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6 juillet 2020
Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès, ancien candidat à l’élection présidentielle
Nous sommes tous conscients que les deux premiers droits de l’homme à défendre sont le droit à l’alimentation et à une bonne santé, afin que chacun puisse contribuer pleinement au bien commun et à l’avenir de nos sociétés. Si l’on regarde le monde tel qu’il est, on doit reconnaître que ces deux droits de l’homme élémentaires sont constamment bafoués et que les politiques des principaux États et institutions, à quelques remarquables exceptions près, nous conduisent vers un monde bien pire que l’actuel.
Nous sommes sur le point de devenir inhumains. La question n’est donc pas de se perdre en commentaires ou de se plaindre, mais d’agir pour y remédier. C’est pourquoi nous sommes ici : pour mobiliser le meilleur de nos cultures et de nos nations afin d’engendrer un monde où, contre vents et marées, les véritables pouvoirs créateurs de l’humanité vont prospérer.
Cela commence par la production alimentaire, qui unit tous les peuples au-dessus et au-delà des barrières culturelles et linguistiques. Il peut paraître banal de le dire, mais le fait que nous y soyons contraints moralement et économiquement reflète précisément la condition inhumaine dans laquelle nous sommes plongés, avec la menace de voir plus de cent millions de nos semblables mourir de faim dans les mois à venir, alors que les agriculteurs sont piégés dans un monde malthusien où ils ne peuvent littéralement plus respirer.
Si nous partons de ce dont l’humanité a besoin, en tenant compte des exigences d’une alimentation adéquate en quantité et en qualité, d’une autosuffisance alimentaire pour tous et de la nécessité impérative de créer des stocks alimentaires, nous devons d’abord doubler la production mondiale. Produire 5 milliards de tonnes de céréales implique de plus que doubler la récolte mondiale actuelle.
Aux États-Unis, on entend dire : « Nous, agriculteurs américains, nous pouvons nourrir le monde. » En Europe, on entend la même chose : « Nous, agriculteurs européens, pouvons nourrir le monde. » Et partout dans le monde, on proclame : « Nous pouvons également assurer notre sécurité et notre souveraineté alimentaires. » Qu’en est-il, en fin de compte ?
D’abord, le monde entier est dirigé par la dictature financière de Wall Street et de la City de Londres, qui ne soucie nullement des gens et, en fait, promeut ouvertement la dépopulation mondiale. Incapables, selon leurs propres termes, de conserver leur pouvoir et de nourrir le monde en même temps, ils préfèrent garder le pouvoir et envisager un monde peuplé de moins de deux milliards d’êtres humains. Ils laissent à leurs idéologues la tâche de promouvoir cette vision, aussi bien sous des couleurs noires que « vertes ».
Deuxièmement, les ramifications de cette dictature financière, c’est-à-dire les cartels alimentaires et agricoles, dominent ou contrôlent toutes les chaînes de transport, de distribution et de vente de denrées alimentaires. Ce sont également eux qui possèdent la plus grande partie des terres cultivables.
Troisièmement, une idéologie anti-productiviste est promue parmi les populations urbaines dans les secteurs de l’économie de services, majoritaire en nombre dans les pays occidentaux, pariant à la fois sur leur ignorance de ce qu’est une vie productive et sur leur pessimisme culturel, induit par les médias et l’industrie du divertissement. De même qu’il n’y avait pas de stocks de masques ni de tests dans nos États occidentaux pour faire face à la pandémie de coronavirus, il n’y a quasiment plus de réserves de céréales pour faire face aux pénuries alimentaires : l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC) et les cartels ont laissé le marché s’en charger. Ainsi, la Chine dispose pour sa consommation d’un stock de céréales pour un an, la Russie pour 6 mois, les Etats-Unis pour beaucoup moins et l’Union européenne au mieux pour 45 jours !
Dans le cadre de son « Green Deal », la Commission européenne a décidé de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides, de 20 % l’utilisation d’engrais et de 50 % celle des antimicrobiens pour le bétail et l’aquaculture. Elle prévoit de réserver 25 % des terres à l’agriculture biologique contre 7,5 % aujourd’hui. Sous prétexte de prendre soin de nous, ils obéissent à leurs véritables maîtres financiers et réduisent les moyens de production sans fournir la moindre alternative pour nous nourrir.
