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Didier Schmitt : Le projet Exomars

18 décembre 2012

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Transcription

Intervention de Didier Schmitt, consultant dans le domaine spatial, Toulouse

Je tiens d’abord à préciser que je parle en mon nom propre. J’ai travaillé dans le domaine spatial depuis un certain temps.

Figure 1.

Ceci est quelque chose (voir figure) que nous avons élaboré à l’Agence spatiale européenne (ESA) il y a douze ans. C’est une feuille de route pour l’exploration robotique et humaine de l’espace. On verra jusqu’où on a pu arriver.

M. Cheminade m’avait demandé de parler de la mission ExoMars. Je le ferai, mais je considère qu’il est important de disposer d’une vision générique de ce qu’est l’exploration spatiale et pourquoi nous la faisons en général. J’ai donc légèrement adapté ma présentation. D’habitude je présente des sujets scientifiques pointus mais je m’adapte à mon public.

D’abord, je voudrais dire que l’exploration spatiale, c’est dans nos gènes, parce que de mon point de vue, cela a défini des critères d’adaptation. Le premier homo sapiens ou autre sous-espèce de l’époque, selon la plupart des scientifiques, est apparu dans le sud de l’Afrique.

Figure 2.
Carte des migrations de l’homo sapiens

Ceux qui étaient accoutumés à leur environnement, une fois que l’environnement changeait, ont disparu. Seuls ceux qui étaient des explorateurs avaient une chance de pouvoir survivre lorsque l’environnement se modifiait. Je ne vais pas entrer plus loin dans ce sujet mais cela explique ce qu’il s’est passé par la suite. L’humanité a gardé un élan pour l’exploration. Cela a été vrai dans le bassin méditerranéen, ainsi que dans une époque plus récente, bien que tout n’a pas été positif. Mais la nature exploratoire de l’homme demeure.

J’inclus l’aéronautique dans l’exploration. Plus récemment, il y a un demi-siècle, on a commencé à quitter la Terre. Cela exprime la volonté d’aller toujours plus loin. On a exploré les profondeurs océaniques, les montagnes, on a fait des expéditions vers le Pôle nord et l’Antarctique. Nous devons aller dans l’espace.

Une fois de plus, le sujet de l’exploration est l’adaptation et la survie. Cela en fait une sélection génétique et ainsi le reste n’est qu’une simple conséquence : l’exploration pour la richesse, pour le pouvoir – c’est ce qu’on découvre en lisant les livres d’histoire –, et ensuite, plus récemment avec les programmes spatiaux, l’exploration pour le prestige, ce qui fut le cas pour les années 1960 avec la guerre froide dans le domaine spatial, comme nous le disent également les livres d’histoire.

Un autre aspect que j’aimerais vous montrer est que l’exploration spatiale est très présente en littérature. Dès le début du XIXe siècle, on trouve ce qu’on pourrait appeler le premier film de science fiction. L’auteur désire aller sur la Lune avec n’importe quel vaisseau spatial qu’il pouvait inventer avec son imagination à cette époque. Tout le monde connaît Jules Verne, mais c’est le même esprit de vouloir aller plus loin, d’explorer la Lune. Certains d’entre vous se rappellent sans doute des romans et revues de science fiction des années cinquante. J’ai récemment modestement contribué à cette tradition.

Au cinéma, le film intitulé le Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès traite déjà de l’exploration spatiale. (Montre l’extrait).

Le premier film jamais réalisé était un film de science-fiction montrant ces types marchant sur la Lune. Et la capsule revient sur terre et tombe dans l’océan. Très intéressant, c’est donc vraiment d’exploration qu’il s’agit. Ensuite bien sûr, on a connu la série très populaire Star Trek, 2001 l’Odyssée de l’Espace de Kubrick ou encore Star Wars et plus récemment Avatar. Tout ceci sont des indicateurs exprimant que nous désirons explorer. Et si on est empêché de le faire physiquement, on le fait dans la littérature ou dans les films.

J’ai fait une petite contribution à cela. J’ai fait réaliser une bande dessinée sur l’espace et les applications de l’espace qui sortira en janvier en 24 langues, avec un tirage d’1 million d’exemplaires, pour répondre à autant de demandes d’écoles et d’enseignants. Après la fiction, la réalité. Elle est sans doute présente dans vos esprits.

