« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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7 octobre 2022
Le centième anniversaire célébrant la naissance de Lyndon LaRouche (1922-2019) offre ici l’occasion de montrer en quoi l’économiste et penseur américain avait dès longtemps prévu l’effondrement du système financier mondial actuel et évalué le risque qu’il représente encore pour la civilisation. Ce document donne aussi l’occasion d’entrevoir l’émergence progressive, à partir de la coopération d’états-nations souverains, d’une nouvelle architecture économique et monétaire mondiale, basée sur la production réelle de biens, soucieuse de l’intérêt général, à l’écart d’un FMI en débâcle et favorisant des échanges constructifs en tous domaines où chacun des pays participants pourra y trouver son compte. Tel est le sens de l’appel de l’Institut Schiller pour un Nouveau Bretton Woods, que nous vous invitons à signer.
par Lyndon LaRouche, 18 juillet 2000
A l’exception des escrocs habituels et de ceux qui ignorent tout de l’économie, on entend dans le monde entier des voix influentes affirmer, avec de moins en moins d’hésitation, que le système monétaire et financier actuel, sévèrement vérolé, est voué à un effondrement en chaîne précoce.
Parmi les cercles concernés et en dehors des États-Unis, la principale question que l’on se pose est : comment remplacer le système mondial actuel, et par quoi exactement ?
C’est ainsi que des mesures de plus en plus audacieuses ont été prises dans cette direction, en Asie de l’Est et du Sud, surtout depuis que la Malaisie, sous la direction du Premier ministre Mahathir bin Mohamad, a mis en place avec succès une politique de contrôle de capitaux et de changes.
Ces dernières semaines, les actions désespérées et provocatrices obstinément menées par le secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, et le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, ont provoqué le même type de discussions en dehors de l’Asie.
Ces démarches pointent de plus en plus vers l’émergence de systèmes régionaux de coopération économique. En se combinant, ces efforts régionaux pourraient devenir les éléments constitutifs d’un nouveau système monétaire et financier mondial [un « nouveau Bretton Woods »], une fois que le Fonds monétaire international (FMI) aura été mis en faillite organisée ou se sera tout simplement désintégré de lui-même.
Parmi ceux qui étudient la perspective d’alternatives régionales au FMI en faillite, certains économistes de premier plan estiment qu’une nouvelle approche s’impose : le système précédent de taux de change fixes, dont la pierre angulaire fut, de 1945 à 1966, un dollar à réserve or, pourrait être remplacé par un nouveau système de taux de change relativement fixes, basé cette fois-ci sur des « paniers de devises » régionales et autres, comme alternative à l’ancien dollar à réserve d’or.
Les propositions les plus médiatisées dans ce sens émanent du groupe de nations asiatiques ASEAN + 3 [pays de l’ASEAN plus la Chine, le Japon et la Corée du Sud] et aussi de cercles importants d’Europe continentale. Des discussions similaires sont en cours parmi les pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI).
Dans certains cercles européens de haut niveau, l’attention s’est portée à la fois sur les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI et sur la proposition de système monétaire européen (SME), lancée conjointement par le président français Giscard d’Estaing et le chancelier allemand Helmut Schmidt, à la fin des années 1970.
Il est utile de comparer ces propositions et d’autres du même type, avec la Banque internationale de développement (BID) que j’avais moi-même proposée au milieu des années 1970, et qui suscita à l’époque une attention vigoureusement antagoniste de la part de l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger et des milieux qu’il représente.
La France après de Gaulle, par Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade, publié par Nouvelle Solidarité, 1981. La France après de Gaulle, par Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade, publié par Nouvelle Solidarité, 1981.
Aujourd’hui, dans les cercles européens concernés comme ailleurs, on s’accorde généralement à dire que ce qu’ont fait les États-Unis à l’époque du président Franklin Roosevelt, en posant les bases d’un système monétaire pour l’après-guerre, a très bien fonctionné, notamment au profit des États-Unis et de l’Europe occidentale.
Ce système a prospéré jusqu’au lendemain de cette fatidique année 1963, lorsque le chancelier allemand Konrad Adenauer a été poussé à la démission, que le président américain Kennedy a été assassiné et que le président français Charles de Gaulle a subi plusieurs tentatives d’assassinats, attaques qui ont perduré pendant le tumultueux changement de paradigme culturel et économique des années 1967-1969.