Il est criminel de ne pas maintenir de réserves alimentaires. Il est criminel d’avoir fait baisser les prix agricoles en dessous du coût de production. Il est criminel d’avoir dressé les producteurs du monde les uns contre les autres pour faire baisser les prix qui leur sont payés au profit des cartels mondiaux de céréales, viande, semences, produits de la mer, etc.
Il est criminel que les pays les plus pauvres subissent 70 % de pertes après leurs récoltes, à cause de l’absence de chaîne du froid et de silos les protégeant contre les rongeurs. Il est criminel de contraindre ces pays à payer davantage pour le service de la dette envers les organismes financiers, que pour construire et entretenir des hôpitaux ou des écoles. Comme Lyndon LaRouche l’a dit à plusieurs reprises, le modèle de la Compagnie britannique des Indes orientales, une organisation privée, s’est répandu dans le monde entier, contrôlant les chaînes de production, de transport et de commerce.
Cette crise doit donc devenir l’occasion de reconnaître le droit absolu de produire de la nourriture et de se débarrasser du monopole des cartels. Bien entendu, cela ne peut se faire comme une chose en soi. Cela exige qu’on prive ces cartels de leurs financements en provenance de Wall Street et de la City de Londres, c’est-à-dire de l’Empire britannique. En ce sens, les politiques criminelles appliquées dans le domaine de l’alimentation et de la santé, révèlent aux peuples le sommet visible de l’iceberg de l’oligarchie et deviennent, à cette occasion, notre principale arme pour les combattre. Pour leur faire comprendre que se battre pour une nouvelle loi Glass-Steagall de séparation bancaire, une politique publique de crédit, une Banque nationale, n’est pas une question technique mais une question très concrète de vie ou de mort. Le système financier en vigueur ne peut se maintenir que par un ordre public injuste, qui a muté en système de chaos et de désordre, basé sur une « bulle de tout » qui tue de plus en plus en se gonflant.
C’est pourquoi nous devons repenser comment inspirer une stratégie basée sur les « quatre principes » de Lyndon LaRouche, car ils représentent l’architecture unificatrice d’un changement. Plus concrètement, c’est la seule issue de secours pour échapper à l’incendie qui se propage.
En tant qu’Européen de l’Ouest, je me sens obligé de vous parler de quelque chose qui avait bien commencé, mais a échoué parce que son environnement n’était pas modelé par un principe cohérent correspondant aux « quatre principes » de Lyndon LaRouche : je parle de la Politique agricole commune (PAC) européenne, lancée le 30 juillet 1962.
Elle avait quatre objectifs : • augmenter la productivité ; • assurer un niveau de vie correct aux producteurs de denrées alimentaires ; • établir une sorte de prix de parité incluant le réinvestissement ; • garantir l’approvisionnement alimentaire ainsi qu’un prix raisonnable pour les consommateurs.
La PAC fonctionna pendant une trentaine d’années sur la base d’un marché unique autosuffisant, avec une priorité productive liée au progrès industriel (tracteurs modernes, engrais, pesticides, etc.), associée à une solidarité financière et une préférence communautaire. Les aides et soutiens financiers étaient accordés sous la forme d’un prix minimum garanti au producteur, appelé « aides indirectes ». En conséquence, les membres du Marché commun (comme on l’appelait à l’époque) parvinrent à l’autosuffisance et l’Europe occidentale devint le deuxième exportateur mondial de denrées alimentaires. Les exploitations agricoles connurent une croissance modérée et l’ensemble du secteur agricole vécut une période de prospérité relative, malgré sa profonde et rapide transformation.
Aujourd’hui, nous voyons tous les agriculteurs européens qui protestent désespérément, otages des banques et vivant de subventions. Ils se sont endettés, travaillent dur et gagnent très peu, leurs enfants abandonnant la ferme pour aller vivre en ville. Que s’est-il passé ?