(Voir figure, avec étapes dans l’histoire de l’exploration spatiale). Je ne vais pas discuter chaque pas de l’exploration spatiale. En ce qui concerne l’exploration robotique, vous avez sans doute entendu parler du rover américain sur Mars, qui est exceptionnel. L’engin a une certaine taille, c’est une vraie petite voiture. Aussi, cela a coûté quelques milliards d’euros.

Les images du bas (voir figure) concernent l’exploration humaine. Dans les programmes que j’ai développés à l’ESA, j’ai toujours souligné qu’il nous faut les deux. Il y a toujours eu des gens pour dire « on n’a pas besoin de vols habités. C’est trop coûteux. Avec le même argent on peut faire dix fois plus pour la science en termes d’exploration robotique ». C’est un point de vue. Je pense que l’exploration humaine apporte quelque chose de très différent. Si quelqu’un, dans les prochaines trente à quarante années, est sur Mars et vous le regardez à la télévision, c’est totalement différent que de juste voir un robot qui se balade à la surface de Mars. Les rover ne sont pas des héros mais, il faut l’avouer, nous avons aussi besoin de héros.

Figure 3.
La capsule russe Soyouz

Ici vous voyez la première station Soyouz (figure), ce qui vous indique à quel point les Russes étaient en avance. Voici la station spatiale internationale (ISS) (figure) et ceci est la navette américaine (figure). Bien peu de gens ont conscience que les Russes avaient un programme identique de navette. La navette russe n’a volé qu’une seule fois en 1988, sans passagers à bord. Juste pour montrer que les Russes étaient les premiers mais se sont faits dépasser par les Etats-Unis avant que tout se soit internationalisé. Nous parlerons tout à l’heure d’où en sont les Chinois et comment cela va changer pas mal de choses dans les prochaines années.

Les Russes avaient de l’avance

J’aime dire cela. Les Russes avaient de l’avance. C’était très simple. Ils étaient les premiers à lancer un satellite artificiel, à mettre un animal et ensuite un homme et ensuite la première femme en orbite. Ils ont lancé la première station spatiale. Ils on toujours été les premiers. Ils avaient le premier atterrisseur sur la Lune etc. La raison en était simple. Quand ils ont développé les missiles intercontinentaux (militaires), ils n’avaient pas mis au point la miniaturisation des têtes nucléaires. Ils avaient donc des ogives énormes, avec la bombe nucléaire à l’intérieur. Automatiquement, ils étaient obligés de développer un lanceur tout aussi énorme, capable d’être lancé de n’importe quel endroit et dans toutes les conditions climatiques imaginables, en Sibérie ou ailleurs. Ils avaient donc un lanceur très fiable. La seule chose qui leur restait à faire, c’était de remplacer l’ogive par un satellite ou une capsule avec des hommes.

A la même époque, les Etats-Unis avaient deux fusées, par exemple les Minuteman, comme sur cette image (voir figure). Et ces fusées étaient équipées de petites ogives. Lorsqu’il s’agissait de concurrencer les Russes en termes de mettre des choses en orbite, et non pas d’avoir des capacités balistiques, les Américains ne faisaient pas le poids. Ils ont du concevoir une fusée complètement nouvelle afin de battre les Russes par la suite. Voilà des détails historiques intéressants.

Un autre aspect intéressant, est que ce n’était que de la malchance du coté russe s’il n’ont pas été les premiers à poser le pied sur la Lune. Ces choses ont seulement été rendues publiques très récemment.

Figure 4.
Le 21 février 69, la fusée russe N1 décolle… mais explose au bout de 70 secondes.

Ceci est la fusée N1 (voir figure) avec ces trois grands étages et 86 moteurs, je pense. La malchance a fait qu’il y avait toujours deux ou trois moteurs qui ne marchaient pas. Ainsi, les trois tentatives de lancement ont toutes échoué. Les Russes ont ensuite arrêté le programme, il l’ont totalement dissimulé afin de montrer qu’ils n’avaient jamais échoué.

