« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023

Les changements révolutionnaires en Asie du Sud-Ouest

3ème session

12 août 2023

Hussein Askary, vice-président de l’institut BRIX, membre de l’Institut Schiller, Suède

Vous avez tous dû voir cette image étonnante lorsqu’en mars de cette année, la Chine a été médiatrice pour la reprise des liens diplomatiques entre deux nations musulmanes clés, l’Arabie saoudite et l’Iran, divisées par au moins vingt ans de guerres sectaires ravageant toute la région de l’Asie du Sud-Ouest en raison des grands jeux géopolitiques lancés par les puissances anglo-américaines et leurs alliés occidentaux.

Mais je voudrais que vous regardiez cette photo : (Lyndon LaRouche à Abu Dhabi) qui a été prise 20 ans plus tôt : Lyndon LaRouche, s’exprimant au Centre Zayed d’Abu Dhabi de coordination et de suivi (Zayed Center for Coordination and Follow-Up ) lors d’une conférence internationale intitulée « Le rôle du pétrole et du gaz dans la politique mondiale ».

Entre ces deux images, le monde et la région de l’Asie occidentale ont perdu 20 ans de développement, des millions de vies et des milliers de milliards de dollars.

En visite au Centre Zayed des Émirats arabes unis en tant qu’invité d’honneur et orateur principal d’une conférence internationale sur l’avenir du pétrole et du gaz dans la politique mondiale, LaRouche a préconisé une nouvelle architecture économique et de sécurité pour la région du Golfe (persique/arabe). Il s’agissait de transformer cette région, qui était un champ de bataille géopolitique britannique, en un « carrefour des continents », en utilisant sa position géographique exceptionnelle et ses ressources naturelles et humaines pour industrialiser ses nations à grande échelle – en construisant des infrastructures, notamment pour l’énergie nucléaire, pour les industries pétrochimiques et pour le dessalement de l’eau de mer afin de verdir les déserts.

Le plan de LaRouche visait à libérer les économies de la région de leur dépendance servile à l’égard de l’exportation d’un seul produit de base – le pétrole brut et le gaz – empêchant ainsi qu’elles soient un instrument géopolitique. Au même moment, LaRouche dénonçait l’intention de l’alliance George W. Bush/Tony Blair de violer la souveraineté de l’Irak et d’autres nations. Les idées de LaRouche ont acquis une grande popularité auprès des dirigeants et des populations du Golfe et du monde arabe, et les médias ont largement couvert son travail et ses initiatives, ainsi que ceux de ses associés (y compris le présent auteur).

Cependant, dans les semaines et les mois qui ont suivi, alors que les États-Unis et la Grande-Bretagne préparaient l’invasion illégale de l’Irak, une contre-offensive majeure était lancée par ces deux puissances, afin d’intimider les gouvernements du Golfe pour qu’ils abandonnent des idées aussi visionnaires que celles de LaRouche et qu’ils soutiennent à l’invasion imminente. Nous disposons de nombreuses preuves à ce sujet, que nous n’avons pas le temps de présenter ici.

Mais comme le dit le proverbe chinois : « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a vingt ans. Le deuxième meilleur moment, c’est aujourd’hui ! »

Deux décennies plus tard, et un siècle après que l’Empire britannique a secrètement conclu le pacte Sykes-Picot de 1916 avec l’Empire français pour découper le « Moyen-Orient » en colonies et satrapies distinctes, les efforts diplomatiques et économiques de la Chine et de la Russie permettent de mettre un terme à cette stratégie sanglante de division et de conquête qui dure depuis cent ans. Cette stratégie a connu son aspect le plus violent dans la division sectaire entre chiites et sunnites à la suite de l’invasion illégale de l’Irak par les Britanniques et les Américains en 2003. Les deux pôles de cette division dans la région, l’Iran et l’Arabie saoudite, sont finalement parvenus à un rapprochement sous l’égide de la Chine le 10 mars de cette année et ont rétabli leurs relations diplomatiques. Ces liens étaient rompus depuis 2016, lorsque l’Arabie saoudite avait exécuté un religieux chiite saoudien, à la suite de quoi, des manifestants iraniens avaient pris d’assaut et incendié l’ambassade saoudienne à Téhéran.

