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Les fondements des relations philosophiques est-ouest

3 juillet 2020

Jin Zhongxia, directeur exécutif pour la Chine, FMI, Washington, D.C., États-Unis

Je voudrais remercier l’Institut Schiller pour l’invitation à participer à cette importante conférence. Je remercie également Madame Helga pour son excellent discours d’ouverture.

2020 est une année particulière et pleine de défis. La guerre commerciale, l’éruption de la pandémie, les émeutes aux États-Unis, la récession économique mondiale et l’escalade des tensions géopolitiques, je ne citerai que quelques exemples majeurs. Le FMI prévoit un recul du PIB mondial de 4,9 % cette année.

Les observations et commentaires que je vais présenter découlent de mes recherches et sont de nature universitaire. Je ne parlerai donc qu’à titre personnel.

Le défi mondial doit être relevé au niveau mondial avec une approche multilatérale. Aucun pays ne sera en sécurité tant qu’un quelconque autre pays ne le sera pas.

Lorsque nous commençons à discuter de l’approche multilatérale pour faire face à la pandémie et à la crise mondiale, je reconnais qu’il y a un débat sur le mérite du multilatéralisme et des institutions multilatérales. Certains parlent de découplage économique, de guerre froide et même de « choc de civilisations ». Comme je suis originaire de Chine, je me pose la question : y a-t-il un conflit fondamental entre les civilisations de l’Est et de l’Ouest ?

La civilisation chinoise est unique à bien des égards, mais elle n’est pas fondamentalement différente de la civilisation occidentale. Un exemple : Au VIe siècle avant J.-C., la Chine avait le concept de Taiji ou Yin Yang, qui est la co-évolution de deux forces opposées. J’ai été surpris de constater que ce concept était également au cœur de la théorie physiologique de la médecine grecque à la même époque. Un autre exemple : le concept central du confucianisme est l’approche du « juste milieu », correspondant également à la « doctrine de la moyenne », qui fut largement explorée par Hippocrate, Platon et Aristote dans la Grèce antique.

Au XVIe siècle, le brillant missionnaire jésuite Matteo Ricci reconnut les parallèles frappants entre Confucius et Mencius, d’une part, et la conception chrétienne de l’homme à l’image de Dieu, et il consacra sa vie à bâtir une « alliance œcuménique » entre la Chine et l’Occident.

Au cours de l’évolution des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, certains commentateurs dans les médias ont diabolisé la Chine comme un partenaire commercial malfaisant qui se livre systématiquement à des subventions illicites, à la tricherie et au vol. Cela me rappelle ce qu’on pouvait lire dans les médias contre le peuple juif dans certaines parties de l’Europe avant la Seconde Guerre mondiale. La vérité est qu’après plus de 40 ans de réforme et d’ouverture axées sur le marché, la Chine s’est déjà transformée en une économie de marché. En fait, la part des ressources fiscales dans le PIB, mobilisée par certains gouvernements européens pour le secteur public, est plus élevée qu’en Chine en raison de vastes dispositifs de protection sociale, mais aucun organisme en Europe ne se plaint que cette protection sociale ait faussé le marché.

La Chine a une profonde tradition d’économie de marché, tant en théorie qu’en pratique. Au VIe siècle avant J.-C., Lao Tseu, un philosophe célèbre et fondateur du taoïsme, conseillait à son gouvernement de « gouverner sans intervention », ce qui est une version ancienne de « la main invisible » d’Adam Smith. Au VIIe siècle avant J.-C., Guanzi, un autre économiste et philosophe célèbre, suggéra qu’au cours des années de dépression économique, le gouvernement pourrait augmenter les dépenses pour mettre en œuvre des projets apparemment inutiles dans le but de créer des emplois. C’est l’ancienne version chinoise de l’économie keynésienne. Sur le plan financier, la Chine était également très développée. Dès le XIe siècle, elle introduisit la première monnaie-papier du monde.

