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L’Occident peut-il faire amende honorable ?

Ce dont l’Afghanistan a besoin maintenant

13 septembre 2021

Déclaration d’Helga Zepp-LaRouche sur l’Afghanistan

5 septembre 2021 – Le terrible échec de l’OTAN en Afghanistan et, avec lui, de la politique de guerres d’intervention qu’il mène depuis vingt ans, ne saurait être plus dramatique. Ce n’est pas simplement une guerre perdue, c’est un véritable changement de paradigme pour tout le contingent d’idées fausses du système libéral occidental. On peut donc se réjouir d’entendre le président Biden annoncer que le retrait d’Afghanistan marque la fin d’une époque de recours à la puissance militaire américaine dans le but de « refaire » d’autres pays.

Mais si cette réorientation n’implique d’en finir avec les « guerres perpétuelles » aux quatre coins du monde, que pour mieux concentrer toutes nos forces sur les « nouveaux défis » – à savoir l’affrontement avec la Russie et la Chine – nous n’aurons tiré aucune leçon de ce désastre honteux et nous nous embarquerons alors pour une catastrophe plus grande encore. Mais la plaie étant encore fraîche, le choc de la défaite qui a secoué l’ensemble du monde occidental offre la possibilité d’une approche totalement nouvelle.

Voulant évaluer le coût des guerres menées par les États-Unis depuis le 11 septembre 2001, dont nous sommes sur le point de célébrer le 20e anniversaire, l’université Brown a calculé que le coût total des opérations militaires en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, en Somalie, au Pakistan, etc., s’élève à 8000 milliards de dollars et qu’au moins un million de personnes y ont perdu la vie.

Cela représente 2300 milliards de dollars pour la guerre en Afghanistan, 2100 milliards de dollars pour la zone Irak-Syrie, 355 milliards de dollars pour les opérations militaires en Libye, Somalie, etc., 1100 milliards de dollars pour les programmes de sécurité intérieure et 2200 milliards pour soigner les vétérans américains de ces conflits, dont un grand nombre souffre de traumatismes physiques et mentaux consécutifs à leur engagement.

Au moins 15 000 militaires américains et à peu près autant de soldats internationaux de l’OTAN ont été tués. Environ 70 millions de personnes sont devenues des réfugiés de guerre. Des centaines de milliers de soldats ont été déployés, un nombre inconnu de civils ont péri, tandis que la majorité des troupes était essentiellement occupée à se protéger dans un environnement hostile.

Leur ignorance du peuple qu’ils combattaient et de sa culture n’est pas moins grande aujourd’hui qu’au début du conflit, il y a vingt ans, comme l’avaient relevé les Afghanistan Papers en 2019.

La situation humanitaire en Afghanistan est effroyable. Le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), David Beasley, qui s’est rendu sur place fin août, a annoncé que 18 millions d’Afghans (plus de la moitié de la population) sont affamés et que quatre millions risquent de mourir de faim l’hiver prochain, si l’on n’envoie pas sur place une aide massive. L’OMS craint un désastre sanitaire, étant donné l’absence de système de santé et le contexte pandémique de la Covid 19, avec à peine un million de personnes vaccinées à ce jour.

Les habitants des pays occidentaux ont-ils la moindre idée des souffrances que la population afghane a dû endurer au cours de ces 40 années de guerre, et qu’elle continue à subir à l’heure actuelle ?

Au vu de cette tragédie presque inimaginable, il est parfaitement absurde et délibérément trompeur que, dans le contexte de ces « guerres sans fin », on puisse encore parler de « Nation Building » (bâtir des nations). Qu’a-t-on construit en Afghanistan, alors que la moitié de la population est affamée ? Si les États-Unis et les autres membres de l’OTAN avaient investi seulement 5 % de leurs dépenses militaires dans le développement économique réel de l’Afghanistan, cette horrible débâcle n’aurait jamais eu lieu.

Jusqu’à présent, on n’a pas vu de véritable remise en question aux États-Unis ou en Europe. Car cela ne signifierait pas simplement se montrer prêt à « parler aux talibans », mais surtout corriger l’ensemble des prémisses de la politique de ces 20 dernières années. Si Biden veut sérieusement mettre fin à l’ère des guerres d’intervention, les troupes américaines doivent enfin se conformer au vote du Parlement irakien, qui en a exigé le départ en janvier 2020.

Les États-Unis doivent aussi lever immédiatement leurs sanctions meurtrières contre la Syrie, adoptées dans le cadre du Caesar Act, qui contribuent à maintenir aujourd’hui plus de 90 % de la population de ce pays à un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Au-delà, surtout dans ce contexte de pandémie, c’est l’ensemble de la politique de sanctions contre tous les pays qu’il faut arrêter. Elles ne se fondent sur aucun mandat de l’ONU, ne frappent que les couches les plus pauvres de la population et, bien souvent, les tuent.

