« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Réalimenter en eau le lac Tchad, un grand projet pour les BRICS

Acheikh Ibn-Oumar

24 juin 2015

Bonne après-midi à tous.

Ma présentation sera en français, car je suis francophone. J’ai préparé ma présentation en français, tout en reconnaissant que la langue de travail est ici l’anglais. Je voulais donc vous saluer en anglais et salam aleykoum à nos collègues. Merci.

Je vais aborder un sujet que j’ai déjà abordé à une conférence précédente. Je suis heureux de parler après Mr Askary qui a fait mention de ce projet dans sa présentation en parlant de l’Afrique, c’est celui du lac Tchad. Le lac Tchad qui a donné son nom au pays le Tchad, mais qui n’est pas un lac tchadien mais un lac africain parce qu’il concerne beaucoup de pays.

L’institut Schiller avait organisé en février dernier une conférence sur le thème « Avec les BRICS, pour un système gagnant-gagnant ». A cette occasion j’avais fait un exposé sur le projet de remise en eau du lac Tchad à partir du bassin du fleuve Congo. Donc je ne souhaite pas revenir sur la description détaillée de ce projet. Mais aujourd’hui je vais juste faire un bref rappel et surtout je voudrais aborder les enjeux qui sont liés à certaines controverses qui entourent ce projet. Ces controverses sont souvent inhérentes à tous les grands programmes d’infrastructures. Et pour finir je voudrais faire le lien entre ce projet et le thème de notre conférence à savoir « Reconstruire le monde à l’ère des BRICS ».

Donc voici la brève présentation du projet. Sur l’angle en haut, l’angle droit, c’est la carte de l’Afrique, le petit point bleu au milieu c’est le lac Tchad, la ligne bleue qui aboutit, qui part vers le Congo, c’est le projet de dérivation des eaux du bassin du fleuve Congo vers le lac Tchad et la zone en jaune, c’est en gros, tous les pays affectés par le projet, à peu près le quart de la superficie de l’Afrique. Le lac Tchad a été dans le passé l’un des plus grands au monde. Son bassin géographique est de plus de 2 millions de kilomètres carré et son bassin actif de plus de 900 000 kilomètres carré. Il constitue encore une source importante pour la pêche évidemment mais aussi pour l’agriculture et l’élevage, pour une population directement liée à ces activités d’à peu près 30 millions d’habitants sur six ou sept pays. Les pays directement riverains du lac Tchad, sont le Tchad évidemment mais aussi le Nigéria, le Cameroun et le Niger. Il faut ajouter à cela, les pays du bassin de drainage, le Soudan et la République centrafricaine, et le bassin géographique qui s’étend jusqu’en Lybie et l’Algérie qui sont concernés.

Il y a un organisme qui gère les eaux du lac Tchad qui s’appelle la Commission du Bassin du Lac Tchad, CBLT. La grande particularité du lac Tchad c’est qu’il est situé à la limite du désert, donc à la frontière de la zone sahélo-saharienne qui est très importante. Une région pour laquelle le problème de l’eau est très crucial. Le grand problème c’est que le lac est en voie de disparition. En 1963, sa superficie était de 26000 kilomètres carré et actuellement elle est à moins de 2000. C’est à dire qu’elle a été divisée par 13 à peu près, et la tendance n’a pas l’air de s’arrêter. Donc il y a un risque réel de disparition du lac Tchad. Au début des années 80 un ingénieur italien, Mr Marcello Vichi a lancé l’idée pour résoudre le problème de la disparition possible du lac Tchad, de le recharger en eau en faisant une déviation d’une partie des eaux du bassin du Congo à travers un canal. Ce n’est pas un projet absurde parce que la distance entre le lac Tchad et le bassin de fleuve Congo est longue, mais les bassins du lac Tchad et du fleuve Congo sont très voisins dans la zone de séparation des eaux. Donc il suffit en quelques sortes de faire un raccord entre les 2 bassins et non pas de faire un canal depuis le Congo jusqu’au Tchad évidemment.