Tout d’abord, sous la pression de la déréglementation financière mondiale, la politique agricole commune fut modifiée dans les années 1990, période caractérisée également par la désindustrialisation et la dérégulation bancaire, en France mais aussi dans toute l’Europe occidentale. Les aides indirectes basées sur la garantie des prix furent remplacées par des aides dites « directes », proportionnelles à la surface des exploitations. Cela fut mis en œuvre sous la pression de l’Organisation mondiale du commerce, sous prétexte d’éviter les « distorsions de prix ». En conséquence, les aides, découplées de la production, bénéficièrent surtout aux grands propriétaires terriens tels que la reine d’Angleterre, le prince de Monaco et le duc de Kent, tandis que les agriculteurs petits et moyens étaient pris à la gorge par la baisse des prix et la diminution des aides. Leur seul choix était soit de partir, soit de se faire étrangler encore davantage par les banques, notamment celle des agriculteurs, le Crédit agricole, devenue une banque comme les autres et pire encore pour ses anciens clients ! Le budget de l’Union européenne pour l’agriculture fut réduit en pouvoir d’achat et diminua en pourcentage du budget total de l’UE. Ajoutez à cela la vulnérabilité de tous les producteurs au système des taux de change flottants, où les moyens et petits coulent et où les grands deviennent plus des experts du marché de Chicago que de vrais agriculteurs !
Aujourd’hui, on parle surtout de remplacer les aides directes basées sur les surfaces agricoles, par des « aides à l’environnement et au climat », dont seuls les très gros producteurs peuvent bénéficier. Il s’agit d’une politique de désertification et d’exode agricole, dans un contexte de dépopulation au nom d’une idéologie « verte ». Dans le cadre de ce système, il est proposé quelques sparadraps, qui peuvent être relativement utiles mais ne sont pas de nature à changer la situation. Par exemple, il est proposé que la répartition des aides soit basée non pas sur la surface des exploitations, mais sur le nombre de personnes qui y travaillent. D’autres demandent des stocks de sécurité alimentaire contre l’instabilité des marchés, des prix équitables et des mesures pour lutter contre la faim dans le monde. De bonnes intentions, mais rien qui réponde à la profondeur du défi.
Notre engagement est précisément de le faire, d’aller à la racine du problème. La politique agricole commune a échoué parce qu’elle ne s’est pas occupée de son environnement global. Même chose pour les prix de parité aux États-Unis. De telles mesures ne peuvent aboutir dans un système qui crée toutes les conditions pour aller en direction opposée. En outre, même dans ses meilleures années, la politique agricole commune était essentiellement défensive, en termes français, une sorte de ligne Maginot condamnée à l’échec sous les attaques de flanc ou venues d’en haut. Bien qu’ayant temporairement résolu la crise alimentaire en Europe occidentale, elle n’a rien fait pour organiser les marchés et les stocks alimentaires au niveau nécessaire d’une alliance entre nations du monde.
Il est clair qu’avec ces quatre principes de Lyndon LaRouche, pris non comme un mantra mais comme une feuille de route pour la lutte, nous avons les moyens de rompre avec les règles du jeu existantes. Mais pour cela, nous devons inspirer et faire pression sur les peuples du monde pour qu’ils fassent à leur tour pression sur leurs gouvernements. C’est pour chacun d’entre nous une question de vie ou de mort. Et on ne pourra l’emporter qu’avec un esprit de vainqueur, avec un engagement tenace renouvelé chaque matin.
C’est pourquoi, en guise de conclusion, je voudrais vous parler de deux choses.
D’abord sur ce qui peut inspirer. Il y a les quatre principes de LaRouche comme référence à explorer, en relevant les défis qu’ils posent. Il y a leur application dans nos deux derniers programmes : « Construire un système de santé mondial maintenant ! Une mission Apollo pour vaincre la crise pandémique mondiale » et, en allant encore plus loin, le plan LaRouche pour relancer l’économie américaine, « Le monde a besoin de 1,5 milliard de nouveaux emplois productifs ».
Ce n’est que par cette vision globale — loin de tout esprit de clocher — basée sur un développement dynamique, que nous pouvons inspirer nos concitoyens, aujourd’hui noyés sous un flot d’informations et constamment confrontés à des situations les conduisant à des échappatoires émotionnelles. C’est par notre exemple personnel, et un sens tenace de responsabilité, que nous pouvons les amener à devenir des dirigeants politiques libres.
