« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Conférences > Face au risque de nouvelle guerre mondiale, les pays européens doivent (...)
Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023
2ème session
20 juillet 2023
Discours de Patricia Lalonde, ncienne députée européenne ; vice-présidente de Geopragma ; chercheuse à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) ; (France)
Le peuple syrien a su faire face, derrière son président, Bachar el Assad, depuis sept ans à une guerre d’agression, orchestrée par les trois membres occidentaux du Conseil de Sécurité des Nations unies, appuyée par une coalition se proclamant « les amis de la Syrie » (120 membres en 2001, une douzaine en avril 2012).
C’était une alliance inavouée, mais totalement assumée avec les islamistes. 400 000 djihadistes, plus ou moins modérés, ont accouru de tous les coins pour servir de « proxy » aux Occidentaux et participer à cette « guerre sainte », tout ceci bien évidemment au nom des « droits de l’Homme » dans la suite des Printemps arabes, censés apporter la démocratie dans leur délire du « regime change ». L’Armée syrienne résista vaillamment durant quatre ans et demi, évidemment avec l’aide de ses alliés régionaux et l’intervention, réclamée par le gouvernement syrien, de la Russie qui renversera la situation et qui, en septembre 2015, marquera le début du reflux de ces bandes armées islamistes. 2018 marquera la victoire politique et militaire de Bachar el Assad. Cette incroyable défaite des Occidentaux face à l’armée syrienne a eu pour effet de souder le peuple syrien derrière son président.
Je reviens d’une mission à Damas et sa région, organisée par l’association France-Syrie, au cours de laquelle nous avons pu rencontrer les autorités civiles et religieuses, des diplomates, la ministre de la Culture, des humanitaires, des journalistes. Tous ceux que nous avons vus, ceux que nous avons entendus nous ont laissé un sentiment à la fois d’indignation face aux souffrances que le peuple syrien a vécues, et d’admiration pour ce peuple si fier. Le peuple syrien fait en effet preuve d’une incroyable résilience, fier d’avoir résisté et gagné. Les hommes et les femmes que nous avons pu rencontrer étaient tous d’une grande qualité et d’une grande compétence, parlant sans langue de bois. La tolérance religieuse nous a frappés. Car le peuple syrien a souffert : 500 000 morts, deux millions de blessés et d’estropiés, six millions de déplacés, jetés sur les routes. Et bien sûr, sans oublier les victimes du tremblement de terre de janvier dernier.
Damas est totalement reconstruit, la mosquée des Omeyades, les églises, le musée de Damas, tout a été refait et fait oublier la terreur qu’ont vécue les chrétiens pourchassés par les islamistes…Ces pauvres religieuses qui avaient été kidnappées par Daesh pendant plusieurs mois, rencontrées à Maloola, en ont été les témoins. La ville est propre... Dans les rues, les nombreux générateurs permettent de parer aux coupures d’électricité. La Syrie a repris son destin en main. Certains pays européens ont compris l’intérêt de renouer avec la Syrie : l’Italie, la Grèce ont rouvert leurs ambassades, des discussions sont en cours avec l’Allemagne et l’Espagne. Il faut espérer que la France suivra, car le chemin de Damas pourrait bien devenir indispensable et nécessaire pour nos liens futurs avec le Moyen-Orient. En effet, sa réintégration dans la Ligue Arabe, malgré la réticence dans un premier temps de certains, comme le Qatar, marque le début d’une nouvelle ère pour la Syrie, que cela plaise ou non aux Occidentaux. L’Union européenne, mauvaise perdante, a fait la grimace et notre ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a osé faire un communiqué afin de dénoncer cette décision... mais personne n’y prête plus attention. L’Accord historique entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite sous l’égide de Pékin a été là encore un choc pour les Occidentaux. Et depuis les évènements se sont bousculés : une délégation chinoise était reçue à Damas dans la foulée pour parler reconstruction ; des négociations secrètes ont été ouvertes à Oman entre Syriens et Américains, preuve du grand désarroi de ces derniers et de leur peur de se faire remplacer au Moyen-Orient. Le départ des troupes étrangères et en premier lieu, des troupes américaines, est sans doute au cœur des tractations...
