« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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26 novembre 2024
Dans un article daté du 5 septembre 2024, intitulé « La double menace de la Chine pour l’Europe » [1], la revue Foreign Affairs, publication du Council of Foreign Relations (CFR) accuse Beijing de soutenir la Russie, ce qui « affaiblit la sécurité européenne », y lit-on. La politique menée par la Chine serait ainsi devenue un « défi majeur pour l’Europe », « empêchant une victoire ukrainienne favorable à l’Ouest », et « affaiblissant l’ordre mondial dirigé par l’Occident ». Sur le plan économique, la Chine est aussi accusée de concurrence déloyale à travers ses exportations, une concurrence qui met à mal les industrie européennes y est-il affirmé. Même son de cloche du côté de l’OTAN, qui, dans la bouche de son secrétaire général Jens Stoltenberg, déclarait en juin dernier dans une interview à la BBC que la Chine est « le principal soutien de l’effort de guerre de la Russie » et que des discussions étaient en cours concernant d’éventuelles sanctions économiques contre la Chine si le régime ne changeait pas d’attitude. Et Foreign Affairs de conclure :
« Si Beijing parvient à ses fins, l’Europe pourrait être réduite à un simple marché d’exportation désindustrialisé pour les produits et l’industrie chinoise, alors même qu’elle est menacée par la résurgence de l’armée russe à ses frontières ».
Ajoutons qu’après être passé, selon la Commission européenne, de partenaire (2003) à concurrent (2019), puis de concurrent à rival systémique, voilà que l’empire du milieu est, dans cette logique, désormais considéré à comme une menace sécuritaire. Voyons ce qu’il en est
L’Etat profond américain voit dans l’essor de la Chine la montée en puissance d’une nation rivale qu’il accuse de visée impériale et qu’il faut contenir à tout prix. Aucune pression n’est trop forte sur les européens afin qu’ils prennent aussi leur distance vis-à-vis de Beijing. L’article de Foreign Affairs publié sous l’égide du Council on Foreign Relations (CFR) fait partie de cette campagne de dénigrement de la Chine auprès des Européens.
La Chine n’a pourtant jamais prétendu à l’hégémonie sur le monde, entre autres parce qu’elle a compris que ce n’était pas dans son intérêt. Par contre, les autorités chinoises se sont toujours battues pour sauvegarder leur indépendance, parfois avec difficulté comme lors des guerres de l’opium, mais toujours avec succès au bout du compte. C’est encore le cas aujourd’hui, et cela implique pour ce grand pays de développer les moyens économiques et militaires idoines.
La question se pose différemment pour l’Europe qui est constituée de 50 pays et territoires indépendants. Sur le papier du moins, puisque 27 d’entre eux ont abandonné une bonne partie de leur souveraineté au sein de l’UE. Beaucoup plus que l’Europe, un pays comme la Chine ou, dans une moindre mesure les Etats-Unis, ont la capacité d’élaborer une stratégie qui engage toute la nation. Sans maître de maison bien identifié, l’Europe n’a pas cette solidité stratégique. Et, face à un front européen désuni, il est plus facile pour les Etats-Unis de faire pression à l’endroit de moindre résistance.
Pour arriver là où elle est aujourd’hui la Chine a profité des relations commerciales avec les pays les plus avancés technologiquement, en premier lieu en Europe et en Amérique du Nord. Représentant 17 % du PIB mondial, le pays génère tout de même un tiers de la production manufacturière mondiale, soit plus que l’ensemble des pays du G7. En foi de quoi le Canada et les Etats-Unis ont pris des mesures pour ralentir la montée en puissance de l’industrie chinoise :
(…) Les Américains ont bien compris que s’ils veulent maintenir leur avance et limiter la croissance économique et militaire de la Chine, ils doivent limiter l’approvisionnement chinois aux technologies. Sans le marché américain, il ne reste plus que le marché européen pour la Chine afin de s’approvisionner en technologies qu’elle n’est pas capable de produire elle-même. [2]
D’où la forte pression de Washington pour qu’à son tour l’Europe instaure un embargo technologique vis-à-vis de la Chine. Le contexte de la guerre en Ukraine est utilisé pour convaincre les Européens que leur sécurité économique et militaire est menacée. [3]
Beijing aide militairement la Russie à conquérir l’Ukraine et à menacer l’Europe, argumente l’article de Foreign Affairs. La Chine ne livre pourtant pas d’armes aux Russes. La partie américaine n’en dénonce pas moins les exportations chinoises (composants électroniques, machines-outils, équipements optiques..), se référant aux technologies dites duales qui peuvent être utilisées à des fins civiles ou militaires.
