« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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25 janvier 2018
Panique à bord ! Le camp néoconservateur anglo-américain, dépassé par le « nouveau paradigme » de coopération gagnant-gagnant et la forte opposition du président Donald Trump, se mobilise pour tenter de garder la main. Cette offensive, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement américain, arrive au moment où l’opération « Russiagate » subit des coups très durs et que l’effondrement du système financier transatlantique se profile à l’horizon. Sur le plan stratégique, elle fait suite au succès enregistré dans le combat contre Daech et d’autres groupes terroristes en Asie du sud-ouest, aux progrès vers une solution à la crise coréenne et à l’amorce de meilleures relations avec la Chine et la Russie.
Dernier avatar de ces néoconservateurs, la Stratégie de défense nationale (NDS) publiée le 19 janvier par le Pentagone, dans le cadre de la Stratégie de sécurité nationale adoptée en décembre 2017. Selon ce document, les « principales priorités » des Etats-Unis consistent à mobiliser toutes leurs ressources militaires, économiques, financières, diplomatiques, policières et de renseignement contre la Russie et la Chine, car ce sont elles – et non le terrorisme ou les « régimes renégats » – qui sont les premiers adversaires des Etats-Unis.
La réaction russe a été vive, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov qualifiant de « regrettables » de tels « concepts et stratégies d’affrontement » lors d’une conférence de presse le jour même. Il a rappelé toutefois que la Russie favorisera toujours le dialogue, et il est vrai que le secrétaire d’Etat Rex Tillerson et lui s’entretiennent très souvent en dépit des incohérences apparentes de la politique de Washington.
Les dirigeants chinois ont également réagi dès la parution du nouveau document stratégique, en ridiculisant l’idée que la Chine chercherait à imposer sa suprématie militaire dans la région. Un porte-parole de l’ambassade chinoise aux Etats-Unis a commenté judicieusement : « Celui qui porte toujours des lunettes noires ne verra jamais un monde lumineux. (...) La paix et le développement sont les thèmes marquants de notre ère et incarnent aussi les aspirations de l’humanité. Cependant, si on regarde le monde avec la mentalité de Guerre froide et de jeu à somme nulle, on est condamné à ne voir partout que conflit et affrontement. »
Les dirigeants russes et chinois sont bien conscients des profonds différends politiques opposant le président Trump, d’un côté, et les néoconservateurs et l’appareil Clinton-Obama de l’autre. En réalité, Donald Trump, pour l’heure et quoi que l’on puisse penser de son style, n’a qu’un pouvoir limité pour mettre en œuvre sa politique.
En effet, la Stratégie de défense nationale, annoncée par le secrétaire à la Défense James Mattis, se résume à un rejet catégorique de la politique pour laquelle Donald Trump a été élu, à savoir l’établissement de bonnes relations de travail avec les deux grandes superpuissances que sont la Russie et la Chine. Il faut se souvenir que, sous les présidences de George W. Bush et Barack Obama, les Etats-Unis avaient appliqué contre ces deux nations une politique résolument conflictuelle, formulée par les « néoconservateurs » du Project for a New American Century (PNAC, ou Projet pour un nouveau siècle américain). Dans leur optique, les forces armées américaines devaient imposer au monde une « Pax Americana », en vertu de laquelle les Etats-Unis contrôleraient unilatéralement la stratégie mondiale. Ainsi, sous Bush et Obama, des disciples du PNAC ont poussé à une prolifération de guerres désastreuses, notamment en Afghanistan, Irak, Libye et Syrie, sans oublier le putsch en Ukraine.
S’en prenant aux néoconservateurs pendant sa campagne, Trump avait averti que si Hillary Clinton était élue, elle poursuivrait cette stratégie de « guerre perpétuelle ». Depuis, il n’a cessé de dénoncer la politique de « changement de régime », en soulignant que « ce serait une excellente chose » si les Etats-Unis avaient de bonnes relations avec la Russie et la Chine.
Or, ceux-ci sont précisément les deux pays que le résumé en douze pages de la NDS accuse de menacer l’ordre mondial unipolaire. Bien que l’initiative « la Ceinture et la Route » ne soit pas citée nommément, le document dénonce à plusieurs reprises les « pratiques économiques prédatrices » de la Chine pour « intimider ses voisins ». Les alliés et partenaires des Etats-Unis sont incités à faire preuve d’une « plus grande coopération en matière de défense » et à « contribuer militairement » à des « coalitions » régionales en Europe, au Moyen-Orient et dans la région indo-Pacifique, notamment pour contrer les « actions agressives » de la Russie et la Chine.
Plus loin, on accuse Beijing et Moscou de « vouloir façonner un monde conforme à leur modèle autoritaire – en obtenant un droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et sécuritaires d’autres nations ».
Le National Endowment for Democracy aurait, de son côté, « découvert » que la Chine poursuit une politique de sharp power (guerre d’information et de manipulation) pour miner les Etats-Unis (concept figurant d’ailleurs sur la couverture de The Economist du 16 décembre 2017). Dans la même veine, le NDS affirme que « la Chine s’appuie sur la modernisation militaire, les opérations d’influence et les pratiques économiques prédatrices pour contraindre les pays voisins à réorganiser la région à son avantage ». Sur le plan militaire, Beijing est accusé de rechercher l’hégémonie en excluant les Etats-Unis de la région.
En conclusion de ce chapitre, le NDS affirme que « la Chine et la Russie sont en train de miner de l’intérieur l’ordre international, en exploitant ses avantages et en détournant ses principes et ses règles de conduite ».