« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Les avoirs bloqués de l’Afghanistan ou le visage hideux de la géopolitique

18 janvier 2022

Alors que l’Afghanistan - où la situation pour la population devient critique - vient de subir un séisme dans l’ouest du pays, des voix se font enfin entendre pour exiger le dégel des fonds afghans. C’est précisément ce que demande l’Institut Schiller depuis le début de la prise de pouvoir des Talibans. Il ne s’agit nullement de cautionner ce gouvernement, mais bien de secourir une population succombant au froid et à la famine. Dans ce contexte il est particulièrement important que plusieurs voix, et non des moindres, se fassent entendre.

Tout d’abord, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a réitéré son appel aux États-Unis pour qu’ils libèrent les 10 milliards de dollars des réserves étrangères de l’Afghanistan. Il a souligné que la combinaison des sanctions et des températures glaciales amenaient des millions d’Afghans à « l’article de la mort. Les règles et les conditions qui empêchent l’argent d’être utilisé pour sauver des vies doivent être suspendues dans cette situation d’urgence. » Comme le note le journal en ligne The Cradlecette crise a été exacerbée par le fait que l’occupation militaire du pays par les États-Unis a détruit les systèmes économiques et les infrastructures de l’Afghanistan, laissant le pays dépendre de l’aide internationale pour plus de 75 % de son budget national. Cependant, même cette aide a été immédiatement retirée lorsque le gouvernement soutenu par l’Occident a été délogé du pouvoir par les talibans en août. Selon les Nations unies, plus de 22 millions de personnes en Afghanistan, soit environ la moitié de la population du pays, souffrent d’insécurité alimentaire et ont désespérément besoin d’aide.

Pour rappel, fin décembre, le Conseil de sécurité des Nations unies avait voté à l’unanimité le transfert, par la Banque mondiale, de 280 millions de dollars au Programme alimentaire mondial (PAM) et à l’UNICEF pour leur permettre de mener des actions humanitaires en Afghanistan, précise enfin The Cradle.

De son côté, David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, s’est exprimé sur une antenne publique américaine à son retour de Kaboul, en s’indignant que Sur 42 millions de personnes, 23 millions sont menacés par la famine. [L]e problème est extrêmement grave : 95% n’ont pas assez de nourriture pour manger. [Sur les 23 millions] environ 9 millions sont sur le point de connaître la famine en ce moment même. C’est l’enfer sur terre. De plus, l’hiver vient compliquer la situation ». David Beasley a parlé des mères « qui doivent choisir : ‘si j’ai de l’argent, dois-je acheter du combustible pour cuisiner ou du combustible pour le chauffage ? Est-ce que je dois faire mourir mon enfant de froid ou de faim ?’ C’est à cela qu’elles sont confrontées aujourd’hui. Ce que nous voyons maintenant, c’est une perte de 40 % de la production de blé à cause des sécheresses, puis la détérioration économique due au COVID. À cela s’ajoute le manque de liquidités [financières], car la communauté internationale a gelé tous les actifs que le pays aurait normalement dû posséder... »

Même la presse commence à évoquer cette catastrophe humanitaire, même si on reste bien loin du compte. Ainsi, le New York Times se réveille du sommeil de la raison, le vendredi 14 janvier, en demandant le déblocage des réserves de l’Afghanistan, illégalement bloquées par la Réserve fédérale américaine et certaines banques européennes alors que des millions de citoyens afghans meurent de faim et de froid. Ce qui se passe peut être comparé à un génocide dont les institutions et les pays qui empêchent l’Afghanistan d’avoir accès à son propre argent devront rendre compte. Intitulé Let Innocent Afghans Have Their Money, l’éditorial du 14 janvier du quotidien américain décrit certaines des horreurs provoquées par les sanctions et le gel des fonds. L’édito admet que la petite quantité d’aide humanitaire envoyée par des institutions évitant le gouvernement taliban n’arrêtera pas le massacre, et affirme, à juste titre, que si la banque centrale et le système bancaire ne sont pas sauvés, les gens mourront. Le New York Times demande donc à la Fed de débloquer les fonds, accusant les victimes du 11 septembre de réclamer cet argent pour eux et demande aussi aux États-Unis de promettre aux banques européennes qu’elles ne seront pas sanctionnées pour avoir libéré l’argent qu’elles détiennent à la banque centrale afghane.

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