Ce processus a été précédé par la conclusion par la Chine de deux « accords stratégiques globaux » majeurs – avec l’Arabie saoudite en décembre 2022 et avec l’Iran en février 2023 – et par les sommets du président Xi avec le roi d’Arabie saoudite et les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe et des États arabes (CCG) en décembre 2022, qui ont redéfini l’ensemble de la perspective de développement régional, en l’orientant vers la coopération économique comme base de paix et de sécurité, et l’intégration de la région dans le nouveau paradigme de la coopération le long de l’initiative « la Ceinture et la Route », exactement comme Lyndon LaRouche l’avait proposé il y a 20 ans – bien que l’initiative « la Ceinture et la Route » n’ait pas été lancée en 2002, mais en 2013. Toutefois, l’Institut Schiller et le Mouvement LaRouche préconisaient déjà la construction du Pont terrestre eurasien et du Pont terrestre mondial de nombreuses années avant cette date.

La Russie a également joué le rôle de médiateur entre la Syrie et la Turquie pour mettre fin à la situation sécuritaire chaotique dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, où des groupes terroristes et des extrémistes armés soutenus par les États-Unis et l’OTAN ont déstabilisé les deux pays. Les troupes américaines présentes sur le terrain dans la partie orientale de la Syrie restent un facteur de déstabilisation majeur, mais un accord entre la Turquie et la Syrie pourrait permettre de maîtriser la situation.

Lorsque le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov annonça qu’une réunion entre les ministres des Affaires étrangères de la Syrie et de la Turquie devait avoir lieu au début du mois de mai sous l’égide de la Russie, les ministres des Affaires étrangères et de la défense des deux pays avaient déjà eu des entretiens en ligne.

Le président syrien Bachar Al-Assad a également été accueilli à nouveau dans le giron arabe cette année, lors du sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu dans la capitale saoudienne le 19 mai. La Syrie a réintégré la Ligue arabe après en avoir été exclue sur ordre des dirigeants britanniques et américains en 2011. Le changement de régime en Syrie a lamentablement échoué après avoir causé d’incroyables souffrances.

Le Yémen est lui aussi touché par cette vague de diplomatie de paix sino-russe. Le premier grand échange de prisonniers a été négocié avec succès par l’envoyé des Nations Unies au Yémen le 10 avril. Le premier cycle de négociations avec les Saoudiens s’est déroulé la semaine dernière à Sanaa, lors d’une visite extraordinaire d’un envoyé saoudien dans la capitale yéménite. Un cessez-le-feu est en place entre l’Arabie saoudite et le gouvernement de Sanaa depuis avril 2022 et se maintient. On pense que l’influence iranienne sur les Houthis yéménites pourrait mettre fin à la guerre lancée par l’Arabie saoudite en mars 2015, avec des conséquences dévastatrices pour le peuple et l’économie yéménites.

C’est l’économie !

La diplomatie chinoise basée sur l’initiative « la Ceinture et la Route », a démarré dans la région en janvier 2016 avec une tournée du président Xi Jinping en Égypte, en Arabie saoudite et en Iran.

Bien que la Chine se soit entendue séparément avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Iran, parvenant progressivement à des accords stratégiques globaux avec chacune de ces trois puissances régionales, ses relations économiques amicales et de plus en plus étroites avec chacune d’entre elles lui ont permis de devenir un médiateur de confiance dans la région. Si la Chine s’est montrée conciliante à l’égard de l’Occident dans le cadre de cette initiative et d’autres, elle a adopté un ton plus tranché lorsqu’elle renonça à s’engager avec l’Occident dans la résolution des crises en Asie occidentale – crises qui résultaient en fait des politiques de l’Occident.

La nouvelle position chinoise, selon laquelle « les peuples du Moyen-Orient sont maîtres de leur destin » et « ce sont eux qui devraient prendre la direction des affaires de sécurité de la région », a été exprimée pour la première fois par le conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi en septembre 2022. Cette position a été réitérée par le président Xi dans son discours lors du sommet sino-arabe de Riyad en décembre 2022.

