« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Interventions
26 janvier 2024
La plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël, pour génocide contre la population de Gaza, est de nature à changer la donne à l’échelle internationale. Quelle que soit la réponse que la Cour internationale de justice donnera à cette requête, l’Afrique du Sud a jeté une pierre dans le pré carré occidental et de sa prétention à incarner la conscience morale du monde.
Nous publions ici les remarques du professeur Boyle car son avis en tant qu’expert juridique à propos de la plainte déposée par Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ est de nature à nourrir une discussion fructueuse à l’échelle internationale. La diffusion de ses réflexions auprès de tous ceux qui défendent une paix juste aidera à réduire les pressions mises sur les juges de la CIJ pour qu’ils ignorent les principes de droit régissant la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », approuvée par l’Assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1948.
Professeur Francis Boyle
Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui. Je tiens à exprimer ma gratitude à Helga Zepp-LaRouche pour m’avoir invité à prendre la parole lors de cette conférence, à un moment crucial de l’histoire de l’humanité.
Je pense que la République d’Afrique du Sud obtiendra une décision de mesures conservatoires de protection contre Israël au nom des Palestiniens. Je parle ici d’un point de vue purement juridique. Il est évident qu’à l’heure où nous parlons, Israël et les États-Unis exercent une pression politique massive sur les juges de la Cour mondiale pour qu’ils se prononcent contre la République d’Afrique du Sud et les Palestiniens.
La « question juridique technique »
Je vais me contenter de traiter cette question d’un point de vue technique et juridique. J’ai été le premier avocat à obtenir quelque chose de la Cour internationale de justice sur la base de la Convention sur le génocide. J’ai obtenu que la République de Bosnie-Herzégovine soit condamnée à cesser et à s’abstenir de commettre tout acte de génocide à l’encontre des Bosniaques, dans le cadre d’une décision massive et très importante contre la Yougoslavie. C’était en avril 1993. Puis, le 13 septembre 1993, j’ai obtenu une deuxième décision écrasante pour la République de Bosnie-Herzégovine contre la Yougoslavie afin qu’elle cesse et s’abstienne de commettre tout acte de génocide à l’encontre des Bosniaques.
C’était la première fois dans l’histoire de la Cour mondiale qu’un avocat obtenait deux décisions de ce type dans une même affaire depuis la création de la Cour mondiale en 1921. Ensuite, j’ai obtenu une troisième décision - ce qu’on appelle une ordonnance au titre de l’article 74, paragraphe 4 - au même effet de la part du président de la Cour, qui était contraignante pour les parties. J’ai donc obtenu trois ordonnances en moins de six mois.
En outre, au nom de mes clients de l’époque - les mères des victimes de Srebrenica et de Prijedor qui ont survécu au massacre de Srebrenica - j’ai convaincu le procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie d’inculper mon adversaire, le président yougoslave Slobodan Milošević, pour presque tous les crimes prévus par le statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), y compris deux chefs d’accusation de génocide. L’un pour génocide contre la Bosnie en général, et le second pour génocide à Srebrenica en particulier.
Il a été jugé à La Haye. À l’issue des plaidoiries de l’accusation, il a déposé une requête visant à rejeter tous les chefs d’accusation. Cette requête a été rejetée par le tribunal, qui a estimé qu’il y avait suffisamment de preuves produites par l’accusation pour le déclarer coupable de tous les chefs d’accusation au-delà de tout doute raisonnable, y compris les deux chefs d’accusation de génocide, et qu’il devait ensuite présenter sa défense, qui allait impliquer tous les fonctionnaires internationaux qui travaillaient de mèche avec lui dans les coulisses. Puis il est mort mystérieusement. Les morts ne racontent pas d’histoires.
Je n’ai pas le temps de passer en revue toute la requête de la République d’Afrique du Sud, la demande de mesures provisoires de protection et les six heures de plaidoiries devant la Cour mondiale par deux équipes d’avocats de part et d’autre. D’ailleurs, si vous avez suivi ces audiences, je me suis chargé moi-même de tous ces arguments pour la Bosnie-Herzégovine.
Ce que je veux souligner ici, cependant, est de mon point de vue le facteur le plus important que vous remarquerez si vous écoutez les audiences. Il s’agit de l’argumentation relative à la demande initiale que j’avais donnée aux Bosniaques. L’avocat britannique représentant Israël, [Christopher] Staker, a menti comme un arracheur de dents sur la signification de ma première requête. Il a menti. [1] Permettez-moi de vous lire un extrait de ma première requête que j’ai gagnée. Il a menti à ce sujet ; il a dit qu’elle ne signifiait pas ce qu’elle disait en réalité, [à savoir] :
« À l’unanimité, le gouvernement de la Yougoslavie devrait immédiatement, conformément à l’engagement qu’il a pris dans la Convention sur le génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher la commission du crime de génocide. »
Il a menti à ce sujet, et j’ai toujours dit dans mes interviews qu’au minimum, la République d’Afrique du Sud obtiendrait une mesure provisoire de ce type au nom des Palestiniens, à titre de précédent.
Deuxièmement, l’avocat britannique Staker a tenté d’expliquer et de minimiser une autre mesure - qui, soit dit en passant, a été réaffirmée dans la deuxième décision que j’ai obtenue devant la Cour mondiale, ce que Staker n’a pas souligné, par 13 voix contre 2. [La deuxième décision] « Réaffirme la mesure provisoire indiquée au paragraphe 52A1 de la décision rendue par la Cour en avril 1993, qui devrait être immédiatement et effectivement mise en œuvre. » Seuls le juge russe et le juge serbe ad hoc se sont prononcés contre moi. Et bien sûr, la Russie et la Serbie étaient de mèche.
