« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visioconférence de l’Institut Schiller du 9 avril 2022
4ème session
11 juillet 2022
Dans la dernière session de la Conférence, Mme Zepp-LaRouche a répondu longuement à une question concernant l’Initiative de défense stratégique (IDS), cette stratégie proposée par Lyndon LaRouche et adoptée par le président Reagan en 1983. Etait-ce vraiment une « Guerre des étoiles », comme l’ont affirmé les médias, ou s’agissait-il déjà d’une tentative de faire « coïncider les opposés » de l’époque, les Etats-Unis et l’Union soviétique, autour d’un système de défense et d’intérêt mutuel ?
HZL : L’idée venait de Lyndon LaRouche (1922-2019), mon défunt mari. Nous éditions à l’époque un magazine scientifique appelé Fusion, qui, à son apogée, comptait 150 000 abonnés. A ce titre, nous nous nous intéressions à toutes sortes d’avancées technologiques de pointe, notamment la mise au point d’armes défensives à faisceaux de particules et d’armes à laser. A un moment donné, nous avons constaté que le principal auteur sur ces questions en Russie avait cessé de publier. En cherchant à savoir pourquoi, nous avons découvert que les Soviétiques étaient en train de mettre au point un système de défense local pour Moscou. En arrière-plan se profilait la crise des missiles à portée intermédiaire. Suite au positionnement par le pacte de Varsovie de missiles SS20 menaçant l’Europe de l’Ouest, l’OTAN y installa des missiles Pershing. Ces systèmes étaient en état d’alerte permanente. Leur durée de vol était si brève qu’en voyant l’un de ces missiles nucléaires apparaître sur son écran radar, l’autre partie devait déclencher instantanément une riposte automatique, sinon c’était trop tard.
Helmut Schmidt chasse Brzezinski de son bureau
Le monde vivait alors sous l’épée de Damoclès d’une extinction nucléaire, un peu comme aujourd’hui. Seule différence, à l’époque, il y avait un mouvement pacifiste très fort et de nombreuses personnes étaient parfaitement conscientes du danger. Helmut Schmidt, le chancelier allemand de l’époque, avait déclaré à plusieurs reprises : « Nous sommes au bord de la troisième guerre mondiale. » Quelqu’un nous a confié un jour que Schmidt avait chassé Zbigniew Brzezinski de son bureau à Hambourg, en lui disant que les politiques qu’il préconisait menaçaient la survie de l’humanité. La situation était extrêmement tendue. Selon mon mari, le plus grand danger pour la paix mondiale survient lorsque l’une des parties commence à développer des armes utilisant de nouveaux principes physiques, pouvant rendre obsolètes les armes nucléaires de l’autre partie. Cela peut créer une situation où l’un ou l’autre camp serait tenté d’utiliser ses armes tant qu’elles sont encore efficaces... Mon mari défendait l’idée que l’Occident devait coopérer avec l’Union soviétique pour construire ces systèmes d’armes innovants, basés sur de nouveaux principes physiques. Il s’agissait d’un projet très complexe, comprenant quatre niveaux différents : le premier, pour cibler le missile lorsqu’il est en phase de décollage et se déplace relativement lentement, puis deux systèmes pouvant abattre le missile en orbite, et enfin un quatrième, chargé de le neutraliser dans sa trajectoire d’arrivée.