Ainsi, personne ne pouvait dire « ils ont essayé et ils ont failli ». Les Russes disaient : « Nous n’avons pas essayé et nous n’avons pas échoué ». Ils prétendaient ne pas être engagés dans une course à l’exploration spatiale mais en réalité ils y étaient engagés et ils l’avaient perdue. Vous savez qui a gagné la course évidemment. Une autre information qui vient d’être rendue publique est celle-ci. Elle vient de Johnson, à l’époque le vice-président de Kennedy. Le document demande clairement « comment pouvons nous battre les Russes ? » Et Kennedy avait répondu : « Amenez-moi quelqu’un qui a une idée sur la manière de battre les Russes dans le domaine spatial ou n’importe où ailleurs. » Et l’idée est venue de mettre un homme sur la Lune et vous connaissez la suite de l’histoire. 2% du PIB des Etats-Unis et 300 000 personnes ont mis le premier homme sur la Lune.

Le dernier homme sur la Lune était Schmitt (même nom que moi) et c’était le seul scientifique. Les onze autres étaient des militaires.

Malheureusement, le programme a été arrêté avec Nixon et il n’y a pas eu de suite.

J’ai parlé des héros de l’aventure spatiale et les Russes en avaient. C’était une époque où on construisait des héros, que ce soit en Russie ou aux Etats-Unis. Cela était pour l’essentiel pour des raisons politiques, parce que battre un système adverse, par exemple le capitalisme versus le communisme, c’était également une question de construire l’image de héros.

Figure 5.
Le cosmonaute russe Valeri Poliakov a effectué le plus long vol spatial de l’Histoire (URSS, Soyouz et Mir).

J’ai beaucoup d’estime pour la personne ici, Valeri Poliakov (figure). J’ai passé une semaine dans un simulateur avec lui à Moscou. C’est une personne assez intéressante. Les Russes ont décidé d’avoir quelqu’un en situation de vol pendant 14 mois de suite dans une station spatiale. Seulement pour prouver qu’on pouvait se rendre sur Mars et revenir, ce qui prend approximativement 14 mois. Et Poliakov l’a fait et il était en fait en bonne forme lors de son retour sur Terre, contrairement à certains qui y passent seulement six mois et qui reviennent en mauvais état.

Ensuite les deux premiers pilotes américains de la navette en 1980. Aussi aux Etats-Unis, c’était un mécanisme pour fabriquer des héros. John Glenn a volé dans l’espace en 1962, année de ma naissance, et de nouveau en 1998, quand il avait 77 ans. C’était assez intéressant. Pour justifier ce dernier vol, la Nasa disait qu’il s’agissait d’une récompense parce qu’il fut un des plus grand avocats des programmes spatiaux.

Cessons maintenant de regarder dans le rétroviseur. Où en sommes-nous ? Le désir ancestral pour aller dans l’espace demeure. L’aspect rêve demeure également. Ce que j’ai appelé le principe du drapeau est ceci. Chaque fois que quelqu’un se rend quelque part, que ce soit le Pôle nord ou l’Antarctique, ou n’importe où, sur le sommet du mont Everest, on y plante son drapeau. On y dépose quelque chose qui représente quelqu’un ou une nation. Et cela est intéressant et on le voit avec le programme spatial chinois.

Cependant, des nouveaux acteurs et des nouveaux paradigmes émergent à grande vitesse. On va le regarder en détail. On parlera un peu de la Chine, des Etats-Unis et de l’Europe.

D’abord, l’aspect commercial. C’est intéressant et important. Personne ne l’a vu. Dans les programmes spatiaux, on l’a vu, mais on ne l’a pas cru. La plupart des gens avec qui j’en ai parlé il y a quelques années me disaient « cela ne marchera jamais ». Et aujourd’hui, nous avons Dennis Tito, le premier touriste de l’espace. Depuis, il y en a eu plein d’autres. Six jusqu’à maintenant. L’année prochaine vous pourrez acheter un billet pour 200 000 dollars si vous les avez, mais vous ne seriez pas ici si vous aviez cet argent. A ce prix vous avez un vol sous-orbital de quatre minutes dans l’apesanteur, avec une vue sur la Terre d’en haut.

C’est l’initiative SpaceX, une société privée, qui amène actuellement du fret à la station spatiale internationale. Je vous parie que d’ici quelques années, on pourra acheter des places pour aller sur la Lune et revenir pour un prix de 50 à 60 millions dollars. Il existe une certaine caste de gens qui dispose de sommes pareilles et qui veut faire ce type de chose. Il existe beaucoup d’autres initiatives. Il y a X Price, une récompense de 30 millions de dollars accordée à celui qui posera un robot sur la Lune. Il y a donc des choses en cours et j’ai confiance que l’initiative privée portera une partie de l’exploration spatiale.

