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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020

La nécessité de l’éducation scientifique pour la jeunesse africaine

Session 2

4 mai 2020

discours de Marie Korsaga, PhD, astrophysicienne, Burkina Faso

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L’urgence d’une éducation scientifique pour les jeunes Africains

Je me nomme Marie Korsaga, je suis astrophysicienne et originaire du Burkina Faso. Ma recherche porte sur la distribution de la matière noire et de la matière visible dans les galaxies. En termes simples, il faut dire que la matière visible – c’est-à-dire la matière ordinaire constituée de protons, de neutrons et d’électrons, tout ce qui est observable avec nos appareils – ne représente qu’environ 5 % de l’Univers ; le reste, c’est de la matière invisible repartie comme suit : 26 % de « matière noire » et 68 % d’« énergie sombre ». La matière noire dotée d’une force gravitationnelle est utilisée pour expliquer le fait que les galaxies demeurent proches les unes des autres, tandis que l’énergie sombre amène l’Univers à se « dilater » plus vite avec le temps. Nous ne pouvons donc pas parler de compréhension de l’Univers si nous ne connaissons qu’environ 5 % de ses constituants. Donc, pour comprendre notre Univers, c’est-à-dire raconter sa formation et son évolution, il est indispensable de comprendre ce que sont la matière noire et l’énergie sombre.

La matière noire, comme son nom l’indique, est une matière qu’on n’arrive pas à observer, même avec les télescopes les plus sophistiqués. Jusque-là, aucune particule de matière noire n’a été détectée ; néanmoins on ressent sa présence grâce à son impact sur la gravité. Le but de ma recherche est d’étudier comment la matière noire est distribuée à l’intérieur des galaxies afin de mieux comprendre la formation et l’évolution de notre Univers, et donc l’origine de la vie sur Terre.
Au-delà de ma recherche, je m’intéresse au développement de l’astronomie en Afrique. Pour cela je travaille à l’Office de l’astronomie pour le développement (OAD) sur un projet qui consiste à utiliser l’astronomie comme un facteur de développement un peu partout dans le monde, mais surtout dans les pays en voie de développement, en accompagnant les projets liés à l’éducation, le tourisme éducationnel, etc.

Parlant d’éducation, il est important de rappeler que, d’après l’Union africaine, l’Afrique a la population la plus jeune au monde, avec plus de 40 % de jeunes de moins de 15 ans, ce qui produira une explosion démographique d’ici à une dizaine d’années. Cette croissance démographique présente des inconvénients mais aussi des avantages.

L’inconvénient est que si des mesures ne sont pas prises (accès à une éducation de qualité pour garçons et filles, surtout dans les domaines scientifiques), ces jeunes, au lieu de devenir une source de développement pour le continent, risquent plutôt d’être une source d’instabilité socio-économique, politique et de conflits, ce qui plongera encore davantage le continent dans la misère.

Cependant, l’avantage est tel que, à travers un système d’éducation bien élaboré, cette croissance démographique, si elle est accompagnée de mesures fortes aussi bien du côté des politiques publiques que du secteur privé, sera une belle source de développement durable sur le plan économique et politique du continent. Pour cela, il est essentiel de faire d’importants investissements dans le domaine de l’éducation en mettant l’accent sur l’innovation, la science et la technologie. Il faut noter qu’aujourd’hui, les diplômés africains sortent majoritairement des filières littéraires et de sciences humaines : les étudiants en STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) ne représentent en effet que 25 % en moyenne des effectifs, selon la Banque mondiale. De plus, les femmes sont sous-représentées dans ces domaines.

Prenant mon cas, je suis la première femme à détenir un doctorat en astrophysique au Burkina, et même en Afrique de l’Ouest ; ça peut peut-être paraître flatteur, mais cela révèle un diagnostic assez inquiétant, en dépit de la lumière d’espoir. En effet, quand bien même la région compte une dizaine de docteurs dans ce domaine, il n’y a quasiment pas de femmes dans l’effectif. Cela montre malheureusement que nous sommes encore loin d’atteindre la parité homme/femme dans les domaines des sciences, et il y a encore beaucoup à faire. Cela passe par le changement des mentalités et l’accessibilité des sciences aux femmes, surtout au niveau des couches défavorisées.

