire la guerre — comme la Russie et l’Ukraine. Un État unique peut connaître un génocide en son sein, comme au Rwanda. Le plus important est donc que nous parvenions à un terrain d’entente sur des valeurs partagées ; et nous — pas seulement les Israéliens et les Palestiniens : nous, les êtres humains — avons tant de choses en commun, tant de choses en commun. Or les politiciens se nourrissent de la polarisation, de la division, de la haine et de la peur. Non content d’avoir pris notre passé et notre présent en otage, ils veulent aussi le faire pour notre avenir. C’est pourquoi nous devons nous unir, nous aligner et reprendre notre avenir en main. L’Humanité a prouvé dans le passé que oui, c’est possible. Elle doit le prouver à nouveau.
Comme vous l’avez dit, je me rends une fois par mois à l’étranger pour visiter, ou échanger. Il apparaît vraiment évident que toutes ces communautés — en Europe, aux États-Unis, or nous avons participé, Aziz Abu Sarah et moi-même, hier au Brésil à un très long webinaire — que toutes ces communautés, ces villes, ces nations importent le conflit israélo-palestinien. Il l’ont agrégé à leur identité. Êtes-vous pro-israélien ou pro-palestinien ? Sans être jamais allés en Israël ; sans être juifs ni musulmans. Mais cela devient une manière de se définir en tant que personne. Nous, nous n’argumentons pas, nous ne débattons pas : nous ne faisons que dialoguer. Et, leur demandons-nous, si Aziz et moi pouvons dialoguer, n’est-il pas évident que vous le pouvez aussi ? S’ils s’entêtent à rester en faveur d’un seul camp, alors oui, ils auront raison et le dernier mot : cette guerre est juste ! Ou : c’est un génocide ! Sionistes, antisionistes, c’est sûr : ils auront le dernier mot ; mais quel bien en sortira-t-il si des vies sont sacrifiées ?
Ainsi, s’ils veulent la Vie, s’ils veulent mettre fin à l’effusion de sang, il leur faut rejoindre le camp des artisans de la paix, le camp de la réconciliation, le camp de l’humanité.
Gerald Belsky : Les 8 et 9 mai prochains, vous dirigerez enfin et prendrez la parole lors d’un rassemblement à Jérusalem dans le cadre du Sommet des peuples pour la paix. Voulez-vous dire quelques mots à ce sujet ?
Maoz Inon : Bien sûr. Il s’agit d’une coalition que nous avons fondée il y a environ un an. La guerre n’avait que six mois [à l’époque] ; aujourd’hui, elle a 18 mois. Pour la première fois dans le camp de la paix israélo-palestinien, nous avons créé une coalition de plus de 60 organisations juives et arabes, israéliennes et palestiniennes, pour prendre part à trois actions, appels et valeurs majeurs : l’arrêt de la guerre, la conclusion d’un accord et le lancement du processus de paix. Nous témoignons encore et encore de notre existence, à l’heure où nos politiciens se complaisent dans l’effusion de sang. Nous disons non. Nous ne le permettrons pas ; nous allons promouvoir l’égalité, la réconciliation et la paix.
Nous nous regroupons ; nous attendons plus de 10 000 personnes. Nous avons loué la plus grande et la plus reconnue des salles couvertes dans le centre ville de Jérusalem. Nous avons des intervenants israéliens et palestiniens. Nous avons différentes tables rondes sur différents sujets, qui vont de la sécurité à la foi, en passant par l’eau, le climat, l’art, la musique et bien d’autres. Nous allons simplement témoigner de notre puissance grandissante et de l’élan que nous avons pris, montrer que nous sommes diversifiés, que nous sommes déterminés et que nous sommes unis. Même si beaucoup veulent nous séparer et nous diviser entre Israéliens et Palestiniens, nous témoignons que nous sommes du même côté, du côté de la justice, du côté de la réconciliation, du côté de la paix. Voilà ce que nous ferons la semaine prochaine à Jérusalem.
Gerald Belsky : Merci beaucoup, Maoz. Je pense que vos paroles sont très inspirantes pour les gens, et nous voulons absolument rester en contact avec vous.