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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020

Réflexions d’un astronaute de la mission Apollo 7

Session 2

9 mai 2020

discours de Walt Cunningham, astronaute américain, né le 16 mars 1932. En 1968, il réalisa un unique vol à bord d’Apollo 7, le premier vol habité de la capsule et le premier emportant trois Américains, dont Walter Schirra, Donn Eisele et lui-même.

Retrouver la présentation de Walt Cunningham dans la vidéo de la deuxième session, minutage à 1:26:49

Question : Comment êtes-vous devenu astronaute ?

Cunningham : Personnellement, je pense que pour accéder à ce statut, il faut savoir mouiller la chemise et accepter de prendre quelques risques. Je dois dire qu’il m’a fallu des années pour comprendre pleinement la portée d’un tel engagement, en tant que pilote de chasse. Dans mon livre, j’évoque longuement le jour où j’ai décidé de postuler au poste d’astronaute.

J’avais alors 25 ans environ et j’étais sur le point d’obtenir mon diplôme à l’université. Je ne suis pas allé à l’université ce jour-là. A la place, j’ai rejoint la Navy, sans passer par des études supérieures. J’ai réussi à passer le test sur deux ans et je suis devenu pilote de chasse. Je fus assez intelligent pour choisir le Corps des Marines plutôt que la Navy, ce que je n’ai jamais regretté.

Un matin, j’étais au volant de ma voiture pour me rendre à la RAND Corporation où je travaillais. Pendant le trajet, j’écoutais la radio qui diffusait en direct le compte-à-rebours du décollage d’Alan Shepard [le premier astronaute américain à aller dans l’espace, NDT].

C’était en 1961, je crois. Lui, il était sur la côte Est, alors que je conduisais ma voiture pour aller à l’université de Californie, à Los Angeles. À l’époque, nous n’avions pas encore toutes ces autoroutes. Le compte-à-rebours entrait dans les quatre ou cinq dernières minutes, et j’ai dû me garer sur le côté de la route pour entendre ce qui se passait. Je ne pouvais plus continuer à conduire. J’entends encore le décompte : 5, 4, 3, 2, 1, décollage - et je me suis surpris à crier : « Vous avez de la chance, bande d’en**** ! » Je me croyais seul à ce moment-là, et j’ai regardé autour de moi pour m’assurer qu’il n’y avait personne qui me regardait. C’est à cet instant que j’ai décidé de devenir astronaute, j’avais les qualifications pour.

18 mois plus tard, je partageais un bureau avec Alan [Shepard]. C’était comme vivre une nouvelle vie, unique et très inhabituelle à l’époque – un changement indispensable dans ces circonstances. C’est comme les premiers hommes qui commencèrent à naviguer autour du Globe, leur vie a évolué pour s’adapter aux conditions nouvelles qui étaient celles de l’océan.

Question : Qu’avez-vous pensé du défi lancé par le président Kennedy d’aller sur la Lune ? Qu’est-ce qui vous a traversé l’esprit à ce moment-là ?

Cunningham : C’est intéressant d’y repenser après toutes ces années. Je ne peux parler qu’en mon nom, mais je suis sûr que beaucoup d’autres personnes ressentent la même chose. À mesure que vous vieillissez et que vous acquérez de la maturité, vous pouvez mettre en perspective certaines choses auxquelles vous n’aviez jamais pensé à l’époque, ces choses que vous preniez pour acquises. Quand Kennedy fit son discours, c’était avant ma première sélection au sein de la NASA, où je devais postuler un peu plus tard. Mais je me souviens quand il fit son discours ; c’était un bon discours. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui est entré dans l’histoire, et je pense que c’est parce qu’à l’époque, notre esprit ne fonctionnait pas tout à fait de la même manière. Vous devez laisser votre esprit mûrir afin de voir en perspective ce qui se passe historiquement.

Pour les gens dont l’activité était de se lancer dans cette entreprise, ce fut une période unique dans notre histoire. Remontez 500 ans en arrière : vous imaginez les premiers navigateurs partis pour faire le tour du monde ? Je crois qu’au début [dans l’expédition de Christophe Collomb], ils étaient environ 240 embarqués sur 4 navires. Quand ils arrivèrent finalement au but, un an et demi ou deux ans plus tard, ils n’étaient plus que 18 encore en vie. Ils avaient fait le tour du monde. Ils étaient prêts à en payer le prix. Ils ont fait avancer notre société, et elle en a tiré d’énormes bénéfices par la suite. C’était il y a 500 ans. La société a toujours profité des entreprises d’individus prêts à se risquer, à condition de ne pas prendre de risques inconsidérés. Le tout, c’est de vous engager pleinement dans ce que vous voulez accomplir. Je sens bien que je pourrais vous en parler plus longuement, bien plus qu’à l’époque d’ailleurs, sans doute parce qu’avec le temps, on gagne en sagesse.

Question : Qu’est-ce que ça fait d’être l’un des premiers hommes à aller dans l’espace ?

