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Ukraine : otage consentant de la géopolitique anglo-américaine

4 février 2022

Depuis des mois, les principaux médias occidentaux se font les relais de la rhétorique guerrière de l’OTAN et de ses alliés contre la Russie. La volonté américaine ouvertement assumée de vouloir écraser l’économie russe a au moins le mérite de faire comprendre les enjeux véritables.

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La propagande sans fin sur la guerre imminente n’a fait qu’aggraver la situation économique déjà catastrophique en Ukraine et crée une psychose au sein de la population. Entre-temps, la question cruciale, comme le Kremlin n’a cessé de le marteler, est celle des garanties de sécurité que Moscou exige de l’OTAN et de Washington et qui ont été présentées à la mi-décembre sous la forme de deux projets de traités distincts.

Le 26 janvier, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a annoncé que les fins de non-recevoir américaines étaient arrivées. Bien que la teneur n’en ait pas été divulguée, M. Lavrov a déclaré qu’elles n’offraient malheureusement « aucune réponse positive » aux principales exigences du Kremlin, à savoir : pas de nouvelle expansion de l’OTAN à l’est et pas de déploiement « d’armes hautement destructrices susceptibles de menacer le territoire de la Fédération de Russie ».

M. Lavrov a toutefois qualifié la réponse de Washington de « modèle de décence diplomatique », par rapport à celle de l’OTAN, « tellement idéologisée, sous la bannière de l’exclusivité de l’Alliance, de sa mission spéciale, de son but spécial ». Le chef de la diplomatie russe a déclaré qu’il se sentait presque gêné pour ceux qui avaient rédigé un tel document. C’est certainement le cas du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et du gouvernement britannique en particulier, qui non seulement ont proféré des menaces brutales mais envoyé des quantités massives d’équipements militaires en Ukraine, fissurant encore davantage « l’union » entre États membres.

L’objectif des Anglo-Américains : écraser l’économie russe

Flickr Simon Dawson
Liz Truss - Secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères

En dépit de cette « décence » dont Biden a pu faire preuve au cours de la semaine écoulée, des responsables de l’administration américaine et du gouvernement britannique ont clairement indiqué que leur véritable objectif était de saboter le développement industriel de la Russie et d’endommager irrémédiablement ses structures étatiques.

C’est ainsi que le 25 janvier, deux hauts fonctionnaires de l’administration, au cours d’un point presse par visioconférence avec des journalistes, n’ont pas caché que les mesures prévues par les États-Unis et leurs alliés pour imposer de « sévères sanctions économiques » à la Russie visent explicitement à provoquer son effondrement économique. « L’escalade appartient au passé et, cette fois, nous commencerons par le haut de l’échelle et nous ne bougerons pas de là », ont-ils déclaré, tout en se félicitant d’avoir déjà « aggravé la vente d’obligations russes », en augmentant leur diffusion et en faisant baisser la valeur du rouble grâce à la seule évocation de « sanctions économiques aux lourdes conséquences ».

Si le président Biden semble être en faveur de la détente, le Congrès prépare donc ce que l’on appelle « la mère de toutes les sanctions » contre la Russie. Mais les bellicistes et le « complexe militaro-financier » nourrissent apparemment l’illusion qu’ils peuvent encore forcer la Russie - et la Chine - à se soumettre à leur monde unipolaire, tandis que leur hystérie découle de l’effondrement inévitable du système financier transatlantique, au cœur de leur futur empire.

« L’objectif n’est pas de protéger l’Ukraine », poursuivent les deux hauts fonctionnaires, mais de « frapper durement les ambitions stratégiques de Poutine d’industrialiser l’économie russe » et de « saper ses aspirations à exercer son influence sur la scène internationale ». À cette fin, des sanctions financières mais aussi des contrôles à l’exportation sont prévus pour empêcher la Russie d’accéder à des technologies qui sont « essentielles à ses ambitions de développer des capacités de haute technologie dans les domaines de l’aérospatiale et de la défense, des lasers et des capteurs, de l’intelligence artificielle, de la robotique, des ordinateurs quantiques, etc. Nous sommes prêts à travailler avec n’importe quel pays pour priver la Russie des intrants dont elle a besoin pour diversifier son économie, parce qu’avec le temps, cela atrophierait sa capacité de production ».

De ce point de vue géopolitique, l’Ukraine est donc un pion utile mais négligeable. Un aveu glaçant de ce qui revient à une intention d’annihilation du peuple russe, sans tenir compte du fait qu’une telle guerre économique n’atteindrait probablement pas les objectifs visés. L’Europe étant tributaire du gaz russe pour le chauffage et l’industrie, les deux responsables ont également évoqué des efforts accrus pour amener celle-ci à s’approvisionner auprès d’autres sources, afin que tout soit prêt lorsque la décision sera prise « d’appuyer sur la gâchette ».

En plus de l’opposition qui se manifeste en France et en Allemagne à ce plan aussi suicidaire que démentiel , il faut maintenant ajouter l’Espagne : après que le Premier ministre socialiste Sanchez a annoncé qu’une nouvelle aide militaire serait fournie par l’OTAN, le principal partenaire de la coalition gouvernementale, Podemos, s’est désolidarisé et a appelé à une mobilisation contre la guerre, comme le rapporte El Pais.

Depuis la Croatie, le président Milanovic a annoncé que son pays ne serait impliqué d’aucune manière dans la crise ukrainienne, et qu’il n’enverrait certainement pas de troupes, soulignant la nécessité de « parvenir à un accord qui tienne compte des intérêts de la Russie en matière de sécurité ». La Hongrie, la République tchèque et la Bulgarie sont, par ailleurs, toutes réticentes à participer à une éventuelle action militaire.

