« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visioconférence internationale du 14 août 2021
2ème session
17 septembre 2021
Kirk Meighoo , analyste politique, commentateur médias, auteur et ancien sénateur indépendant de Trinité-et-Tobago
En 1975, aux Nations unies, Fred Wills, ministre des Affaires étrangères du Guyana, pays des Caraïbes et d’Amérique du Sud, lance un appel en faveur d’un Nouvel Ordre économique international et d’une Banque internationale de développement.
Si Fred Wills était un allié du mouvement LaRouche, il était également issu d’une tradition de critique intellectuelle et politique des Caraïbes. De nombreux héritiers de cette tradition conduisirent leurs pays à l’indépendance dans les années 1960 et jusque dans les années 1970. Le Nouvel ordre économique international fut largement adopté dans la région, notamment par le charismatique Premier ministre de Jamaïque, Michael Manley. Ce mouvement découle de l’expérience de l’indépendance, dans les années 1960, des grands pays anglophones des Caraïbes : Jamaïque (1962), Trinidad et Tobago (1962), Guyana (1966) et Barbade (1966).
De nombreux jeunes à l’époque furent déçus par l’indépendance. Leurs rêves ne se sont pas réalisés, le développement économique qu’ils envisageaient ne s’est pas produit, le type de liberté et de créativité auquel ils aspiraient ne s’est pas manifesté au sein de la nouvelle classe politique indépendante. En effet, les dirigeants indépendantistes étaient perçus comme perpétuant le néocolonialisme ou le néo-impérialisme, et l’indépendance politique était considérée comme insuffisante, ou seulement comme le premier pas vers la liberté et le développement.
Dans toute la région, les choses se précipitèrent entre 1968 et 1972 avec le mouvement Black Power, les mouvements syndicaux et d’autres mouvements de protestation qui balayèrent les îles. Certains de ces mouvements dissidents prirent le pouvoir dans les années 1970, tandis que d’autres rejoignaient l’opposition officielle.
Le Nouvel Ordre économique international fut adopté et mis en avant par ces dirigeants, qui avaient compris que l’indépendance formelle n’était pas synonyme de prospérité et de progrès pour leur peuple.
Des économistes des Caraïbes, comme Lloyd Best, Clive Thomas, Havelock Brewster, ainsi que des économistes latino-américains, commencèrent à examiner les raisons structurelles et historiques qui faisaient que nos pays restaient pauvres.
Certains, comme Fernando Henrique Cardoso, considéraient que les termes de l’échange étaient truqués au détriment des fournisseurs de matières premières dans les pays en développement, tandis que d’autres, comme André Gunder Frank, parlaient de « développement du sous-développement » et examinaient les relations structurelles entre le centre et la périphérie, notant que le sous-développement était le produit de relations d’exploitation. Ces idées ont commencé à inspirer la politique nationale et étrangère des pays les plus radicalisés.
Des institutions telles que la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ou la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEALC) furent créées par des gouvernements radicaux d’Amérique latine et des Caraïbes, désireux de s’attaquer aux problèmes structurels du sous-développement dans l’économie mondiale.
On tenta d’organiser des cartels de producteurs de matières premières, sur le modèle de l’OPEP, pour avoir plus de contrôle sur les marchés mondiaux exploités, manipulés et truqués. La réforme du FMI et de la Banque mondiale, à l’ordre du jour depuis des décennies, fut toutefois rejetée par l’Europe et les États-Unis.
Avec la montée du néolibéralisme dans les années 1980 et 1990, et les crises de la dette massive qui frappèrent bon nombre de ces pays, cette vision du nouvel ordre économique international s’estompa, même dans nos pays où elle avait été adoptée.
Jeune étudiant, je découvris ces théories à l’université de Toronto. Plus tard, pendant ma maîtrise en Jamaïque, je reçus l’enseignement de nombreux conseillers gouvernementaux de ces gouvernements radicaux des Caraïbes, et des penseurs à l’origine de ces idées.
Au Royaume-Uni, où j’ai passé mon doctorat, je travaillais avec des conseillers du gouvernement britannique, de l’administration Reagan et des experts en politique de développement ayant des dizaines d’années d’expérience sur le terrain auprès de gouvernements du monde en développement et conseillant également le gouvernement britannique sur les questions de développement.
