« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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conférence internationale de Strasbourg 8 et 9 juillet

La vision de la paix de John F. Kennedy

3ème session

12 août 2023

Harley Schlanger du Schiller Institute, Etats-Unis.

Le 10 juin 1963, le président américain John F. Kennedy prononça un discours lors de la remise des diplômes à l’American University, à Washington, D.C. Intervenant au milieu de tensions persistantes entre les États-Unis et l’Union soviétique, huit mois seulement après la résolution de la crise des missiles de Cuba, qui avait conduit le monde au bord de la guerre nucléaire, les paroles de Kennedy avaient fait naître l’espoir de voir s’ouvrir une ère de paix :

Extrait vidéo du « Discours sur la paix » (10 juin 1963)

PRÉSIDENT JOHN F. KENNEDY : J’ai donc choisi ce moment et ce lieu pour discuter d’un sujet sur lequel l’ignorance abonde trop souvent et la vérité est trop rarement perçue - et c’est le sujet le plus important sur terre : la paix.

De quel type de paix s’agit-il ? Quel genre de paix recherchons-nous ? Pas une Pax Americana imposée au monde par les armes de guerre américaines. Pas la paix de la tombe ou la sécurité de l’esclave. Je parle d’une paix authentique, le genre de paix qui fait que la vie sur terre vaut la peine d’être vécue, le genre de paix qui permet aux hommes et aux nations de grandir, d’espérer et de construire une vie meilleure pour leurs enfants - pas seulement la paix pour les Américains, mais la paix pour tous les hommes et toutes les femmes - pas seulement la paix à notre époque, mais la paix pour tous les temps….

Je parle donc de la paix comme de la finalité rationnelle nécessaire des hommes rationnels. Je suis conscient que la recherche de la paix n’est pas aussi spectaculaire que la recherche de la guerre - et que les paroles de celui qui la recherche tombent souvent dans l’oreille d’un sourd. Mais nous n’avons pas de tâche plus urgente…

Tout d’abord, examinons notre attitude à l’égard de la paix elle-même. Nous sommes trop nombreux à penser qu’elle est impossible. Trop nombreux sont ceux qui pensent qu’elle est irréelle. Mais c’est là une croyance dangereuse et défaitiste. Elle conduit à la conclusion que la guerre est inévitable, que l’humanité est condamnée, que nous sommes sous l’emprise de forces que nous ne pouvons pas contrôler. Nous ne devons pas accepter ce point de vue. Nos problèmes sont le fait de l’homme. Ils peuvent donc être résolus par l’homme. Et l’homme peut être aussi grand qu’il le souhaite. Aucun problème de la destinée humaine n’échappe aux êtres humains. La raison et l’esprit de l’homme ont souvent résolu des problèmes apparemment insolubles et nous pensons qu’ils peuvent encore le faire…

Persévérons donc. La paix n’est pas forcément irréalisable, et la guerre n’est pas forcément inévitable. En définissant plus clairement notre objectif, en le rendant plus gérable et moins lointain, nous pouvons aider tous les peuples à le voir, à y puiser de l’espoir et à avancer irrésistiblement vers lui…

Aucun gouvernement ou système social n’est si mauvais que ses membres doivent être considérés comme dépourvus de vertu. En tant qu’Américains, nous trouvons le communisme profondément répugnant en tant que négation de la liberté et de la dignité personnelles. Nous pouvons néanmoins saluer le peuple russe pour ses nombreuses réalisations dans les domaines de la science et de l’espace, de la croissance économique et industrielle, de la culture et des actes de courage.