Pour comprendre le changement d’attitude des pays du CCG à l’égard de l’Occident, il est important d’examiner les différentes motivations économiques, financières et politiques.

Sur le plan économique, les pays du CCG ont été secoués par une crise existentielle au cours de la dernière décennie, suite à plusieurs effondrements des prix du pétrole. La première secousse a suivi la crise financière mondiale de 2008. Les prix sont passés de 140 dollars le baril à près de 30 dollars, puis en 2014 à moins de 30 dollars et en 2020, année de la pandémie, à près de 20 dollars. Pour que les pays exportateurs de pétrole puissent tenir sur le plan économique et budgétaire, ils ont besoin d’un prix du pétrole stable de 60 à 70 dollars le baril.

A la nécessité d’une nouvelle orientation économique basée sur l’industrialisation et la diversification des sources de revenus, telle que conseillée par LaRouche en 2002, a répondu un véritable partenariat avec la Chine et l’Asie. Sous la houlette du prince héritier Mohammed bin Salman, l’Arabie saoudite a également lancé son plan Vision 2030 basé sur cette même politique.

Sur le plan financier, les énormes fonds souverains du CCG (aujourd’hui évalués à environ 4000 milliards de dollars), résultant de l’exportation du pétrole et du gaz depuis des décennies, ont historiquement été investis dans les secteurs financiers et bancaires, ou dans l’immobilier à la City de Londres, à Wall Street, et en Europe en général. Ces « marchés » occidentaux sont devenus une grande source de pertes et de risques pour les pays du Golfe en raison des crises financières et bancaires qui frappent le système transatlantique depuis 2008 et qui exigent que les États du CCG contribuent au renflouement du système bancaire occidental.

Ce trou noir s’est à nouveau ouvert récemment, avec l’effondrement des banques américaines et européennes, ce qui a incité l’Arabie saoudite, par exemple, à déclarer qu’elle n’allait pas injecter davantage d’argent dans le Crédit suisse en faillite, dans lequel l’Arabie saoudite détient une participation importante. Les pays du CCG se rendent compte que leurs précieuses richesses pourraient être plus sûres et plus rentables si elles étaient investies dans des projets économiques réels et productifs chez eux, en Chine et dans les pays qui suivent l’initiative « La Ceinture et la Route ». Par exemple, l’Arabie saoudite a investi cette année 12 milliards de dollars dans une grande usine pétrochimique en Chine.

Le changement de cap dans les pays du Golfe s’explique également par une raison politique : l’Administration Biden envisageait un changement de régime en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis, en s’appuyant sur les Frères musulmans et leurs amis au sein du clergé du Golfe. Il s’agit d’une longue histoire, sur laquelle j’ai récemment écrit dans le magazine EIR. La perte de confiance envers les États-Unis et le manque de vision de l’Occident ont poussé les pays arabes et leurs anciens alliés à chercher ailleurs pour assurer leur présent et leur avenir. D’autres facteurs incluent l’échec du changement de régime en Syrie, dans lequel les pays du Golfe ont joué un rôle clé. L’intervention de la Russie en Syrie a nui à ces plans. L’incapacité de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis à lancer une guerre rapide au Yémen est devenue un cauchemar de huit ans pour ces pays, de la même manière que l’Ukraine est devenue un cauchemar pour l’OTAN.

Pour l’avenir, les relations étroites que les pays du Golfe (CCG plus Irak et Iran) développent avec la Chine et l’ensemble de l’Asie de l’Est, à la fois en tant que fournisseurs sûrs de pétrole pour l’Orient et en tant que plus grands marchés pour les produits chinois, nécessitent une amélioration de ces relations, passant d’une simple relation d’import-export à un processus d’industrialisation à long terme, stable et dynamique, qui s’étend à la science et à la technologie, et même à la coopération culturelle.