La Chine

Maintenant le facteur chinois. A mon avis c’est le facteur le plus important, qui a été sous-estimé par beaucoup. Pas par les Etats-Unis, parce qu’ils disposaient de beaucoup de renseignements, bien qu’il s’agisse d’un programme très secret. Il s’agit en réalité d’un programme entièrement militaire. Le nom du premier tyconaute, comme ils appellent leurs astronautes, n’a été connu que lors de son retour du premier vol. On voit à quel point tout se fait dans le plus grand secret. Ceux qui sont entraînés passent des années dans un lieu secret et restent anonymes. Ils ont fait pas mal de premiers vols, et l’année dernière ils ont fait voler la première femme dans l’espace.

Cette année, ils ont fait le premier amarrage et maintenant ils communiquent un peu plus. Ils ont annoncé il y a deux ans qu’ils mettront leur propre station spatiale en orbite vers 2020, c’est-à-dire demain. Ils ont annoncé l’année dernière qu’ils visaient de poser un Chinois sur la Lune. On ne sait pas s’il s’agit d’une simple visite comme les Etats-Unis, ou s’il s’agit de faire plus. Et ils ont annoncé cette année que leur but ultime, c’est une mission vers Mars. Il est clair qu’ils montent en capacité. Les Chinois ne parlent que lorsqu’ils ont fait quelque chose. Ce n’est pas ce qu’on a l’habitude de faire ici. Ils ne disent pas « on va faire », mais « on a fait ». Ils n’annoncent que les choses qu’ils peuvent réellement faire, ce n’est pas du simple bluff. Politiquement cela est très important parce qu’ils veulent vraiment montrer qu’ils ont la technologie, les tripes et qu’au moins régionalement, si ce n’est à l’échelle mondiale, ils représentent quelque chose d’équivalent aux Etats-Unis.

Évidemment, les Etats-Unis se devaient de réagir. L’Administration Obama a réagi à la proposition de l’administration Bush de 2004 d’établir une base permanente sur la Lune, ce qui, dans mon opinion, était assez étrange à cette époque puisqu’on n’a pas besoin de retourner sur la Lune pour justifier des missions qui iront plus loin, notamment vers Mars. L’Administration Obama prépare un plan pour « battre les Chinois ». Si les Chinois iront sur la Lune, il est évident que les Américain n’iront pas vers la Lune, ils iront plus loin.

Ils se rendront sur un astéroïde vers 2025-2030, ce qui veut dire qu’ils iront bien plus loin que tous ce que les Chinois espèrent pouvoir faire. Donc, une fois de plus, on est dans une sorte de guerre froide entre la Chine et les États-Unis.

On voit ici sur ce dessin (américain) que ces personnages ne marchent pas mais flottent. Il s’agit donc bel et bien d’un astéroïde. Ce sont les dessins que la Nasa teste dans la sphère publique, ils le font toujours de cette façon-là. Ils préparent les esprits des gens d’avance et après ils font une annonce. Elle peut se faire début 2013 après l’inauguration d’Obama.

L’Europe

Où en sommes-nous, Européens ? Je ne veux pas citer les livres d’histoire présentant les Européens comme des grands explorateurs, mais il est indéniable que l’Europe a joué un grand rôle et je ne compte même pas les Vikings.

Concordia est l’endroit le plus reculé du monde. C’est une station sur l’Antarctique à 1100 km des côtes où douze personnes résident en permanence, où j’ai lancé un programme pour simuler les conditions de la vie dans l’espace depuis 2005. L’ESA a là-bas un médecin, et cinq à dix expériences sont actuellement en cours dans cette station comme une bonne base spatiale analogue.

Technologiquement, qu’avons-nous accompli avec les programmes spatiaux pour l’exploration ? Vous connaissez tous notre grand cheval qui est Ariane 5, qui peut mettre 220 tonnes en orbite. Ici l’ATV (Advanced Transfer Vehicle) qui est réellement une Ferrari comparé à tout autre vaisseau spatial. Un système très autonome, très intelligent capable de s’amarrer à la station spatiale internationale. On a aussi la station spatiale européenne Columbus, actuellement intégré à l’ISS. On a travaillé sur d’autres composantes de l’ISS et on a des gens exceptionnels comme (le spationaute belge Frank De Winne) qui a été le premier commandant de l’ISS après des Américains et des Russes.

