« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Conférence de l’Institut Schiller à New-York le 14 février 2015

Les États-Unis ont besoin d’un mouvement de masse pour le développement

23 février 2015

Helga Zepp-LaRouche, présidente et fondatrice de l’Institut Schiller.

Dans le cadre d’une grande offensive internationale pour arrêter l’escalade de la guerre et relancer l’économie mondiale, l’Institut Schiller a de nouveau organisé une conférence sur ce thème à New-York, le 14 février 2015.

Nous proposons ci-dessous des extraits du discours de la présidente de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche.

La transcription complète (en anglais) ainsi que la vidéo, sont disponibles ici.



Pour arrêter la guerre, nous avons besoin d’un mouvement de masse pour le développement

Je crois que nous sommes confrontés à une situation incroyable. Nous sommes encore très proches d’une troisième guerre mondiale, même si le danger s’est quelque peu dissipé il y a trois jours, lors de la rencontre entre Madame Merkel, le président Hollande, Poutine et Porochenko à Minsk, où un accord (dit Minsk II) a été conclu.

Je regrette toutefois de vous dire qu’il s’agit là d’une pause très courte, potentiellement très fragile, de quelques heures peut-être ou quelques jours. La vérité est que nous sommes à la veille, à quelques minutes ou quelques secondes seulement, d’une troisième guerre mondiale. Ceci est généralement bien mieux compris, je pense, en Europe qu’aux États-Unis. Et nous sommes également à la vieille d’un éclatement total du système financier international. C’est la raison pour laquelle nous sommes confrontés à cette menace.

Le danger de guerre n’est pas seulement lié à l’Ukraine : il vient du fait que l’Empire, ce système globalisé qui s’est développé depuis la fin de l’Union soviétique, est sur le point d’éclater avec beaucoup plus de force que ce que nous avons eu avec Lehman Brothers et AIG en 2008. Laissez-moi vous résumer la situation.

L’accord de Minsk II est un accord en dix points. (…) Il est extrêmement fragile. Pourquoi ? Parce que le « principe d’Ibykus », comme je l’appelle, symbolisant le châtiment réservé aux mauvaises actions, pourrait venir hanter ceux qui ont travaillé à cet accord. Parce que c’est bien le refus déplorable de Merkel – elle qui dirige ce gouvernement allemand, soixante-dix ans après la Deuxième Guerre mondiale et la défaite d’un régime nazi ayant tenu douze ans – de reconnaître que la crise en Ukraine a été causée par un coup d’État nazi, qui nous a conduits à cette situation. Ce coup d’État a amené dans le gouvernement ukrainien, non pas simplement des « néo-nazis » mais de vrais nazis, dans la lignée de Stepan Bandera et de l’organisation qui a collaboré à l’occupation de l’Ukraine au cours des années 40.

Ces réseaux ont été maintenus tout au long de l’après-guerre, par la CIA, le MI 6 britannique et la branche Gehlen du Bundesnachrichtendienst (BND) allemand. On les a gardés en réserve un peu comme l’opération Gladio de l’OTAN en Italie, en tant que base arrière dans l’éventualité d’un affrontement avec l’Union soviétique durant la Guerre froide.

Ils étaient considérés comme de « bons nazis », car contrôlés par l’Occident, mais avec l’évolution de la situation sur le Maïdan, ils ont fait un coup d’État le 21 février [2014], et ceci n’a été reconnu ni en Allemagne, ni en France, ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni dans l’Union européenne. Tous ont toléré la situation, et tous ont prétendu que le gouvernement ukrainien avait été installé légitimement et qu’il était plus ou moins acceptable de coopérer avec lui.

Il se trouve qu’aussitôt signé l’accord de Minsk II, Dmytro Yaroch, le dirigeant du Secteur droit, et d’autres membres de groupes nazis intégrés dans la Garde républicaine, ainsi que des bataillons indépendants, ont annoncé qu’ils rejetaient l’accord et qu’ils allaient continuer à combattre.

Ces gens ont la capacité de faire échouer ce fragile accord, car ce sont des nazis. Ils sont bien équipés et le seront bientôt davantage encore grâce aux États-Unis. Alors qu’on négociait pour parvenir à l’accord de Minsk, le Lt. Gén. Ben Hodges, qui dirige l’armée américaine en Europe, a annoncé qu’il allait poursuivre les envois d’armes à ces gens, ainsi que leur entraînement, de toute évidence pour la guerre contre les « rebelles » dans l’est du pays, et potentiellement au-delà.

