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Libor/Euribor : les nations européennes à la merci des banques d’affaires

26 juillet 2012

La manipulation du taux d’intérêt Libor fait l’objet d’une bonne douzaine d’enquêtes par différents organismes de régulation. Quant à celle de la Commodities Futures Trading Commission outre-Atlantique et la Financial Services Authority outre-Manche, elle s’intéresse désormais à quatre grandes banques de plus : Crédit Agricole, HSBC, Deutsche Bank et Société Générale.

Des communications courriel dont disposent les régulateurs américains et britanniques démontrent que certains traders dans ces quatre banques s’étaient mis d’accord avec des collègues à la Barclays pour manipuler à leur avantage le taux interbancaire quotidien de l’euro (Euribor) sur le marché des swaps sur taux d’intérêt. C’est avant tout sur ce marché que les banques génèrent leurs profits, puisque même un changement minime au niveau de la troisième décimale peut occasionner des milliards de profits ou de pertes sur un marché de 220 000 milliards d’euros.

Les principales victimes de la fraude Euribor sont les administrations publiques et les sociétés industrielles ayant acheté des swaps sur taux d’intérêt ces dernières années, attirées par les liquidités alors mises à disposition et par la « protection contre la hausse des taux » offerte par les banques. Ayant souscrit à de tels paris, les clients ont ensuite perdu des millions avec la baisse des taux, à la place d’une hausse.

En Italie, où plus de 400 administrations locales et régionales ont conclu ce genre de contrats, pour un montant total estimé à 66 milliards, la justice a été saisie par des associations de consommateurs. Le 21 juillet, le procureur Michele Ruggiero de Trani a ouvert une enquête au pénal afin de déterminer si des traders dans les banques d’Euribor ont truqué le taux interbancaire. Il conduit également une enquête très en vue sur les agences de notation, dans le cadre de laquelle Standard & Poor’s a déjà été mise en accusation pour fraude et pour atteinte à la République italienne, et Moody’s Investors Service devrait l’être bientôt.

Au-delà de ces actions, il faudrait mener une enquête exhaustive comme celle de la Commission Pecora de 1933 dans tous les pays, et examiner les systèmes Libor/Euribor depuis leur mise en place.

En effet, le Libor (taux interbancaire en dollar) et l’Euribor (taux interbancaire en euro) sont deux éléments centraux du système monétaire privé mis en place par la City de Londres ces dernières décennies, pour remplacer le système de crédit régulé créé par Franklin Roosevelt à partir de 1933. Tandis que le parti britannique aux Etats-Unis démolissait le système de Bretton Woods, qui avait assuré des crédits productifs à l’économie américaine et mondiale pour la reconstruction dans l’après-guerre, la City organisait le marché de l’« eurodollar » comme première étape vers l’émission d’argent privée.

Le choc pétrolier de 1973 a donné à ce marché contrôlé depuis Londres le capital initial nécessaire, puis le « Big Bang » des marchés londoniens en 1986 a permis de faire du Libor la référence mondiale des fonds interbancaires. Suite au démantèlement du système de Glass-Steagall et à l’obsession avec l’équilibre budgétaire, les banques commerciales se voyaient progressivement obligées d’aller sur le marché interbancaire à court terme pour trouver des fonds. Avec l’introduction de l’euro en 1999, l’Euribor a graduellement remplacé les systèmes nationaux de taux interbancaires.

En fait, le Libor et l’Euribor sont une seule et même chose. Le panel de l’Euribor, basé à Bruxelles, est composé de 43 banques de la zone euro, mais de grandes banques en dehors de cette zone, comme Barclays, HSBC ou JP Morgan y sont également associées. Ces banques fixent la valeur à la fois de l’argent (marché interbancaire) et de la dette souveraine. Si on regarde les principaux négociants des obligations souveraines d’états européens, on trouve les suspects habituels.

Suite à la mise en place du fonds de renflouement FESF, le cartel de l’Euribor a renforcé son contrôle. Le Market Group du FESF compte les banques participant aux adjudications d’obligations du Fonds, qui déterminent par conséquence leur valeur. Sur les 47 membres du Group, 27 sont aussi sur le panel de l’Euribor. Pour chacune des émissions du FESF, les principaux responsables venaient d’une ou de deux des cinq grandes banques faisant l’objet de l’enquête sur le Liborgate (Barclays, Deutsche Bank, Crédit Agricole, SocGen et HSBC). Cela sera pire avec le MES, dont l’opacité et l’immunité pourront couvrir des activités criminelles.

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