Cependant, ceux qui reconnaissent l’urgence d’un retour aux principes des accords monétaires internationaux à taux de change fixes d’avant 1971, soulignent également que le dollar américain de cette année 2000, comparé au prestigieux dollar américain et à l’économie américaine encore en vigueur du vivant du président Kennedy, est devenu une chose beaucoup moins prestigieuse. De plus, on peut craindre que sous une nouvelle administration Bush (ou, moins probablement, une administration Gore), la valeur du dollar plongera à des niveaux historiquement bas.
Par ailleurs, comme le notent les cercles concernés en Europe et en Asie, la résistance la plus obstinée au rétablissement d’un système de taux de change fixes provient des États-Unis eux-mêmes.
Pour cette raison, entre autres, il a été proposé que le nouveau système monétaire fasse appel à « un panier de devises » pour remplacer le dollar américain convertible en or de la période 1945-1965.
Si je reconnais que le modèle des Droits de tirages spéciaux (DTS) pourrait être un élément majeur des mesures de relance économique requises, je ne suis pas d’accord, tout en conservant une certaine sympathie pour ceux qui plaident en ce sens, avec la suggestion qu’un « panier de devises » puisse être un élément utile à la réforme monétaire dont le monde a besoin.
Au lieu du panier de monnaies évoqué, je propose l’approche suivante en deux phases pour créer le nouveau système monétaire et commercial mondial à taux de change fixe qu’il nous faut établir.
Je propose de structurer la discussion dans les termes suivants. Accordons-nous pour reconnaître qu’à l’heure actuelle, l’ordre du jour des réformes proposées doit implicitement s’articuler autour de l’idée qu’une sortie en toute sûreté des désastres financiers et monétaires mondiaux en cours n’est susceptible de se produire qu’en deux étapes successives distinctes, bien que se chevauchant.
Il faut souligner que, depuis l’erreur tragique commise par le gouvernement américain lors de la conférence monétaire d’octobre 1998 à Washington D.C., ce gouvernement a non seulement abandonné ses options antérieures en vue d’une réforme monétaire globale, mais il a commencé à alimenter, avec la plus grande obstination, une spirale financière hyperinflationniste globale, désormais analogue à celle ayant conduit à l’hyperinflation des prix des biens dans l’Allemagne de Weimar, de mars à novembre 1923.
La folie persistante de la politique monétaire américaine et des politiques connexes, depuis les sessions d’octobre 1998 de la conférence de Washington, aggravée par la conduite et le résultat catastrophique de la récente guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, a en grande partie ruiné la capacité diplomatique des États-Unis d’avant octobre 1998, à jouer un rôle constructif de leader dans la réforme monétaire mondiale.
Ainsi, à la lumière de la monstrueuse dégénérescence qui affecte l’élaboration de la politique américaine depuis octobre 1998, ainsi que sa crédibilité, il est presque certain qu’une réforme, si elle doit avoir lieu, se fera en deux phases successives : régionale et mondiale.
La première phase, comme le suggère la discussion en cours entre les États membres du groupe ASEAN + 3, se caractérise par la reprise de la proposition d’un Fonds monétaire asiatique, faite en 1997 par le Japonais E. Sakakibara.
Ce mécanisme n’est pas seulement conçu comme une mesure défensive contre les attaques de guerre financière des fonds spéculatifs et autres spéculateurs, il vise également à promouvoir d’urgence des accords de commerce de matières premières et d’amélioration du capital à long terme entre ces nations asiatiques.
Au cours de cette première étape, on peut prévoir l’apparition, dans différentes régions de la planète, de groupements régionaux, se chevauchant parfois, ayant des perspectives similaires et coopérant entre eux.
La deuxième étape consisterait à rétablir une organisation monétaire mondiale efficace, avec un retour à des taux de change fixes, pour remplacer le système du FMI en faillite. Il s’agirait d’un nouveau système monétaire, assemblé à l’initiative de groupes régionaux de nations participantes.
Il faut donc examiner la question d’un « panier de devises » à la lumière du fait que cette approche en deux phases de la réforme est actuellement la seule perspective en vue, en admettant que le monde ait encore une perspective favorable de quelque nature que ce soit pour les décennies à venir.
Le problème ainsi défini est le suivant.
