« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visioconférence internationale des 10 et 11 septembre
4ème session
10 octobre 2022
Megan Dobrodt, Présidente de l’Institut Schiller (Etats-Unis)
L’esprit humain est le plus puissant phénomène de l’univers dont nous ayons connaissance. Ce sujet était le domaine d’étude et d’expertise de Lyndon LaRouche, et c’est ce que la science et l’art doivent apprendre de lui, car c’est justement ce qui constituait le fondement de ses apports à la science de « l’économie physique » et qu’il a approfondi tout au long de sa vie.
En 2014, LaRouche soulignait qu’en se donnant la capacité d’atteindre des températures dix fois supérieures à celle du Soleil dans les machines à fusion nucléaire, l’Homme commençait à dépasser cette étoile en termes de niveaux de densité de flux d’énergie et d’états de la matière sous son contrôle.
Le grand « miracle » à l’origine de tout cela est un type particulier de conceptions, qui ne proviennent ni de l’expérience ni de l’observation de phénomènes extérieurs, mais de l’imagination d’un esprit créateur donnant naissance à des inventions qui correspondent si étroitement aux principes de l’univers qu’en les mettant en œuvre, nous pouvons exercer sur lui de nouveaux pouvoirs d’autant plus grands.
Cette catégorie de pensées, que nous appelons « découvertes scientifiques », est ce qui différencie l’espèce humaine de toutes les autres espèces et marque sa progression d’une existence animale vers une forme d’existence plus élevée nous permettant, en tant qu’espèce, de quitter cette planète et d’étendre la vie physique et cognitive sur d’autres corps célestes.
Cette vérité remet en question ce que l’on croit souvent être la frontière entre l’esprit humain et le monde extérieur, cette fausse séparation entre l’homme et la nature, et soulève la question du rôle qui nous est imparti en tant qu’espèce – si nous acceptons cette mission – dans l’auto-développement continu de notre univers.
Cela nous conduit au sujet qui est le nôtre, celui du moteur de tout progrès : l’imagination créatrice qui nous fait sortir du domaine de la logique, de l’algèbre et d’autres formalismes, pour entrer dans celui de l’art.
Ce que je veux aborder spécifiquement aujourd’hui, c’est le sujet de l’harmonie, pas seulement les harmonies sensibles, mais le principe même de l’harmonie : la capacité de l’esprit à découvrir ou, pourrait-on dire, à inventer un principe supérieur et unificateur qui régit et accorde la multiplicité.
Pourquoi est-ce si important aujourd’hui ? Entre autres, parce que l’Homme a dépassé le stade de simple Terrien. Déjà, nous franchissons de plus en plus fréquemment l’orbite terrestre. Un retour sur la Lune s’annonce et nos astromobiles Curiosity et Perseverance sillonnent la planète Mars. Par ces missions robotiques, l’Homme a étendu la portée de ses propres sens et implicitement, sa capacité d’action, à la surface d’autres mondes.
L’exemple le plus récent qui a frappé l’imagination de tant de gens est le travail du télescope spatial James Webb, qui nous a dotés des « yeux » infrarouges nécessaires pour voir et cartographier des phénomènes jusqu’alors invisibles, remettant ainsi en question les hypothèses de base sur les principes qui sous-tendent les grands systèmes galactiques et intergalactiques dans lesquels baigne notre humble petite Terre.
Quel principe, quelle unité gouverne cette galaxie et ce système intergalactique en tant que système ? Pour commencer à répondre à cette question, les scientifiques d’aujourd’hui doivent s’inspirer des travaux de Johannes Kepler, de sa découverte du principe animant notre système solaire, auquel Lyndon LaRouche a fait référence à maintes reprises. Cela nous offre un exemple puissant du mode de pensée créatif permettant de faire les percées de principe dont nous avons tant besoin, par opposition à la vaste nébuleuse de modélisations cherchant à expliquer les apparences, tromperie que Kepler a mise en pièces il y a des centaines d’années.
En 1609, Kepler a publié un ouvrage révolutionnaire, la « Nouvelle Astronomie », dans lequel il a refondé la science de l’astronomie en la sortant du domaine de la modélisation géométrique des apparences pour la placer fermement dans le domaine de la physique. Dans ce livre, il guide le lecteur à travers chaque étape de sa découverte fondamentale : les planètes sont mues par la force gravitationnelle du Soleil, c’est pourquoi elles tracent des orbites elliptiques plutôt que parfaitement circulaires.