Le projet a eu pour nom Transaqua, « Trans » pour transport et « aqua » l’eau, en latin, italien. Et depuis les années 80, son financement n’a pas beaucoup bougé parce que les financements sont hors de portée des pays concernés et jusqu’en 2009 les efforts pour la recherche de financement ne concernaient pas la réalisation du projet mais le financement de l’étude de pré-faisabilité du projet. C’est pour vous dire la longueur du chemin. Alors, c’est pour cela, qu’à la conférence de février abritée par l’institut Schiller, j’avais proposé que ce projet qui est impossible à financer par les moyens classiques actuels, soit en quelque sorte adopté, parrainé par les BRICS. J’avais développé ça à l’époque donc je n’y reviens pas.

Alors aujourd’hui, je vais parler un peu comme je l’avais dit, des objections et des enjeux qui entourent ce projet. Il y a beaucoup d’objections qui sont faîtes pour ce genre de projet.

La première objection, est l’objection scientifique : il y a des spécialistes qui doutent de la réalité de l’assèchement du lac Tchad malgré la réalité visible et qui pensent que c’est un phénomène cyclique, l’on a déjà vu par le passé le lac Tchad diminuer et presque disparaître et revenir de façon naturelle. Pour d’autres, c’est l’explication de l’activité humaine et le réchauffement climatique. D’autres scientifiques doutent du lien à faire entre le dessèchement du lac Tchad et ce réchauffement climatique. Et c’est vrai qu’il y a des périodes cycliques de rétrécissement et d’expansion. A l’ère quaternaire, la superficie du lac Tchad était de 360 000 kilomètres carré, à peu près égale à celle de l’Allemagne actuelle, mais c’était il y a 6000 ans et évidemment les temps géologiques sont très longs et peut être dans 6000 ans on aura un grand lac Tchad, mais dans l’immédiat le problème se pose.

Il y a une deuxième objection, c’est l’objection environnementale, il y a un côté idéologique, il ne faut pas le cacher parce que des gens pensent que les grands projets surdimensionnés sont par essence mauvais et c’est vrai qu’il y a une part de réalité parce que l’augmentation brutale de l’eau du lac Tchad et de ses tributaires, va poser des problèmes pour les riverains, des problèmes d’inondation, des problèmes de remise en cause de l’équilibre de l’écosystème et tout ça, sans compter même les problèmes politiques, celui du droit foncier.

La troisième objection, est l’objection économique : le projet coûterait très cher et ne serait pas rentable. On l’a soulève pour la plupart de ces grands projets aussi. Ce qui est curieux c’est que l’objection a été faite au moment, au début où l’on ne savait pas combien cela coûte. Donc les gens ne savent pas combien cela coûte et l’on sait que ce sera trop cher de toute façon. Parce que évidemment on a eu dans les années 70 en Afrique ce qu’on appelait les éléphants blancs, de grandes réalisations industrielles de pur prestige qui ne sont pas rentables et les gens pensent qu’il ne faut pas refaire les mêmes bêtises en faisant cette fois-ci des éléphants, non pas blancs, mais des éléphants verts en quelque sorte.

Alors la dernière objection c’est celle de la gouvernance, qui est un peu sérieuse, à savoir est-ce que les états ont la capacité de gérer des projets aussi gigantesques. Toutes ces objections nous parlent de vérités, mais qui ne doivent pas être des obstacles, qui peuvent être réglés par des mesures et par des méthodes, de la faiblesse des capacités de gestion des nos états et de nos capacités de financement.

Enfin ce que je voulais dire, le système de l’aide qui prévaut jusque là, l’aide au développement, ne peut pas financer ce genre de projet, puisque cela n’est pas fait pour ça. Et la crise qui a été décrite par plusieurs orateurs, dans les pays donateurs, on voit mal comment débourser cela. Et le professeur Vichi avait remarqué que les conflits en Afrique avaient coûté a peu près 20 milliards de dollar par an, alors que ce projet nécessite à peu près 2 milliards par an pour sa réalisation. Donc il y a des économies à faire et je pense qu’il faut, en restant dans la philosophie de cette conférence et des BRICS, à savoir qu’il ne s’agit pas d’aider les gens, mais qu’il faut reconstruire le monde. On peut trouver une légitimité politique d’abord, puis économique et surtout humaine pour ce projet.

Merci.

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