Sans surprise, c’est un tout autre son de cloche qui vient de Londres. Fidèle à la cruauté de sa tradition impériale où seuls comptent les intérêts et pas les vies humaines, le Royaume-Uni se donnera « le pouvoir de sanctionner un plus large éventail de personnes et d’entreprises [russes]. », a déclaré la ministre britannique des affaires étrangères, Liz Truss, au Guardian le 31 janvier.

Le moyen d’y parvenir, selon elle, est de prendre des sanctions contre toute personne faisant des affaires avec la Russie - ce qui inclut, bien sûr, de nombreuses entreprises européennes. Comme l’a rapporté le Daily Mail, la prétendue « Dame de fer » a déclaré : « pour l’instant, les sanctions économiques sont assez limitées, de sorte que nous ne pouvons cibler que les entreprises directement impliquées dans la déstabilisation de l’Ukraine. Nous envisageons de [cibler] toute entreprise qui intéresse le Kremlin afin que les oligarques de Poutine et les entreprises soutenant l’État russe ne sachent pas où se cacher. »

À ces menaces, le porte-parole de M. Poutine, Dmitry Peskov, a qualifié le paquet de mesures de Mme Truss de déclaration « extrêmement alarmante » qui « nuit à l’attractivité des investissements russes ainsi qu’à celle du Royaume-Uni lui-même ».

Les Britanniques ont également dans leur ligne de mire les alliés supposés de Moscou en Europe, car ils ne se plient pas aux politiques de l’empire. Liz Truss a également appelé à la fermeture du gazoduc Nord Stream 2, car la défense de la liberté et de la démocratie est « plus importante que les questions financières immédiates ». N’oublions pas que c’était pour défendre la conception particulière qu’ont les Anglo-Américains de la liberté et de la démocratie que l’Irak, la Libye et la Syrie ont été détruits.

La guerre de l’info, encore et toujours

Plus que jamais, la guerre de l’information fait rage dans le conflit opposant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne - par Ukraine interposée - à la Russie. Il est bien sûr significatif que les politiciens et médias occidentaux se soient montrés peu diserts quant aux déclarations ukrainiennes relativisant le story telling de l’OTAN et de ses « alliés » (voir l’encadré).

Toutefois les mêmes autorités ukrainiennes - sous pression ou de leur propre fait - qui fait ces déclarations semblent bel et bien engagées dans une fuite en avant, sans doute aggravée par la situation calamiteuse que connaît l’économie de leur pays.

Si l’on en croit les propos d’Eduard Basurin, le porte-parole, de la République populaire autoproclamée du Donetsk - rapportés le 2 février par l’agence TASS - le ministère ukrainien des Affaires étrangères demanderait aux ambassades étrangères d’informer discrètement les citoyens étrangers qu’ils doivent quitter la zone de l’opération militaire de Kiev dans le Donbass. En parallèle, un certain nombre de nouvelles restrictions auraient été introduites à la frontière ukrainienne concernant les visites des étrangers n’ayant pas de raisons suffisamment valables pour entrer dans le pays. Ce serait donc, selon Basurin, les signes d’une attaque imminente des forces de Kiev contre les deux républiques autoproclamées du Donbass.

Eduard Basurin a également déclaré que les services de renseignement de la République populaire autoporclamée du Donetsk disposent d’informations selon lesquelles le commandement militaire ukrainien s’attend à de lourdes pertes dans son agression planifiée dans le Donbass.

Les responsables de Kiev démentent le récit d’une « invasion russe imminente »

Si personne n’a pu échapper à la mantra, fidèlement récitée par les politiciens et les médias occidentaux, selon lequel les « plus de 100 000 troupes russes à la frontière de l’Ukraine sont sur le point d’envahir le pays », les déclarations ukrainiennes relativisant ce narratif ont été largement passées sous silence.

Ainsi, le 26 janvier, Oleksiy Reznikov, le ministre ukrainien de la Défense, déclarait devant le Parlement : « la situation actuelle à la frontière entre l’Ukraine et la Russie n’est pas différente de ce qu’elle était au printemps de l’année dernière. Pour l’instant, il n’y a pas d’actions ou de phénomènes significatifs ».

Deux jours plus tôt, s’exprimant sur ICTV, il avait déjà fait état que « les forces armées russes n’av[aie]nt pas formé un seul groupe d’attaque, ce qui attest[ait] du fait qu’elles n’envahiront pas demain. C’est pourquoi je vous demande de ne pas semer la panique ».

Le 27 janvier, le président Zelensky aurait lui-même dit au président Biden que « l’on a le sentiment à l’étranger qu’il y a une guerre ici. Or il n’y en a pas. Nous n’avons pas besoin de cette panique. » La propagande, a-t-il dénoncé, a un effet négatif sur l’économie de l’Ukraine, qui est à genoux, et représente un danger. S’exprimant sur Radio Free Liberty, M. Zelensky a affirmé que les tensions avec la Russie n’avaient pas augmenté et que le principal risque pour son pays était la déstabilisation de l’intérieur.

Tout en minimisant le danger immédiat d’une guerre, Zelensky a déclaré qu’il avait besoin de plus d’argent et d’équipements militaires de la part de l’Occident et de l’OTAN, car une attaque est toujours possible. Il est également favorable à des sanctions plus sévères contre la Russie.

Enfin, pour citer une ultime fake news, Libération a rapporté le 31 janvier que la Russie envoyait du plasma et d’autres fournitures médicales dans la zone frontalière en prévision des combats. Cette information a été démentie par le ministère de la Défense à Kiev le lendemain, dans une déclaration officielle notant que les services ukrainiens n’avaient pas enregistré une telle activité. S’adressant aux médias occidentaux, le communiqué les invite à « ne pas diffuser des informations non vérifiées ».


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