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100 000 000 de personnes concernées par la faim
3 février 2022
Après une formidable augmentation des prix des engrais depuis 2019, et particulièrement au cours de l’année 2021, le monde est au bord d’une baisse substantielle de la production alimentaire mondiale en 2022, alors que la famine de masse a déjà frappé l’Afghanistan, le Yémen et six nations d’Afrique. Si des mesures spectaculaires ne sont pas prises pour inverser immédiatement ce processus, plus de 100 millions d’êtres humains supplémentaires pourraient s’ajouter cette année aux rangs des personnes menacées de famine, qui sont déjà plus de 200 millions selon le dernier jugement du Programme alimentaire mondial et de son directeur David Beasley.
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Les causes de ce terrible bilan de la famine sont principalement un modèle économique défaillant qui doit être remplacé ; mais en Afghanistan, les calculs géopolitiques viennent empirer la catastrophe avec son cortège de sanctions économiques.
Concernant l’échec économique : l’indice des prix des engrais de la Banque mondiale pour le monde, qui en avril 2020 était à 66,24 $ et en janvier 2021 avait augmenté lentement mais régulièrement à 82,96 $, en décembre 2021 avait explosé à 208,01 $, plus que triplé en 20 mois. Cette hausse de 2021 a particulièrement dévasté les agriculteurs du monde entier. Leur situation est encore pire dans l’hémisphère Nord où les engrais (et les pesticides) pour les semis de printemps semblent totalement inaccessibles. Dans un article paru le 21 janvier 2022 dans le Wall Street Journal, intitulé « Farms Are Failing as Fertilizer Prices Drive Up Cost of Food » [Les exploitations agricoles échouent alors que le prix des engrais fait grimper le coût des aliments], on peut lire qu’en dépit du fait que les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint leur niveau le plus élevé depuis dix ans, il est presque certain que l’inflation rapide des denrées alimentaires se poursuivra en 2022 en raison du prix et de l’accessibilité des engrais. « Cela, souligne le document, exacerberait la faim, déjà aiguë dans certaines régions du monde. »
La production mondiale de blé devrait baisser de 10 millions de tonnes en 2022, selon le cabinet d’analyse agricole français Agritel. L’effet sur la production de maïs sera pire. Les coûts de production du maïs augmentent de 15 à 20 % chez les principaux producteurs que sont l’Amérique et l’Ukraine. On prévoit une baisse des rendements de nombreux aliments et produits agricoles dans le monde en 2022. Dans un contexte de famine généralisée dès 2020-21 et de perte de travail agricole informel dans les pays en développement, la nourriture pourrait faire l’objet d’une pénurie mondiale en 2022.
Et selon le Centre international de développement des engrais, les prix excessivement élevés des engrais pourraient entraîner une réduction de la production agricole rien qu’en Afrique, ce qui sera « équivalent aux besoins alimentaires de 100 millions de personnes.
Bien que cette hausse monumentale des prix des engrais coïncide avec la forte augmentation des prix du gaz naturel et qu’elle soit exacerbée par ces derniers, elle est bien plus importante, et bien plus largement et uniformément répartie dans le monde, que les pics de gaz naturel. Comme le soulignent les producteurs de maïs aux États-Unis, la flambée des prix du gaz n’est pas la cause première du choc des engrais et de la perte de production alimentaire.
En fait, alors que l’utilisation et le prix des engrais ont tous deux augmenté en 2019, l’Association internationale des engrais (IFA) prévoyait que la production et l’utilisation mondiales chuteraient après 2019, comme elles l’ont fait - d’environ 10 % en 2020-21. L’énorme hausse des prix des engrais après 2019 s’est accompagnée de fortes augmentations des prix de l’ensemble des produits de base mondiaux importants pour l’industrie et l’agriculture ; elle a été provoquée par la « diarrhée monétaire » des principales banques centrales transatlantiques à partir de la fin 2019 et par le monopole mondial, de quelques grandes entreprises, de la production.
Quatre monopoles contrôlent, en effet, 75 % de la distribution des engrais azotés : il s’agit de Nutrien Ltd (Canada), Yara (Norvège), CF Industries (États-Unis) et Mosaic (qui fait partie de Cargill - États-Unis).