L’IDS, un projet révolutionnaire
Ce système était imperméable à 100 %, c’est-à-dire que tous les missiles pouvaient être arrêtés. Plus important encore, pour la première fois, on avait un système où les dispositifs de défense étaient beaucoup moins chers que les armes offensives. C’était une proposition révolutionnaire ! Nous avons tenu des conférences à Washington, à Rome, à Bonn, à Paris. Nous avons pris contact avec les milieux militaires en Europe. Plusieurs séminaires ont eu lieu à Bonn avec des responsables du ministère de la Défense, des généraux français et d’autres. Les Français, bien que très inquiets parce qu’ils avaient immédiatement compris que cela rendrait caduque leur dissuasion nucléaire « tous azimuts », étaient cependant fort intéressés car ils pensaient que c’était faisable. Dans ce contexte, mon mari prit contact avec le Conseiller à la sécurité nationale du président Reagan, qui nous encouragea à établir des entretiens en coulisse avec les Soviétiques, ce que nous avons fait pendant un an. Nous avons discuté très sérieusement de la possibilité que les États-Unis et l’Union soviétique investissent ensemble dans des technologies qui rendraient les armes nucléaires technologiquement obsolètes. Après un an d’allers-retours entre les différents protagonistes, Moscou donna sa réponse : c’était non. Pourquoi ? Parce qu’ils estimaient que la mise au point de tels systèmes profiterait davantage à l’Occident qu’à l’Union soviétique. C’était le 23 février 1983, mais l’histoire n’était pas finie. Un mois plus tard, le 23 mars, le président Reagan apparut à la télévision américaine pour annoncer quelle serait la politique officielle de défense américaine, qu’il a appelée l’Initiative de défense stratégique. Immédiatement, l’enfer s’est déchaîné. Certains de nos experts furent interviewés à la télévision. On s’agitait des deux côtés. À Washington, une certaine faction se déchaîna contre nous, de même qu’à Moscou. Beaucoup de calomnies furent publiées contre nous dans les médias soviétiques, des articles traitant mon mari de « troglodyte » et moi-même de « Teutonne », illustrations à l’appui. Or, l’IDS n’était pas ce que les médias en ont fait. Ils l’ont présentée comme une « Guerre des étoiles », une tentative de militariser l’espace, ce qui n’était pas le cas. C’était une proposition absolument révolutionnaire. Le président Reagan en avait compris le concept, allant jusqu’à proposer aux Soviétiques l’aide des Etats-Unis pour appliquer ces nouvelles technologies à leur économie civile afin d’en stimuler la productivité, parce que c’est là que l’URSS connaissait des goulets d’étranglement. Par exemple, 40 % de leurs récoltes pourrissaient sur place faute d’infrastructures pour les conserver. Le but était donc de leur faire faire un saut technologique afin de créer une « plateforme infrastructurelle » complètement différente, ce qui aurait sauvé l’URSS. Mais à l’époque, il existait d’autres plans, comme le plan offensif d’Ogarkov, ce qui explique que l’IDS ait été rejetée.
La paix par le développement mutuel
Ce que mon mari avait proposé était absolument révolutionnaire : l’idée qu’ensemble, l’Occident et l’URSS pourraient développer ces nouveaux systèmes, engendrant ainsi un formidable saut dans leur productivité économique, qui aurait permis d’effectuer conjointement d’importants transferts de technologie vers les pays en développement. On aurait pu en finir avec l’habitude des superpuissances d’utiliser les pays en développement pour mener des guerres « par procuration » ! En même temps, la proposition incluait la dissolution de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, abolissant les blocs pour s’engager à la place dans une coopération mutuelle pacifique afin de surmonter le sous-développement. C’était une vision idéale pour surmonter la guerre froide et pendant plus de huit mois, ce fut la politique officielle du président Reagan. C’est le même type de démarche que nous préconisons aujourd’hui pour construire une nouvelle architecture de sécurité. C’était déjà la réflexion qui nous guidait lorsque nous avons proposé, après la désintégration de l’URSS en 1991, de construire le « pont terrestre eurasiatique » afin d’intégrer le continent eurasien dans une perspective de développement, en construisant des « corridors de développement » qui connecteraient les centres de population et les centres industriels européens à ceux d’Asie. Cette politique fut sabotée à son tour, car certains jugeaient qu’il valait mieux écraser la Russie pour en faire un simple exportateur de matières premières, comme les pays du tiers monde, plutôt que de permettre au continent eurasien de se développer. Notre idée fut cependant reprise par la Chine, avec son initiative « Ceinture et route ». Elle est donc en train de faire son chemin.
La coïncidence des opposés
La nouvelle architecture de sécurité internationale que nous proposons aujourd’hui vient de la même inspiration, à savoir que la paix ne peut se faire que par le développement, et que l’on doit offrir une perspective mutuellement bénéfique en créant un niveau de coopération plus élevé que celui qui a vu naître le conflit. Il s’agit d’une seule et même tradition, et la Banque internationale de développement, proposée par mon défunt mari en 1975, reposait sur ce concept de base. Ainsi, en considérant notre travail de ces 50 dernières années, vous verrez qu’il est absolument cohérent. Certes, avec l’évolution des circonstances, les tactiques ont pu changer, mais notre engagement reste le même : nous devons vaincre le sous-développement, c’est la seule base pour établir une paix durable dans le monde entier.