Il revient ensuite à la question supérieure, celle qu’il avait abordée préalablement en tant que jeune professeur, alors dans sa vingtième année : qu’est-ce qui fait de ces planètes individuelles et du Soleil un système, un univers, et non une collection de choses qui se trouvent habiter la même partie de l’espace ? Ou, pour poser différemment la question : « Pourquoi et comment Dieu (ou le grand architecte) a-t-il façonné le système solaire de cette façon, et pas autrement ? »
C’est ici que Kepler se tourne vers la musique, vers l’harmonie.
Kepler n’est pas le premier à regarder le ciel nocturne avec le sentiment qu’il existe une harmonie. Il s’agit d’une idée très ancienne dont on retrouve des traces dans le « Timée », un des dialogues de Platon. La percée de Kepler a consisté à abandonner l’idée d’une harmonie perceptible par les sens, ou même numérique, comme étant primaire, pour se hisser vers un principe générateur supérieur.
Prenons une illustration simple :
Vous voyez ici les notes d’une gamme musicale, la gamme majeure, et au-dessus d’elles, vous voyez des chiffres. Laissez-moi vous montrer ce qu’ils signifient. On savait depuis des millénaires que les tons de ce que nous appelons aujourd’hui les gammes musicales majeure et mineure peuvent être construits à partir d’un certain nombre de rapports de nombres entiers. Par exemple, si nous avons une simple corde vibrante - une corde tendue sur une caisse de résonance, une corde de violoncelle ou de violon, par exemple - la corde produira un son lorsqu’elle sera pincée. Appelons la longueur de la corde « 1 ».
Si je coupe maintenant la corde aux deux tiers, j’ai une partie plus courte qui est dans un rapport de 2 à 3 avec l’ensemble, et le mouvement de sa vibration est dans un rapport de 3 à 2 avec l’ensemble. Si je pince cette corde plus courte, j’obtiens un son plus aigu qui, lorsqu’il est joué en même temps que le son original, est consonant, c’est-à-dire produit un beau son.
Les deux tons sont en harmonie. Il en va de même avec une division de la corde à 3/4, 4/5, 5/6, 5/8 et 3/5.
A partir de ces proportions et de leurs sous-proportions, nous pouvons générer toutes les tonalités des gammes majeures et mineures. Mais un problème se pose alors, que je vais illustrer.
Prenez un instrument comme un piano. Les cordes d’un piano doivent être accordées à des hauteurs spécifiques et fixes.
Disons que nous accordons la gamme, comme Kepler l’a fait, sur la base de la note sol. Une tierce mineure au-dessus de sol dans la gamme est le si bémol, un rapport de 5/6. Une quinte au-dessus de cette note, un rapport de 2/3, est le fa.
Ainsi 2/3 de 5/6 est 5/9 de la corde d’origine, et nous accordons le fa à 5/9. Disons que je veux que l’accordeur vérifie son travail. Je sais que la même note, fa, est une quinte ou un rapport de 2/3 vers le bas de la note do au-dessus. Do est un rapport de 3/8 par rapport au sol d’origine .
Cependant, 2/3 de 3/8 n’est pas 5/9, mais 9/16, une différence minime mais tout à fait audible ! Alors quelle est la bonne valeur pour fa ? 5/9 ? 9/16 ? Quelque part entre les deux, auquel cas nous perdons l’harmonie parfaite de l’intervalle 2/3 ?
Le problème est que ce n’est pas un cas isolé : les gammes sont criblées de tels désaccords, et il n’existe aucun calcul mathématique possible permettant de résoudre ces petites différences, ou « commas », et de conserver les intervalles purs. C’est impossible. En pratique, cela signifie que, selon la note sur laquelle vous choisissez de baser la gamme ou une mélodie, vous obtenez un véritable désaccord de type « honky tonk » !
Ce problème, que l’on appelle le tempérament musical, est un sujet qui intéresse vivement Kepler et qu’il a passé beaucoup de temps à étudier. Pourquoi ce problème est-il important ? Parce que c’est là que se trouve sa solution.