Tant que le système du FMI et ses attributs existeront sous leur forme actuelle, toute tentative d’utiliser un « panier de devises » pour remplacer le rôle joué par le dollar américain de 1945 à 1963 sera, non pas un remède, mais un piège.
Le monde ne peut pourtant pas attendre qu’une réforme monétaire générale ait lieu pour adopter certaines mesures défensives contre les pires effets de la catastrophe financière et monétaire mondiale qui se profile. A ce stade, il devient essentiel d’adopter une première série de mesures pouvant être entièrement mises en place en dehors de la supervision ou de tout contrôle de la finance mondialisée.
Il faut donc considérer la réforme monétaire comme un processus en deux étapes.
La première est l’émergence de blocs régionaux fonctionnant en dehors du système du FMI, ou en parallèle. La deuxième étape sera le rôle crucial de ces blocs régionaux dans le remplacement du FMI.
Entretemps, les mesures prises par les blocs régionaux doivent éviter scrupuleusement les effets désastreux qui résulteraient d’un enchevêtrement systémique de ces mesures dans le système déjà condamné du FMI. Aucun homme prudent ne reste dans sa cabine alors que le Titanic vient de heurter l’iceberg. La transition doit être basée sur des valeurs économiques indépendantes du FMI et assurément capables de lui survivre.
En sélectionnant les devises que vous incluriez dans votre panier, posez-vous la question : « Quelle est la valeur réelle de chacune de ces monnaies ? » Pour répondre honnêtement : « N’importe quelle combinaison de ces monnaies serait un investissement aussi risqué que le Reichsmark allemand au début du mois de juillet 1923 » [juste avant la fameuse hyperinflation de Weimar].
En bref, l’ensemble du système monétaire et financier mondial est en proie à une accélération de l’hyperinflation financière et monétaire des actifs financiers nominaux ; il se trouve piégé dans un état limite critique. Nous sommes au bord de la désintégration générale du système mondial, y compris de la plupart des principales devises, à l’exception peut-être de celle de la Chine et de quelques autres.
La prudence en politique doit consister à protéger le crédit des gouvernements nationaux afin qu’ils ne soient pas entraînés dans la coulée de boue qui engloutira le système actuel. En bref, l’avis du sage serait : « N’envoyez pas le bon argent au fond du trou avec le mauvais ! »
Toute décision économique saine doit désormais se fonder sur l’évidence que les institutions financières et monétaires en place sont si désespérément et profondément en faillite que l’économie mondiale ne pourrait être sauvée sans effacer des bilans surgonflés plusieurs centaines de trillions d’équivalents dollars américains.
En d’autres termes, la valeur des actifs financiers en souffrance doit être ajustée sur la valeur réelle des biens composant le produit intérieur brut mondial. Faute de quoi, aucune politique de relance ne pourra nous tirer de la terrible dépression mondiale qui s’annonce.
A l’échelle internationale, la valeur nominale de 400 trillions de dollars d’actifs financiers (chiffres de 2000) devra être effacée des comptes, ou réduite, suite à une mise en faillite organisée, à une simple fraction de son montant nominal correspondant à sa valeur en termes de biens réels.
Ce qu’on appelle les « produits financiers dérivés » négociés Over The Counter (OTC, de gré à gré) doivent tout simplement être rayés catégoriquement des bilans. Les créances fabriquées à partir des junk bonds (obligations poubelles) et autres fantaisies spéculatives doivent être traitées de la même manière.
Une grande partie de la dette internationale émise, non pas pour des projets et des achats de biens réels, mais pour échafauder des montages comptables exotiques, par des mécanismes administratifs propres à un système monétaire à taux de change flottant, doit être purement et simplement annulée.
On procédera à des dépréciations à grande échelle de la valeur financière surgonflée des biens immobiliers (bulles) et autres. Même une grande partie de la dette légitime, y compris celle réellement contractée par des gouvernements souverains, doit être réorganisée ou rééchelonnée.
En général, la masse totale des créances financières doit être ramenée à des taux d’intérêt compatibles avec un retour aux politiques de croissance économique qui prévalaient en Europe occidentale et dans les Amériques pendant la période 1945-1965.
