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Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023

Réflexions sur la paix du point de vue d’un Allemand de l’Est

1ère session

18 juillet 2023

Discours de Hans-Joachim Lemke, colonel (cr)

Chers participants à cette conférence, qui est si nécessaire dans le monde d’aujourd’hui.

Le point de départ de mes réflexions sur ce sujet sont les thèses fondamentales de la « Conférence du conseil d’administration des associations de l’Allemagne de l’Est » et ses déclarations de base : la paix avec la Russie - le dialogue au lieu des armes - les initiatives de paix qui ne réussissent que sur une base non partisane.

Nous assistons aujourd’hui à la fin de l’« ordre fondé sur des règles », d’une « politique étrangère fondée sur des valeurs », d’un « ordre mondial unipolaire » dans lequel les représentants de l’Occident, en particulier des pays de l’OTAN, veulent dicter au reste du monde comment il doit vivre et s’organiser, qui doit être votre ami et qui, bien sûr, est votre ennemi.

Cette politique s’accompagne de guerres économico-financières et médiatiques, de sanctions illégales et de désinformation, en imposant un bâillon à tous ceux qui veulent s’exprimer autrement. Les médias donnent l’exemple, par leur obéissance anticipée à cette politique. Comme beaucoup d’autres en Allemagne de l’Est, j’ai eu l’occasion de vivre en Russie avec ma famille, d’y étudier et d’y faire mon doctorat. Huit ans, c’est beaucoup, surtout si l’on ne vit pas isolé dans une bulle mais au milieu d’un quartier résidentiel de Moscou, pour apprendre à connaître les gens, leur façon de penser et leurs sentiments, et pour comprendre ce qui les anime.

Influencée par la vie en RDA, la majorité de la population est-allemande rejette aujourd’hui encore les livraisons d’armes à l’Ukraine et appelle à des solutions diplomatiques. Le premier ministre de Saxe, Michael Kretschmer, est l’un des rares hommes politiques allemands à réclamer haut et fort un changement de politique à l’égard de la Russie et à appeler au « gel du conflit » comme solution au conflit et premier pas dans cette direction.

Cette position est également partagée par de nombreux militaires de l’ex-RDA. Ainsi, des généraux et des officiers de premier plan de l’armée de la RDA se sont déjà exprimés publiquement en 2015, à l’occasion du 70e anniversaire de la défaite du fascisme, en lançant l’ « appel des soldats pour la paix ». Tout récemment, deux généraux de l’ancienne NVA, Manfred Grätz et Sebald Daum, ont à nouveau fait sensation avec une lettre ouverte exprimant leur conviction de la nécessité de garantir la paix et de ne pas permettre de condamnations unilatérales de la Russie.

De ce point de vue, à quoi pourrait ressembler une nouvelle politique de sécurité ?

De nombreux concepts sont sur la table et une lutte pour des solutions a commencé, ce qui n’aurait pas été nécessaire si l’accord entre l’Ukraine et la Russie de mars/avril 2022 avait été mis en œuvre et n’avait pas été empêché par l’intervention de Boris Johnson, alors Premier ministre de Grande-Bretagne, au nom de la direction de l’OTAN.

De mon point de vue, les approches suivantes sont particulièrement prometteuses. Elles ont notamment été esquissées par Helga Zepp-LaRouche le 22 novembre 2022 :

1. Partenariat entre États-nations souverains
2. Transformation du système financier
3. Fin du système de blocs dans la politique mondiale et la politique militaire, et prise en considération des aspects politiques, économiques et militaires comme un tout.

À mon avis, le conflit en Ukraine et autour de l’Ukraine s’avère être de plus en plus le catalyseur d’un processus de refus des États et nations autrefois appelés par dérision « tiers-monde », des diktats des pays industrialisés occidentaux et de leurs bras militaires, financiers et politiques, tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire mondial, l’OTAN, l’UE, etc. La tentative d’évincer la Russie de la scène mondiale, ou du moins de la rendre incapable d’agir, afin de libérer un potentiel d’affrontement avec le nouvel ennemi - la Chine - nous occupera probablement pendant un certain temps encore, car elle alimentera également le chaudron de la campagne électorale américaine. Je constate avec inquiétude que, sous la nouvelle équipe de Berlin, la République fédérale d’Allemagne s’affirme de plus en plus comme un parti de la guerre. Les livraisons d’armes, d’argent, de formation militaire n’en sont qu’une partie. Après avoir soutenu l’invasion de la Yougoslavie par l’OTAN, la séparation du Kosovo de la Serbie, les mêmes hommes politiques sont passés à l’étape suivante de l’escalade.