Cela doit cesser. Car sinon, si ces nazis ne sont pas désarmés, et si ceux qui les soutiennent ne sont pas dénoncés ou mis face à leurs responsabilités, la situation pourrait échapper à tout contrôle et conduire à une troisième guerre mondiale.

Il faut donc limoger sans délai la sous-secrétaire américaine pour les Affaires européennes et eurasiatiques Victoria Nuland, qui a soutenu sans discontinuer non seulement ces réseaux nazis mais aussi celui qu’elle surnomme « Yats », le soi-disant Premier ministre de l’Ukraine. Vous vous souvenez tous de sa célèbre conversation téléphonique (qui a été enregistrée) avec l’ambassadeur américain à Kiev, Geoffrey Pyatt, dans laquelle elle a lâché le célèbre « f**k the EU ! » (« Que l’Europe aille se faire f** ! »), montrant ainsi qu’elle souhaitait imposer sa créature Iatseniouk plutôt que le candidat soutenu par l’Allemagne, Vladimir Klitschko. Tout le monde s’était dit choqué de l’entendre parler aussi vulgairement, mais le vrai scandale est qu’elle était prise la main dans le sac, en plein délit d’ingérence dans les affaires internes d’un pays souverain, en imposant un individu favorable aux militants de Secteur droit et autres réseaux bandéristes.

(…)

Je reviens d’un voyage de deux semaines en Allemagne et au Danemark, où j’ai participé à une série d’événements visant à faire ce que l’on tente de susciter ici : éveiller les gens à la réalité stratégique. Ce que je suis en train de vous dire ne résulte pas de la lecture de tel ou tel rapport, mais de discussions que j’ai eues en Allemagne et à Copenhague, sur ce qui a provoqué cet effort diplomatique soudain et frénétique de la part d’Angela Merkel et de François Hollande.

C’est venu pour ainsi dire de nulle part. Tout d’un coup, Merkel et Hollande se sont rendus à Kiev, où ils ont rencontré Porochenko, puis Iatseniouk. Ils se sont ensuite rendus à Moscou. Ils ont rencontré Poutine pendant de longues heures. Madame Merkel est ensuite rentrée en Allemagne, avant de se rendre à Washington pour s’entretenir avec Obama. De retour en Europe, elle a assisté à des réunions de l’UE, puis s’est rendue mercredi [11 février] à Minsk, en Biélorussie.

Je peux vous assurer que ce qui a provoqué cette soudaine éruption d’activité diplomatique, qui n’était pas, selon mes sources les plus fiables, coordonnée avec Washington, est le sentiment que le monde était sur le point d’exploser. On annonçait alors que les Américains s’apprêtaient à envoyer en Ukraine des « armes défensives létales » (peu importe ce que cela peut bien signifier) et certains ont jugé que cela s’apparentait à une provocation immédiate contre la Russie. Car fournir des armes lourdes américaines à ces individus peu recommandables impliquait de facto une intervention de l’OTAN et des États-Unis en Ukraine. Or, étant donné le caractère extrêmement tendu de la situation, incluant des combats lourds, d’une grande violence, dans l’est de l’Ukraine, les Européens ont pensé que dans cette hypothèse, les Russes réagiraient et entreraient en guerre : nous aurions par conséquent une grande guerre, non seulement en Ukraine mais dans toute l’Europe. Et de par sa nature même, une guerre thermonucléaire globale. Telle est l’origine de cette intense activité diplomatique.

«  Le spectre nucléaire est de retour », affirmait un article paru dans le Spiegel Online au moment des allées et venues de Merkel. Il était accompagné d’une photo montrant deux ogives nucléaires dirigées vers le lecteur, transmettant bien l’idée de ce qui est sur le point d’arriver. Il citait ensuite l’analyste américain Theodore Postol, avertissant que la doctrine de première frappe des États-Unis est un mauvais calcul, puisque l’on présume qu’il est possible de gagner une guerre après une première frappe nucléaire. L’article contenait quantité d’autres arguments de ce type. Le même magazine publie aujourd’hui même un autre article, ce qui est un changement complet de ligne éditoriale, disant essentiellement : « La guerre dans la cour voisine : la diplomatie de Merkel peut-elle sauver l’Europe, ou conduira-t-elle à une guerre incontrôlée, peut-être même nucléaire ? »

Cela est sans précédent, je peux vous l’assurer, mais sans comparaison avec l’immédiateté du danger, car nous sommes à quelques minutes, quelques heures ou quelques jours, de l’extinction de la civilisation.

