« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Visioconférence internationale du 9 avril

Nécessité d’un nouveau paradigme

1ere session

15 avril 2022

Par Helga Zepp-LaRouche

Chers participants venus du monde entier,
Ce qui réunit dans notre conférence les participants de 60 pays et de quatre continents, c’est sans doute une grande inquiétude quant à la survie même de l’humanité. Notre objectif ici est de faire prendre conscience à un nombre croissant de forces sociales dans le monde, que l’escalade de l’affrontement stratégique à laquelle nous assistons pourrait bientôt déboucher sur un engagement militaire total entre l’OTAN et la Russie, menant à une guerre mondiale qui, selon toute probabilité, aboutirait à l’anéantissement de l’humanité dans un hiver nucléaire.

Il s’agit pour nous de démontrer avec force et conviction qu’il existe une alternative immédiatement accessible, un nouveau paradigme, nous permettant de nous libérer de cette menace existentielle et d’ouvrir une nouvelle ère de l’histoire humaine en accord avec la véritable nature de l’humanité, en tant que seule espèce douée de raison, connue à ce jour.

Le danger d’une nouvelle grande guerre n’a pas surgi le 24 février de cette année. Comme feu mon mari Lyndon LaRouche l’avait anticipé de manière prophétique en août 1971, après que Nixon eut remplacé les taux de change fixes du système de Bretton Woods par des taux de change flottants, la poursuite de cette politique monétariste devait conduire fatalement à un nouveau fascisme et à une nouvelle guerre mondiale. Et c’est exactement là où nous en sommes, 50 ans plus tard. Le danger aigu de cette grande guerre vient du fait qu’avant même le début du conflit en Ukraine, le système financier néolibéral transatlantique se trouvait déjà au stade avancé de l’explosion hyper-inflationniste d’un système en quasi-faillite.

Pour comprendre les véritables causes de la crise ukrainienne, il faut remonter aux causes qui nous nous ont fait manquer la grande chance historique qui s’est présentée, après la désintégration de l’Union soviétique, d’instaurer un véritable ordre de paix, tel que nous le proposions alors avec le programme du Pont terrestre eurasiatique.

Pour se faire une idée d’ensemble, il suffit d’examiner le document initialement fuité en mars 1992 au New York Times par un lanceur d’alerte. Reprenant l’esprit de l’ancien Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC), ce document connu sous le nom de « Doctrine Wolfowitz » stipulait que la mission américaine consisterait, entre autres, à jouer le rôle de seule superpuissance dans le monde post-soviétique, dotée d’une puissance militaire suffisante pour dissuader toute nation ou groupe de nations de contester la primauté américaine. Le 8 mars 1992, le NYT écrivait : « Les documents du Pentagone révèlent le rejet le plus clair à ce jour de l’internationalisme collectif, cette stratégie issue de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les cinq puissances victorieuses ont cherché à former une Organisation des Nations unies qui pourrait servir de médiateur dans les conflits et contrôler les flambées de violence. »

La doctrine Wolfowitz est la véritable raison pour laquelle la promesse faite à Gorbatchev par le secrétaire d’État James Baker (à trois occasions différentes, en février 1990), lui assurant que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce vers l’Est », n’a pas été tenue. Cette doctrine, fondée sur la « relation spéciale » anglo-américaine, fut l’axiome de base pour toute une série de politiques à appliquer, à commencer par la « thérapie de choc » des réformes libérales soutenues par le FMI en Russie dans les années 90, qui, au regard de la richesse en matières premières de la Russie et de ses compétences scientifiques, visait explicitement à éliminer un futur concurrent potentiel sur le marché mondial et réduisit la capacité industrielle russe, entre 1991 et 1994, à seulement 30 % de ce qu’elle était.

Ce fut aussi la base des différentes guerres interventionnistes en Irak, des bombardements contre la Yougoslavie, des guerres lancées contre l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, ainsi que des cinq vagues d’élargissement de l’OTAN vers l’Est.

Le discours de Poutine à la conférence de Munich sur la sécurité, en 2007, était une protestation spectaculaire contre la mise en place d’un monde unipolaire, qui resta pour l’essentiel lettre morte, de même que les diverses « lignes rouges » tracées par la Russie concernant ses intérêts fondamentaux en matière de sécurité, jusqu’à la récente proposition de Poutine aux États-Unis et à l’OTAN le 17 décembre.