On n’est pas sans savoir qu’une carrière en astrophysique nécessite un parcours en physique, ce qui n’est pas évident pour les femmes dans nos sociétés où la majorité des gens pensent que les domaines scientifiques sont dédiés aux hommes, et que les femmes doivent se diriger vers les filières littéraires. Cela a pour effet de freiner les femmes à opter pour les longues études, surtout dans les filières scientifiques, et même si elles choisissent de faire des études dans les domaines scientifiques, elles ont tendance à abandonner dès les premiers obstacles, dû au manque d’encouragement. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai brisé cette barrière à mon niveau, et je souhaiterais profiter de ce privilège pour inspirer et encourager autant de jeunes filles que je peux à opter pour les filières scientifiques.

C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a des efforts qui sont fournis par plusieurs gouvernements pour briser ces stéréotypes, par exemple avec le NEF (Next Einstein Forum) au Rwanda, qui est une plateforme permettant de vulgariser la science, et qui offre des opportunités aux étudiants à travers des bourses d’études, le réseau des femmes en sciences dénommé OWSD (Organization for Women in Science for the Developing World), qui donne des opportunités aux jeunes filles et femmes dans les domaines des STEM. Cependant, il y a encore pas mal à faire car la représentation des femmes dans les filières des sciences est loin d’être atteinte.

Au-delà de la recherche, je compte contribuer à la formation des jeunes en sciences au Burkina Faso et en Afrique en général, en dispensant des cours dans des universités et aussi encadrer les étudiants de master et doctorat. Je compte aussi mener des actions en vue de vulgariser l’éducation de la science en général, et de l’astrophysique en particulier, dans les pays où l’accès à la science est limité. Cela servira à motiver les jeunes filles et garçons (surtout les jeunes filles) à embrasser les filières scientifiques.

Il y a aussi d’autres actions futures que je prévois d’entreprendre en collaboration avec d’autres chercheurs, à savoir la mise en place d’écoles scientifiques en Afrique, particulièrement dédiées aux femmes, l’organisation d’ateliers afin de permettre aux femmes scientifiques de témoigner de leur parcours inspirant et de cultiver la confiance en soi, la création de clubs d’astronomie pour les enfants, etc.

En plus d’être fascinante comme science, l’astronomie peut aussi être utilisée comme outil de développement à travers, par exemple, l’éducation et le tourisme. L’Union internationale astronomique (UIA) l’a bien compris et fournit beaucoup d’efforts pour se pencher sur le volet développement dans les pays en voie de développement, en travaillant à atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies. L’exemple typique en Afrique sub-saharienne est le cas de l’Afrique du Sud, où l’installation de télescopes dans des localités a permis non seulement de faciliter la vulgarisation de la science et la création d’emplois pour les jeunes, mais aussi de booster l’économie et le développement des infrastructures de ces localités.

Le contexte actuel dans lequel nous sommes, notamment la pandémie du COVID-19, nous rappelle à quel point la science doit occuper une place de choix dans nos vies et notre système d’éducation. Cela doit convaincre les autorités africaines qu’il est plus que nécessaire de consacrer une importante partie des budgets nationaux à l’accompagnement et la promotion des études et recherches en science, car l’investissement dans le capital humain demeure un moyen sûr pour l’accroissement d’un pays.

Il nous faut surtout comprendre que pour sortir notre continent du sous-développement, il nous faudra revoir notre façon d’exécuter les programmes. Mettre l’accent sur l’éducation, la formation sur la science, la technologie et l’innovation, surtout les sciences de l’espace, pourrait non seulement accroître le potentiel humain, qui est une source de développement durable, mais aussi permettre la gestion de nos ressources naturelles et ainsi impacter l’économie dans le continent.

L’Afrique possède une immense quantité de ressources naturelles indispensables au développement de l’industrie, il faut arriver à un point où ces ressources soient exploitées d’abord pour son développement, par des femmes et hommes formés sur le continent, et avec des techniques compatibles.

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