Cunningham : C’est comme pour les 25 % ou 35 % de personnes qui réagissent au départ d’un vaisseau spatial dans l’apesanteur : le premier jour ils vomissent, à quoi s’ajoutent d’autres désagréments… Mais tous étaient engagés et prêts à continuer coûte que coûte. Rien qu’avec le poids que ces types ont pu perdre durant ces missions – notre mission Apollo a été l’une des plus longue, ou peut-être y en a-t-il eu une autre qui a duré un peu plus... Le maximum de poids qui a été perdu à l’époque, je crois, a été de 5 kilos, quelque chose comme ça. A l’époque, nous nous comportions différemment d’aujourd’hui, parce que nous étions tous des pilotes de chasse, des militaires. Qu’on le veuille ou non, il fallait une certaine discipline permettant de justifier ce genre d’activités vis-à-vis des autres pays. Et autant vous dire que c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles notre mission a été un tel succès, bien qu’elle ait été compromise au départ parce que Wally Schirra avait attrapé un rhume. Mais tout ce qu’il avait à faire pour être opérationnel, il l’a fait sans aucun souci. Le problème venait des bavardages à propos de ce rhume. Et du coup, au sol, tous pensaient que tout l’équipage était enrhumé. Ce n’était pas le cas. Je n’ai pas toussé une seule fois. Donn Eisele, je crois, a dû tousser une ou deux fois. Nous étions jeunes, et lui était un gars très sérieux. Quoi qu’il en soit, il a fait un excellent travail. C’était un bon pilote.

Je pense que ce vol nous a surpris à l’époque, parce que c’était une mission de 11 jours, à laquelle ils ont assigné quatre nouveaux objectifs par la suite. Au sol, ils étaient très réservés quant à savoir si nous allions rester ou non 11 jours en orbite autour de la Terre ; ils ont finalement décidé que oui. Je me souviens des deux derniers jours. Il nous restait du temps à tuer et de la pellicule dans l’appareil photo. Alors, on a pris des tonnes de photos. Sur 11 jours, nous avons pris, à nous trois, plus de 500 photos. Aujourd’hui, on pourrait faire la même chose en un seul passage autour de la Terre.

On ne s’en rend pas compte, mais 53 % de la surface de la Terre est couverte de nuages. Et vue de là-haut, la majeure partie de la Terre est couverte d’océan. À l’époque (et aujourd’hui encore), nous dépendions presque totalement de la communication air-sol. Mais aujourd’hui, avec nos appareils sophistiqués, la communication air-sol peut se faire à tout moment. Alors qu’à notre époque, nous ne communiquions avec le sol que 4 % du temps ; nous devions être positionnés correctement pour pouvoir communiquer directement. Vous devez vous dire : Mon Dieu, mais ça devait être horrible ! Nous, on trouvait ça très bien. Nous avions tellement de choses à faire que nous préférions avoir du temps pour les accomplir et ne pas être poussés à en faire d’autres en même temps. Mais nous avions quand même besoin de certaines informations, que nous obtenions les 4 % ou 4,5 % du temps où nous étions en communication. A l’heure où vous me parlez, j’ai 88 ans. Mais à l’époque, je vous le dis, j’avais pleinement conscience que nous menions une grande mission.

Question : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent aller dans l’espace ?

Cunningham : Je ne me considère pas comme celui qui puisse donner la meilleure réponse à cette question. Je reste encore fixé, mentalement du moins, sur l’idée que pour aller dans l’espace, mieux vaut chercher à devenir le meilleur pilote de chasse du monde. Cependant, 50 ans après, les gens ont une éducation différente. La plupart d’entre eux conçoivent les choses différemment, ont une autre façon de voir la vie. Parmi eux, une grande majorité aimeraient avoir l’occasion d’aller dans l’espace, c’est sûr. Aujourd’hui, on vend des billets pour voyager là-haut, dans un vaisseau spatial. Je suis désolé mais j’ai du mal à voir positivement ce genre de choses. Je sais qu’il y a du positif, mais je vis dans un monde différent.

Je pense qu’ils ont de la chance s’ils deviennent astronautes, mais pour cela, mieux vaut se perfectionner et acquérir les compétences nécessaires. Cela nécessite beaucoup de compétences différentes aujourd’hui. Il y a un bon nombre de médecins, par exemple, qui sont allés là-haut. C’est une bonne chose. Des femmes aussi – et même un duo de femmes pilotes, chose que j’ai trouvé exceptionnelle. Et elles ont fait un excellent travail.

Question : Que signifie pour vous prendre des risques et faire ce qui peut sembler quasi impossible ?

Cunningham : C’est se comporter comme doit forcément le faire un pilote de chasse exemplaire. Les meilleurs pilotes de chasse sont précisément ceux qui s’efforcent, au moins, d’avoir cette attitude. Celle qu’il faut avoir quand vous vous apprêtez à attaquer quelqu’un, à tort ou à raison. Celle qui vous donne cette confiance en vous, en vous disant que vous allez de toute façon vous en sortir, et que vous êtes prêt à payer le prix pour cela.

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