« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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15 septembre 2018
par Odile Mojon
Ulf Sandmark et Odile Mojon, respectivement représentants de l’Institut Schiller pour la Suède et pour la France, se sont rendus en Syrie dans le cadre de la 60ème Foire internationale de Damas qui se déroulait du 6 au 15 septembre. Répondant à l’invitation du ministère syrien du Tourisme, des délégations d’une dizaine de pays – dont celle de l’Institut Schiller – ont ainsi pu visiter les stands et multiplier les échanges avec les exposants, petits entrepreneurs, responsables de grosses entreprises ou simples citoyens. Cet événement revêtait une portée d’autant plus symbolique qu’il s’agissait de sa deuxième édition consécutive après une interruption de six ans, une dimension expliquant l’afflux considérable de visiteurs. Embouteillages, foule, files d’attente ; si l’on réalise que le site où se tenait la foire était, il n’y a pas si longtemps encore, une zone de combat, on mesure le chemin parcouru et le désir palpable de tourner la page, de vivre et de préparer l’avenir.
Sur les quarante-huit pays participant cette année à la Foire, les BRICS étaient présents ainsi que plusieurs pays situés sur l’ancienne Route de la soie, qui voient en la Syrie – de par son histoire et sa situation géographique – une nation ayant un rôle central à jouer dans l’Initiative la Ceinture et la Route. L’absence des pays occidentaux, à l’exception d’une société américaine et d’une autre allemande, n’en était que plus significative.
Notre visite nous a permis de constater combien l’industrie syrienne, bien qu’ayant endurée de grosses destructions, dispose d’atouts certains et, en plus des entreprises d’Etat, peut compter sur un réseau de petites et moyennes entreprises très actives. Depuis le textile, jusqu’à la viticulture en passant par la pétrochimie, elles arborent une vitalité indispensable à la reconstruction comme l’a illustré une discussion avec le patron d’une PMI ; malgré les dégâts infligés par la guerre, le pillage de ses équipements par les terroristes et, in fine, la nécessité de déménager, celui-ci manifestait avant toute chose la satisfaction et la fierté d’avoir réussi à relancer sa production depuis lors.
En marge de la foire, notre délégation a également eu l’opportunité de se rendre à Homs, Alep et Palmyre. La dévastation dans les zones encore récemment contrôlées par les terroristes est choquante. Toutefois, on peut voir un peu partout des travaux en cours pour réparer les immeubles, déblayer les décombres et enlever les équipements militaires détruits. L’effort mis à reconstruire les infrastructures de base et notamment le réseau routier témoigne de la volonté d’impulser une dynamique de reconstruction et de la conscience que le facteur temps est décisif.
Car, même si la Syrie se présente aujourd’hui comme un pays très largement pacifié, la proximité de la guerre n’en reste pas moins perceptible, ne fût-ce qu’au travers des nombreux postes de contrôle militaire sur les routes. Les déclarations des pays occidentaux – au moment même où se déroulait cette visite – sur le risque d’un attentat chimique à Idlib, attribué par avance au gouvernement syrien, rappelaient là aussi, que le destin de la Syrie est dépendant d’enjeux géopolitiques ne la concernant pas directement et qui se jouent en dehors de ses frontières.
Dans l’immédiat, c’est l’urgence de la reconstruction qui transparaît partout, dans chaque village traversé comme dans les allées de la foire de Damas. Et partout, l’on voit la population s’y impliquant, quand bien même avec les moyens du bord, en anticipant une paix qui semble désormais à portée de main.
La mobilisation de la population sera d’ailleurs un élément clef de l’après-guerre, notamment pour ce qui est du processus de réconciliation. C’est en se donnant un dessein commun autour de la reconstruction de leur pays que les Syriens pourront retrouver une unité et se projeter dans l’avenir. Là encore, la Syrie a des cartes à jouer. N’oublions-pas qu’elle est un pays laïc, multiconfessionnel et bénéficie d’un haut niveau d’éducation. Malgré les séquelles auxquelles il faut s’attendre après la forte baisse du taux de scolarisation pendant les sept dernières années, on peut aujourd’hui considérer la situation comme revenue en grande partie à la normale, au moins pour le primaire, avec la reprise régulière des classes. A l’heure de la sortie de l’école, on croise d’ailleurs fréquemment les enfants dans leur uniforme bleu rentrant en groupes chez eux.
L’importance accordée à l’éducation, et notamment l’éducation scientifique, transparaît dans le nombre des ingénieurs, hommes et femmes, qui ont été formés. Beaucoup d’entre eux ont dû fuir à l’étranger (notamment en Suède ou en Allemagne) où, le plus souvent, ils ont trouvé aisément un emploi qualifié et contribuent ainsi à la prospérité de leurs hôtes. Si ces expatriés retournent dans leur patrie, ils auront - comme rançon de leur infortune - bénéficié d’une expérience qu’ils pourront mettre à profit. L’un des enjeux sera donc de faciliter le retour des exilés, de permettre à ces familles de retrouver un toit et d’apporter leur contribution au processus de reconstruction. D’autres, parmi ces diplômés de l’éducation supérieure, ont dû se replier sur des emplois sans rapport avec leur formation, et les besoins du pays, comme cette femme ingénieure en mécanique, travaillant dans un emploi de service. Il est bien clair que ces personnes constituant une main d’œuvre jeune, qualifiée et motivée, sont appelées à jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction.