Nous ne sommes pas en train de parler d’une guerre quelconque, mais de l’extinction possible de l’humanité, car la logique veut que si guerre nucléaire il y a, tout l’arsenal d’armes disponibles dans le monde sera utilisé, et il ne restera plus personne. Le fait que l’on n’en parle pas est quelque chose que l’on doit absolument changer.

Beaucoup reconnaissent en privé que la situation actuelle est bien plus dangereuse qu’à l’apogée de la Guerre froide, incluant la crise des missiles de Cuba. Car même au plus fort de cette crise, il existait une ligne de communication secrète entre Khrouchtchev et Kennedy. On a appris récemment que les deux dirigeants dialoguaient entre eux, alors que plusieurs experts viennent de reconnaître qu’il n’existe pas de liaison similaire entre Obama et Poutine. Ils ne communiquent pas. Il y a certes des conversations téléphoniques entre les militaires russes et américains mais, comme plusieurs personnes impliquées me l’ont personnellement confié, ils ignorent si ce dont ils s’entretiennent a l’aval de leurs dirigeants politiques.

C’est une source d’inquiétude extrême.

En France, en Allemagne, en Italie et ailleurs, on entend certaines discussions privées, mais qui restent prudentes : l’Europe devrait-elle affirmer ses propres intérêts ou bien se laisser entraîner dans une guerre nucléaire ? Ceci est un phénomène nouveau. Tout le fondement de l’après-guerre, l’Alliance transatlantique, semble en train de s’éroder. Et lorsque le vice-président Biden a déclaré comme par enchantement (c’était, je crois, lors de la récente Conférence de Munich sur la sécurité), qu’il n’y avait aucune dissension au sein de l’Alliance atlantique et qu’il était sur la même ligne que Merkel, il s’agissait de toute évidence d’une tentative fragile pour dissimuler la réalité.

C’est intéressant car l’ancien chef d’état-major de l’armée allemande, le général Kujat, avait, quelques jours plus tôt, participé à une émission télévisée très suivie, sur la première chaîne allemande, pour dire que le sursis obtenu avec l’accord de Minsk II ne peut conduire à une solution que si les États-Unis changent de politique. C’est seulement si Obama et Poutine peuvent s’asseoir à la même table et se mettre d’accord tant sur l’Ukraine que sur un changement général de stratégie, que le calme pourrait revenir. L’Ukraine serait obligée de suivre, en raison de sa forte dépendance à l’égard des États-Unis, autant que la Russie, parce qu’elle aurait le sentiment d’être reconnue comme partenaire à part entière des États-Unis, et non pas traitée de manière irrespectueuse, en tant que « puissance régionale », comme l’avait fait Obama naguère. Tout pays disposant de missiles balistiques intercontinentaux armés d’ogives nucléaires n’est pas une « puissance régionale », a rappelé Kujat. Il faut aussi reconnaître clairement, a-t-il ajouté, que la Russie n’a jamais eu l’intention d’intervenir par la force en Ukraine ; si elle avait choisi de le faire, le conflit n’aurait pas dépassé 48 heures et les Russes auraient occupé Kiev en quelques jours seulement. Il a également souligné qu’en dépit d’éléments nazis bien équipés dans les milices et la Garde républicaine, l’armée ukrainienne est dans un état déplorable. Il faudrait des années pour en faire une force de combat efficace.

Comme je l’ai dit, en dépit de l’accord de Minsk, le Lt. Gén. Ben Hodges a déclaré qu’il n’allait pas ralentir le rythme des activités de l’armée américaine en Ukraine et que l’on maintiendrait les postes d’avant-garde de l’OTAN en Pologne, à Szczecin, ainsi que le transfert d’un bataillon de 600 parachutistes depuis Vicenza en Italie pour entraîner les Ukrainiens. Je le répète, ils entendent entraîner la Garde républicaine, Secteur droit, les groupes nazis, ces groupes qui déambulent avec des swastikas et autres symboles nazis.

