« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Conférence internationale de Berlin - 12 et 13 juillet 2025
Session 2
18 août 2025
Dr Ali Rastbeen, président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Mesdames, Messieurs,
Au nom de l’Académie de Géopolitique de Paris, je vous remercie chaleureusement pour votre présence à cette conférence internationale. Avec nos partenaires de l’Institut Schiller et du Conseil des Associations d’Allemagne de l’Est, nous sommes honorés de vous accueillir à ce moment aussi critique pour la sécurité et l’équilibre mondial.
Votre présence témoigne de votre engagement à réfléchir ensemble à un ordre mondial plus juste, plus stable et véritablement inclusif.
I. Une crise régionale révélatrice du désordre global
Depuis plus d’un demi-siècle, le Moyen-Orient est le théâtre de conflits d’une intensité et d’une durée exceptionnelles. Depuis 1970, ces conflits ont causé environ quatre millions de morts : guerre civile syrienne, conflit au Yémen, affrontements israélo-palestiniens, opérations turques contre les Kurdes, tensions croissantes entre Israël et l’Iran.
Ces violences s’inscrivent dans une configuration géopolitique polarisée : • d’un côté, un axe pro-occidental formé par Israël, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ; • de l’autre, un « axe de résistance », composé de l’Iran, de la Syrie, du Hezbollah, des Houthis et du Hamas, souvent soutenu par la Russie.
Entre ces deux pôles, des États comme la Turquie, le Qatar ou l’Irak tentent de maintenir une autonomie relative, bien souvent fragile.
Cette rivalité est nourrie par des fractures confessionnelles, géopolitiques et idéologiques, et prolongée par des guerres par procuration, où la sécurité des populations est sacrifiée sur l’autel des influences et de la domination.
Mais au-delà des enjeux étatiques, la région est traversée par des dynamiques internes : une jeunesse éduquée, des mouvements civiques et féminins qui aspirent au changement. Les printemps arabes et les soulèvements de 2019 ont certes échoué à réformer les régimes, mais ils ont laissé des traces, des brèches, des espaces de résistance. Ce souffle démocratique est néanmoins affaibli par la répression, le népotisme, et la corruption, autant de causes de l’exil et du désespoir.
II. La question centrale :
Dans le contexte d’une recomposition de l’ordre international, caractérisé par la fragmentation normative, l’affaiblissement du multilatéralisme et la résurgence des logiques de puissance, quelles perspectives théoriques et pratiques permettent aujourd’hui de penser la paix au Moyen-Orient ?
Poser cette question aujourd’hui, c’est admettre que les anciens cadres de gestion des conflits ont échoué. C’est reconnaître que la paix ne viendra ni par les alliances militaires, ni par les bombardements dits « préventifs », ni par les compromis sécuritaires imposés d’en haut. Notre réponse doit être à la hauteur de l’histoire et des responsabilités : La paix ne pourra être pensée sans le droit, sans la justice, sans la souveraineté des peuples. Elle ne pourra exister que si les rapports de force sont encadrés par des règles communes, universelles et appliquées équitablement.
Elle exige une reconstruction de la confiance, fondée non sur la domination, mais sur la coopération et la reconnaissance mutuelle.
III. Les responsabilités des puissances et l’échec du multilatéralisme
Les puissances extérieures ont largement contribué à l’instabilité régionale : • L’Iran a renforcé un arc chiite par le biais de groupes armés ; • La Turquie poursuit ses ambitions régionales par l’intervention militaire ; • Israël multiplie les frappes sur la Syrie et Gaza ; • Les États-Unis, en retrait partiel, ont laissé un vide comblé par la Russie et la Chine, désormais acteurs géopolitiques incontournables au Moyen-Orient.
Les Accords d’Abraham, en normalisant les relations israélo-arabes, ont délibérément marginalisé la cause palestinienne, réduite à une variable d’ajustement dans une logique d’alliance sécuritaire contre l’Iran.
Pendant ce temps, le droit international s’efface. La Charte des Nations unies est fragilisée. Les interventions militaires unilatérales (en Serbie, Irak, Libye, Syrie, Ukraine) ont affaibli la légitimité de l’ONU et alimenté un ressentiment profond dans les sociétés du Sud.
La Syrie, stabilisée au prix de l’intervention militaire russe, est devenue le symbole de la faillite du multilatéralisme. Et le conflit ukrainien illustre encore davantage ce basculement vers un monde multipolaire, où les règles sont en compétition avec la force brute.
IV. Le silence coupable face aux violations actuelles
Aujourd’hui, l’Europe reste silencieuse, voire complice, face aux opérations militaires israélo-américaines. Depuis octobre 2023, la Palestine a perdu plus de 60 000 vies. En Iran, plus de 1000 morts en douze jours de frappes, dont certaines ont visé des prisons où étaient détenus des ressortissants européens, et d’autres des infrastructures nucléaires civiles, en violation du droit humanitaire.
Ces actes ne peuvent être justifiés. Ils doivent être fermement condamnés. L’Iran a réagi officiellement, invoquant la résolution 2231 et l’article 51 de la Charte des Nations unies pour affirmer son droit à la légitime défense. Il réclame l’application de l’article 39, pour que les États responsables soient désignés et contraints à réparation.
V. Une architecture de paix : inclusive, multilatérale, fondée sur le droit
Il est temps de repenser en profondeur l’architecture régionale. Aucun pays, aucune coalition, ne peut imposer la paix.
La paix ne se décrète pas, elle se construit.
Elle doit s’appuyer sur trois piliers :
1. Le droit international comme fondement inaliénable ; 2. La souveraineté des États, sans double standard ni ingérence sélective ; 3. L’inclusion de tous les acteurs régionaux, y compris l’Iran, dont la stabilité est essentielle. La multipolarité, si elle n’est pas accompagnée de normes partagées, ne sera qu’un chaos désordonné. Elle ne deviendra une chance pour la paix que si elle permet l’émergence d’un équilibre coopératif, non conflictuel.
Et surtout, ce sont les sociétés civiles, les jeunes, les femmes du Moyen-Orient qui portent les germes du changement. Ce sont elles qui incarnent la paix à venir. Encore faut-il leur donner les moyens de l’exprimer.
Conclusion : la paix comme responsabilité partagée
Le Moyen-Orient n’est pas un simple champ de bataille. Il est un miroir, un test de cohérence pour l’ordre international. Ce qui s’y joue nous concerne tous : sécurité énergétique, migrations, terrorisme, rivalités de puissance.
L’Iran, selon une formule célèbre, est un verrou géopolitique : « Pas de paix sans l’Iran ». Mais c’est l’ensemble du système régional qu’il faut repenser : une architecture juste, inclusive, multilatérale, fondée sur la souveraineté et le droit.
Nous ne devons plus instrumentaliser les droits humains, mais les défendre dans leur universalité. Nous ne devons plus tolérer l’injustice, mais construire des solidarités. La paix au Moyen-Orient n’est pas une illusion.
Elle est une nécessité.
Et surtout, elle est une responsabilité partagée.