Sur la question du découplage économique et technologique, la tentative d’empêcher un grand peuple et une grande civilisation de concurrencer équitablement les autres pays et d’accéder aux nouvelles connaissances scientifiques et technologiques, est moralement condamnable, et aidera la Chine à gagner la sympathie du monde entier.

D’autre part, la Chine possède le plus grand bassin de main-d’œuvre formée, notamment un grand nombre d’ingénieurs. Cela permettra au pays d’être plus innovant, plus professionnel, plus pratique et plus rationnel.

Par rapport à d’autres zones de libre-échange, la Chine est devenue à elle seule le plus grand marché de détail et représente une zone de libre-échange dotée d’un réseau d’infrastructures hautement intégré, d’une politique fiscale et monétaire centralisée et d’un marché du travail et des capitaux liquides. Les autorités sont également déterminées à poursuivre l’ouverture de son économie, à renforcer considérablement la protection de la propriété intellectuelle (PI) et à mettre en œuvre des réformes structurelles, notamment en introduisant la neutralité concurrentielle pour les entreprises d’État. En fin de compte, c’est l’efficacité et l’efficience de l’allocation des ressources intérieures qui détermineront la compétitivité internationale de la Chine.

Je ne suis pas expert en géopolitique, mais j’ai appris que le scénario de découplage et de nouvelle guerre froide est basé sur une stratégie ancienne appelée « diviser pour mieux régner » ou « équilibre offshore ». C’est très malin du point de vue des acteurs off-shore. Elle profitera au manipulateur offshore au détriment des voisins onshore. Je me demande si ces acteurs onshore, tout aussi malins, sont prêts à l’acheter, et quel prix l’acteur off-shore est prêt à payer pour convaincre tant de pays d’engager un conflit à long terme avec leur principal partenaire commercial.

Il n’est pas objectif d’exagérer outre-mesure le conflit frontalier entre la Chine et l’Inde. Il est important de reconnaître que la frontière actuelle est en grande partie un équilibre stable. L’intérêt commun de ces deux anciennes civilisations est de coopérer et de développer leurs économies et de parvenir à une renaissance historique commune. Les deux pays devraient tirer profit de leur héritage culturel commun basé sur des siècles d’échanges culturels pacifiques et amicaux, en particulier les échanges sous la forme du bouddhisme.

Si l’histoire entre la Chine et le Japon ressemble souvent à une impasse, une approche tournée vers l’avenir reste la clé. La Chine a largement repris confiance en elle, et il est très clair que la renaissance de la Chine ne signifie pas une revanche. Lorsque les nouvelles générations de Chinois visitent le Japon en touristes, la plupart d’entre eux ont le sentiment d’aimer le Japon. C’est le seul voisin de la Chine qui ait conservé de nombreux caractères chinois dans sa langue écrite, et les Japonais utilisent des baguettes, mangent du riz, de la sauce de soja et pratiquent la calligraphie : tous ces éléments sont le reflet typique de la culture de l’Asie de l’Est.

Une relation sino-russe saine et stable peut être beaucoup plus durable qu’on ne l’imagine généralement. Cette relation de coopération stable peut être attribuée à de nombreux facteurs. Ce n’est pas une coïncidence si l’ensemble de leur territoire correspond historiquement à l’empire mongol. Vers la fin du siècle dernier, les dirigeants chinois et russes sont parvenus à un accord sage et visionnaire pour délimiter et confirmer leur frontière commune. Leur respect mutuel et leur soutien aux intérêts fondamentaux de chacun peuvent aller loin.

La plus grande perte que les États-Unis pourraient subir à la suite d’un découplage et d’une nouvelle Guerre froide, serait de voir une grande partie des 1,4 milliard de Chinois, qui sont par ailleurs très amicaux envers l’Amérique, se transformer en opposants. En revanche, une Chine amicale et coopérative sera certainement la plus grande chance pour les Américains en Asie.