La principale préoccupation régissant cette réorganisation financière et monétaire doit être de retrouver et de maintenir de bons niveaux d’emploi, de consommation et de production, en particulier dans les catégories de production et de consommation de biens durables, et de maintenir les taux de croissance nette, par habitant et par kilomètre carré, dans les biens durables et les infrastructures, concordant avec ce qui avait été les objectifs politiques convergents des gouvernements des États-Unis, de la France et de l’Allemagne, pendant les mandats des présidents John Kennedy, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.
En d’autres termes, la nécessaire réorganisation des systèmes financiers et monétaires internationaux aujourd’hui en faillite doit se traduire par une réforme structurelle de la composition des catégories d’emploi, d’investissement et de flux de crédit, afin de revenir à des objectifs et des normes compatibles avec les objectifs opérationnels des gouvernements de cette époque.
Ces mesures apparemment drastiques et subites ne sont pas de simples options politiques, elles sont la condition préalable à la poursuite de ce qui mérite le nom de « vie civilisée moderne ».
Pour ceux qui n’ont pas encore réfléchi à la question, il peut sembler extravagant d’avertir que sans ces mesures apparemment drastiques de réorganisation financière et monétaire, sans inverser l’orientation des investissements en matières premières et les tendances de production de plus en plus répandues aujourd’hui, cette planète sera bientôt plongée dans un âge sombre global, dans une spirale descendante vers des conditions semblables à celles de l’Afrique sub-saharienne, où l’on verra probablement la population mondiale chuter bien en dessous d’un milliard d’individus au cours des prochaines décennies.
La profonde inquiétude sur la nouvelle menace que représentent pour bon nombre de nations les maladies infectieuses mondiales et régionales, doit être identifiée par les gouvernements intelligents et les autres organismes concernés comme un marqueur reflétant avant tout la mauvaise santé de l’économie mondiale dans son ensemble.
Cette mise en garde ne sera pas considérée comme exagérée par les spécialistes compétents qui ont étudié les causes physiques définissant l’évolution du potentiel relatif de densité démographique (PRDD) [unité de mesure économique spécifique, mise au point par Lyndon LaRouche] d’analyse économique (et les niveaux d’espérance de vie) de l’Europe et des Amériques depuis le début du XVIe siècle.
Si l’on prend en compte l’apport de l’infrastructure et de la technologie de production depuis la Peste noire du XIVe siècle, il faut reconnaître que l’élaboration des politiques dans le cadre du système du FMI, depuis le milieu des années 1960, a inversé la tendance démographique haussière à long terme, pour retomber aux niveaux de population précédemment atteints qui avaient dominé les longues oscillations de la civilisation européenne au cours des siècles précédents.
Si nous n’inversons pas radicalement cette tendance à la baisse des investissements dans les technologies et dans les politiques natalistes, qui a prévalu dans le cadre du système FMI, nous courrons vers une catastrophe démographique mondiale.
Cette catastrophe pourrait néanmoins être évitée, même à ce stade avancé, si les principales nations s’accordaient sur des mesures pouvant amener les relations économiques mondiales à des formes de coopération comparables à celles partagées entre les États-Unis et l’Europe occidentale pendant l’intervalle d’après-guerre 1945-1965.
Il suffirait de revenir à des politiques comparables à celles que les États-Unis et l’Europe occidentale continentale sont, plutôt bien, parvenus à mettre en œuvre, avec des hauts et des bas, pendant ces années d’après-guerre.
Nous devons ajouter que cette coopération doit se baser sur un véritable partenariat, essentiellement mondial, avec les nations qui ont été, jusqu’à présent, les perpétuelles victimes de l’héritage du colonialisme, y compris sous les pratiques néocoloniales inhérentes au système du FMI.
La participation d’une nation exportatrice de technologie de premier plan, le Japon, au processus de l’ASEAN + 3, si elle est étendue à une coopération plus générale dans toute l’Eurasie, représente, au moins approximativement, la base d’une « économie complète » capable d’engendrer des taux de productivité plus grande par habitant, pour tous les partenaires de cet arrangement.
J’espère que malgré le niveau déplorable de certains pré-candidats à la présidence des États-Unis, en 2001, un gouvernement sain pourra émerger du processus politique actuel, turbulent mais surtout dégoûtant, un gouvernement qui sera un partenaire volontariste, coopérant dans un arrangement global du type de celui auquel aspire le groupe ASEAN + 3.