En mai 2024, Washington a ainsi ciblé près de 300 entités en Russie, en Chine et dans d’autres pays, accusées de soutenir l’invasion du président Vladimir Poutine. Fin août 2024 il a annoncé une nouvelle série de sanctions visant 400 entités et individus, dans les mêmes pays et d’autres encore. Y sont visées entre autres une soixantaine d’entreprises technologiques de la défense, dont « les produits et services permettant à la Russie de soutenir son effort de guerre » en Ukraine, indiquait l’Agence France-Presse (AFP).
Dans le cadre de la politique de « montée en gamme », les industriels chinois incluent d’une façon croissante ces technologies dites duales. Certaines des pièces trouvées dans les drones et les missiles russes par exemple sont des éléments que l’on trouve couramment dans les machines à laver, les appareils photo, les appareils de réseautage en ligne et d’autres appareils électroniques grand public.
Si, obéissant aux injonctions américaines, la Chine s’interdisait effectivement de livrer ces produits à la Russie, elle devrait aussi bannir de son commerce tous les autres les pays - et ils sont nombreux - qui n’ont pas l’heur de plaire à Washington. Ou lui faudrait-il, sous le prétexte du danger des technologies duales, se contenter d’exporter indéfiniment les mêmes jouets en plastique et autres ustensiles basiques ? Non bien sûr.
Il est vrai que l’Europe se désindustrialise. Prenons l’exemple de la France. Notre pays a véritablement décollé dans l’après guerre grâce à une politique industrielle très ambitieuse, articulant une planification indicative et le développement concerté de pôles d’excellence.
Que s’est-il passé depuis ? Dans les années 80, un concert de voix, de droite ou de gauche, défendaient fièrement, l’idée à l’époque à la mode des entreprises sans usines (fabless Manufacturing, littéralement fabricants sans usines). Celles-ci devaient se concentrer sur la recherche-développement et le marketing, tous les aspects liés à la fabrication en tant que telle étant externalisés à des sous-traitants des pays émergents d’Europe de l’Est et d’Asie. On appréciait que « les sous-traitants (…) embauchent ou licencient beaucoup plus facilement », les groupes concernés n’avaient plus à faire face au « risque social et revendicatif des salariés de la production ».
Sous la direction de Serge Tchuruk entre 1995 et 2006, l’entreprise Alcatel (ex compagnie générale d’électricité, à l’époque leader mondial du marché des téléphones portables) choisit cette voie. Elle se lança à corps perdu entre dans l’externalisation de ses centres de production [4] :
« (…) Au risque d’affaiblir l’entreprise en perdant son savoir-faire, de rater les virages technologiques, de finir par détruire des postes dans la recherche et développement, et finalement de disparaître après l’absorption d’Alcatel-Lucent par Nokia » [5] .
L’effondrement d’Alcatel symbolise ce qui est arrivé à l’ensemble de notre tissu productif. Avec moins de 10% de l’activité économique consacrée à l’industrie, la France s’enfonce dans une crise profonde après des années de déclin constant. Nous avons cédé à l’idéologie du « tout marché » et abandonné l’idée même de mener une politique industrielle.
Ce sont donc les politiques économiques des quarante dernières années qui ont profondément désindustrialisé l’Europe. Ce n’est pas la concurrence chinoise !
Il a été également de bon ton de faire porter à nos concitoyens la responsabilité de notre déclin industriel. Combien de fois n’avons-nous pas entendu que si les entreprises délocalisent pour faire baisser les coûts de production, et donc les prix, c’est de la faute des consommateurs qui en veulent toujours plus pour leur argent. C’est oublier que la plupart n’ont pas le choix, à commencer par la moitié des Français à qui il reste moins de 100 euros dès le 10 du mois (Selon un sondage réalisé en mars 2022, publié par Le Parisien).
Stigmatisant ici le producteur chinois, là le consommateur européen, les intérêts géopolitiques à Londres et Washington projettent sur l’autre leur propre pensée vénale. La majorité dite silencieuse raisonne bien plus sainement que les rédacteurs de Foreign Affairs.
Sur le plan militaire, l’Europe doit pareillement craindre ses « alliés » anglo-américains plutôt que la Chine. L’adhésion européenne aux postures belliqueuses de l’OTAN montre que ce n’est malheureusement pas le cas. Le discours entendu à Bruxelles se révèle hostile à Beijing et, là où l’UE devrait jouer un rôle de médiateur, elle s’inspire de la réthorique américaine. Beijing de son côté s’efforce de faire baisser les tensions créées par l’Otan (voir le plan 12 points proposé en 2023 pour la résolution de la guerre en Ukraine et les appels réguliers à un cessez-le-feu à Gaza, qualifiant la situation de « honte pour la civilisation »).