L’Iran, la Russie, la Ligue arabe imposent désormais leur agenda dans la région. Au Liban voisin, les évènements s’accélèrent également. Le Hezbollah, dorénavant incontournable, négocie le soutien de l’Arabie saoudite à l’élection de Sleiman Franjie, candidat aux prochaines élections et favorable à une réconciliation indispensable avec le régime syrien. Le président français y était dans un premier temps favorable mais il semble qu’il ait subi quelques pressions... Et l’envoi de notre ancien ministre des Affaires étrangères, JY Le Drian, ne va sans doute pas faciliter les choses. Mais, sans attendre l’élection d’un nouveau président au Liban, Damas et Beyrouth essaient de régler les problèmes. Preuve en est la rencontre à Damas du ministre en charge des déplacés syriens et de son homologue libanais, chargé des réfugiés. Ils ont conclu un accord pour essayer de venir à bout de la grave crise que font peser les réfugiés syriens au Liban. Il a été convenu du retour d’une première vague de 180 000 réfugiés dans les plus brefs délais.
L’Union européenne s’était acharnée à tout faire pour empêcher le retour des Syriens dans leur pays, préférant leur apporter une aide au Liban. Alors que les pays de la Ligue arabe et la Chine vont aider à la reconstruction du pays, l’Union européenne prend des pincettes pour être sûre que l’aide humanitaire ne transite pas par le régime syrien, préférant continuer son « deal » avec les islamistes du HTC (Hayat Tahir al Sham) dans la province d’Idlib. L’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Martin Griffith, qui avait été (soit dit en passant) l’envoyé spécial pour le Yémen, qui a subi l’une des pires crises humanitaires, se bat aux Nations unies pour faire prolonger cette aide dans le nord-ouest de la Syrie en passant par la Turquie, sans passer par les autorités de Damas. Et pourtant, ce sont dans les régions sous son autorité que la majorité des Syriens vivent et ont besoin d’aide. Grande hypocrisie humanitaire ! Les sanctions qui pleuvent sur la Syrie depuis le début de la guerre et qui continuent malgré le séisme, impactent le peuple syrien. La Chine appelle à l’augmentation du soutien humanitaire et à la levée des sanctions illégales contre la Syrie. Cela laisse place à la débrouille... nous avons eu l’occasion de croiser à Damas un jeune Américain, patron d’une ONG dont l’objectif était de détourner les sanctions et de remettre l’argent directement aux autorités syriennes. Certains, comme l’Italie ou encore la Grèce, n’ont pas suivi les consignes européennes. Des archéologues sont sur place et aident à faire revivre l’incroyable patrimoine. Palmyre a été reconstruit. Actuellement une délégation d’évêques d’Australie visite les lieux de cultes et les sites archéologiques à Alep.
Il est à craindre que les pays européens se divisent sur leur attitude à prendre par rapport à la Syrie, car les bonnes relations avec ce pays seront la porte d’entrée avec celle du Moyen-Orient et avec celle du Sud Global. La France, dont on espère une prise de conscience soudaine des erreurs commises, du temps perdu. Les responsables syriens que nous avons rencontrés ont été unanimes : ils ne veulent pas se venger de notre abandon.
Le peuple syrien veut que le supplice finisse, il veut reconstruire son pays. Certains pays européens, ainsi que les pays du monde arabe, rouvrent leur représentation à Damas, mettent en place des budgets de coopération, alors que la France n’a toujours qu’un représentant français pour la Syrie. Il ne faudrait pas que nous restions sourds et aveugles alors que tout a changé dans l’environnement régional du pays.
La communauté internationale s’est retrouvée divisée en deux ensembles ennemis qui « se cherchent » et se mesurent dans une confrontation globale : l’Occident, dominateur et sûr de lui, très minoritaire, et de l’autre, le reste de la planète, l’immense majorité de la communauté des nations qui cherche à occuper la place qui lui revient. La Syrie s’est taillée une place de choix dans le champ des vainqueurs et c’est à eux qu’elle fera appel en priorité pour la reconstruction, ainsi qu’aux pays arabes repentants et à quelques pays européens qui n’ont pas coupé les ponts : la République tchèque, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, Chypre, l’Italie et la Grèce. Les relations de la France avec Damas et le Moyen-Orient pourraient nous éviter de rester embrigadés dans le camp de l’arrogance, alors que le monde a plus que jamais besoin d’humilité et de solidarité pour faire face aux nombreux défis que représentent la pauvreté dans le monde et les bouleversements dus au changement climatique. Le temps presse et la Syrie, dont la France a été la puissance mandataire après la Grande Guerre, lors du démantèlement de l’empire ottoman, s’apprête à devenir le pivot du Moyen-Orient et du monde arabe. Elle va enfin pouvoir reprendre sa place au cœur de l’histoire... Ne manquons pas l’opportunité de renouer avec elle.