Si l’on veut y parvenir à temps, certaines mesures préliminaires sont indispensables. Pour les définir, nous devons retenir certaines leçons importantes tirées de la période qui a précédé la dérive vers le système ruineux, aujourd’hui en faillite, des « taux de change flottants » du FMI. Nous devons abandonner les changements de politique désastreux des trente dernières années, au profit des leçons à tirer de l’expérience réussie de la période 1945-1966.
Nous sommes dans une situation où la plupart des principales monnaies du monde devront être simplement effacées des comptes, ou réorganisées lors d’une procédure de faillite, sous l’autorité d’un nouveau système mondial. Dans cette transition, de nombreuses monnaies actuellement dominantes devront être soit réorganisées de manière systémique, soit remplacées par des monnaies nouvellement définies et des mécanismes de crédit associés. Ces monnaies ne peuvent être réorganisées ou créées qu’en inversant les récentes tendances à la mondialisation, en invoquant l’autorité émettrice de crédit, prérogative de l’État-nation parfaitement souverain.
Il faut bien comprendre qu’une telle réorganisation n’est pas une proposition folle, comme le prétendent certains hystériques pro-monétaristes. Comme je l’ai dit, soit nous le faisons rationnellement, volontairement, soit les ondes de choc du chaos financier, économique, politique et social mondial le feront bientôt à notre place, que nous le voulions ou non.
Nous avons connu des conditions similaires au cours du XXe siècle qui vient de s’achever. La crise financière et monétaire mondiale actuelle est plus profonde, plus étendue et plus grave que tout ce qu’on y a pu voir alors. Aussi, comme lors de certains précédents du siècle qui vient de s’écouler, nous serons obligés de rayer de nos livres de comptes les monnaies en faillite, pour les remplacer par de nouvelles, établies par le pouvoir souverain des gouvernements des États-nations.
Il est vrai que cette réforme rencontre une résistance hystérique. On le voit chez les intérêts financiers oligarchiques politiquement puissants, incarnant aujourd’hui le même point de vue sur cette question que les Anglo-américains et d’autres qui ont répondu à l’éclatement de la Grande Dépression des années 1930 en unissant leurs forces pour porter Adolf Hitler au pouvoir en 1933-1934.
Le bien-fondé de cette affirmation est apparu clairement en 1931 en Allemagne, à travers l’opposition radicale entre, d’une part, la proposition de réforme financière avancée par la Société Friedrich List, et d’autre part, les politiques promues par des représentants des intérêts financiers oligarchiques tels que le Britannique Montagu Norman (gouverneur de la Banque d’Angleterre), sa marionnette le banquier allemand Hjalmar Schacht (futur ministre des Finances du IIIe Reich), la banque Brown Brothers Harriman de New York, ainsi que [l’ex-vice-chancelier allemand Franz] von Papen.
Les monétaristes opposés à ces indispensables réformes – les équivalents actuels des Norman et des Schacht des années 1920 et 1930 – sont représentés principalement par les cercles de la Société du Mont-Pèlerin et leurs complices, tels que l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher, la Heritage Foundation américaine et les fanatiques radicaux du libre-échange au Congrès américain.
Si ces forces l’emportent, comme c’est le cas aujourd’hui aux États-Unis avec Larry Summers, Alan Greenspan et les adeptes du sondeur Dick Morris, le monde verra bientôt des régimes et des conditions pires que ceux que l’Europe a connus sous le règne d’Adolf Hitler. C’est précisément là que réside le danger immédiat pour toute la civilisation, comme l’illustrent les pré-candidatures présidentielles américaines du gouverneur George W. Bush et du vice-président Al Gore.
Dans ces circonstances, les responsables politiques devraient étudier plus attentivement le principe sous-jacent au succès de ces vingt années (1945-1965) de fonctionnement réussi du système de taux de change fixes de Bretton Woods, en particulier dans les relations entre les États-Unis, l’Europe occidentale et le Japon.
Dans cet exercice, il faut noter que la façon dont ce système a été mis en œuvre, après la mort prématurée du président Roosevelt, a donné un résultat largement inférieur à ce qu’il aurait été, à la fois moralement et économiquement, si les intentions de Roosevelt n’avaient pas été substantiellement trahies et dévoyées par son successeur Truman.