Revenons à l’escalade actuelle en Ukraine, où l’Europe continue à envoyer armes et soutien. Ces livraisons n’ont pas empêché la Russie de l’emporter dans les combats au sol. Pour reprendre la main, l’OTAN franchit une nouvelle étape en annonçant qu’elle compte viser des objectifs situés en profondeur dans le territoire russe, grâce à des missiles de longue portée. En juillet 2024, l’Allemagne a entériné de facto lors du sommet de l’Otan le déploiement de missiles américains longue portée sur son sol à partir de 2026. Il pourront atteindre des cibles à plus de 2000 km à l’intérieur de la Russie, dont Moscou qui est à 1600 km de Berlin.
« Nous avons la capacité de contenir ces missiles, mais les victimes potentielles d’une riposte russe sont les capitales des pays européens », a réagi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Moscou évoque un retour à la Guerre froide, faisant référence à ce qu’on appelle « la crise des Euromissiles » à la fin des années 1970 et dans les années 1980, provoquée par le déploiement soviétique, puis américain, de missiles à capacité nucléaire en Europe.
Il y a cependant une différence de taille entre les positionnements de la guerre froide et les changements annoncés de la stratégie militaire nucléaire américaine. Les stratèges américains semblent s’écarter de la doctrine de la dissuasion pure pour envisager une victoire dans le cadre d’une guerre nucléaire, y compris contre la Chine. Celle-ci est désormais considérée comme une menace sécuritaire, voire nucléaire. En 2016 déjà, le Secrétaire d’Etat à la Défense Ashton Carter, déclarait que les Etats-Unis ne veulent pas s’interdire de dégainer les premiers l’arme nucléaire en cas de conflit. Le maintien d’une possibilité de tirer les premiers « a été notre politique depuis longtemps et fait partie de nos plans pour l’avenir », déclarait-il [6].
L’évolution récente, incluse dans les « Nuclear Employment Guidance », intègre la montée en puissance rapide de l’arsenal nucléaire chinois. Selon les estimations du Pentagone, la Chine pourrait atteindre un niveau équivalent aux arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie d’ici la prochaine décennie, une perspective qui alarme Washington. La nouvelle stratégie nucléaire, qui reste confidentielle, viserait à préparer les États-Unis à « d’éventuelles confrontations nucléaires coordonnées avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord ».
Rappelons que la dissuasion part du principe que les conséquences d’une guerre nucléaire sont telles que l’adversaire, menacé d’annihilation, est dissuadé d’utiliser ces armes. Autrement dit, les projectiles nucléaires sont faits pour ne pas être utilisés, leur existence même dissuadant de toute escalade. Désormais, a contrario, Washington envisage l’usage de SLBM (abréviation de Submarine Launched Ballistic Missile) dont on a modernisé les détonateurs (on parle de Super-Fuse weapons) pour mettre hors d’usage tous les silos où sont stockées les missiles nucléaires de l’adversaire.
Dans une analyse publiée dans le Bulletin of the Atomic Scientists, Hans Kristensen, Matthew McKinzie et Theodore Postol déplorent ce programme qui, selon eux, a multiplié par trois les capacités de destruction et n’est adapté qu’à une stratégie de première frappe dans un scénario de guerre nucléaire . Il est désormais possible aux États-Unis d’atteindre tous les ICBM chinois (missiles balistiques intercontinentaux, plus de 300, estime-t-on) basés dans des silos. L’expansion rapide de la « capacité de tuer des cibles difficiles » (moyennant l’utilisation d’ogives de100 kilotonnes) permet également aux États-Unis d’attaquer simultanément les ICBM russes (environ 300 également) basés dans des silos.
Dans la bouche du porte parole du ministère des Affaires étrangères Madame Mao Ning (Conférence de presse du 21 août 2024), la Chine se refuse à lancer une première frappe nucléaire. Elle s’engage à ne pas attaquer avec des armes nucléaires à moins qu’elle soit attaquée avec des armes nucléaires (principe du « non-emploi en premier »). Madame Mao déplore que les Etats-Unis aient qualifié la Chine de « menace nucléaire », ajoutant que les capacités nucléaires sont maintenues « au niveau minimum requis par la sécurité nationale ». Présenter ainsi une Chine agressive et dangereuse constitue de la part des Etats-Unis affirme-t-elle « un prétexte pour se soustraire à leur obligation de désarmement nucléaire, étendre leur arsenal nucléaire et poursuivre une domination stratégique absolue ».