Alors, reconstruire, bien sûr, mais avec qui ? Si la délégation de l’Institut Schiller a appelé dans plusieurs interviews la communauté internationale à soutenir la reconstruction, il n’en reste pas moins que le soutien politique, quand ce n’était pas le financement et l’armement direct par les puissances occidentales et l’Arabie saoudite de dizaines de milliers de terroristes, rend la participation de celles-ci difficilement envisageable.
Autre question : comment financer une reconstruction dont on estime qu’elle pourrait atteindre les 1000 milliards d’euros, compte tenu de l’ampleur des destructions ? Lors d’une émission sur la politique économique retransmise en direct à la télévision, Ulf Sandmarck mit en garde contre une trop forte dépendance envers les investissements étrangers, prônant plutôt la création d’un système de crédit national pour couvrir la plupart des besoins locaux. Il insista également sur l’importance de protéger la production nationale, notamment dans le domaine agricole, à mesure de la reconquête et du repeuplement des territoires libérés.
La Syrie, qui doit probablement en partie sa survie à son non-endettement lorsque la guerre a éclaté, doit faire preuve de beaucoup de prudence quand aux intentions d’éventuels investisseurs, et c’est bien ce qui l’amène à étudier avec attention les propositions de la Chine.
Le concept des Nouvelles Routes de la soie est, légitimement, à l’agenda et ce n’est pas un hasard si le ministre du Tourisme, l’ingénieur Besher Yashji, a reçu avec un intérêt renouvelé la mise à jour du dossier spécial de l’Institut Schiller « Etendre la Nouvelle Route de la soie vers l’Asie occidentale et l’Afrique », que lui avait déjà remis Ulf Sandmark lors de sa précédente visite.
Aujourd’hui la guerre est gagnée ; reste maintenant à gagner la paix.
De Damas, à Homs, Alep et Palmyre, Ulf Sandmark et Odile Mojon ont pu constater l’ampleur des destructions, en particulier à Homs et Alep où des quartiers entiers ne sont plus que ruines.
Alep, la seconde ville de Syrie a une population de trois millions d’habitants ou, tout du moins, avait trois millions d’habitants avant la guerre. Capitale économique de la Syrie, c’est aussi l’une des métropoles les plus anciennes du monde puisqu’elle est habitée en continu depuis 6000 ans avant J.C. Sa position géographique, entre Mésopotamie et Méditerranée, lui a en effet conféré dès le début une importante stratégique qui se reflète dans les magnifiques monuments de la ville, dont plusieurs, tels la mosquée des Omeyyades, le souk Al-Madina et la Citadelle, ont été inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
En plus des pertes humaines subies par Alep, certains de ses joyaux artistiques ont été perdus à tout jamais ou sont très endommagés. C’est le cas de la mosquée des Omeyyades dont le minaret du VIIIe siècle a été rasé. Le souk Al-Madina, marché couvert le plus important du monde datant du XIVe siècle a été largement détruit en septembre 2012 durant l’offensive rebelle, puis lors des batailles successives.
La citadelle d’Alep, où les forces gouvernementales avaient pris position, a souffert des destructions, notamment lors de l’explosion d’un tunnel souterrain. Bien que les sources proches de la rébellion en aient accusé les forces gouvernementales, il est de notoriété publique que la stratégie jihadiste consistait précisément à utiliser tunnels ou égouts pour se dissimuler et faire des sorties surprises en tirant sur les foules des passants pour créer une stratégie de terreur.
La délégation s’est ensuite rendue à Palmyre, tout aussi lourdement atteinte. Du musée de Palmyre, il ne reste qu’un lieu de désolation avec des salles vidées de leurs collections, dans le meilleur des cas grâce au dévouement du personnel et des autorités culturelles qui ont réussi à les placer en sécurité à Damas, dans le pire, à cause des destructions méthodiques de Daech.
Les destructions sur le site même de Palmyre, ne sont que trop connues : Temple de Baalshamin, Tétrapyles, Arc de Triomphe et, dans une – relative – moindre mesure, l’amphithéâtre, parmi d’autres.
Le message des fanatiques de Daech ne se limitait pas simplement à l’affirmation de la terreur et de la barbarie mais s’accompagnait de visées mercantiles : vendre les œuvres d’art au marché noir. Outre leur haine envers le savoir, c’est aussi leur appât du gain qui les a poussé à torturer Khaled al-Assad, l’ancien Directeur des antiquités du site pour qu’il livre le secret de l’endroit où avaient été mise à l’abris diverses œuvres d’art. Le très estimé professeur, âgé de 82 ans, est mort publiquement décapité au centre ville, sans avoir révélé quoique ce soit.
La Syrie, de par sa situation au cœur des anciennes routes de la soie et des nouvelles à venir, de par son histoire nourrie des influences de multiples cultures, représentait de toute évidence pour ces barbares (et leurs donneurs d’ordres) ce sens d’appartenance à l’histoire humaine universelle, à éliminer coûte que coûte.