Voilà ce à quoi nous devons faire face. (…)

La véritable cause de ce danger de guerre est la faillite du système financier transatlantique, autrement appelé « mondialisation », qui est la combinaison de Wall Street, de la City de Londres et autres institutions affiliées. La faillite d’une seule banque « trop grosse pour sombrer » provoquerait l’effondrement de tout le système.

C’est pourquoi Poutine affirme à juste titre que s’il n’y avait pas eu l’Ukraine, ils auraient trouvé un autre prétexte pour chercher querelle à la Russie. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré la même chose : que l’Ukraine n’est qu’un simple prétexte, cachant un objectif géopolitique plus général. C’est aussi l’avis de l’ancien ambassadeur de Ronald Reagan en Union soviétique, Jack Matlock, qui a déclaré partager l’analyse de Lavrov lors d’une conférence de presse à Washington.

(...)

Un vent de changement en Europe

On assiste à un immense changement en Europe. Celle-ci n’est plus ce qu’elle était il y a quelques semaines, avant la victoire électorale de Syriza et des Grecs indépendants en Grèce. Ceux-ci avaient fondé leur campagne électorale sur la promesse de mettre fin à l’austérité brutale de la Troïka, politique qui, au cours des dernières années, a fait chuter d’un tiers l’activité industrielle, a accru le taux de mortalité et de suicide, provoqué la chute de la natalité et fait grimper à 65 % le taux de chômage parmi les jeunes. Vous pouvez imaginer ce que peut être le sentiment général dans un pays où les deux tiers des jeunes sont sans emploi.

C’est cette volonté de mettre fin à la politique de la Troïka qui a donné au chef de file de Syriza, Alexis Tsipras, allié aux Grecs indépendants, une victoire écrasante : pas la majorité absolue mais presque. Les deux partis ont formé un gouvernement qui bénéficie, selon les derniers sondages, du soutien de 70 % du peuple grec.

Une chose sans précédent est arrivée : ils ont été élus, et aussitôt après leur élection, ils ont déclaré : « Nous allons honorer notre promesse. » Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire récente d’aucun pays occidental. (…) C’est pourquoi les élites sont totalement paniquées, et pourquoi Schäuble, Merkel, et même Hollande, en dépit de quelques déclarations de circonstance, se retrouvent aux côtés de l’Italien Renzi, de la BCE, sur une ligne dure, disant : « Nous insistons pour que la livre de chair soit payée, les Grecs doivent s’en tenir au mémorandum, il n’y aura aucun compromis. » Ceci nous conduit également à un affrontement, [à la fin de l’euro].

(…)

Pourquoi l’euro est-il fini ? Parce que si la BCE accepte le compromis et adoucit les conditions imposées à la Grèce, alors les autres pays qui souffrent de politiques d’austérité similaires, tels l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et même la France (dont la population déteste la politique d’austérité à l’allemande) y verront un signal, ouvrant la voie à un rejet de ces politiques. Si, à l’opposé, ils poussent la Grèce hors de l’Europe, ce qui pourrait survenir très rapidement, la Grèce se verrait alors forcée (et vous venez d’entendre le professeur Katsanevas à ce sujet) de se joindre aux BRICS, chercher d’autres sources de financement. (...)

La raison pour laquelle ils ont si peur n’est pas que la Grèce se soit refusée à rembourser sa dette, puisqu’elle n’a dépensé que 10 % des fonds de renflouement, 90 % étant retournés dans les coffres des banques – allemandes, françaises, italiennes ou espagnoles. Par conséquent, le nouveau gouvernement demande pourquoi il devrait payer pour ce que la Grèce n’a jamais reçu et affirme ne pas vouloir payer. La raison de cette panique est liée à la bulle des produits dérivés.

Personne ne connaît exactement l’étendue de l’exposition des banques à la bulle des dérivés, et toute modification du service de la dette grecque affecterait gravement non seulement les banques européennes mais aussi celles de Wall Street. Car toute la procédure de renflouement a été conçue autour d’un accord de swap entre la Réserve fédérale américaine et les banques européennes, et pendant que la Fed déployait sa politique d’assouplissement quantitatif et faisait tourner la planche à billets, une grande partie de cet argent, peut-être la moitié, finissait en réalité dans les coffres des banques européennes. Toutes ces banques sont complètement empêtrées dans ce système, et c’est ce qui a semé la panique.