Système de santé et agriculture modernes

Ce que les États-Unis et les nations européennes doivent faire maintenant, s’ils veulent retrouver leur crédibilité en matière de « valeurs » et de « droits de l’homme », c’est offrir une aide réelle à l’État afghan, par exemple en instaurant un système de santé moderne. Il faut de toute urgence mettre en place un réseau d’hôpitaux modernes, complété par un programme de formation de médecins, de professionnels de la santé et de jeunes pouvant aider la population des zones rurales à se familiariser avec les mesures d’hygiène à adopter en cas de pandémie. Grâce à des partenariats, ce système pourrait être relié à des centres médicaux aux États-Unis et en Europe, comme c’est déjà le cas avec d’autres pays du secteur en développement.

Face à la famine, outre le pont aérien que David Beasley est en train de mettre en place à partir du Pakistan pour acheminer de l’aide alimentaire en Afghanistan, une offre globale de soutien agricole doit être fournie au plus vite. Si nous voulons empêcher les paysans de se rabattre, par pure nécessité, sur la culture du pavot pour produire l’opium, on doit soutenir le développement de l’agriculture comme faisant partie intégrante de l’ensemble. Avec l’accord conclu avec les talibans en 2000, l’ancien directeur exécutif du Programme des Nations unies pour le contrôle des drogues, Pino Arlacchi, a démontré que l’éradication de la culture de pavot à opium est possible, et même conforme aux convictions religieuses des talibans.

À condition que la souveraineté de l’Afghanistan et du nouveau gouvernement soit absolument respectée et que cette aide au développement de l’agriculture ne soit pas soumise à une contrepartie politique, divers projets pilotes, à l’instar de la « Révolution verte » de Jawaharlal Nehru en Inde, pourraient être lancés avec les régions qui en sont demandeuses.

Il existe, aux États-Unis comme en Europe, des agriculteurs jeunes et moins jeunes, qui seraient volontaires pour participer à ce genre de mission de paix consistant à améliorer la production agricole en Afghanistan de façon à éradiquer définitivement la famine.

Compte tenu des sécheresses répétées, ces programmes devraient bien sûr aller de pair avec des programmes d’irrigation et une gestion scientifique des systèmes hydrologiques.

Nommer un coordinateur en qui l’on a confiance

Il s’agit avant tout d’aider le peuple afghan dans cette situation d’extrême urgence qu’il n’a pas provoquée lui-même, et cela n’est possible qu’en instaurant une base de confiance avec le nouveau gouvernement, indépendamment de toute réserve idéologique. Le Comité pour la coïncidence des opposés propose donc que les gouvernements américain et européens choisissent, pour coordonner ce programme d’aide, quelqu’un qui a montré jadis que cela peut fonctionner. Pino Arlacchi, qui a gagné la confiance des talibans par le passé, garantirait ainsi le respect de la souveraineté de l’Afghanistan, excluant toute tentative de lui imposer des normes occidentales.

Cette réorientation de la politique à l’égard de l’Afghanistan implique également d’abandonner complètement le mode de pensée « géopolitique », en rejetant la conception de la politique comme un jeu à somme nulle dans lequel la montée de la Chine et de l’Asie est automatiquement perçue comme le déclin de l’Occident. En rendant visite au ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, le nouveau dirigeant afghan, Abdul Ghani Baradar, a indiqué que son gouvernement compte sur la coopération avec la Chine et l’intégration de l’Afghanistan dans la Nouvelle Route de la soie.

Pour sa part, l’ambassadeur russe en Afghanistan, Zamir Kabulov, a proposé une conférence internationale sur le développement économique du pays, afin de discuter des projets à privilégier pour faire face à l’urgence.

Si l’Occident tire la leçon de sa défaite millénaire en Afghanistan, il devrait maintenant coopérer de manière impartiale avec la Russie, la Chine et les pays voisins d’Asie centrale, le Pakistan, l’Iran et l’Inde pour développer non seulement l’Afghanistan, mais toute l’Asie du Sud-Ouest.

Le slogan « en finir avec les guerres perpétuelles », qui fait fulminer [l’ancien Premier ministre britannique] Tony Blair, n’est pas « imbécile » ; ce qui l’est, c’est la politique de guerres coloniales d’intervention que celui-ci a proposée. Cette politique n’était pas seulement imbécile, elle est aussi criminelle et meurtrière, et a détruit la vie de millions de personnes ou les a plongées dans des souffrances indicibles. Les architectes de cette politique doivent être sommés de rendre des comptes.

Cependant, si l’on veut briser le cycle de violence et de vengeance, une nouvelle politique doit être mise à l’ordre du jour : le nouveau nom de la paix est le développement, comme l’a dit le pape Paul VI.

Aujourd’hui, l’Afghanistan est l’endroit privilégié où les États-Unis et la Chine peuvent entamer une forme de coopération qui constituerait un premier pas vers une coopération stratégique, mettant au premier plan les objectifs communs de l’humanité. En fin de compte, la mise en œuvre de ces objectifs est le seul moyen d’empêcher une extinction de l’humanité dans un Armageddon nucléaire.

Pour mettre fin au déclin auquel l’Occident se condamne lui-même, nous devons analyser honnêtement les raisons de l’échec du modèle social libéral néocolonial et, surtout, nous avons besoin d’une renaissance de notre culture humaniste et classique. Notre attitude vis-à-vis de la construction en Afghanistan est le test pour savoir si nous en sommes capables.

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