La plupart des intentions de Roosevelt qui ont été effectivement adoptées furent particulièrement bénéfiques, tant pour les États-Unis que pour l’Europe occidentale, du moins jusqu’au milieu des années 1960. La question qui se pose maintenant est la suivante : quelles sont les caractéristiques cruciales de ce système à taux de change fixe qui restent pleinement applicables, par principe, aux conditions mondiales très différentes d’aujourd’hui ?
En apparence, la réponse à cette question est plutôt élémentaire, et pourrait donc facilement être adoptée et soutenue par des organes politiques rationnels de premier plan. Cependant, comme je l’indiquerai ici, le succès de ces remèdes nécessite le rôle prépondérant d’experts qui comprennent également certaines subtilités plus profondes de la question. Je vais expliquer ici ces distinctions et leurs implications.
La force du système de Bretton Woods en vigueur de 1945 à 1965 résidait dans le fait que l’étalon de valeur était, en fait, un panier de produits de base. Quant au dollar américain, sa force, en tant que monnaie de réserve, reposait sur l’assurance que les obligations à l’égard du dollar américain seraient compensées par la combinaison d’un excédent d’exportations et d’un prix fixe, standard, pour le lingot d’or du stock constituant la réserve monétaire. Le système à réserve d’or a fonctionné, car défendu par des mesures protectionnistes et réglementaires connexes, tant au niveau international qu’au sein des nations concernées elles-mêmes.
Cependant, il faut souligner que c’est la force « physique » de l’économie américaine, mesurée en termes de taux de croissance de la productivité physique par habitant et par kilomètre carré, se traduisant par des périodes de forte augmentation de formation de capital en termes de matières premières [économie réelle], qui s’avéra cruciale pour la marche de l’économie américaine pendant les deux premières décennies du système monétaire d’après-guerre.
Cette force de l’économie physique, associée aux besoins accrus en produits agricoles américains et en machines-outils d’une Europe saignée par la guerre, permit au crédit américain de stimuler un taux de croissance de la productivité physique, par habitant, en Europe occidentale, croissance dont l’Europe tira les moyens d’honorer ses obligations envers les États-Unis.
En effet, dans les mesures de relance appliquées par le président Franklin Roosevelt dans les années 1930 [Loi Glass-Steagall et investissement massif dans la modernisation des infrastructures sous le New Deal], comme dans le système de Bretton Woods en vigueur de 1945 à 1965, les États-Unis ont appliqué la même politique de croissance économique que celle proposée par M. Lautenbach en 1931, lors de la réunion de la Société Friedrich List en Allemagne, en accordant des crédits afin de renforcer les capacités productives de leurs clients, enrichissant ainsi, entre 1945 et 1965, l’économie américaine en croissance, en donnant à l’Europe la capacité de rembourser les crédits qui lui avaient été accordés.
Ainsi, la proposition de M. Lautenbach était conforme aux mesures effectivement prises aux États-Unis sous la présidence de Franklin Roosevelt, dont l’héritage influença les relations économiques d’après-guerre entre les États-Unis et l’Europe occidentale de 1945 à 1965.
Il faut souligner que les politiques de Roosevelt et de Lautenbach étaient explicitement fondées sur ce que le premier secrétaire américain au Trésor, Alexander Hamilton, avait défini pour le Congrès américain comme le « Système américain d’économie politique » anti-Adam Smith, repris plus tard par les principaux économistes du XIXe siècle, Friedrich List et Henry C. Carey, et par les politiques que la Société Friedrich List représentait en Allemagne à l’époque de Lautenbach.
C’est essentiellement le même point de vue que celui exprimé aujourd’hui par le Japon et d’autres partisans d’un système de coopération ASEAN + 3 en Asie. Les secteurs de l’économie internationale qui peuvent fournir aux nations les moyens d’accroître les capacités productives de leur main-d’œuvre devront être remboursés, selon des accords appropriés à moyen et à long terme, sur la base des gains de capacité productive de la main-d’œuvre, par habitant, résultant de l’utilisation des technologies importées.
Telle était l’intention du président Franklin Roosevelt pour l’aide américaine d’après-guerre aux nations et aux peuples qui, selon lui, devaient être libérés de la domination coloniale du Portugal, des Pays-Bas, de la Belgique, de la monarchie britannique et de la France. Le développement des infrastructures en Afrique constituait pour lui un exemple de cette politique, devant susciter de nouvelles formes de coopération entre les secteurs de l’économie mondiale en mesure de fournir des technologies avancées, et les régions moins développées. Cette orientation politique fournit l’orientation de la mission que doit se donner le nouveau système monétaire mondial à taux de change fixe.