Le cœur du danger réside dans le conflit entre la prétention à vouloir maintenir un monde essentiellement unipolaire, et l’émergence d’un monde multipolaire, résultant naturellement de l’essor économique de la Chine, de l’attrait de plus d’une centaine de pays pour l’initiative Ceinture et Route (Belt and Road), du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine et, plus récemment, du refus de nombreux pays, tels que l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Afrique du Sud et d’autres, de se laisser entraîner dans le conflit géopolitique opposant l’Occident à la Russie et la Chine.

C’est assurément une chose terrible que cette guerre au cœur de l’Europe, mais les guerres contre Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, le Yémen, etc. l’étaient tout autant. Pourtant elles n’ont pratiquement jamais été couvertes dans les médias. Par ailleurs, pouvait-on penser un seul instant que les militaires russes allaient en arriver à d’autres conclusions, en voyant l’adoption de sanctions toujours plus sévères à leur encontre, la mise en œuvre de divers scénarios de groupes de réflexion comme la Rand Corporation et le chœur des politiciens occidentaux appeler à l’« écrasement » de l’économie russe, l’« écrasement » de Poutine, l’« écrasement » du système russe, la première puissance nucléaire de la planète ? Entretemps, après une première étape prometteuse dans les négociations entre les délégations russes et ukrainiennes en Turquie, on a utilisé des images d’atrocités de la guerre pour appliquer de nouvelles sanctions, expulser des diplomates russes et menacer ouvertement de mettre la Russie en faillite, sans fournir le moindre début de preuve concernant l’auteur présumé de ces crimes de guerre !

Cette politique vise ouvertement à un « changement de régime ». Ils veulent faire de Poutine, et de la Fédération de Russie, pour toujours, un paria parmi les nations ; ils veulent l’exclure du Conseil de sécurité de l’ONU, voire même de l’ONU et du G20 – ce qui, d’ailleurs, détruirait ces institutions.

Cette offensive provoquera le découplage politique et économique total entre l’Occident d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre. Cette politique, qui a déjà causé des dommages dévastateurs à l’économie mondiale et aux chaînes de valeurs, va faire grimper le nombre des victimes potentielles de la famine jusqu’à un milliard de personnes, soit un huitième de l’espèce humaine ! On voit déjà des manifestations contre la faim dans de nombreux pays du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine. Pendant ce temps, l’inflation des prix de la nourriture, de l’énergie et des matières premières risque de réduire de moitié la production industrielle dans de nombreux pays, augmentant le chômage de masse et le chaos.

Un nouveau système est déjà en train d’émerger, centré sur la Chine et son projet Ceinture et route, la Russie, l’Inde et d’autres. De nouveaux alignements stratégiques se dessinent : l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), les BRICS, les accords entre l’Organisation de coopération islamique (OIC) et la Chine, les nombreuses relations entre pays du Sud.

Cependant, même l’émergence d’un monde multipolaire ne résoudra pas le problème, car elle n’élimine pas le danger d’affrontement géopolitique : nous avons besoin d’un changement radical et soudain dans notre façon d’organiser les affaires du monde. Cela doit commencer par une prise de conscience honnête et explicite que la poursuite des politiques en cours risque de déboucher sur un conflit sans vainqueur possible, et qu’il est donc nécessaire de tenir une nouvelle conférence de paix, dans la tradition du traité de Westphalie.

Après 150 ans de guerres de Religion en Europe, dont la guerre de Trente Ans ne fut que le point culminant, la reconnaissance que la seule option restante était de négocier la paix apparut aux parties en conflit. Elles réalisèrent alors que si la guerre continuait, il n’y aurait plus aucun survivant pour profiter de la victoire. Aujourd’hui, dans une guerre nucléaire, de nombreuses villes disparaîtraient de la carte en quelques heures, et le reste de l’humanité endurerait de terribles souffrances dans un monde contaminé par la radioactivité, jusqu’à ce que la vie s’arrête ou que les quelques malheureux survivants se demandent pourquoi l’humanité n’a pas été capable d’empêcher sa propre destruction.

Il faut donc convoquer immédiatement une conférence d’urgence dans l’esprit de la paix de Westphalie, où « pour le bien de la paix, tous les crimes commis par l’une ou l’autre partie doivent être pardonnés et oubliés » et où l’on accepte que « pour le bien de la paix, toute politique doit tenir compte de l’intérêt de l’autre ».