De son côté la Russie a déjà anticipé la nouvelle doctrine américaine avec la mise au point du sous-marin robot Poseïdon, capables d’échapper aux contre-mesures actuelles de défense antimissile. Il peut délivrer une ogive thermonucléaire allant jusqu’à 100 mégatonnes dans les ports des villes américaines, européennes et d’Asie de l’Est. Il est capable de détruire des zones urbaines à plus de 80 km de son point de détonation sous-marin.
Selon le physicien du MIT et expert dans les systèmes d’armes nucléaires Theodore Postol, « Le déploiement du système Poseïdon par la Russie sert d’avertissement à ceux qui pensent pouvoir mener et gagner des guerres nucléaires en détruisant préventivement des parties importantes des forces de représailles nucléaires de la Chine et de la Russie (…) Quelle que soit la réussite d’une attaque nucléaire préventive sur le papier, la réalité d’une guerre nucléaire déclenchée avec la conviction illusoire qu’elle peut être gagnée sera une destruction mondiale d’une telle ampleur que la fin même de la civilisation humaine ne peut être exclue » [7].
Mentionnons pour conclure que, malgré les déclarations officielles qui se veulent rassurantes, l’évocation des discussions tenues par MM. Reagan et Gorbatchev en 1987 serait désormais bannie au sein de l’administration américaine. Les deux chefs d’état étaient tombés d’accord sur le fait qu’ « une guerre nucléaire ne peut pas être gagnée et ne doit pas être menée ».
L’affaissement récent de l’industrie automobile en Europe s’inscrit dans le courant de désindustrialisation volontaire qui y sévit depuis quarante ans (lire ci-dessus). L’Allemagne en particulier pensait il n’y a encore pas si longtemps pouvoir surpasser la Chine. Chaque jour qui passe confirme l’inverse, la Chine domine désormais le marché automobile. Plutôt que de se lamenter, les pays européens doivent voir grand, tant au niveau politique (refonder l’UE) qu’économique (se redonner les moyens de financer les grands projets, de la recherche aux applications industrielles).
Premier constat, la Chine est devenue en quelques années le premier producteur, le premier marché et le premier exportateur mondial de véhicules automobiles. Elle a mis en place des politiques gouvernementales favorables pour soutenir ses constructeurs automobiles : subventions, incitations fiscales, et, pour l’industrie des véhicules électriques, investissements massifs en infrastructures de recharge et en recherche/développement. Aux dernières nouvelles, le pays ambitionne également de devenir rapidement autosuffisant en matière de puces électroniques pour l’industrie automobile.
En Europe, même si des efforts similaires existent, ils ont été plus fragmentés et moins ambitieux. Autrefois maîtres incontestés du marché automobile chinois, les constructeurs allemands voient en conséquence leur part de marché s’effriter à grande vitesse. Le réveil est brutal. En seulement cinq ans, leur présence est passée de 25% à 15% du marché chinois tous types de véhicules confondus.
Par ailleurs, les constructeurs chinois intègrent les technologies de pointe dans leurs véhicules (intelligence artificielle, automatisation de la conduite, Internet des objets). Ces technologies permettent aux constructeurs chinois d’attirer des consommateurs de plus en plus sensibles à ces innovations, tandis que les constructeurs européens sont en retard dans ces domaines ou limités par la réglementation.
Deuxième constat, ce sont les véhicules électriques (VE) qui déterminent l’avenir de la filière de par le monde, en particulier pour les Européens puisque l’accord conçu au sein de l’UE rendra de facto les véhicules thermiques interdits dès 2035, qui est devenue la date butoir pour arriver à Zéro émission de CO2 pour les véhicules et les camionnettes neuves. A ce jour, seule l’industrie chinoise de VE est tout à fait dans les clous des engagement de réduction du CO2 neutralité carbone 2050.
La montée en puissance des véhicules électriques rebat ainsi les cartes, et les constructeurs historiques font face à une concurrence inattendue. Avec leur 300 et quelques constructeurs, les Chinois ont pris 10 à 15 ans d’avance et détiennent plus de 60% du marché mondial des VE. Désormais ce sont l’innovation technologique et le rapport qualité-prix qui priment sur l’image de marque dont les véhicule allemands ont longtemps bénéficié en Chine.
