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Visioconférence des 26 et 27 juin 2021

Quelles perspectives après le sommet Biden-Poutine

1ère session

7 juillet 2021

Dr. Andrey Kortunov, directeur général Conseil russe des Affaires internationales (RIAC)

Chère Madame LaRouche, chers amis et collègues, c’est vraiment un plaisir pour moi de participer à cette discussion. Je pense que c’est un événement très opportun et j’espère qu’il sera utile pour tous les participants. J’espère qu’il sera inspirant et aussi intellectuellement gratifiant. On m’a demandé d’exprimer certaines de mes perceptions du récent sommet Biden-Poutine à Genève.

Permettez-moi de prendre quelques minutes de votre temps pour aborder cette question.

Je commencerai en disant que les attentes à Moscou étaient plutôt faibles. Lorsque M. Biden a été élu, l’ambiance générale à Moscou et, je suppose, au Kremlin également, était plutôt pessimiste, compte tenu de la rhétorique de campagne du président Biden et de son équipe. Il y avait beaucoup de prévisions apocalyptiques sur l’évolution des relations ; beaucoup s’attendaient à des sanctions beaucoup plus sévères contre la Russie et à une rhétorique très négative de la part de la Maison-Blanche. Ces prévisions étaient partiellement fondées, comme vous le savez. Dans un entretien, le président Biden avait même évoqué l’idée que le président Poutine était « un tueur », ce qui, bien sûr, ne lui a pas valu beaucoup d’amis à Moscou. Mais d’un autre côté, en termes de contrôle des armes, en termes de stabilité stratégique, je pense qu’il a surpris de nombreux analystes, et pas seulement en Russie.

Car en effet, l’une des premières décisions de la nouvelle administration fut de prolonger le nouvel accord START sans conditions. Il a donc fait une chose que le président Trump n’avait malheureusement pas réussi à faire, et si l’administration précédente avait certes concédé une possible extension du nouvel accord START, ils discutaient de nombreuses modalités concernant cette extension. Cette première étape fut clairement appréciée à Moscou. Elle fut suivie d’une série de sanctions contre la Russie, mais ces sanctions étaient surtout symboliques. L’administration Biden n’a pas essayé de cibler des secteurs critiques de l’économie russe tels que le secteur énergétique ou le système financier russe. La Russie n’a pas été mise sur le même plan que l’Iran ou la Corée du Nord. Les sanctions ont donc, bien sûr, constitué un sujet important d’irritation, et nous avons également observé une guerre diplomatique continue entre les deux pays, mais elle s’est avérée moins dure que ce que beaucoup avaient prévu.

La réunion tenue à Genève il y a quelques semaines fut donc une rencontre dont les attentes des deux parties ont été soigneusement gérées. Je pense que les deux parties ont réalisé qu’elles ne pouvaient pas compter sur une réinitialisation, ni même une détente de leurs relations.

Non seulement pour cause de divergence de position sur des questions internationales importantes, comme l’Ukraine, la Syrie ou le Venezuela. Mais surtout, leurs points de vue sur les fondements et l’avenir du système international, ou sur l’ordre mondial préférable à venir, étaient également très différents, voire opposés. Il était donc clair qu’il n’y avait pas d’atomes crochus entre les deux dirigeants. Néanmoins, ils étaient tous deux prêts à prendre certains risques politiques pour se rencontrer à Genève, principalement dans le but de rendre la relation plus stable et plus prévisible. Tous deux étaient, et je pense qu’ils le sont encore, intéressés par la réduction des coûts de cette relation conflictuelle et par la réduction des risques associés. C’était donc l’intention de M. Poutine lorsqu’il est arrivé à Genève.

Le sommet a-t-il été un succès ? Je lui donnerais la note B, ou peut-être même B+. Tout d’abord, parce que les deux parties ont convenu de poursuivre le dialogue sur le contrôle des armes stratégiques. Encore une fois, je ne veux pas paraître trop optimiste, ce sera une bataille difficile pour les deux parties. Les perceptions de la manière de passer du nouvel accord START à de nouvelles réductions des arsenaux nucléaires des deux pays ne sont pas les mêmes. La partie russe a tendance à se concentrer principalement sur les systèmes stratégiques, tant nucléaires que non nucléaires, tandis que les États-Unis préfèrent parler de systèmes nucléaires, tant stratégiques que non stratégiques. Il y a donc deux approches différentes qui ne seront pas faciles à concilier. De plus, nous avons, bien sûr, de nombreuses questions dépendantes qui n’ont pas été correctement traitées par le nouvel accord START.

Il y a les systèmes de défense antimissile balistique que les États-Unis ont déployés en Europe, en Pologne et en Roumanie. Il y a les armes nucléaires tactiques que la Russie a également en Europe et que les États-Unis tentent de limiter. Nous avons malheureusement un accord INF déconstruit, donc, théoriquement, nous pouvons avoir une nouvelle course aux armements en Europe, impliquant des missiles de moyenne et courte portée. Sans parler des nouveaux développements technologiques dans le secteur de la défense. Il y a beaucoup de nouvelles dimensions dans la course aux armements, comme la cybernétique, l’espace, les systèmes hypersoniques, la frappe rapide et l’intelligence artificielle. Le fait est que personne ne sait vraiment comment gérer tous ces dossiers, mais nous avons maintenant un répit, et nous avons quatre ans et demi avant l’expiration du nouvel accord START. Espérons que ce temps sera utilisé de manière productive, et qu’à ce moment-là, nous aurons un nouveau concept de contrôle des armements.