Sur les 246 milliards d’euros qui ont été accordés en principe à la Grèce au cours des cinq dernières années, seuls 24 milliards environ sont restés dans le pays, ce qui est fort peu, après tout. Le système bancaire transatlantique est en faillite totale. L’exposition totale aux dérivés atteint 2 millions de milliards de dollars, et tout cela ne sera jamais remboursé. Ces gens sont donc prêts à partir en guerre, et se disent : « Nous voulons sauver notre système et lorsque nous voyons émerger l’Asie, en particulier la Chine, nous préférons faire tomber la Russie, qui est membre des BRICS, et détruire cette combinaison avec l’Asie, plutôt que de reconnaître que nos politiques ont été un échec. » (…)

Quelle est la solution ?

La réponse réside dans le fait que l’humanité est la seule espèce créative, du moins parmi celles connues à ce jour. (…) La plupart des individus pensent de manière déductive, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas penser au futur, car ils extrapolent à partir du passé et restent prisonniers du présent, des paramètres établis. Le problème est que ces paramètres sont évidemment en train de se décomposer, car nous sommes arrivés au point où nous risquons tous de mourir dans une guerre thermonucléaire globale, ou du moins, dans un premier temps, d’être entraînés dans une descente incontrôlée vers un nouvel âge des ténèbres, conduisant à l’utilisation, par des États sans lois, de l’arme nucléaire. Notre monde est contrôlé par l’oligarchie financière où tout se résume à danser autour du veau d’or. Le veau d’or est le monstre qu’il faut amadouer, même si cela implique le sacrifice de millions et de milliards d’êtres humains.

La seule solution est de prendre conscience que le système transatlantique est fini et qu’un nouveau système est déjà en train de se mettre en place. La crise pourrait être résolue relativement facilement, car le nouveau gouvernement grec milite en faveur d’une Conférence européenne de la dette, à l’image de celle de Londres en 1953, où la dette allemande héritée de l’entre-deux guerres et des crédits du Plan Marshall avait été réduite de 60 %, passant de 38,8 à 14,5 milliards de dollars. C’est cette réduction qui a permis le miracle économique allemand.

Lorsqu’Alexis Tsipras dit qu’il souhaite ce type d’approche non seulement pour la Grèce mais pour toute l’Europe, c’est parfaitement logique. Car le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France, l’Irlande sont tous plus ou moins dans la même situation. Cette idée d’une Conférence européenne de la dette est d’ailleurs soutenue par un nombre grandissant d’économistes, pour qui l’insistance de l’Allemagne et de la BCE pour maintenir une austérité aussi brutale (pour le compte de l’Empire britannique et naturellement de la City de Londres) n’est pas logique et qu’il faut adopter la politique opposée. L’objectif est d’accroître le niveau de vie, contrairement à ce qu’a fait la Troïka, qui l’a fait baisser presque de moitié en Grèce. Il faut également lier le remboursement de la dette au surplus de la balance commerciale, qui doit être de l’ordre de 5 %. En cas de déficit, le paiement de la dette doit être suspendu jusqu’au retour de la croissance. Il faut faire en sorte de remplacer les importations par des produits locaux, chose qui est totalement interdite par le système de libre-échange mondial actuel. Il faut également abandonner les politiques d’austérité comme les coupes budgétaires et autres mesures de ce genre.

Cette Conférence de la dette, qu’elle ait lieu dans un contexte pacifique ou non, doit être associée à l’idée d’une séparation des banques, selon le principe de Glass-Steagall. Les banques commerciales, l’épargne (jusqu’à une certaine limite), les obligations souveraines ainsi que celles liées à l’économie réelle, doivent être placées sous protection de l’État. Les banques d’investissement devront elles-mêmes faire le tri (si elles y arrivent !) dans ce qui est légitime parmi leurs dettes, car elles ne seront plus renflouées par l’État et n’auront plus accès aux comptes des banques commerciales. Sinon elles devront se déclarer en faillite.

Le second problème auquel nous devrons immédiatement faire face est celui de la dette souveraine. Les États se sont endettés en grande partie pour renflouer les banques, et doivent par conséquent faire le tri entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Plus important encore, cependant, il faudra mettre en place un nouveau système de crédit pour moderniser l’infrastructure en Europe et, soit dit en passant, aux États-Unis aussi, car ce que subissent dans ce pays les usagers des autoroutes s’apparente presque à une violation des droits de l’Homme, tellement on s’y fait cahoter ! (...)