Staker n’a pas menti au sujet de cette disposition, mais il a tenté de l’expliquer et d’en minimiser l’importance. Permettez-moi de la répéter :
« À l’unanimité, le gouvernement de Yougoslavie et le gouvernement de Bosnie-Herzégovine ne devraient prendre aucune mesure et devraient veiller à ce qu’aucune mesure ne soit prise qui puisse aggraver ou étendre le différend existant sur la prévention ou la répression du crime de génocide ou en rendre la solution plus difficile. »
Je crois que j’ai obtenu cette mesure parce que je me suis dit que nous allions obéir à la décision et que la Yougoslavie de Milosevic allait grossièrement lui désobéir. Et je voulais piéger la Yougoslavie dans des violations massives de tous les domaines du droit international, et pas seulement de la Convention sur le génocide. Cette mesure a été réaffirmée dans la deuxième décision que j’ai obtenue : « Par 14 voix contre 1, la Cour réaffirme la mesure provisoire indiquée au paragraphe 52b de la décision qu’elle a rendue le 8 avril 1993, mesure qui doit être immédiatement et effectivement mise en œuvre ». Remarquez, 14 voix contre 1 ; même le juge russe était d’accord avec cela, seul le juge serbe ad hoc a voté contre moi.
En ce qui concerne la troisième mesure de protection provisoire que j’ai obtenue pour les Bosniaques, la République d’Afrique du Sud a demandé une version modifiée de cette mesure. Elle a été modifiée pour tenir compte des circonstances de l’affaire des Palestiniens :
« Par 13 voix contre 1, le gouvernement de la Yougoslavie devrait en particulier assurer... ne commettre aucun acte de génocide, d’entente en vue de commettre un génocide, d’incitation directe et publique à commettre un génocide, ou de complicité dans un génocide, qu’il soit dirigé contre la population musulmane de Bosnie-Herzégovine ou contre tout autre groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
À l’époque, la Bosnie comptait - et compte toujours - une dizaine de groupes raciaux, ethniques et nationaux différents. Je les ai tous protégés. Principalement les musulmans, mais aussi les Croates, les Juifs, les Turcs, les Roms et d’autres encore ; je les ai tous protégés.
Dans le cas présent, il n’y a, bien sûr, que les Palestiniens, c’est pourquoi cette mesure a été modifiée par la République d’Afrique du Sud. Et à nouveau, dans ma deuxième ordonnance, 13 voix contre 2 ; seuls le juge russe et le juge serbe ad hoc ont voté contre moi. « Réaffirme la mesure provisoire indiquée au paragraphe 50A2 de la décision, qui doit être immédiatement et effectivement mise en œuvre. »
C’est pourquoi, d’un point de vue purement juridique, je pense que la République d’Afrique du Sud devrait obtenir ces trois mesures provisoires de protection. Mais encore une fois, sur le plan politique, une pression massive est exercée. Je suis sûr que les juges de la Cour mondiale font aujourd’hui l’objet de chantage, de menaces, de brimades et d’intimidations de la part des États-Unis, d’Israël et de leurs partisans pour qu’ils se prononcent contre la République d’Afrique du Sud.
Enfin, permettez-moi d’aborder la complicité de l’administration Biden et des Britanniques. Il s’agit d’une complicité de génocide en violation de l’article 3, paragraphe E, de la Convention sur le génocide qui criminalise la complicité de génocide. Je me suis trouvé dans une situation similaire pour la Bosnie-Herzégovine. Sur mes conseils, le président bosniaque Alija Izetbegović m’a autorisé, le 15 novembre 1993, à poursuivre la Grande-Bretagne devant la Cour internationale de justice pour complicité de génocide à l’encontre des Bosniaques, ce que j’ai entrepris de faire et que j’étais tout à fait prêt à faire lorsque les Britanniques ont menacé d’affamer les Bosniaques si j’engageais effectivement la procédure. À l’époque, j’étais en train de négocier avec le tribunal pour l’audition de ma plainte contre la Grande-Bretagne.
Je vous ai donné mon évaluation de la situation actuelle. Voilà où nous en sommes, et je suis très heureux d’être ici aujourd’hui.
[1] Lors de son témoignage du 12 janvier, Staker a affirmé ce qui suit : Dans l’affaire de la Bosnie, vous [la Cour] avez refusé d’accorder une mesure provisoire demandée par la Bosnie-Herzégovine, selon laquelle la Yougoslavie devait « cesser et s’abstenir de tout acte de génocide ». Vous devriez également refuser cette demande [de l’Afrique du Sud -ed]".
Le 13 septembre 1993, la Cour a en effet rendu une décision dans cette affaire : « Dans une décision rendue dans l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), la Cour a rendu une décision relative à des mesures conservatoires réaffirmant les mesures qu’elle avait ordonnées le 8 avril 1993, lorsque la Bosnie-Herzégovine avait saisi la Cour pour la première fois contre la Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Elle a estimé que ’la situation périlleuse actuelle exigeait, non pas l’indication de mesures conservatoires venant s’ajouter à celles indiquées dans la décision de la Cour du 8 avril 1993, mais la mise en œuvre immédiate et effective de ces mesures’ ».
Le 12 janvier, M. Staker a également ajouté ce qui suit dans le cas des mesures conservatoires recommandées par l’Afrique du Sud à l’encontre d’Israël : « Bien que les mesures conservatoires soient sans préjudice du fond, une telle conclusion implicite ternira la réputation de l’État défendeur, ce qui est non seulement sans principe, mais aussi inutile au sens de l’article 41 du Statut pour protéger les droits revendiqués sur une base provisoire ».