« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Visioconférence internationale du 9 avril

L’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire pour le développement de l’Afrique

4ème session

22 avril 2022

Mme Princy Mthombeni (Afrique du Sud), spécialiste en communication, fondatrice d’Africa4Nuclear


Mesdames, Messieurs,

Mes salutations à toutes et à tous. Je m’appelle Princy Mthombeni et je vous parle depuis ce beau pays qui s’appelle « l’Afrique du Sud ». Je suis spécialiste en communication et fondatrice de Africa4Nuclear, une campagne pour promouvoir le nucléaire comme élément clé de la réussite de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui est un grand plan directeur visant à transformer l’Afrique en puissance mondiale d’avenir.

Tout d’abord, je voudrais exprimer ma sincère gratitude envers l’antenne Afrique de l’Institut Schiller pour m’avoir invitée à m’exprimer ici. C’est vraiment un honneur pour moi.

Avant de commencer ma présentation, j’aimerais partager avec vous cette citation du premier président démocratiquement élu d’Afrique du Sud, Tata Nelson Mandela : « Comme l’esclavage et l’apartheid, la pauvreté n’est pas une chose naturelle. Elle a été créée par l’homme et peut être surmontée et éradiquée par l’action des êtres humains. Tant que la pauvreté, l’injustice et les inégalités criantes existeront dans notre monde, aucun d’entre nous ne pourra vraiment se reposer. »

Mesdames et Messieurs, mon discours de ce jour s’intitule : « La technologie nucléaire pour le programme de développement durable de l’Afrique. »

Je suis née dans un village du KwaZulu-Natal, une province d’Afrique du Sud. Cette région n’avait pas d’électricité, alors nous utilisions de la paraffine, du bois, du charbon de bois, des bougies, ou même de la bouse de vache pour nos besoins énergétiques, que ce soit pour faire la cuisine ou chauffer nos maisons l’hiver.

À 9 ans, je faisais trois kilomètres pour aller chercher de l’eau potable. Je devais me lever à quatre heures du matin car il fallait récupérer l’eau à la fontaine quand il faisait encore nuit.
J’ai fait mes années d’école primaire dans ce village. Alors que je devais parcourir quatre kilomètres pour aller à l’école, en traversant une rivière, j’étais obligée de faire mes devoirs avant le coucher du soleil, car à la maison, nous n’avions pas beaucoup de bougies.

Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire ? Pour que vous compreniez la vie d’un « Africain typique ». Même si, pour la plupart d’entre nous en Afrique du Sud, la situation a changé, pour beaucoup d’Africains, elle reste la même.

La pauvreté énergétique est encore très élevée dans les 55 pays africains. On estime que plus de 640 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité et vivent donc dans le noir. Ces chiffres viennent de la Banque africaine de développement.

Je parle du continent qui abrite près d’un cinquième de la population mondiale, mais représente cependant moins de 4 % de la consommation mondiale d’électricité.

Mesdames et Messieurs, je voudrais vous donner quelques exemples simples, montrant la réalité à laquelle certains Africains sont confrontés :

• Une bouilloire, utilisée deux fois par jour par une famille en Grande-Bretagne, consomme cinq fois plus d’électricité qu’un habitant du Mali en un an.
• Un Éthiopien met 87 fois plus de temps à consommer 150 kWh d’électricité qu’un Britannique.
• Un Tanzanien met huit ans à consommer ce qu’un Américain consomme chaque mois en électricité.
• Aux États-Unis, un congélateur consomme 10 fois plus d’électricité que ce que ne consomme un habitant du Liberia en un an.

C’est la véritable réalité de l’Afrique.

L’accès à l’énergie est donc crucial, non seulement pour améliorer la santé et l’éducation, mais aussi pour libérer le potentiel économique de l’Afrique et sortir ainsi un grand nombre de personnes de la pauvreté.

Il y a, à mon avis, un autre domaine que nous devrions sérieusement envisager d’explorer en tant qu’Africains, c’est la médecine nucléaire. Actuellement, l’Afrique du Sud est le seul pays du continent à disposer de ses propres moyens de production de radio-isotopes et de commercialisation de radiopharmaceutiques.
(NOTE : Les radiopharmaceutiques sont des isotopes radioactifs, liés à des molécules biologiques capables de cibler certains organes, tissus ou cellules du corps humain. Ces substances radioactives, qui peuvent servir à établir des diagnostics, sont de plus en plus utilisées pour traiter certaines maladies.)