Parmi les nombreux traits que les peuples de nos deux pays ont en commun, aucun n’est plus fort que notre aversion mutuelle pour la guerre. Fait presque unique parmi les grandes puissances mondiales, nous n’avons jamais été en guerre l’un contre l’autre. Et aucune nation dans l’histoire des batailles n’a jamais autant souffert que l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Au moins 20 millions de personnes ont perdu la vie…

Ne soyons donc pas aveugles à nos différences, mais portons également notre attention sur nos intérêts communs et sur les moyens de résoudre ces différences. Et si nous ne pouvons pas mettre fin à nos différences, nous pouvons au moins contribuer à rendre le monde sûr pour la diversité. Car, en fin de compte, notre lien commun le plus fondamental est que nous habitons tous cette petite planète. Nous respirons tous le même air. Nous sommes tous attachés à l’avenir de nos enfants. Et nous sommes tous mortels.

FIN DE L’EXTRAIT

HARLEY SCHLANGER : A ce vibrant appel à la paix de Kennedy, s’adressant aux chefs de gouvernement et aux peuples de l’Union soviétique et des États-Unis, la réponse positive la plus immédiate est venue des Russes. Le président soviétique Nikita Khrouchtchev déclara à Averell Harriman, principal négociateur américain dans les pourparlers en vue de rédiger un traité d’interdiction des essais nucléaires avec la Russie, qu’il considérait ce discours de Kennedy comme « le plus grand discours prononcé par un président américain depuis Roosevelt ». Le texte fut publié dans la presse soviétique et diffusé en russe sur la radio Voice of America (VoA), sans brouillage, contrairement à la pratique habituelle.

Il eut un impact moins spectaculaire aux États-Unis, minimisé par certains médias et ignoré ou critiqué par d’autres. Par exemple, le New York Times écrivit que l’on n’était « pas très optimiste dans le Washington officiel » à penser que ce discours « produirait un accord sur un traité d’interdiction des essais ou quoi que ce soit d’autre », tandis que pour le Dispatch de Columbus (Ohio), il s’agissait d’un « signal d’apaisement ».

Mais la rupture avec la rhétorique de la guerre froide signalée par ce discours permit de réduire les tensions. En dix jours, un accord fut conclu pour mettre en place une « ligne directe » entre Washington et Moscou et, le 5 août, le traité d’interdiction des essais nucléaires limités était signé, mettant fin à huit années de négociations difficiles. La question qui se posait alors à Kennedy était de savoir s’il parviendrait à vaincre la mentalité de guerre froide au Sénat américain, afin que le traité puisse être ratifié. Après une bataille acharnée en coulisses, au cours de laquelle il parvint à gagner le soutien de son prédécesseur, le président Eisenhower, le traité fut ratifié le 24 septembre.

Kennedy était-il un partisan de la guerre froide ?

Au cours des derniers mois de sa vie, depuis le discours du 10 juin jusqu’à son assassinat à Dallas le 22 novembre, JFK poursuivit énergiquement son engagement à mettre fin à la guerre froide et à ouvrir des relations avec l’URSS et Cuba, afin de réduire le danger d’annihilation nucléaire. Ses plus proches amis ont reconnu qu’après avoir frôlé une guerre nucléaire au-dessus de Cuba, il était habité par la peur d’une guerre nucléaire et la nécessité de réduire, sinon d’éliminer, cette menace.

À cette fin, les voies détournées qui avaient été ouvertes pour éviter une guerre nucléaire au sujet de Cuba furent élargies. Kennedy examina des propositions visant à éliminer tous les essais nucléaires et, dans un discours prononcé devant l’Assemblée générale des Nations unies le 20 septembre, il proposa une mission conjointe avec les Soviétiques sur la Lune.

Mais nulle part un changement de politique n’était aussi urgent que dans la lutte contre l’insurrection communiste au Vietnam. Ses batailles avec les faucons de guerre l’avaient convaincu que s’il laissait ce pays entre leurs mains, une nouvelle guerre mondiale était probable, commençant en Indochine et pouvant rapidement dégénérer en guerre nucléaire.