L’intention doit en être de créer une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement qui tienne compte des intérêts de chaque pays de la planète en matière de sécurité. On doit décréter un cessez-le-feu immédiat. Et un nouveau système de crédit doit être mis en place pour remplacer le système financier en faillite, véritable moteur du danger de guerre. Ce système doit être basé sur les principes du système de Bretton Woods tel que Franklin Delano Roosevelt l’avait conçu à l’origine, mais qui n’a jamais été mis en œuvre à cause de sa disparition précoce.

Les principes que Lyndon LaRouche avait présentés dans un projet de protocole d’accord entre les Etats-Unis et l’URSS, publié le 30 mars 1984, après que l’Union Soviétique eut rejeté l’offre de coopération du président Reagan pour rendre obsolètes les armes nucléaires par des moyens technologiques, restent pleinement d’actualité.

Dans ce mémorandum, il est dit :

Article 1 : Conditions générales de la paix

Les fondements politiques d’une paix durable doivent être :
a) la souveraineté inconditionnelle de tous les États-nations et de chacun d’eux, et
b) la coopération entre les États-nations souverains en vue de promouvoir des possibilités illimitées de bénéficier des bienfaits du progrès technologique, dans l’intérêt mutuel de chacun et de tous.

La mise en œuvre de cette politique de paix durable requiert un changement fondamental dans les relations monétaires, économiques et politiques entre les puissances dominantes et les nations relativement subordonnées, souvent désignées comme « nations en voie de développement ». Faute de corriger progressivement les inégalités héritées du colonialisme moderne, il ne peut y avoir de paix durable sur cette planète.

Dans la mesure où les États-Unis, la Fédération de Russie et la République populaire de Chine reconnaissent que l’amélioration des forces productives du travail, à travers la planète, sert l’intérêt stratégique vital de chacun et de tous, elles se trouvent liées à ce niveau par un intérêt commun. C’est là le noyau de la politique et de la pratique économique indispensables pour promouvoir une paix durable entre ces puissances.

La volonté de s’engager dans un programme mondial d’éradication de la pauvreté, tel qu’il est décrit par exemple dans le dossier de l’Institut Schiller, La nouvelle route de la soie devient le pont terrestre mondial, ou les propositions de la Chine pour une coopération entre son Initiative la Ceinture et la Route, le programme Build Back Better des États-Unis et le programme Global Gateway de l’UE, peut devenir le fondement réel du développement d’une architecture de sécurité mondiale. Au lieu d’être un instrument de conflit géopolitique, l’Ukraine pourrait devenir un pont entre l’Europe et les autres nations eurasiennes.

Face aux pandémies actuelles et au risque de pandémies futures, il faut construire un système de santé moderne dans chaque pays. Face à la famine qui menace la vie d’un milliard de personnes et face à la croissance démographique à venir, les gouvernements doivent prendre des mesures d’urgence pour doubler la production alimentaire afin d’assurer une alimentation saine à tous les êtres humains.

Le droit international, tel qu’il s’est développé à partir de la paix de Westphalie et tel qu’établi dans la Charte des Nations unies, doit être pleinement réinstitué. Les cinq principes de la coexistence pacifique doivent être les lignes directrices de la coopération entre toutes les nations.

La crise existentielle actuelle a démontré que l’humanité n’a pas le choix : c’est un avenir commun, ou pas d’avenir du tout. L’intérêt de l’humanité comme un tout doit passer avant les intérêts nationaux, et dès lors, chaque intérêt national doit être en cohésion avec celui de l’humanité dans son ensemble.

C’est une expression de la richesse de notre civilisation humaine que d’avoir généré des cultures différentes. Nous devons faire progresser le dialogue entre les meilleures traditions de ces cultures, leurs plus belles créations scientifiques et artistiques, en tant que témoignage de cette créativité unique à l’homme, et créer ainsi une nouvelle renaissance qui inaugurera une nouvelle ère pour l’humanité.
Nous remplacerons la haine et les préjugés à l’égard des autres cultures, qui n’existent que parce que nous ne les connaissons pas, par un amour pour toute l’humanité, car elle est le bien le plus précieux de l’univers.

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