Tous les autres pays africains importent encore leurs radiopharmaceutiques, essentiellement depuis l’Europe.

On manque donc de médecine nucléaire en Afrique. Dans certains pays, les patients doivent parcourir des distances incroyables pour accéder aux soins. J’aimerais voir les gouvernements engager un effort pour augmenter le nombre de ces installations à travers le continent, et ceci, à brève échéance. Cela permettrait aux citoyens de bénéficier plus facilement de cette forme de diagnostic et de traitement absolument indispensable.

Maintenant, j’aimerais vous présenter les récents développements de l’énergie nucléaire, ici en Afrique :

• Commençons par le Ghana, qui a lancé en juin de l’année dernière, une demande d’information sur les différentes technologies de centrales nucléaires disponibles sur le marché, à laquelle ont répondu 15 fournisseurs de Chine, de France, du Canada, de Corée, de Russie, des États-Unis, etc.
• On vient d’apprendre que le Kenya a identifié deux sites convenant le mieux à son programme de construction nucléaire.
• Le gouvernement nigérian a approuvé et promulgué cinq réglementations nucléaires, et a récemment ouvert un appel d’offres pour la construction d’une centrale nucléaire de 4 GW.
• L’Afrique du Sud a confirmé ses plans pour une nouvelle centrale nucléaire de 2500 MW, avec l’intention de finaliser d’ici 2024 le processus d’achat des composants et matériaux.
• En Zambie, l’Autorité de radioprotection a annoncé en octobre dernier qu’elle était prête à réglementer l’utilisation de la technologie nucléaire.
• Le Rwanda envisage de signer un contrat pour des études de faisabilité à court terme.
• Enfin, le Niger a confirmé qu’il était résolument engagé à inclure un programme d’électricité nucléaire dans toute sa politique de développement, ce qui est un pas dans la bonne direction.

Quels sont les éléments clés que j’aimerais que nous prenions en considération aujourd’hui ?

Récemment, j’ai assisté au Nuclear Technology Imbizo, organisé par l’Association pour l’Industrie nucléaire d’Afrique du Sud (NIAWA), en collaboration avec les Femmes pour le nucléaire sud-africain (WiNSA) et la Société de jeunes professionnels sud-africains du nucléaire (SAYNPS), qui a eu lieu ici, au Cap.

Cet événement, visant à « Promouvoir un partenariat mondial pour soutenir le programme de construction nucléaire de l’Afrique du Sud », a réuni des responsables gouvernementaux et des experts de l’industrie nucléaire, tant nationaux qu’internationaux. Dans son discours introductif, notre vice-ministre des Ressources minières et de l’Energie a appelé à exploiter toutes les plateformes de communication à notre disposition pour inspirer et galvaniser les Sud-Africains et leur faire entendre un récit d’espérance, en montrant que l’énergie nucléaire peut améliorer nos conditions socio-économiques, au lieu d’être condamnés au désespoir. Je pense que cela devrait s’appliquer à toutes les autres nations africaines.

Et en effet, les défis socio-économiques auxquels le continent est confronté imposent de rechercher un mix électrique incluant le nucléaire.

Des pays comme le Mozambique ont du gaz, ce qui est positif du point de vue du budget carbone, mais il n’est pas pleinement exploité. Cela obligera également les pays à construire des infrastructures pour acheminer le gaz vers les centrales électriques des pays qui en sont dépourvus.

En Afrique du Sud, entre 10 et 24 GW de capacité énergétique devraient être démantelés après 2030, principalement en raison du vieillissement des centrales au charbon. C’est très préoccupant car cela signifie qu’elles devront être remplacées par une autre source d’énergie primaire. Dans un pays où la pénurie d’eau est un défi majeur, il est presque impossible de miser sur l’énergie hydraulique. Il ne reste donc au pays que l’option de l’énergie nucléaire.

Mesdames et Messieurs,

Il est vraiment intéressant de voir que de nombreuses nations africaines reconnaissent l’énergie nucléaire comme un acteur majeur dans la réalisation du Programme pour le développement durable de l’Afrique.