Je pense qu’une concurrence et une coopération constructives entre la Chine, les États-Unis et d’autres pays, dans le cadre d’un système multilatéral fondé sur des règles, devrait être le bon choix. Heureusement, le FMI fonctionne toujours normalement et a joué un rôle moteur constructif, qui est également soutenu par la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales.

En quelques mois seulement, le FMI a mis en œuvre un allègement de la dette pour plus de 27 pays, soutenu par les contributions d’un groupe de membres mieux dotés en ressources, dont la Chine. Le Fonds a augmenté de plus de 10 milliards de DTS ses instruments de prêt aux pays à faible revenu et a approuvé un financement d’urgence (CCR et IFR) de 47 milliards de DTS pour plus de 74 pays. Il a créé une nouvelle ligne de liquidité à court terme (SLL) et fait pression pour faire approuver un nouvel accord d’emprunt de 365 milliards de DTS, tout en préparant un nouveau cycle d’accords d’emprunts bilatéraux de 138 milliards de DTS. La Chine a participé activement à tous ces efforts et apporté sa propre contribution.

Le Fonds et la Banque mondiale ont proposé conjointement une initiative de suspension du service de la dette qui a été approuvée par le G20. La Chine a en outre demandé une prolongation de cette initiative jusqu’en 2021. Un partage équitable des charges et la pleine participation de tous les créanciers sont essentiels pour une mise en œuvre réussie de cette initiative.

La Chine a accru ses efforts en dehors du cadre multilatéral, notamment :

1) une aide supplémentaire de 2 milliards de dollars sous forme de dons aux pays les plus touchés, en particulier les pays en développement, pour lutter contre la Covid-19 et relancer le développement social et économique ;
2) la mise en place d’un programme de coopération hospitalière sino-africaine couvrant 30 hôpitaux en Afrique. La Chine a récemment envoyé cinq équipes médicales professionnelles d’urgence en Afrique, qui s’ajoutent aux 46 équipes médicales chinoises déjà présentes sur le continent ;
3) en plus de mettre en œuvre l’initiative du moratoire sur la dette du G20, la Chine apportera une aide accrue aux pays qui ont été le plus durement touchés, en collaboration avec d’autres parties prenantes ;
4) la Chine a promis qu’une fois qu’elle aura fini de développer et de tester son propre vaccin, elle le mettra à disposition des pays en développement en tant que bien public mondial ;
5) Elle établira un centre de stockage et de transport complet pour soutenir la fourniture de produits médicaux dans le monde, sous la direction des Nations unies.

Le mérite de l’aide multilatérale est qu’elle est fondée sur des règles, approuvées par un conseil collectif représentant tous ses pays membres. Les pays bénéficiaires sont ainsi confrontés à l’institution multilatérale plutôt qu’à un pays ou un groupe de pays particulier, ce qui permet de réduire (mais pas d’éliminer) la sensibilité géopolitique. Bien qu’il existe des points de vue différents sur de nombreuses questions, et même des tensions bilatérales entre certains pays membres, la majorité des membres du Fonds ont pu trouver un terrain d’entente sur de nombreuses questions.

Les institutions de Bretton Woods pourraient, à mon avis, faire deux choses supplémentaires.

Premièrement, une allocation générale de DTS qui augmentera l’offre d’actifs de réserve internationaux, réduira la charge d’un pays, en particulier pour fournir sa monnaie de réserve de manière excessive, et donnera aux pays à faible revenu les ressources nécessaires pour alléger leur dette.

Deuxièmement, les banques multilatérales devraient étendre considérablement leurs prêts non seulement aux pays en développement, mais aussi aux pays développés, y compris aux États-Unis eux-mêmes. Cela permettra de tirer pleinement parti de la faiblesse des taux d’intérêt, de stimuler considérablement la demande mondiale et d’accélérer la croissance dans les pays bénéficiaires.

En conclusion, je souhaite pour l’après Covid-19 un monde plus coopératif et plus pacifique.

Je vous remercie.