Il faut donc un système de crédit semblable à celui imaginé par Alexandre Hamilton [le premier secrétaire au Trésor américain, après la Guerre d’indépendance, ndt], utilisant une partie des dettes impayables [la partie légitime] comme capital d’une nouvelle banque européenne d’investissement dans l’infrastructure, que l’on pourrait baptiser EIIB. Cette nouvelle institution pourrait travailler de concert avec l’AIIB, la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure créée par les Chinois. L’on pourrait ainsi se remettre immédiatement au travail, dans des tâches productives !

Il n’y a aucune raison d’avoir une quelconque interruption dans l’économie réelle ! Déjà en 2012, nous avions montré que les politiques de la Troïka allaient ruiner le sud de l’Europe : nous avions alors rédigé un « Programme pour un miracle économique en Europe du sud, en Méditerranée et en Afrique », conçu comme une extension du Pont terrestre eurasiatique. Ce programme a profondément influencé la campagne électorale grecque, entre autres, car il a circulé massivement en plusieurs langues, y compris en Grèce.

La grande question qui se pose aujourd’hui est donc : « L’euro va-t-il survivre à la crise ? » Probablement pas. Mais l’euro est une devise artificielle, et il aurait mieux fallu qu’il ne soit jamais inventé. Il n’est qu’une excroissance de ce qui a conduit l’OTAN à sa politique d’élargissement et d’encerclement de la Russie : le Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC). L’Allemagne s’est vue obligée de renoncer à sa devise, le très stable deutschemark, au bénéfice de l’euro. Tel fut le prix qu’elle dut payer pour l’unification, et elle fut obligée d’endosser cette camisole de force qu’est le Traité de Maastricht, responsable de toute cette politique d’austérité répandue dans la zone euro. Comme nous l’avions expliqué avant l’arrivée de l’euro, l’Europe n’est pas une zone optimale pour une devise unique car on ne peut réunir des pays marqués par une forte activité agricole comme la Grèce, le Portugal ou d’autres, avec des pays fortement industrialisés comme l’Allemagne, la France ou certains pays nordiques.

Pendant quelques années, la Grèce et l’Espagne, ou encore l’Italie, ont pu bénéficier d’un fort élan économique, mais avec l’émergence d’une bulle. Résultat : rien qu’à Madrid, on compte un million d’appartements non vendus et qui sont complètement vides. L’Allemagne a vu de son côté son marché domestique stagner, et l’euro ne lui a rien apporté, même si on répète à l’envi le contraire. Les salaires allemands n’ont pas progressé d’un iota. Si ces pays pouvaient reprendre en main leur devise, rien ne les empêcherait de se joindre aux BRICS ou au Pont terrestre mondial.

Nous avons publié chez EIR un dossier, « La Nouvelle route de la soie devient le Pont terrestre mondial » (The New Silk Road Has Become the World Land-Bridge), présentant de nombreux projets, plus nombreux même que ceux adoptés par les membres des BRICS au cours de leur sommet de Fortaleza au Brésil, en juillet 2014. (…) Il s’agit en quelque sorte d’une extension du travail que nous avons effectué au cours des vingt-cinq dernières années, depuis la chute du Mur. Nous avions proposé de relier les centres de population et d’activité industrielle européens à ceux de l’Asie, et même d’Amérique du Sud, afin de pouvoir, d’ici quelques années, voyager du sud du Chili jusqu’à Mombay, en Inde, ou bien jusqu’à Cape Hope en Afrique du Sud, grâce à des trains à lévitation magnétique empruntant le détroit de Bering. Ce trajet serait plus rapide que par voie maritime. Tel est l’avenir que nous envisageons, et cela ne se limite pas au seul développement économique mais à une nouvelle vision mondiale pour la paix.

Un nouveau paradigme, économique et culturel

Il nous faut un nouveau paradigme. Il faut sortir de l’ère de la géopolitique, car c’est bien la géopolitique qui a conduit le monde, par deux fois au siècle dernier, à une guerre mondiale. Il faut adopter une coopération gagnant-gagnant entre tous les pays, comme l’a déclaré à de nombreuses reprises le président chinois Xi Jinping.

(...)