Car en toute honnêteté, on ne peut pas parler de développement durable ni même de civilisation, alors que des millions de personnes vivent dans la pauvreté et sont toujours privées d’électricité et d’eau potable. Le nucléaire est donc bien placé pour aider à relever ces défis.

De ce point de vue, il est important de souligner la capacité de l’Afrique à faire des progrès dans la technologie nucléaire. J’entends parfois dire que la réalisation des projets nucléaires demande beaucoup de temps, ce qui les rendrait peu attrayants pour les investisseurs. Et ces analyses s’appuient généralement sur un « manque de compétences », en particulier sur le continent africain.

Sur ce plan, regardez comment les Émirats arabes unis (UAE) ont construit la nouvelle centrale nucléaire de Barakah. Il s’agit d’une nation qui n’avait aucune expérience nucléaire préalable, en matière d’octroi de licences ou de choix de site, et absolument aucune expérience d’exploitation d’infrastructure nucléaire.

La construction de la centrale a commencé en juillet 2012 et s’est achevée en décembre 2018. Cela n’a pris que 78 mois, ce qui est vraiment très impressionnant pour un pays sans expérience nucléaire préalable.

Voyons maintenant le cas de l’Afrique. La République sud-africaine possède la majorité, sinon la totalité des compétences mentionnées précédemment. Elle a exploité le réacteur de recherche nucléaire SAFARI-1 pendant plus de 50 ans, ce qui a placé le pays parmi les premiers producteurs mondiaux de médecine nucléaire. De même, la centrale de Koeberg est en service depuis 1984. Cela confère au pays et au continent un avantage concurrentiel en termes de capacités.

Le monde parle de « zéro émission nette de carbone d’ici 2050 », conformément aux objectifs de développement durable des Nations unies. Ce qui est inquiétant, c’est que de nombreuses nations développées ont confié aux États africains la charge de « relever les défis de la pollution ». Et ces nations persuadent nos dirigeants d’éliminer progressivement les combustibles fossiles, en particulier le charbon, chez nous, alors qu’ils ne l’ont pas fait dans leurs propres pays. Pire encore, par le biais des conditions de financement, ils nous dictent quel type de source d’énergie renouvelable nous devons mettre en œuvre, les sources habituellement recommandées étant l’éolien et le solaire.

Je n’ai absolument rien contre l’éolien et le solaire. Toutefois, ces technologies ne résoudront pas, à elles seules, le problème du manque d’infrastructures et de développement de l’Afrique.

Et si je suis également d’avis qu’il faut s’attaquer aux problèmes de changement climatique, cela ne doit pas se faire au détriment des Africains pauvres. Il est injuste d’imposer des restrictions aux choix énergétiques des pays pauvres, qui se trouvent piégés dans un état de pauvreté, de défis socio-économiques et de sous-développement permanent.

Mesdames et Messieurs

En conclusion, je voudrais affirmer que le temps viendra où l’Afrique utilisera beaucoup plus d’énergie. En attendant, surtout en Afrique du Sud, le charbon est notre énergie actuelle, tandis que le nucléaire représente l’avenir.

C’est pourquoi je voudrais appeler le monde à nous aider à construire des centrales nucléaires, qui sont essentielles pour la sécurité énergétique et les avantages économiques, ainsi que pour faire face aux problèmes de changement climatique.

L’Afrique en a tout simplement assez d’être dans le noir. Il est temps pour nos dirigeants de prendre des mesures décisives et d’inverser le cours des choses afin d’alimenter l’Afrique en énergie, d’accélérer le rythme de la transformation économique et de favoriser l’industrialisation indispensable à la création d’emplois.

L’Agenda 2063 de l’UA vise à transformer l’Afrique en une puissance mondiale de l’avenir. Par conséquent, faute de résoudre le déficit énergétique, ni la croissance économique, ni le développement durable, ni l’amélioration du bien-être des citoyens ne seront possibles. Et je pense que le moyen efficace de résoudre la pénurie d’énergie sera d’implanter des centrales nucléaires dans de nombreuses régions d’Afrique.

C’est la seule façon pour le continent de réaliser son aspiration à « une Afrique prospère fondée sur une croissance inclusive et un développement durable », l’Afrique que nous voulons.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et, une fois encore, ce fut vraiment un honneur pour moi de prononcer ce discours. Je vous souhaite une excellente journée.