Deuxièmement, je voudrais vous présenter un exemple directement lié à notre sujet : c’est celui des Maisons familiales rurales (MFR), un projet lancé par l’Abbé Granereau, un curé de campagne qui introduisit une nouvelle façon d’apprendre dans les zones rurales françaises et au-delà. Il existe aujourd’hui 432 de ces Maisons rurales en Europe, 112 en Amérique latine, 118 en Afrique (Mauritanie, République démocratique du Congo, Guinée...) et dans l’Océan Indien, et quelques-unes en Asie. En France, cet enseignement est géré en association avec l’Etat et les collectivités locales.
L’abbé Granereau était un fils de paysans qui, très tôt, remit en cause à la fois l’organisation napoléonienne et pyramidale du système éducatif français, et le fait que l’enseignement public conduisait les meilleurs fils de paysans à abandonner l’agriculture, quitter la campagne et, bien souvent, rompre avec leur milieu traditionnel. Il décide de résoudre le problème en lançant un nouveau système de son cru, que les familles peuvent s’offrir et qu’il appelle, pour les inspirer, « Notre-Dame de la révolution sociale ».
Son idée était que les élèves en âge de fréquenter le lycée suivent une formation professionnelle une semaine par mois, non loin de leur domicile, dans un foyer d’enseignement dirigé conjointement avec les familles puis, plus tard, avec les enseignants. Pendant les trois semaines restantes, les élèves avaient deux heures de devoirs à faire par jour.
Le programme se déroulait de novembre à avril, afin que les parents puissent avoir leurs enfants auprès d’eux le reste du temps pour travailler à la ferme. L’enseignement était payé par les parents et le statut de l’élève était celui d’un apprenti. La clef de son succès était la responsabilité associative des familles, l’intégration familiale, le respect de la personnalité individuelle de chaque élève ou étudiant, et la promotion d’actions de développement social : visites de fermes utilisant des outils modernes, des tracteurs ou des engrais. Granereau commença en 1935 avec trois agriculteurs engagés pour soutenir son projet et quatre apprentis. Et il parvint en une trentaine d’années à changer le destin du monde rural et à éviter, à l’époque, son avilissement.
Le secret de sa méthode était d’être très rigoureux, tout en responsabilisant les étudiants. Pour chaque activité, l’un d’entre eux était désigné comme responsable de tous les autres. Son rôle était de donner à tous un enseignement de bon niveau, redonnant leur dignité à ses frères agriculteurs, et une connaissance des nouvelles méthodes de production dans le cadre d’une éducation du caractère. Pour Granereau, un bon agriculteur devait être ce qu’il appelait « un scientifique de la terre ». Lorsqu’il avait un nombre suffisant d’élèves et d’étudiants, il séparait les fonctions d’enseignement, sous la direction d’un bon et dévoué professeur du lycée agricole de Purpan, à Toulouse, de celles d’orientation, dont il était responsable à plein temps. Granereau voulait façonner des « dirigeants paysans » pour entrer dans le nouveau monde à venir avec des principes chrétiens. Il inventa, en cours de route, une méthode active basée sur l’exploration, la coopération, la participation et la confiance mutuelle. Il fit évoluer son système lui-même durant toute sa vie : il créa une section pour les jeunes femmes et jeunes filles, puis organisa une école mixte, en promouvant soigneusement le respect mutuel des deux sexes, et ouvrit enfin ses écoles à toutes les familles, comprenant que la notion de famille et de respect mutuel était essentielle et dépassait les affiliations religieuses. Cela choqua beaucoup de gens, mais lui en était ravi.
Je suis convaincu qu’une telle approche, basée sur le respect de chaque individu et le service de l’autre, devrait être prise en considération pour inspirer nos méthodes d’éducation. Non pas en la copiant purement et simplement, bien sûr, mais en suivant son esprit d’exploration et de créativité. Dans les pays où la culture agricole est ancienne, comme en Afrique, cela pourrait servir de modèle pour assurer la transition du travail agricole, comme ce fut le cas en France.
L’expérience de Granereau est également une bonne référence pour changer les choses. Nous devrions nous-mêmes réfléchir beaucoup plus à ce que LaRouche a fait au départ : rassembler quelques personnes dans un projet pilote, non pas en abordant des questions académiques mais en s’attaquant, depuis le sommet, aux principaux défis de notre temps, envoyant partout des mémos et lançant continuellement des débats. C’est alors que l’on ressent la plus grande excitation à discuter et à enrichir un programme, et surtout à le faire exister. Allons-y !