« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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14 septembre 2015
Amelia Boynton Robinson, héroïne de la lutte des droits civiques aux côtés de Martin Luther King, s’est éteinte le 26 août, à l’âge de 110 ans, arrivant ainsi au terme d’une vie pleine, très inspirante, et productive.
Voyant dans l’institut Schiller la continuation du mouvement des droits civiques, elle en a été une militante passionnée et la vice présidente de 1984 à 2009.
Madame Helga Zepp-LaRouche, présidente fondatrice de l’Institut Schiller et amie d’Amelia, lui rend ici un hommage.
par Helga Zepp-LaRouche
A l’âge vénérable de 110 ans, Amelia nous a laissés. Peu avant de s’éteindre, elle était encore pleinement consciente et, comme toujours, remplie d’un amour passionné pour l’humanité et pour l’idée que « Dieu a encore beaucoup de travail pour elle ». Tel est l’engagement de sa vie qu’elle n’abandonna jamais, que ce soit lors de la célèbre marche de la liberté de Selma à Montgomery, en Alabama le 7 mars 1965, lorsque tabassée par la police sur le pont Edmund Petus, elle fut laissée là pour morte, ou encore lorsqu’elle faillit se noyer dans un fleuve mais survécut, bien que ne sachant nager, car elle était inébranlablement convaincue de sa mission.
Dès les années 1930, elle fut l’un des initiateurs, peut-être même le plus important, du Mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, lorsqu’elle entreprit d’inscrire les Afro-Américains, en particulier les femmes, sur les listes électorales, alors que les conditions étaient encore proches de celles de l’ère de l’esclavage. Face au racisme profond, encore ancré aujourd’hui en Alabama, un Etat du sud, et face au danger très réel que représentait le Ku Klux Klan, il lui a fallu pour cela un sacré courage et une vision indéfectible de la vraie identité de l’humanité. En collaboration avec son mari, Samuel William Boynton, elle fit venir à Selma de nombreux dirigeants du mouvement, dont James Bevel, le premier à appeler à la marche sur Montgomery, la capitale d’Alabama, Hosea Williams et Martin Luther King, à qui elle ouvrit sa maison pour leur servir de bureau.
Le film Selma, produit l’année dernière, dans le quel Amelia est représentée, ne fait en aucun cas justice de son importance de pionnière. Lors de notre dernière rencontre à Philadelphie en avril dernier, elle m’a personnellement raconté qu’il faudrait tourner un autre film sur les débuts du mouvement des droits civiques qui mette en valeur le rôle décisif des Afro-Américaines, sans lesquelles le mouvement n’aurait pas existé.
J’ai appris à connaître Amelia au début des années 1980 en Virginie, dans le cadre de la collaboration de mon mari Lyndon LaRouche avec de nombreux responsables du mouvement des droits civiques. Elle était une personne extraordinaire d’un immense rayonnement, qui avait le don d’élever immédiatement son interlocuteur sur un plan historique supérieur. Elle voyait dans l’Institut Schiller la continuation du mouvement des droits civiques, et en tant que vice-Présidente de l’institut de 1984 à 2009, elle a effectué de nombreuses présentations, interventions et voyages au niveau international.
Nos relations se sont intensifiées en mars et avril 1990, soit tout de suite après la Révolution pacifique et dans la phase de transition de la réunification allemande, lorsque Amelia s’est rendue dans de nombreuses villes en Allemagne de l’Est — Cottbus, Zwickau, Chemnitz, Sondershausen, Worbis, Heiligenstadt, Crivitz, etc. Dans toutes ses interventions, elle incitait les gens à prendre courage, montrant les parallèles entre le mouvement des droits civiques américain et celui d’alors en Allemagne de l’Est. Dans cette période agitée de l’histoire allemande, elle a déployé sa capacité poétique singulière – avec ses poèmes et ses histoires sur Martin Luther King et avec ses spirituals si magnifiquement chantés – pour que les gens dans ces régions qui étaient sur le point de devenir de nouveaux Länder de la Fédération allemande, prennent conscience des principes humains éternels qui guident tous ceux qui luttent pour la liberté et les droits civiques et humains, et qui unissent les nations et les cultures par-delà le temps. A cette époque de bouleversements, nous nous sommes mutuellement adoptées comme mère et fille.
Pendant 25 ans, Amelia travaillait avec l’Institut Schiller en la qualité de vice-présidente et avec le Mouvement des droits civiques Solidarité (BüSo en allemand). Elle a fait de fréquents voyages dans des pays comme la Suède, le Danemark, la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Inde, l’Iran, la Jordanie, l’Egypte, en plus de nombreuses villes aux Etats-Unis mêmes. Partout et toujours insistait elle sur l’importance de l’amour pour l’humanité, de la paix et du dialogue des cultures. Et les milliers de personnes qu’elle inspirait à penser à l’humanité avec grandeur, réagissaient avec gratitude d’avoir connu une ambassadrice de l’autre Amérique, surtout dès lors que commença la succession des guerres américaines basées sur des mensonges.
