« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Roméo et Juliette dans votre société

27 décembre 2020

par José Véga, Institut Schiller, New York.

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« Deux anciennes Maisons d’égale dignité
Dans la belle Vérone où se tient notre scène
Font un nouvel éclat de leur antique hargne,
Le sang civil salit les mains des citoyens.
 
Or dans le sein fatal de ces deux ennemis
Deux amants prennent vie sous la mauvaise étoile ;
Leur malheureux écroulement très pitoyable
Enterre en leur tombeau la haine des parents.
 
Les terribles moments de leur amour mortel
Et l’obstination des rages familiales
Que rien sinon la mort des deux enfants n’apaisera,
Pendant deux heures nous le jouerons sur ce théâtre ;
 
Et si vous nous prêtez une patiente oreille,
Tout défaut, notre zèle le rachètera. »

(Introduction de Shakespeare à Roméo et Juliette)

Bonjour à tous. Je m’appelle José Vega. On m’a demandé de faire une présentation sur Roméo et Juliette. Je pourrais faire ma présentation n’importe quel jour de la semaine, car franchement, Roméo et Juliette est ma pièce préférée de Shakespeare, et pour cause. Je crois sincèrement que c’est l’une des pièces qui peut vraiment nous aider à comprendre la culture actuelle et à savoir où nous en sommes.

Roméo et Juliette n’est pas une simple romance, ni le plus grand récit d’amour jamais racontée. En réalité, il s’agit de la plus importante histoire sur la mort jamais contée, parce que ce ne sont pas seulement les gens qui meurent dans la pièce, mais toute la société, au sens figuré et au sens propre, et je vais vous expliquer pourquoi.

Cependant, je veux d’abord démolir cette notion promu par les universitaires, celle « d’amants maudits » (« starr-crossed lovers ») : un amour impossible, soit par malchance, ou parce que les planètes n’étaient pas alignées en sa faveur. Peut-être que d’une manière ou d’une autre vous avez irrité les étoiles du firmament ; vous avez fortement déplu à un être mythique là-haut. Il vous a regardé et a dit : « Vous savez quoi ? Vous deux, vous allez vous tuer aujourd’hui ».

Mais non, en fait ce n’est pas du tout ce que Shakespeare voulait dire. Parce que je ne pense pas que Shakespeare s’adonnait à la superstition. Shakespeare n’aurait jamais été d’accord avec quelqu’un disant que c’est la force du destin qui décide. On le sait, parce que dans Jules César, une autre pièce de Shakespeare, Cassius dit à Brutus : « La faute, cher Brutus, n’est pas dans nos étoiles, mais en nous-mêmes. » Sans élaborer là-dessus, ce qu’avance Shakespeare ici, c’est que ce n’est pas la faute des étoiles ou du hasard si nous sommes dans le pétrin dans lequel nous sommes aujourd’hui ; c’est nous, c’est ce que nous faisons qui en est la cause ! Tous les problèmes du monde sont de notre responsabilité ; dus à ce que nous, en tant qu’humanité, avons fait. Il n’est donc pas logique de blâmer une force supérieure, ou de blâmer Dieu pour tous les problèmes du monde, parce que Dieu ne vous a pas juste déposé ici sur Terre, sans la moindre défense. Il vous a donné un esprit, et il vous a donné la raison. Donc, dire que la situation actuelle est la faute de Dieu, eh bien, ce type d’argument ne vous avance à rien, parce que franchement, c’est à vous de trouver la solution. C’est d’ailleurs pour cela que vous êtes ici.

Donc, dire que Roméo et Juliette est l’histoire d’un amour maudit ne s’applique pas, parce que c’est trop superstitieux. Pour Roméo, c’est le coup de foudre avec Juliette ; on est dans la sincérité des sentiments. Il abandonne tout sentiment pour Rosalinde, la fille qu’il aimait avant, qu’on ne voit jamais, et qu’on ne mentionne que dans le premier acte. Ensuite, il l’oublie immédiatement. Les gens aiment écarter Rosalinde d’un revers de la main, parce que cela rend toute cette dispute romantique très gênante. Ils ne peuvent pas dire que Juliette, c’était juste un coup de foudre. Mais Shakespeare utilise cela ; Roméo tombe amoureux de Juliette presque instantanément parce que c’est un amour infantile. [L’auteur espagnol] Cervantès, empruntant à un littéraire contemporain de Shakespeare dans une autre langue, décrit aussi de façon similaire ce type d’amour infantile. Il décrit le coup de foudre non pas comme un véritable amour, mais comme un appétit ou un désir. C’était un désir qui le poussait à aller chercher Juliette. Alors ce coup de foudre de Roméo pour Juliette ? Ce n’est tout simplement pas réel ; ce n’est pas un véritable amour, et Shakespeare n’aurait jamais accepté que ce soit défini comme un véritable amour.

Mais je les évoque parce que leur « amour » infantile, est aussi une fuite. Une fuite de quoi ? Eh bien, de la société dans laquelle ils vivent, parce qu’au tout début de la pièce, après le Prologue, Shakespeare nous présente deux personnages, Samson et Gregory, qui n’apparaissent plus jamais. Mais dans toute pièce de Shakespeare, les conditions tragiques de la société ou du décor sont dites au début, dans le premier acte, dans la première scène. Et nous voyons Samson et Gregory parler carrément de tuer des jeunes filles, de leur couper la tête, de les fracasser contre le mur. Voilà le type de discussion vulgaire et dégénérée qu’ils ont. C’est la façon dont Shakespeare nous apprend ce qu’était la norme à Vérone ; c’est ainsi que les gens se parlent en société. C’est ainsi que les choses se passent.