Conférence interministérielle de l’ESA à Naples

Ce qu’on va faire maintenant a été décidé avant-hier à la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il s’agit de financer les études et les systèmes de propulsion du prochain véhicule spatial. C’est très stratégique. Si les Etats-Unis se servent de ce véhicule pour aller quelque part, que ce soit sur un astéroïde ou sur la Lune etc., ce serait avec des technologies européennes. Je pense donc qu’on a fait un bon pas stratégique. Dans le domaine de l’exploration robotique on ne fait pas mal non plus. On a un satellite (MarsExpress) en orbite martienne depuis 2003. A l’ESA nous avons été les pères d’un certain système. En 2005, on a posé une sonde sur Titan, une lune de Saturne, ce que personne n’avait jamais fait auparavant. Nous avons en route un traceur de comètes (sonde spatiale Rosetta) qui va poser une sonde sur une comète en 2014 pour y recueillir des échantillons de roche, ce qui sera également une première scientifique.

ExoMars

Et nous avons le programme ExoMars. Le programme fut conçu en 2009. J’étais le premier scientifique travaillant dessus et développant le concept. Et le concept était très simple. La plupart des programmes Américains et Russes s’intéressent à la géologie et la géophysique. Notre idée était de dire : allons à ce qui est vraiment important : l’eau et la vie. Comment pouvons nous détecter s’il y a de l’eau et de la vie sur Mars ? C’était un aspect. L’autre était de dire, si nous posons un rover sur Mars, peut-il examiner quelles seront les dangers pour les humains qui s’y rendront dans quarante-cinquante ans ? La mission était donc double : identifier les menaces potentielles pour les humains et trouver des traces de vie.

Où en sommes-nous ? Le problème a été que ce programme a soudainement intéressé tout le monde. Et tout le monde voulait y rajouter quelque chose, plus de recherche scientifique, plus de technologie, et c’est devenu une grosse chose. Ce qui peut tuer le programme si l’on n’a pas le budget dont on a besoin.

En 2016 on prévoit d’avoir un premier lancement avec un orbiteur (GTO) capable de détecter la présence de méthane, ce qui serait un signe indirect de vie. Avec évidemment plein d’autres instruments et on testera, avec un véhicule spécifique, les nouvelles technologies pour pénétrer dans l’atmosphère martienne et atterrir en toute sécurité. Je ne veux pas les détailler ici mais il y a toute une panoplie d’instruments scientifiques (voir figure). Ce que je voulais vous montrer sont tous les drapeaux différents. Voici le drapeau de (l’agence spatiale russe) Roscosmos.

A l’origine on avait un accord avec la Nasa pour qu’ils nous fournissent les lanceurs, car on est obligé de partager les coûts, le programme devenant de plus en plus cher. Ensuite, ce printemps, la Nasa nous a fait savoir qu’elle ne pouvait plus le faire et qu’elle avait d’autres priorités. Elle nous a complètement laissés tomber et nous a obligés de repenser l’ensemble du programme. Ce mardi nous avons conclu un accord avec l’agence spatiale russe disant qu’ils fourniront les lanceurs pour les deux missions, celle de 2016 et celle de 2018. J’espère que tout fonctionnera.

Figure 6.

Ce qu’on prévoit pour 2018 est le cœur de la mission ExoMars. C’est ce rover équipé d’une foreuse capable de forer jusqu’à deux mètres dans le sous-sol et y détecter des traces éventuelles de vie. Au même moment, comme je l’ai indiqué, de nombreux autres scientifiques ont montré leur intérêt. Il y aura donc également une station météorologique et une station géophysique. Une mission complexe et ambitieuse donc, mais réalisable. On possède tout le savoir faire, les scientifiques, les ingénieurs et les techniciens pour le faire. On croise seulement les doigts pour avoir des budgets stables d’ici-là.