On peut accuser la Russie et ses dirigeants de bien des choses en rapport avec leurs activités militaires en Ukraine et en particulier dans le Donbass, mais pas de ne pas en parler ouvertement. Après le coup d’État de Maïdan et l’éclosion de russophobie dans les institutions de l’État ukrainien, la Russie a averti à plusieurs reprises que l’action militaire des forces ukrainiennes contre les deux « républiques populaires » autoproclamées était imminente et qu’elle serait forcée de répondre. Le droit international condamne une guerre d’agression préventive, mais il reconnaît aussi une guerre d’agression menée de manière « préemptive », ce qui a été effectivement signalé aux observateurs de l’OCDE, qui se trouvaient sur la ligne de conflit entre l’Ukraine et les parties séparatistes du pays. Là, de 2014 à 2021, 14 000 habitants du Donbass ont perdu la vie à cause du déploiement de l’armée ukrainienne, et l’Ukraine a rassemblé jusqu’à 300 000 soldats pour liquider ces « républiques populaires ». Un sujet qui n’a pas vraiment été relayé par nos médias. Sous cet aspect du durcissement des positions des Ukrainiens et de la Russie, il est intéressant d’examiner les propositions de la République populaire de Chine. Avec toute la courtoisie de l’expression utilisée, les 12 points publiés le 24 février de cette année peuvent être résumés comme suit :

1. Ne pas appliquer deux poids deux mesures en matière de droit international
2. Respecter les intérêts de sécurité de chaque pays
3. Décréter la fin des hostilités et le retour au dialogue
4. Création par la communauté internationale d’une plate-forme de dialogue à cette fin
5. Mettre fin à la politique de sanctions occidentale.

Il va sans dire que, du point de vue chinois, cela implique de garantir la sécurité des armes nucléaires et de leurs vecteurs. Il est positif que les pays des BRICS prennent des initiatives pour tenter de résoudre diplomatiquement le conflit ukrainien. D’autres pays cherchent également des solutions, comme l’a montré la conférence qui s’est tenue à Copenhague il y a quelques jours. Les représentants des États occidentaux, mais aussi de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, qui participent aux accords des BRICS, y ont insisté pour que des solutions diplomatiques soient trouvées sur la base de compromis fondamentaux, comme on a pu l’entendre.

Les intérêts de la Russie en matière de sécurité ont été clairement mentionnés.

L’étude de la Rand Corporation intitulée « Avoiding a Long War », qui exhorte l’Ukraine à négocier avec la Russie, a précédé cette démarche. Dans ce contexte, les Américains ne voient pas non plus d’autre solution de paix possible que de remettre aux troupes russes, et donc à la Fédération de Russie, les territoires qu’elle possède déjà. Il est intéressant de noter que même l’administration Biden a parlé de ces 20 % du territoire ukrainien comme d’un tribut pour la paix, avant que cette proposition ne disparaisse à nouveau en un clin d’œil des médias.

Bien sûr, l’idée d’un cessez-le-feu contenue dans la proposition ne convient pas à certains, car elle signifie un « gel » du conflit, une ligne de démarcation comme celle qui existe entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, où la paix deviendrait un état de fait dans lequel rien n’est gagné.

Du côté russe, d’une manière différente, cela signifie prendre ses distances par rapport aux idées de « nations sœurs », du panslavisme, et de reconnaître les réalités d’un monde changé à leur porte. La question de la neutralité de l’Ukraine et de sa non-affiliation à l’OTAN me semble essentielle et probablement non négociable pour la Fédération de Russie et ses dirigeants.

Étant donné que tous les concepts de changement de régime ne semblent pas fonctionner en ce qui concerne la Russie et le président Poutine, il sera probablement nécessaire de négocier avec lui, comme les Sud-Africains viennent de le faire comprendre à mon ministre des Affaires étrangères.

La position différente des représentants du Sud dépend principalement du fait qu’ils considèrent ce conflit comme une conséquence de l’expansion de l’OTAN vers l’Est, de l’ingérence de l’Occident dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, un problème qui ne peut être résolu que par la voie diplomatique et non par l’utilisation de nouvelles armes.

De mon point de vue, à quoi pourrait ressembler une solution ? Je voudrais citer trois points :

1. La création d’une ligne de cessez-le-feu comparable à celle qui existe entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, ou comparable à celle de la frontière intérieure de l’Allemagne jusqu’à la réunification. Cette frontière n’était pas reconnue par le droit international, mais elle était respectée !

2. La Crimée et toutes les zones actuellement occupées resteraient dans la fédération russe, ce qui impliquerait toutefois de dire adieu à toutes les illusions panslaves et de garantir l’existence de l’Ukraine en tant qu’État, de concert avec d’autres pays.

3. L’Ukraine déterminerait ses structures sociales de manière autonome, sans pression extérieure, elle ne deviendrait pas membre de l’OTAN, mais serait préservée du danger de devenir un « reste d’Ukraine ». Je pense ici aux visées des institutions officielles polonaises, slovaques, hongroises et roumaines de prendre certains territoires de l’Ukraine, sous prétexte de protéger leurs citoyens vivant dans ce pays. Cela aussi devrait être garanti au niveau international par des traités avec les États voisins.

Ne dites pas que c’est impossible ! C’est possible, comme nous l’enseigne l’histoire.

Après 30 ans de guerre sanglante de toutes les puissances – de tous contre tous - la paix de Westphalie a été scellée en 1648 par un tour de passe-passe diplomatique. L’empereur a conclu un traité de paix avec la France, en même temps qu’avec la Suède, mais les deux documents ont ensuite été signés comme un seul traité valide par les trois parties contractantes.

Cependant, la vérité est qu’il n’a été conclu qu’à deux conditions inédites en diplomatie : peut-être nos diplomates et nos politiciens devraient-ils revoir leurs manuels d’histoire…

Merci de votre attention !

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