En 2003, elle a dénoncé la guerre d’Irak, expliquant au journal italien Confronti : « Le mal ne peut être changé que par son contraire, le bien. C’est pour cette raison que je suis contre la guerre, et je ne crois pas que quelque chose de mal puisse être rectifié par une plus grande injustice qui coûte la vie à beaucoup d’innocents. (...) Je suis fière d’être ce que je suis, je suis fière d’avoir collaboré avec Martin Luther King – depuis le moment qu’il est venu à Selma jusqu’à sa mort – et je suis fière aujourd’hui de ma collaboration avec Lyndon LaRouche, un Blanc, et avec l’Institut Schiller. »
Plus loin dans l’interview, elle a précisé : « Les Etats-Unis ont été pendant longtemps un phare d’espoir pour le monde. (...) Malheureusement, la société et la démocratie américaines ont été ternies par bien de nos dirigeants politiques, qui réclament du sang, de plus en plus de sang. Beaucoup disent que la guerre en Afghanistan a servi à dissimuler le fait que notre économie est en mauvais état et que nous avons 32 milliards de dollars de dette. (...) Attribuer tous nos problèmes au 11 septembre est un moyen de dissimuler la vérité et de détourner l’attention du monde de nos faiblesses. Les Etats-Unis ne peuvent conduire une lutte pour la justice s’ils sont eux-mêmes injustes. Ils ne peuvent pas diriger le monde vers la solidarité, s’ils continuent d’agir selon la devise « diviser pour régner » et de simplement dérober aux pays plus faibles ce qu’ils veulent. Mais ceux qui veulent la guerre contre l’Irak et potentiellement d’autres guerres, ne représentent pas la majorité du peuple américain. Les Américains voient avec effroi et avec honte ce que nous faisons à d’autres pays. »
Aujourd’hui, face au danger imminent que les Etats-Unis et l’OTAN provoquent une grande guerre contre la Russie et la Chine, cela sonne comme un legs lorsque Amelia disait dans la même interview que les Européens devraient refuser de soutenir les Etats-Unis et devraient envoyer des représentants de parlement et de gouvernement pour leur dire que « leurs pays ne vont pas prendre part à cette vengeance, que l’utilisation de leurs bases militaires n’est pas permise et qu’il n’y aura pas de soutien économique pour la tuerie. »
Une autre publication italienne, Buddismo e Societa, a publié le texte d’un discours que Amelia a prononcé le 28 septembre 2002 devant des milliers de personnes lors d’une conférence à Rome. Juste un extrait : « Mon mari croyait, peu avant l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale, que nous étions assis sur une poudrière qui pouvait exploser à tout moment. Aujourd’hui, j’ai le même sentiment. C’est pourquoi nous devons absolument agir pour empêcher non seulement la guerre contre l’Irak mais aussi toutes les autres guerres qui pourraient suivre. Aujourd’hui, c’est l’Irak, mais demain cela pourrait être le Pakistan, la Corée du Nord, le Vietnam et peut-être votre pays bientôt. (...) N’acceptez pas que l’on vous corrompe, n’acceptez pas que l’on vous oblige à mettre à disposition vos bases de l’OTAN pour cette guerre. »
En évoquant la lutte pour les droits de l’homme aux Etats-Unis, Amelia a comparé les Afro-Américains qui à l’époque avaient peur de devenir des agriculteurs indépendants avec ceux qui aujourd’hui, sont prêts à accepter la guerre : « Ils [ces Afro-Américains] n’arrivaient pas à se faire à l’idée de travailler indépendamment, parce qu’ils avaient été endoctrinés pendant des siècles. Ils pensaient qu’il fallait travailler pour toujours pour leur maître, tout comme beaucoup de gens aujourd’hui sont endoctrinés et croient que si Bush veut la guerre, alors l’Amérique doit faire la guerre. »
L’entourage d’Amelia était au départ ébloui par Obama en tant que premier président afro-américain, tout comme d’innombrables Européens, comme les 200 000 personnes en 2008 qui ont frénétiquement fêté Obama à Berlin. Entre-temps, la désillusion s’est installée. C’est à plus forte raison que tous ceux qui aimaient Amelia devraient, pour célébrer son immortalité, perpétuer son esprit en protégeant et en libérant le monde comme elle le faisait.
Bien-aimée Amelia, tu sera toujours avec nous, et nous avec toi !
Deux éditions de son autobiographie Bridge Across Jordan, ont été publiées en anglais par l’Institut Schiller en 1991 et en 2003. La version française Le Combat des noirs aux États-Unis est parue aux Editions Duboiris (2007).