Quels sont les défis pour réaliser ceci ? (voir figure) Quand on a commencé à préparer notre feuille de route technologique pour ExoMars et d’autres missions habitées vers Mars, la seule chose dont j’avais besoin étaient des images de synthèse comme celles de la Nasa. J’ai donc laissé faire des images avec le logo de l’ESA sur le rover. Si c’est l’avenir ou pas je n’en sais rien. Le défi financier n’est en réalité pas si énorme. Si vous le faites sous forme d’une coopération internationale, où tout le monde coopère, ce n’est qu’un dixième du coût de la guerre d’Irak. Désolé de vous ramener aux discussions antérieures mais j’aime bien vous faire penser les choses dans la réalité de la situation présente. On pourrait faire tellement d’économies en ayant un objectif commun, que le coût serait réellement dérisoire.

Les programmes européens d’exploration spatiale, tels que vous les avez vus, représentent moins d’un euro par personne annuellement dans l’UE. Chaque fois que vous buvez une bière, rien qu’une partie de votre bière pourrait aider le programme spatial. Le seul défi, c’est celui de mobiliser la volonté politique pour le faire. Depuis trois ans, j’essaie de mettre le sujet sur la table au niveau politique. Je travaille à la Commission européenne. On a eu, l’année dernière, avec la Commission, une conférence internationale et pour la première fois, on a été capable de réunir, non pas les agences spatiales, mais les politiques, pour parler d’exploration spatiale.

Figure 7.

Vous ne le voyez pas sur cette photo (voir figure), mais on avait le numéro deux du Département d’Etat américain, un représentant de l’Ukraine, le vice-Président de la Commission européenne, le Directeur général de l’ESA, le ministre chinois des Sciences et technologies et un représentant de la Russie. Donc au moins les Etats-Unis et la Chine étaient représentés à des hauts niveaux politique, ce qui n’avait jamais été fait avant.

Ce que nous avons fait, et cela m’a coûté de longues journées et nuits, c’est qu’on s’est mis d’accord pour avoir un dialogue au plus haut niveau sur les questions spatiales. Après des réunions de ce type, la prochaine conférence aura lieu aux Etats-Unis. En tout cas, c’est la première fois que les Américains et les Chinois s’assoient autour de la même table pour parler espace entre politiques.

Où nous irons dans cinquante ans je ne sais pas. La technologie est capable de grandes choses. Ce que je souhaite, c’est que l’exploration devienne un effort mondial pour la société, pour tout le monde et que nous ayons un but commun. On peut discuter philosophiquement de cela, mais je vous ai montré que c’est faisable techniquement et financièrement. Quelqu’un doit avoir le courage, pour le dire poliment, de le faire.

Petit questionnaire pour terminer : quelle est la différence entre ce type ici et celui là ? (voir figure)

Certes, il y a une distance de 2,5 million d’années qui les sépare mais c’est seulement 2,5 millions de décimètres, c’est-à-dire 250 km. C’est donc énorme en distance dans le temps mais très proche en termes de km. Après tout, on n’est pas allé si loin et il reste de la place pour faire mieux. On doit aller plus loin et nous sommes prêts à le faire.

Évidemment les choses ne sont pas si simples. Cela prend des années et du savoir faire, de la recherche pour y arriver.

Je tiens à le souligner, ce n’est pas si facile. Mettre un homme en orbite, ils peuvent sauter dans un véhicule de secours et en trois heures ils sont de retour sur Terre. Leur femme peut les appeler à 15h et ils peuvent dîner ensemble. La Lune, cela prend trois jours pour en revenir en cas d’urgence. Ce n’est pas une grosse affaire. Mais si vous envoyez des gens sur Mars, et j’ai travaillé beaucoup sur ces scénarios, c’est au moins six mois aller, et six mois pour revenir. Et si vous désirez travailler sur la surface de Mars, c’est 40 jours, sinon 500, car c’est dicté par la conjonction. Personne ne voudrait envoyer ces types pour travailler là bas pour quelques semaines. Si nous payons cher pour les y envoyer, ils doivent pouvoir y travailler 500 jours et revenir. Donc ce n’est pas une mince affaire. La sécurité est essentielle.

L’exploration spatiale, comme l’affirme mon directeur général à l’ESA, ce n’est pas une question de si. Elle se fera. Si ce n’est pas nous, ce sera nos enfants, ou quelqu’un d’autre. Cela pourrait être les Chinois ou les Américains. Cela se fera, donc pourquoi ne pas commencer de suite ?

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