En quelques années seulement, la pauvreté pourrait être totalement éliminée et chaque enfant devrait avoir accès à l’éducation universelle. Non pas à un enseignement quelconque, mais à une éducation fondée sur le système de Humboldt, qui servit de base au système adopté aux États-Unis au XIXe siècle, dont l’objectif n’était pas d’apprendre à gagner de l’argent mais de développer la noblesse de caractère. C’est dans ce but que Humboldt avait mis l’accent sur certaines catégories de connaissance en particulier : la maîtrise de sa propre langue, à l’image des grands poètes, puis la connaissance de l’histoire universelle, permettant à l’individu de se situer par rapport à la contribution des générations qui l’ont précédé, d’apprendre à les en remercier et à enrichir l’héritage reçu, au bénéfice des générations futures. Ceci implique naturellement la maîtrise de la musique, de la science, de la géographie, afin de développer tous les talents d’un individu, et ce de la manière la plus harmonieuse.

Si la joie de la découverte était ainsi encouragée chez les enfants, il n’y aurait plus d’individus ayant cessé de penser dès leur sortie de l’école, sinon avant, comme c’est le cas aujourd’hui. L’éducation se verrait rapidement confier la mission, partagée par tous, d’éduquer le caractère humain pour le rendre noble, comme l’aurait souhaité Schiller.

La culture populaire de la laideur et la glorification de la violence, telles que nous les subissons aujourd’hui, seraient remplacées par l’amour de la beauté, l’amour de la musique classique, et tous les enfants du monde pourraient apprendre à chanter le bel canto ou à jouer d’un instrument. Ils chercheraient à revivre les découvertes passées, dans leur forme originale, ou à répliquer les grandes inventions. Ils apprendraient non seulement à connaître en profondeur leur propre culture, mais aussi à se familiariser avec les principales contributions des autres cultures – chinoise, indienne, russe, du monde arabe et perse, des Grecs, des Égyptiens… et à les aimer.

La dictature du plaisir immédiat serait remplacée par un véritable appétit pour la créativité, la joie de la découverte scientifique, l’expérimentation de nouveaux principes ou l’écriture de belles partitions musicales, de poèmes, de tragédies, sans parler de scénarios de films intelligents [rires], chose que nous n’avons pas vu depuis longtemps ! On produirait des documentaires permettant à chaque enfant partout dans le monde d’accéder à la connaissance universelle, et ceci changerait les relations entre les gens : on ne se comporterait plus l’un envers l’autre comme dans une série télévisée, essayant de tricher ou de se poignarder mutuellement dans le dos. (...)

L’aspect important est que cette renaissance culturelle serait accompagnée d’une éducation esthétique et d’un progrès scientifique et technologique. L’on reconnaîtrait volontiers que seule une personne moralement éduquée est entièrement libre, car seul un esprit de ce type peut bénéficier d’une plénitude intérieure inaliénable. Cet appétit pour la beauté doit aller de pair avec le sentiment du sublime, car c’est ce qui rend l’individu humain réellement libre. En reliant son sens d’identité à des valeurs transcendant sa propre vie mortelle, en prenant conscience de son insécurité physique, on acquiert une sécurité morale et on devient ainsi invincible.

(…)

A la beauté, il faut donc ajouter le sublime, afin de faire de l’éducation esthétique un tout où rien ne manque. C’est seulement lorsque le sublime est marié au beau et que notre réceptivité aux deux a été cultivée de manière équilibrée, que nous devenons de parfaits citoyens de la nature, affranchis de son esclavage et refusant de céder nos droits en tant que citoyens d’un monde intelligible.

Je crois qu’il est utile d’y penser, car la condition actuelle de l’humanité n’est pas digne de l’être humain. Nous avons sombré si profond dans un tel âge de ténèbres ! Je pense qu’il faut, si l’on veut redonner à l’humanité sa dignité, revenir à l’apogée de notre culture classique, telle qu’exprimée à l’époque de la Révolution américaine par les Franklin, les Lincoln et d’autres, mais aussi dans d’autres cultures. Pour que l’espèce humaine devienne véritablement immortelle, il faut que le développement scientifique et la conquête spatiale soient couplés à ces idées du beau et du sublime, car c’est seulement si l’éducation esthétique accompagne ce processus que nous pourrons effectuer le changement nécessaire.

Il faut pour cela un véritable mouvement de masse en faveur du développement économique, mais aussi de l’âme humaine.

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