Le cadre général de ces relations pour les prochaines décennies a été défini dans les propositions présentées par le président Xi Jinping lors du sommet Chine-CCG qui s’est tenu à Riyad en décembre 2022.

La première proposition de Xi est un nouveau paradigme de coopération énergétique multidimensionnelle. La Chine continuera d’importer à long terme de grandes quantités de pétrole brut des pays du CCG et d’acheter davantage de gaz naturel liquéfié (GNL), en réglant les paiements en renminbi chinois par l’intermédiaire de la plateforme d’échange de pétrole et de gaz naturel de Shanghai. Un forum Chine-CCG sur les utilisations pacifiques de la technologie nucléaire et un centre de démonstration de la sécurité nucléaire Chine-CCG devraient être établis conjointement. La Chine offrira 300 formations professionnelles sur les utilisations pacifiques de l’énergie et de la technologie nucléaires.

Deuxièmement, le président chinois a proposé de nouveaux progrès dans la coopération en matière de finance et d’investissement. La Chine et les pays du CCG pourraient collaborer en matière de réglementation financière et faciliter l’entrée des entreprises du CCG sur le marché chinois des capitaux. La Chine travaillera avec le CCG pour mettre en place une commission d’investissement commune et soutenir la coopération entre les fonds souverains des deux parties. Un forum Chine-CCG sur la coopération en matière d’industrie et d’investissement pourrait être mis en place.

La troisième proposition de Xi est d’élargir les nouveaux domaines de coopération en matière d’innovation, de science et de technologie. La Chine est prête à construire des centres de big data et de cloud avec les pays du CCG, et à renforcer la coopération en matière de technologies 5G et 6G.

Quatrièmement, le président chinois a proposé de rechercher de nouvelles percées dans la coopération aérospatiale. La Chine mènera une série de projets de coopération avec les pays du CCG dans les domaines de la télédétection et des satellites de communication, de l’utilisation de l’espace et de l’infrastructure aérospatiale. Les deux parties pourraient sélectionner et former ensemble des astronautes, et la Chine accueillera des astronautes du CCG dans sa station spatiale pour des missions conjointes et des expériences scientifiques dans l’espace avec leurs collègues chinois.

Enfin, Xi a proposé de donner un nouvel élan à la coopération linguistique et culturelle. La Chine coopérera avec 300 universités et écoles primaires et secondaires des pays du CCG dans le domaine de l’enseignement du chinois, et collaborera avec les pays du CCG pour mettre en place 300 salles de classe intelligentes en chinois.

Aujourd’hui, l’Arabie saoudite, en coopération avec la Chine, met en œuvre un processus d’industrialisation massif, y compris un projet d’infrastructure à grande échelle reliant toutes ses villes, ainsi que les zones industrielles existantes et prévues, avec un réseau ferroviaire et routier moderne. L’Arabie saoudite deviendra ainsi une plaque tournante du transport transcontinental et de la logistique le long de la Ceinture et de la Route, comme le montre la figure 1.

Les Émirats arabes unis font de même et, en plus de relier toutes leurs villes et leurs principaux ports avec un réseau ferroviaire moderne, ils construisent un grand complexe nucléaire à Abou Dhabi en coopération avec la Corée du Sud.

[Plans saoudiens]

EIR a récemment republié l’introduction de l’essai de Lyndon LaRouche de 1983, « Saudi Arabia in the Year 2023 », une vision prophétique de ce à quoi le Royaume pourrait ressembler, sur la base de certains investissements dans des secteurs qui apparaissent aujourd’hui comme la priorité du Royaume et de ses partenaires, en particulier la Chine.

Les idées vivantes de Lyndon LaRouche, même s’il a lui-même quitté la vie terrestre, ont ainsi trouvé le moment favorable de l’histoire pour devenir réalité. De nombreux plans de reconstruction conçus par LaRouche et ses associés pour la Syrie, le Yémen, l’Irak et l’Afghanistan circulent encore dans ces pays.

Il vaut mieux planter un arbre aujourd’hui que de se lamenter sur les occasions manquées de ces 20 dernières années.

Je vous remercie de votre attention.

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