Kepler vit à une époque où l’on commence à découvrir ce que signifie réellement la polyphonie musicale. Contrairement à une ligne mélodique principale unique que d’autres voix ne font qu’accompagner, à son service, la polyphonie fait intervenir de nombreuses voix indépendantes, chacune chantant une mélodie différente, mais se rejoignant en une mélodie unifiée et belle : une harmonie d’un type plus élevé que la simple harmonie de deux tons consonants. Les expressions modernes les plus avancées de ce phénomène peuvent être entendues, par exemple, dans les fugues de J.S. Bach, les symphonies de Mozart ou les derniers quatuors à cordes de Beethoven.
Comme dans le cas d’un processus vivant, dans la musique polyphonique complexe, les intervalles et les notes ne sont pas fixes. Les musiciens, les joueurs d’instruments à cordes ou les chanteurs, par exemple, procèdent ponctuellement à de légers ajustements de l’accord des notes, de sorte que chaque note de leur ligne indépendante est très légèrement modifiée pour s’accorder aux harmonies changeantes et évolutives de l’ensemble de la composition. Les intervalles individuels ne sont plus les purs rapports de nombres entiers, car leurs valeurs sont ajustées, tempérées, sur le plus élevé.
La polyphonie fascine Kepler ; elle le saisit véritablement comme une découverte moderne, au-delà de celle des anciens, qui nous a donné des harmoniques plus avancées que celles des simples nombres. La musique polyphonique remplissant son esprit, il était convaincu qu’un type d’harmonie plus élevé, beaucoup plus complexe, pouvait être appliqué à la question des mouvements non pas des instruments de musique, mais des corps célestes du système solaire.
En examinant pourquoi les planètes de notre système solaire se déplacent sur les orbites particulières qu’elles suivent, à des distances spécifiques, et pas autrement, le travail de Kepler l’a amené à pouvoir dire que pour un observateur, debout sur le Soleil, regardant les planètes en mouvement, les mouvements les plus rapides et les plus lents, ceux qui délimitent l’orbite, avaient des rapports entre eux correspondant aux notes des gammes musicales majeures et mineures.
Le problème est que ces harmonies ne sont pas parfaites ; il y a de petites erreurs, des divergences entre les harmonies parfaites de nombres entiers et les données des planètes. Le mathématicien fanatique pourrait dire, et beaucoup l’ont fait, « Vous voyez, il avait tort ! C’était une bonne idée, mais il avait tort ! »
Ce que Kepler savait, c’est que les écarts des harmonies planétaires par rapport aux rapports parfaits des nombres entiers n’étaient pas des « erreurs », mais reflétaient plutôt les harmonies tempérées d’un système polyphonique. Il a mis les données de côté et, dans son imagination, comme s’il composait le système solaire, il a conçu un accord, un tempérament, dans lequel chaque planète serait en harmonie avec le plus grand nombre d’autres, comme si elles étaient membres d’un chœur cosmique à plusieurs voix, sacrifiant la perfection des rapports de nombres entiers pour la perfection supérieure de l’unité de tous les mouvements - du tout.
Citation de Kepler :
« C’est l’harmonie universelle de tout qui rend le monde parfait, plutôt que les évolutions de paires voisines. Car l’harmonie est un certain rapport d’unité : elles sont donc unies si elles sont toutes à l’unisson en même temps, plutôt que si chaque paire séparément s’accorde en paires d’harmonies. De sorte que dans un conflit entre les deux, l’une ou l’autre des paires d’harmonies des paires de planètes a dû céder pour que les harmonies universelles de toutes puissent se maintenir. »
Et pour compléter sa notion de la puissance physique du Soleil, Kepler ajoute :
« Non seulement la lumière part du Soleil vers le monde entier, comme du foyer ou de l’œil du monde, comme toute vie et toute chaleur partent du cœur, tout mouvement du chef et du moteur ; mais en retour, on recueille au Soleil de toute la province cosmique, par droit royal, ces remboursements, pour ainsi dire, de l’harmonie la plus désirable, ou plutôt les images des paires de mouvements qui s’écoulent vers lui sont liées en une seule harmonie par l’élaboration de quelque esprit… »
Tout comme un grand chef d’orchestre prend le contrôle, pourrait-on dire, des membres d’un orchestre, en unifiant leurs mouvements individuels en une seule entité harmonieuse, le Soleil guide et anime les différents mouvements des planètes vers une Unité supérieure.