Au cours des deux premières années de sa présidence, le nombre de conseillers militaires américains au Vietnam est passé à plus de 15 000. Les planificateurs du Pentagone et de la CIA affirmèrent qu’un déploiement plus important était nécessaire pour gagner, exprimant publiquement leur optimisme quant à sa réussite. Kennedy envoya des émissaires en mission d’enquête, dont une menée par le secrétaire à la défense Robert McNamara et le général Maxwell Taylor, président de l’état-major interarmées. Sur la base de leur rapport, il conclut que les affirmations des militaires et des responsables du renseignement concernant les perspectives de succès étaient mensongères, un jugement entièrement confirmé huit ans plus tard, lorsque Daniel Ellsberg publia les Pentagon Papers. JFK décida alors que toutes les troupes américaines devaient être retirées.

Mais à l’exception de McNamara et de son frère Robert Kennedy, tous ses conseillers lui affirmèrent qu’un retrait était « impensable » car il saperait « le leadership américain dans la lutte contre le communisme ».

Il devait donc s’attaquer à deux fronts : d’une part, il devait devancer les faucons de la guerre pour les empêcher de lancer des opérations qui rendraient la guerre inévitable et d’autre part, il devait surmonter les effets psychologiques sur la population du lavage de cerveau de la guerre froide, selon lequel « mieux valait être mort que rouge ».

Confronté à une campagne de réélection en novembre 1964, il craignait que le retrait des troupes ne fasse de lui la cible des faucons de guerre, qui l’accuseraient d’être « mou » envers le communisme et « apaisant », comme ils l’avaient fait lorsqu’il avait refusé d’ordonner une invasion américaine de Cuba après l’échec du fiasco de la Baie des Cochons, mené par la CIA, et lorsqu’il avait rejeté les demandes des faucons de bombarder les sites de missiles soviétiques lors de la crise des missiles de Cuba.

Comme je l’ai indiqué dans un article de l’Executive Intelligence Review du 30 juin 2023, intitulé « La bataille de JFK pour la paix », il existe une abondance de témoignages personnels d’amis et d’associés, selon lesquels son objectif était de se retirer complètement du Vietnam, après sa réélection en 1964.

Certains sceptiques doutent que Kennedy ait eu l’intention de se retirer du Vietnam, bien qu’ayant fait adopter le 5 octobre le National Security Action Memo 263, qui prévoyait un « retrait progressif » de 1000 conseillers d’ici la fin de 1963 et le reste d’ici la fin de 1965. Deux jours après son assassinat, ce mémo fut remplacé par un autre, le NSAM 273. L’ordre de retrait inscrit dans le premier mémo ne fut jamais respecté et une clause fut insérée autorisant une action secrète contre le Nord-Vietnam par les forces sud-vietnamiennes soutenues par la CIA. L’une de ces opérations secrètes, dans le golfe du Tonkin en août 1964, servit de prétexte au déploiement de plus d’un demi-million de soldats américains.

L’assassinat de JFK a levé l’obstacle à l’escalade, ouvrant la voie à la destruction du pays et de ses voisins par les faucons pendant neuf années supplémentaires. Il devait également servir d’avertissement aux futurs présidents en puissance : il n’est pas sage de rejeter les demandes du complexe militaro-industriel.

Ces sceptiques préfèrent ignorer que son intention de rompre avec la guerre froide, clairement affichée dans son discours du 10 juin, est cohérente avec les déclarations qu’il avait faites en tant que sénateur américain dans les années 1950, s’exprimant en défenseur d’une tradition anti-impériale américaine.

La tradition anti-impériale des Etats-Unis

Bien qu’elle n’apparaisse pas évidente aujourd’hui, dans la rhétorique de « l’exceptionnalisme américain » qui présente les États-Unis comme le vaillant défenseur de « l’ordre fondé sur des règles », il existe une tradition anti-impériale, qui fut à la base de la révolution américaine et des politiques républicaines des pères fondateurs des États-Unis. Le secrétaire d’État (et futur président) John Quincy Adams l’évoqua explicitement le 4 juillet 1821 : « Les États-Unis ne vont pas à l’étranger à la recherche de monstres à détruire (...) En s’impliquant dans les affaires intérieures d’autres nations, les États-Unis détruiraient leur propre raison d’être : les axiomes fondamentaux de leur politique ne deviendraient pas différents de l’empire que la révolution de l’Amérique a vaincu. Ils ne seraient alors plus leur propre maître, mais le dictateur du monde. »

Je me demande si l’actuel démarcheur de l’ordre unipolaire, Antony Blinken, connaît ce discours de l’un de ses plus illustres prédécesseurs !