Quant à l’industrie automobile française, avec aujourd’hui 350 000 emplois, elle a perdu près de 50 000 emplois en sept ans, dont 37 000 depuis le Covid, déplore Luc Chatel le président de la Plateforme de l’Automobile (PFA) qui rassemble la filière automobile en France (PFA), « Et selon nos simulations, nous avons estimé que la filière perdrait 65 000 emplois en 5 ans avec le passage à l’électrique », précise-t-il.
Sans remettre en cause le passage à l’électrique, il estime - bien tardivement ! - qu’il faut du temps pour opérer une telle transition. « Il y a actuellement un écart de prix de revient de l’ordre de 40 à 50%, selon les modèles, entre un véhicule électrique et un véhicule thermique, essentiellement lié au coût de la batterie. »
Dans ces conditions, il est impossible que l’objectif d’atteindre 25% de parts de marché sur l’électrique l’année prochaine, et 50% en 2030 soit respecté. Et pour cause ! Nous en sommes à 13% en 2024.
La concurrence acharnée des marques chinoises oblige ainsi les constructeurs européens à se réinventer, sous peine de voir leur position de leaders historiques de l’industrie automobile sérieusement compromise.
Comment en est on arrivé là ? Contrairement à celles des véhicules hybrides, les ventes de véhicules électriques fabriquées par les constructeurs européens ne décollent pas. Les automobilistes attendent des VE plus petits, plus légers, moins onéreux, et qu’ils puissent recharger facilement.
Sur le plan européen, la filière automobile, après avoir investi tout de même des centaines de milliards d’euros, s’interroge. Pour des raisons idéologiques, les aides à l’achat de VE ont été supprimées en Allemagne, faisant plonger les ventes. En France, c’est la camisole financière appliquée au pays qui amène à une réduction du bonus écologique accordé par le gouvernement aux acheteurs d’un VE. En même temps des pénalités ont été prévues sous forme de malus à partir de 2025. Un véhicule thermique neuf sur deux vendu en France sera touché par un malus en 2025, et dans trois ans, cette part montera à 80%. C’est la double peine dit le président du FPA : « les constructeurs vont être taxés par l’Europe car ils ne vendent pas assez de véhicules électriques et aussi en France parce qu’ils vendent trop de voitures thermiques. Cherchez l’erreur, on marche sur la tête. »
Luc Chatel estime plus globalement que l’Europe « a mis la charrue avant les bœufs » avec l’électrique, regrettant que l’abandon de la technologie du diesel, « dans laquelle nous étions souverains », n’ait pas été accompagné d’une « vraie stratégie industrielle ».
Il appelle de ses vœux un « vrai pacte européen pour l’automobile » qui se traduirait par un « plan d’investissements massif dans l’innovation », un « accompagnement pour les salariés » qui seront touchés par cette transition, en particulier en termes de reconversion, et un « bonus au niveau européen ». « Il n’y a pas deux pays en Europe où il y a les mêmes règles en termes d’aides à l’achat de véhicules électriques », conclut le responsable du FPA.
En résumé, nous avons d’une part une industrie qui n’a pris que tardivement la mesure de la stratégie automobile de la Chine et qui n’a pas plus anticipé la baisse générale du pouvoir d’achat. De l’autre une commission européenne plus apte à imposer des sanctions qu’à inspirer une vraie stratégie industrielle européenne.
Ces constations décrivent en creux ce que devra être la stratégie européenne pour une nouvelle génération de VE, avec un effort conjoint des constructeurs, des Etats et d’une Europe qui doit plus encourager que réprimer.
Deux hypothèques demeurent : le système financier actuel est à bout de souffle. Il n’est pas plus capable d’assurer les investissements requis (en recherche-développement, mise en oeuvre des dernières technologies, et évolution de l’appareil productif) que de maintenir un tissu socio-économique favorable. C’est le vrai défi à la racine de toute souveraineté.
[1] https://www.foreignaffairs.com/china/chinas-double-threat-europe
[2] « Chine-Europe : la tension monte ? », 31 mai 2023, Magazine les grands dossiers de diplomatie, Camille Brugier
[3] ibid
[4] Laurent Carroué dans son livre « Le mythe des entreprises sans usine : les sous-traitants de l’électronique en pleine mondialisation », voir les Cahiers nantais, nos 62-63 « Innovation, industrie et recherche », 2004.
[5] in Alexandra Bensaid, « Alcatel, la chute d’un fleuron industriel »
[6] https://www.rtbf.be/article/arme-nucleaire-le-pentagone-veut-continuer-a-pouvoir-degainer-en-premier-9415673
[7] Theodore Postol, 28 août 2024, in Responsible Statecraft