Revenons à notre galaxie et au-delà. Pour Kepler, son principe était universel, il s’étendait à l’ensemble de l’univers connu, des planètes jusqu’à Saturne. Par ailleurs, Kepler savait qu’il y avait plus que cela, et souhaitait travailler sur le problème des changements séculaires des orbites. En d’autres termes, il était conscient que les excentricités des orbites n’étaient pas fixes, que celles-ci, et donc les mouvements des planètes, changeaient sur de longues périodes, et il avait l’intention de creuser ces causes, mais il est malheureusement mort avant d’avoir pu faire ce travail.
À l’époque de Kepler, les planètes au-delà de Saturne étaient inconnues ; les ceintures d’astéroïdes et de Kuiper étaient inconnues ; le fait que notre étoile n’en soit qu’une parmi des milliards d’autres, toutes en orbite autour d’un centre galactique, était inconnu ; le fait que notre galaxie soit l’une des trillions de galaxies, chacune avec des milliards d’étoiles, la plupart avec des systèmes planétaires autour d’elles, n’était pas un domaine disponible pour Kepler. C’est à nous de l’explorer.
Si nous étendons simplement le système harmonique de Kepler jusqu’aux planètes extérieures à notre propre système solaire, cela ne fonctionne pas - pas en termes d’harmonies simples : il y a des dissonances plutôt que des harmonies. Quelle est la cause de cette dissonance ?
Grâce au télescope de la NASA, nommé Kepler de manière appropriée, je pense, ainsi qu’à Hubble et à d’autres télescopes, nous avons réussi à détecter 5157 exoplanètes, c’est-à-dire des planètes en orbite autour d’étoiles en dehors de notre système solaire, réparties dans 3804 systèmes planétaires. Époustouflant.
Avec le JWST, nous avons démontré une meilleure capacité à étudier les exoplanètes, en visualisant directement une exoplanète située à environ 385 années-lumière de la Terre, un exploit qui a été comparé à la visualisation d’une luciole volant devant la lumière d’un puissant projecteur. Nous pouvons non seulement détecter la périodicité de son orbite, mais aussi la température de son atmosphère.
Il y a un système intéressant que Webb étudiera au cours de l’année prochaine :
Le système Trappist-1, un système solaire relativement proche, à environ 40 années-lumière de nous. Il compte 7 planètes de la taille de la Terre, en orbite autour de son étoile, dont trois ou quatre sont réputées être à des distances qui permettraient la présence d’eau liquide. L’un des aspects fascinants de ce système est que la période de l’orbite de chaque planète est dans un rapport harmonique avec celle de ses voisines immédiates. Ainsi, la durée de l’année d’une planète est dans un rapport de 5/8 avec celle de la suivante, qui est dans un rapport de 3/5 avec la suivante, et ainsi de suite. Des observations très préliminaires, mais tout à fait fascinantes par ce que pourrait nous montrer une étude plus approfondie de ce système et de systèmes similaires !
Peut-être qu’une des clés pour comprendre les galaxies plus vastes consistera à étudier le « tempérament », non pas d’un seul ensemble de mouvements de planètes, mais d’une galaxie pleine de planètes - quels écarts, ou commas, découvrirons-nous qui nous permettront, comme le fait un musicien, de commencer à imaginer le plus grand UN galactique, responsable du réglage de cette multiplicité ?
Toute découverte se fait en partant du haut et du un en allant vers le bas et le multiple, et non l’inverse. Autrement dit, on ne peut pas construire l’univers à partir d’un point, mais seulement à partir d’une idée. Les observations minutieuses et technologiquement étonnantes des phénomènes qui se déroulent à l’extérieur, comme celles du télescope Webb, les milliers d’heures de traitement et de remaniement des données pour leur donner une forme lisible, sont le grand et nécessaire travail au service de l’imagination, qui est la seule puissance capable de saisir ces paradoxes dévoilés et d’inventer le paradoxe supérieur et invisible, la pensée créative, semblable à celle du créateur qui les a générés.
Voilà la science, telle que je l’ai apprise de Lyndon LaRouche, une science nourrie par le grand art, et dont ceux qui regardent vers le ciel devraient s’inspirer aujourd’hui.