Quelqu’un voudrait-il vraiment grandir dans ce genre de situation ? Bien sûr que non. Mais pensez à notre monde d’aujourd’hui. Nous sommes dans une situation semblable. Aujourd’hui, nous passons superficiellement sur nos films, nos émissions de télévision et d’autres médias où l’on ne voit que de la violence, une utilisation brutale du langage, du sang, des actions totalement décadentes nous sont montrées à l’écran et sont censées refléter la vie réelle des êtres humains. Ainsi, notre société remplit déjà les conditions d’une société tragique, tout comme Vérone l’a fait au début de la pièce de Shakespeare.

C’est fou, car nous sommes en train de vivre la plus grande histoire sur la mort jamais racontée. Avant de conclure, je vous promets de ne pas vous abandonner dans le pessimisme ; je ne voudrais jamais que cela arrive. Je vous dis simplement que Shakespeare nous présente une société qui est allée trop loin. Et dans certains cas, notre société peut lui ressembler, mais l’espoir de sauver notre société repose entièrement sur vous, la personne qui regarde ceci, qui est prête à m’écouter.

Et surtout les jeunes, parce que tous ceux qui ont fait du monde un endroit dangereux vont devoir mourir à un moment donné. Nous devons parier sur ceux qui se sont engagés à rendre le monde meilleur, parce que sinon nous ne ferons qu’adopter les mêmes problèmes qui ont rendu la société terrible, comme les familles en conflit dans Roméo et Juliette.

Vous voyez, les familles en guerre, les Montaigu et les Capulet, ne se rappellent même pas pourquoi ils s’entre-déchirent. Ce n’est qu’une vieille querelle. Un peu comme aujourd’hui. Nous tenons pour acquis que les Démocrates sont terribles ; les Républicains sont terribles. Tout est terrible. Mercutio, un autre personnage de la pièce, est exactement comme ça. Mercutio pensait que les deux familles avaient tort. Les Montaigu sont un désastre, les Capulet tout autant. Il dit, en mourant : « La peste sur vos deux maisons ! » Ce qui est un peu un présage, car il y a ce qui arrive à la fin de la pièce. Mais quoi qu’il en soit, Roméo et Juliette se servent l’un de l’autre pour tenter d’échapper à cette société tragique, plutôt que de décider de faire quelque chose pour y remédier. Ceci pourrait être le commentaire de Shakespeare qui dirait : « Que peuvent-ils faire ou que devraient-ils faire à ce sujet ? »

C’est une bonne question. C’est une question avec laquelle j’ai dû me battre moi-même. Que peuvent-ils honnêtement faire face à une société qui s’effondre ? Comme aujourd’hui, que pouvons-nous faire à propos de la société qui s’écroule ? Le vrai problème, c’est qu’il n’y avait pas d’Institut Schiller à l’époque. Il n’existait pas un Lyndon LaRouche dans la société de Vérone ; ils auraient probablement dû en avoir un. Notre avantage aujourd’hui, c’est que nous pouvons avoir ce type de conférence. Parce que la façon dont la pièce se termine, c’est qu’une grande peste arrive. Roméo est mort, Juliette est morte, et les familles rivales décident finalement de laisser tomber leur petite querelle. Mais tous les jeunes sont morts. Tybalt est mort ; Mercutio est mort ; Roméo ; Paris ; Juliette. Tous les jeunes personnages sont partis. Les seules personnes qui auraient littéralement pu reproduire la société sont donc anéanties. L’arrivée de la peste n’est que l’annonce tardive de la mort de la société. La pièce se termine ; tout le monde meurt. C’est pourquoi il s’agit de la plus grande histoire sur la mort jamais racontée, et c’est ce qui la rend tragique.

La mort de Roméo et Juliette n’est pas la partie tragique. Tout le monde meurt. Nous répétons ces mêmes erreurs en ce moment. Mais, comme je l’ai dit, nous avons l’Institut Schiller, nous n’avons donc pas besoin d’être victimes des mêmes erreurs que la société de Vérone.

Parce que nous avons réellement des solutions, contrairement aux autorités supposées dans Roméo et Juliette. Prenez quelqu’un comme le Frère Lawrence, ce moine qui voulait bien faire, mais honnêtement, tout ce qu’il a fait, c’est d’alimenter le feu qui avait déjà commencé, en aidant Roméo et Juliette dans leurs mésaventures infantiles pour tenter de se réunir et de s’enfuir ensemble.

On n’a aucune idée de ce qui se serait passé si leur rêve amoureux s’était accompli. Cependant, la prétendue autorité morale, le Frère Lawrence, alimente leur amour infantile au lieu de tenter de les raisonner et d’être la voix de la raison pour l’ensemble de la société. Au lieu de cela, il choisit de ne pas intervenir de manière décisive. Il se contente de rester en retrait et choisit d’aider les jeunes à s’enfuir plutôt que de réparer la société dans son ensemble...

Donc, à tous ceux qui regardent ceci, je voudrais juste vous demander : « Êtes-vous prêt à être un héros, à vous battre pour votre société et à dire : ‘Je refuse de laisser ma société mourir’ ? Ou bien, allez-vous comme Roméo et Juliette, choisir de vous échapper ? » Que votre esprit soit enfumé par la drogue ou que vous cherchiez à trouver une nouvelle cible dont vous pouvez tomber amoureux afin de rester dans l’angoisse, est-ce si différent ?

Vous avez un choix à faire, et les solutions qui vous ont été présentées lors des trois dernières tables rondes de la visioconférence de l’Institut Schiller sont la voie à suivre pour résoudre les problèmes de notre société afin que nous puissions nous sortir par le haut de nos conditions tragiques plutôt que de nous y soumettre.

Je vous remercie.

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