Cette tradition fut à l’origine de l’antagonisme entre le président Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Churchill en temps de guerre. De nombreux rapports font état des réactions hargneuses de Churchill lorsque FDR insistait sur l’élimination de tout colonialisme européen à la fin de la guerre. Selon Lyndon LaRouche, qui avait servi sur le théâtre Chine-Birmanie-Inde pendant la guerre, le point de vue de FDR avait été adopté par de nombreux soldats, en particulier ceux qui avaient connu les conditions de vie dans les colonies pendant la guerre. Il ajoutait que cela faisait partie de la carte mentale de Kennedy.

Voici deux exemples de sa vision anti-impériale, tirés des discours qu’il a prononcés en tant que sénateur américain :

Tout d’abord, le 6 avril 1954, il remet en question le soutien des États-Unis à la France en Indochine. Après avoir fait le point sur l’état de cette guerre, il déclara que nous devions contribuer à lutter contre le communisme dans cette région, si la victoire était possible, mais que nous devions reconnaître qu’en Asie, on était nombreux à « considérer cette guerre comme une guerre colonialiste ». C’est pourquoi, avant que le secrétaire d’État Dulles ne s’engage à aider la France, il espérait qu’il « reconnaîtrait la futilité de canaliser les hommes et les machines américains dans cette lutte intestine sans espoir ». Un mois plus tard, le 7 mai, les forces françaises se rendaient à Dien Bien Phu et commençaient à se retirer du Vietnam.

Le deuxième exemple est un discours prononcé le 2 juillet 1957 sur le colonialisme français en Algérie. Il y parle du « visage changeant du nationalisme africain », dénonçant le refus d’en tenir compte comme étant le problème des Français et du monde occidental. Il cite un diplomate qui affirmait ne pas comprendre pourquoi les États-Unis s’identifiaient à une politique de répression coloniale et de parti pris contraire aux traditions et aux intérêts politiques américains, une déclaration qui avait manifestement trouvé un écho auprès de JFK.

Dans le langage du jeune sénateur américain, on découvre l’origine encore brute de l’éloquent porte-parole de la paix qu’il était devenu le 10 juin 1963. Défié par le bellicisme des membres de sa propre administration, et craignant que leur guerre ne se transforme en holocauste nucléaire, Kennedy se fit un champion de la paix, et, en tant que tel, la pire menace pour les intérêts corporatistes qui soutenaient les faucons de guerre. Ceux qu’il a combattus, notamment les Allen Dulles et d’autres représentants du complexe militaro-industriel, ont fait taire sa voix à Dallas, et le résultat fut une période de guerre perpétuelle qui dure depuis six décennies.

Il termina son discours à l’American University en ces termes :

« Les États-Unis, comme le monde le sait, ne déclencheront jamais une guerre. Nous ne voulons pas la guerre. Nous ne nous attendons pas à une guerre. Cette génération d’Américains en a déjà assez - plus qu’assez - de la guerre, de la haine et de l’oppression. Nous serons prêts, si d’autres le souhaitent. Nous serons vigilants pour essayer de l’arrêter. Mais nous ferons aussi notre part pour construire un monde de paix où les faibles soient en sécurité et où les forts soient justes. Nous ne sommes pas impuissants devant cette tâche ni désespérés de sa réussite. Confiants et sans crainte, nous travaillons, non pas à une stratégie d’anéantissement, mais à une stratégie de paix. »

Telle est la « Vision de la paix » de John F. Kennedy, et c’est cette vision que l’Institut Schiller et ses alliés entendent faire accepter universellement aujourd’hui.

Je vous remercie de votre attention.

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