Là encore, je vous mets en garde contre un excès d’optimisme. Il était important que les deux parties s’accordent sur le fait que l’on ne peut pas vraiment gagner une guerre nucléaire et que, par conséquent, la guerre nucléaire ne doit pas avoir lieu et ne doit pas être menée. Mais le mouvement vers un nouveau monde non-nucléaire sera probablement lent et assez précaire. Néanmoins, je pense que c’est un signe positif, et j’espère que nous verrons davantage de communications entre les militaires, les experts civils et les diplomates américains et russes, et que nous pourrons peut-être progresser rapidement vers des solutions.

Maintenant, permettez-moi de parler de la cybernétique. Je pense qu’il s’agit d’une question beaucoup plus controversée et difficile que le contrôle des armes stratégiques, car dans le contrôle des armes, nous avons une culture stratégique commune qui a émergé progressivement depuis la fin des années 1960. Alors que dans le domaine de la cybernétique, nous n’avons pas cette culture, et nous avons des perceptions très différentes de la manière d’aborder la cyberguerre. Pendant de nombreuses années, la partie russe a insisté pour que nous ayons un groupe de travail conjoint pour explorer les possibilités de cyber-contrôle. Les États-Unis, notamment sous l’administration Trump, ont toujours rejeté cette idée. Lorsque Poutine et Trump se sont rencontrés pour la première fois à Hambourg en marge du sommet du G-20, le président Trump a semblé accepter l’idée d’une sorte de groupe de travail dédié avec les Russes sur la cyber, mais de retour à Washington, il a essentiellement dit qu’il n’était pas prêt à s’engager sur cette voie. Nous verrons donc comment cela se passe. Je pense que c’est un signe positif que nous ayons un tel groupe, mais nous devons garder à l’esprit que les perceptions des cyberattaques sont très différentes à Moscou et à Washington, bien que les deux capitales soient préoccupées par la capacité de l’autre partie à s’immiscer dans leur système politique national ou dans l’économie nationale en utilisant des cyber-armes sophistiquées. Mais comment limiter la cyber-guerre, comment résoudre le problème de l’attribution, comment avoir une ligne rouge fiable dans le domaine de la cybernétique, c’est une question qui doit encore être discutée et, espérons-le, faire l’objet d’un accord.

Maintenant, permettez-moi d’aborder les questions régionales. Apparemment, à Genève, les deux chefs d’Etat ont discuté d’un très large éventail de questions régionales. Sur certaines d’entre elles, je ne vois pas de perspectives d’actions conjointes immédiates ou même de coordination.

Je ne pense pas qu’à Genève, ils aient été en mesure de réduire l’écart dans la perception de ce qui se passe en Ukraine et dans les environs, ou en Biélorussie et autour. Mais je pense que sur des questions comme l’Afghanistan, il y a probablement plus de terrain d’entente.

Je pense qu’ils auraient même pu se mettre d’accord sur certaines actions parallèles en Syrie, liées à la situation humanitaire à Idlib, par exemple, ou à des négociations potentielles entre les Kurdes syriens et les dirigeants de Damas. Ils auraient probablement pu discuter de la Corée du Nord, peut-être de l’Iran, un pays que les États-Unis sont toujours déterminés à faire revenir à l’accord sur le nucléaire iranien dit JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action).

Enfin, permettez-moi d’ajouter qu’il y a bien sûr eu des commentaires globaux, où la Russie et les États-Unis partagent plus ou moins leurs points de vue et leurs visions. Permettez-moi de faire référence au changement climatique, mais aussi à la coopération potentielle dans la région arctique.

Ils auraient certainement pu se mettre d’accord sur quelque chose en rapport avec le terrorisme international, et sur une coopération potentielle dans l’espace. Enfin, je pense qu’il est important que les deux ambassadeurs (russe et américain) soient maintenant de retour là où ils devraient être, respectivement à Moscou et à Washington, DC.

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire, car bien sûr, c’est formidable d’avoir des ambassadeurs de retour, mais il faut aussi faire revenir le personnel. Les ambassadeurs sont comme les généraux, ils ont besoin de leur armée. Si la guerre diplomatique n’est pas terminée, je crains que ni John Sullivan ni Anatoly Antonov n’aient grand-chose à faire dans leurs bureaux respectifs.

Je sais que mon temps de parole est compté. Je ne veux pas trop en prendre aux autres orateurs, mais permettez-moi de dire que les deux prochains mois nous diront si une stabilisation des relations américano-russes est possible, ou si ce mouvement vers le bas se poursuivra vers des risques encore plus grands et un risque certain d’affrontement illimité.

Je reste modérément optimiste quant à la possibilité de stabiliser cette relation, mais en même temps, je pense que nous devons garder à l’esprit que la relation restera très difficile et qu’elle sera dans certains cas conflictuelle. Si nous pensons à un véritable changement dans les relations, il ne viendra pas sans de nouvelles idées innovantes allant au-delà de la sagesse conventionnelle.

J’espère que des conférences comme celle à laquelle nous participons aujourd’hui contribueront à dépasser les idées reçues et à réfléchir à des moyens plus créatifs et moins orthodoxes pour résoudre les problèmes dans les relations américano-russes, mais aussi les problèmes plus généraux de la gouvernance mondiale que nous devons tous aborder aujourd’hui.

Je vous remercie.

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