Pendant tout ce temps, jamais, cependant, je n’ai entendu parler de Lyndon LaRouche. C’est dans les années 2000 que je commençai à le découvrir par la magie d’internet, et je découvris l’ampleur de sa vision et son engagement de 40 ans dans cette lutte. J’ai vu comment il avait travaillé avec López Portillo au Mexique, Indira Gandhi en Inde, comment il avait plaidé pour l’industrialisation de l’Afrique et de l’Inde, appelé à la création d’une Banque internationale de développement et inventé l’expression « Nouvel Ordre économique mondial (NOEM) ». J’ai également vu le lien avec Fred Wills, et j’ai réalisé que toute cette partie de l’histoire avait été censurée.
Même dans les universités où je me spécialisais dans l’étude du développement, on ne nous enseignait pas les théories de Lyndon LaRouche, qui étaient non seulement cruciales sur le plan intellectuel mais aussi sur le plan pratique, en termes de mobilisation politique. Lorsque je commençai à me plonger dans son œuvre, j’ai pu lire comment LaRouche expliquait et promouvait le « Système américain d’économique politique », qui, fait intéressant, remonte à Alexander Hamilton, lui-même originaire des Antilles.
L’analyse du système américain par LaRouche me fascinait personnellement, car mon propre mentor intellectuel était l’un des grands intellectuels de Trinité-et-Tobago et des Caraïbes, Lloyd Best, dont l’une des contributions intellectuelles durables fut son analyse du modèle de société et d’« économie de plantation », c’est-à-dire ce système impérial d’exploitation des Antilles par les pays métropolitains, qui les maintenait enchaînées pendant l’indépendance, bien que l’impérialisme et le colonialisme aient officiellement pris fin.
Ces théories constituaient des éléments complémentaires nécessaires pour comprendre le système dans son ensemble, comment il mutait et se développait dans le temps et l’espace. Ces modèles, que Best lui-même avait commencé à découvrir avant sa mort, je les retrouvai plus tard pleinement élaborés par LaRouche.
L’analyse que fait LaRouche de l’Empire britannique et du système transatlantique est extrêmement importante pour comprendre la perpétuation du sous-développement. La critique du modèle de développement dit de « libre-échange » et l’accent mis sur les problèmes structurels profonds de l’économie sont essentiels. Les modèles néolibéraux qui dominent depuis les années 1980 exigent un contre-argumentaire puissant et un ensemble de politiques alternatives. Les idées de LaRouche doivent être au cœur de cette démarche.
L’essor des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) aurait dû naturellement conduire à une réorganisation de l’économie mondiale - et c’est peut-être le cas - prenant plus largement en compte les besoins du monde en développement. Les mouvements antérieurs dans ce sens, comme la formation du Groupe des 77 ou du Groupe des 20, pour faire contrepoids à la cabale du G-7, en étaient la préfiguration. Mais si certains de ces changements ont eu lieu, et si des conflits ont éclaté à cause d’eux, c’est le néolibéralisme qui a essentiellement prévalu en tant que théorie et pratique dominantes, et les BRICS ont généralement échoué.
L’idée de LaRouche du « pont terrestre mondial », de vecteurs scientifiques, de l’amélioration de la capacité de production, par opposition à la spéculation financière, est cruciale. La pandémie et les politiques de confinement ont détruit la capacité productive de l’économie dans le monde entier et l’ont remplacée par un flot d’argent fraîchement imprimé. Cela joua un rôle majeur dans l’augmentation massive de l’inégalité des richesses, la contraction historique de l’économie et un transfert obscène de richesses des pauvres vers les riches.
Le soutien de LaRouche au « pont terrestre mondial », dont une grande partie se trouve incorporée dans la « Nouvelle Route de la soie », est extrêmement important. L’accord mondial des quatre puissances, le rétablissement du Glass-Steagall et d’autres mesures ne pourront être adoptés que si l’on s’éloigne de l’ensemble du discours néolibéral, et non seulement de la stratégie mais aussi de la compréhension de l’économie elle-même.
Je félicite la Fondation LaRouche de poursuivre cette mission qui est si cruciale pour la pleine réalisation du potentiel et de la capacité de l’espèce humaine, sur terre et dans l’univers.