« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Afrique du Sud

A Johannesburg, la vague de fond des BRICS

15ème sommet des BRICS

29 août 2023

Editorial de la Lettre hebdomadaire de l’Institut Schiller - n° 68

Le 15ème sommet des BRICS qui vient de s’achever à Johannesburg, en Afrique du Sud, a prouvé qu’un nouveau monde est en train d’émerger. L’intérêt considérable pour le type de développement économique concret proposé par les BRICS a conduit à une augmentation du nombre de participants et à l’arrivée de nouveaux membres pour la première fois depuis 2010, y compris - outre l’Argentine et l’Egypte - l’Arabie saoudite et l’Iran qui, il y a six mois encore, n’avaient plus de liens diplomatiques entre eux.

En dépit de cela les médias occidentaux on fait entendre, ad nauseam, la petite musique du « ça ne marchera pas » « il y a trop de différences », « ce n’est qu’une tentative désespérée des autocrates Poutine et Xi », etc. Comme l’a d’ailleurs déclaré le président brésilien Lula le 21 août : « Beaucoup ont dit que les BRICS étaient trop différents pour former une vision commune. Mais l’expérience démontre le contraire. Notre diversité renforce la lutte pour un nouvel ordre qui tienne compte de la pluralité économique, géographique et politique du 21e siècle ». Et, à Johannesburg, le ton était bien à l’unisson avec Lula, avec un thème qui revenait dans toutes les discussions : « Les hégémonies néocoloniales sont révolues, se profile aujourd’hui un avenir exigeant la souveraineté et l’égalité pour tous ! »

Ce qui s’est déroulé à Johannesburg est à placer dans la continuité de l’esprit de Bandung et des non-alignés, une bataille à laquelle Lyndon LaRouche et l’Institut Schiller ont été historiquement associés. En évoquant les objectifs et le rôle de Bandung, lors d’une réunion consacré au dialogue entre les BRICS et l’Afrique, l’hôte du sommet, le président sud-africain Ramaphosa ne pouvait être plusclair : « nous nous souvenons de la conférence de Bandung de 1955, au cours de laquelle les nations asiatiques et africaines ont demandé que les pays en développement aient davantage voix au chapitre dans les affaires mondiales. La conférence a appelé à la reconnaissance de l’égalité de toutes les nations, grandes et petites. Nous partageons toujours cette vision commune d’un monde juste et équitable ».

L’attitude calme mais passionnée des nations du Sud - exprimée tout au long du sommet des BRICS - se heurte toutefois, de la part des dirigeants occidentaux, à un mélange de sidération et d’aveuglement, sans qu’ils paraissent comprendre que l’histoire les reléguera dans ses oubliettes s’ils se montrent incapables de revoir leurs présupposés et de répondre aux demandes de la majeure partie du monde.

Les remarques de la présidente de la Nouvelle banque de développement (NDB) des BRICS, Dilma Rousseff, ont mis cette réalité sur la table. « Aujourd’hui, la NDB est une banque bien capitalisée avec un très faible effet de levier, et elle a toutes les conditions pour étendre son rôle en tant qu’outil important pour mener à bien les projets de développement durable dont nos pays ont besoin », a-t-elle déclaré. La banque des BRICS, qui insiste sur sa position de ne pas imposer de « conditionnalités onéreuses », est en train de devenir un prêteur légitime pour le développement des nations, en dehors du contrôle du système financier dominé par l’Occident.

Quant à la réponse de la Maison Blanche à cette situation, elle peut se résumer à deux mots : embarrassante et déconnectée. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a annoncé que le président Biden se rendrait en Inde pour le sommet du G20 du mois prochain afin de « réaffirmer l’engagement des États-Unis envers le G20 en tant que principal forum de coopération économique au niveau mondial ». Manifestement inquiet du sentiment croissant manifesté par les BRICS et les pays duSud, M. Sullivan a ajouté que « nous devons nous assurer qu’il existe des solutions de haut niveau et à fort effet de levier pour relever les défis auxquels les pays sont confrontés, et une manière d’en avoir le plus pour notre argent c’est avec la Banque mondiale et le FMI ».

Il est toutefois à parier que les humeurs des Occidentaux seront progressivement reléguées au rang de souci cadet pour les pays des BRICS, entièrement tendus vers la résolutions d’enjeux majeurs. Dans ce contexte, il faut noter que la vague de fond des BRICS a également touché la question stratégique de l’éducation. Lors du sommet des ministres de l’Éducation des BRICS, qui s’est tenue au mois de juillet, et sous l’impulsion de la Russie et de l’Afrique du Sud, les responsables de ces pays ont manifesté leur intention de créer leur propre palmarès en matière d’éducation, précisant au passage, selon Sputnik du 17 juillet, que « ce projet ne souffrira d’aucune influence ».

Cette décision, d’une grande portée pour le futur, est à comprendre dans le cadre des enjeux que représente les classements internationaux des universités, à l’image du fameux « classement de Shangaï ». Pour Konstantin Moguilevsk, le vice-ministre russe de l’Education et des Sciences, « Les universités russes font face à des restrictions de leur participation aux classements internationaux existants pour des raisons politiques ».

Alors que dans le monde transatlantique la tendance est ainsi à exclure la Russie de toute participation internationale, les BRICS, soucieux de s’affranchir d’une dérive arbitraire, ont finalement choisi, de rompre avec les règles du jeu établies par les occidentaux, basées sur le quantitatif et le financier en donnant la priorité aux « indicateurs qualitatifs » d’un classement international des universités, favorisant « les données objectives et jouissant d’une confiance universelle ».

Cette initiative est à rapprocher des intentions précédemment affichées par le Président Xi-JinPing qui, à l’occasion d’une visite à l’Université du peuple, à Pékin, en 2022, avait insisté sur le fait que son pays devait définir par lui-même quel étaient les critères favorisant la qualité de l’enseignement menant à l’excellence les étudiants dans les établissements du pays.

Peu de temps après, de prestigieuses universités chinoises avaient manifesté leur réticence à continuer de figurer dans les classements internationaux issus du calibrage opéré par les pays occidentaux.

Le remarquable succès de la mission spatiale indienne, en plein milieu du sommet, a donné un avant-goût du potentiel énorme des BRICS, un potentiel qui sera au service de l’humanité. Comme l’a souligné le Premier ministre indien Narendra Modi à l’annonce du récent alunissage de Chandrayaan-3, le rover lunaire, sur le pôle sud de la Lune, il ne s’agit pas seulement d’un succès pour l’Inde, « ce succès appartient à toute l’humanité ».

« Aucune montagne ne peut arrêter le flot déferlant d’un fleuve puissant », a déclaré Xi Jinping dans son discours de clôture. Plutôt que de prétendre « tenir le fleuve en laisse » ou de vouloir l’arrêter, les nations du « Nord global » doivent unir urgemment leurs efforts à ceux des BRICS, pour mettre en place un ordre économique meilleur et plus juste, pour tous.


La lettre de l’Institut Schiller
n° 68 - 26 août 2023
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