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SVB, Crédit suisse, Deutsche Bank ...
23 mars 2023
Ce qui a commencé avec la Silicon Valley Bank, une banque relativement petite en Californie, sans menace apparente pour l’ensemble du système financier, s’est avéré un précurseur du krach financier mondial.
Suite à 15 ans d’injection de liquidités, la bulle de la dette globale est bien plus grosse qu’en 2008, tandis que la hausse des taux d’intérêt, censée combattre l’inflation, fait planer la menace de faillites en chaîne.
Les banques centrales ont réagi en abandonnant la politique de resserrement monétaire pour actionner la planche à billets. Or, les 700 milliards de dollars distribués par les banques centrales de part et d’autre de l’Atlantique la semaine dernière ne suffiront pas à combler le trou grandissant, car la contagion gagne déjà à l’ensemble du système.
En raison de la faillite du Crédit suisse, une tempête s’abat sur le marché des obligations subordonnées, appelées titres AT1 (Additional-Tier 1) ou obligations « contingent-convertibles » (coco bonds). Ces obligations ont été créées au lendemain de la crise financière de 2008 pour servir de tampon pouvant être sacrifié en cas de faillite d’une banque pour éviter un renflouement. Les acheteurs, bien que conscients du risque, se sont laissé néanmoins séduire par un rendement élevé.
L’importance du marché AT1 (environ 275 milliards de dollars) est relativisée par celui des produits dérivés, d’une valeur de 2 millions de milliards de dollars. Lorsqu’une vague de faillites bancaires et de cessations de paiement est enclenchée, la propagation n’est pas comparable à un simple effet de dominos, le premier renversant son voisin et ainsi de suite. Cela s’apparente plutôt à une réaction nucléaire en chaîne, dans le domaine financier, comme l’a souvent expliqué l’économiste Lyndon LaRouche. Autrement dit, les différentes formes de dette ne sont que la mèche, ce sont les produits dérivés qui constituent la bombe, dont la charge explosive est supérieure de plus d’un ordre de grandeur à la simple dette.
Le Crédit Suisse avait un ratio très élevé de dérivés par rapport à ses actifs : 28 pour 1, avec pour contreparties dans ces transactions les mégabanques américaines. C’est pourquoi la pression pour renflouer le CS est venue de l’étranger, et des Etats-Unis notamment, dont les quatre premières banques détenaient une exposition combinée de 173 000 milliards de dollars aux produits dérivés (soit 89 % de l’exposition totale des banques américaines), à la fin de 2022 (en dollars) : • JPMorgan Chase : 54 milliers de milliards de produits dérivés contre 3,3 milliers de milliards d’actifs, soit un ratio de 16/1 ; • Goldman Sachs : 51 milliers de milliards de produits dérivés, contre 0,5 millier de milliards d’actifs, soit un ratio de 99/1 ; • Citibank : 46 milliers de milliards de produits dérivés, contre 1,7 millier de milliards d’actifs, soit un ratio de 27/1 ; • Bank of America : 22 milliers de milliards de produits dérivés, contre 2,4 milliers de milliards d’actifs, soit un ratio de 9/1.
En comparaison, les quatre plus grandes banques chinoises détiennent ensemble 19 milliers de milliards de dollars d’actifs pour des produits dérivés estimés à quelque 7000 milliards, soit un ratio inférieur à 0,4/1.
Quelle ironie de voir la Suisse, qui a failli adopter, il y a quelques années, une législation sur la séparation des banques, frappée aujourd’hui par un effondrement financier qu’elle aurait pu éviter.
En septembre 2009, Nicholas Hayek (créateur de la montre Swatch) avait convaincu le chef de file de l’UDC (Union démocratique du centre), Christoph Blocher, et celui du PS, Christian Levrat, de parrainer conjointement une loi visant à empêcher de futurs sauvetages bancaires, en séparant les banques commerciales des banques d’investissement, sur le modèle de la loi américaine Glass-Steagall de 1933. Cette initiative, très populaire auprès des citoyens, avait été approuvée en 2011 par le Conseil national, la chambre basse du Parlement. Or, suite au lobbying intense de l’industrie financière et d’une certaine élite, le Conseil des États (la chambre haute) l’a rejetée en 2013.
Si cette législation avait été adoptée, le système bancaire suisse - et son économie - seraient aujourd’hui à l’abri en cas de faillite d’une grande banque d’investissement. C’est pourquoi cette mesure devrait être aujourd’hui au centre des préoccupations.
Thomas Matter (UDC) et le président des Verts Balthasar Glättli ont défendu cette idée le 17 mars, lors d’une interview à la chaîne SRF. Selon bluewin.ch, « Glättli rappela la tentative, en 2011, d’introduire un système de séparation des banques qui aurait permis d’isoler les activités commerciales à haut risque. A l’époque, les Verts, le PS et l’UDC avaient agi ensemble en ce sens, mais furent mis en minorité lors du vote au Conseil des Etats. » Pour Thomas Matter, il faudrait « arrêter de mélanger les activités de banque d’investissement et de placement ».
Le 18 mars, Benjamin Fischer, jeune député UDC, a tweeté : « Journée noire pour la place financière suisse. Par le passé, nous avons laissé passer notre chance : au lieu d’un système stable de séparation des banques, nous avons maintenant non seulement une banque trop grande pour faire faillite, mais un géant trop grand pour être sauvé. Trouverons-nous la majorité nécessaire aujourd’hui ? »
Marc Chesney, professeur à l’université de Zurich et partisan de longue date de la réglementation bancaire, a de nouveau plaidé en faveur de Glass-Steagall dans une interview accordée au blog Infosperber. « Les banques devraient être séparées en banques d’investissement et banques commerciales, comme ce fut le cas pendant des décennies grâce à la loi Glass-Steagall de 1933, qui garantissait une certaine stabilité économique. »