Un point concernant l’exigence d’un taux de change fixe doit être souligné à ce stade. Avec un taux d’escompte [de la Fed] sur l’émission à moyen et long terme de crédit international, dépassant les 1 à 2 % par an, il sera généralement impossible d’atteindre des taux élevés de formation de capital en biens tangibles, surtout pour les nations en développement.
Si, sous la pression de centres financiers oligarchiques tels que Londres, on autorise la valeur des devises à fluctuer, le taux général du coût d’emprunt sur le marché libre doit augmenter en conséquence et tendre à se refléter, même axiomatiquement, dans l’exigence du paiement d’intérêts composés, plutôt que d’intérêts simples.
En effet, l’existence même d’un système à étalon-or, tel que celui que Londres a maintenu dans le monde entier jusqu’en 1931, ou d’un système de taux de change flottants, tel que celui mis en place par le décret du président Richard Nixon en août 1971, présage une catastrophe plus ou moins immédiate pour les nations dites en développement, et la ruine ultime pour les autres.
Dans la situation actuelle, où la valeur des monnaies d’Europe et d’Amérique, entre autres, devient de plus en plus douteuse, qu’est-ce qui constitue la qualité de la valeur durable sur laquelle pourrait rationnellement se fonder la formation de capital à moyen et long terme ? Pour reprendre les célèbres mots d’Hamlet de Shakespeare : « Être, ou ne pas être : telle est la question. » Lorsqu’il est ainsi démontré avec force que la valeur économique durable ne peut être déduite d’une certaine quantité d’argent, où trouver une évaluation mesurable de l’activité économique ?
Venons-en maintenant à la question d’un « panier de biens tangibles ». Je dirais plutôt un « panier de produits », car c’est cette notion qui sous-tend implicitement le succès relatif du système monétaire à taux de change fixe de 1945-1965.
Je veux parler d’un « panier de biens » tel que l’entendait le premier secrétaire au Trésor américain, Alexander Hamilton, dans son rapport sur les produits manufacturés, rédigé en 1791 pour le Congrès américain.
De même que le succès du système transatlantique de 1945-1965 était basé sur la croissance physique et économique coordonnée des économies nationales combinées des États-Unis et de l’Europe occidentale, Hamilton, s’appuyant, via Emer de Vattel, sur les travaux de Gottfried Leibniz, fonda la politique économique des États-Unis sur la croissance mutuelle des industries urbaines et du monde rural. En bref, une économie saine mesurera ses performances d’après son taux de croissance, évalué en unités physiques par habitant et par kilomètre carré, et non d’après les prix nominaux (c’est-à-dire financiers) attachés à une liste de biens produits.
Ainsi, dans une situation où l’équivalent en biens matériels de la monnaie fluctue, on a toujours la possibilité de bâtir une unité de compte synthétique basée sur un panier convenu de biens physiques. Par la suite, lorsque les monnaies fluctuent, ce sont elles, et non les matières premières, qui se voient attribuer des valeurs implicitement ajustées, sur la base du panier de matières premières utilisé pour définir l’unité. Une telle unité synthétique pourrait servir de système comptable à une facilité de crédit internationale et, en ce sens, constituer la base de la création d’une sorte de successeur des DTS (Droits de tirages spéciaux du FMI).
En ce qui concerne les prêts en capital à moyen et long terme pour des investissements en matières premières, les monnaies en jeu sont évaluées en prenant pour norme le panier de matières premières. Le prêt est consenti dans cette unité, et non dans le prix des devises ; toutefois, l’exportateur est crédité de ce nombre d’unités synthétiques au moment de la livraison du produit, et les remboursements du prêt sont déterminés par le prix de la devise concernée, dans ces unités, au moment où ce paiement spécifique est dû.
On utilise ainsi un système de prêt à moyen et long terme de produits de base tangibles, semblable au troc, pour se rapprocher du système « réserve d’or + panier de produits exportés » qui a fonctionné dans les relations transatlantiques durant cette période 1945-1965 soumise au système de taux de change fixe.
Voilà l’essentiel de la question.
Retrouver l’article complet (en anglais) sur le site du Schiller Institute.