« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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octobre 2017, Paris, France
L’Institut Schiller, en tandem avec l’Académie de Géopolitique de Paris (AGDP), a tenu le 24 octobre à Paris un séminaire auquel ont participé plus d’une centaine des représentants du corps diplomatique, des attachés parlementaires, des chefs d’entreprise, des journalistes, des représentants d’associations franco-chinoises et des citoyens. Le thème du séminaire, modéré par Ali Rastbeen, président de l’AGDP était : « Nouvelles Routes de la soie : Réussir une coopération gagnante-gagnante avec la Chine »..
Cette rencontre est d’une importance capitale dans notre pays et en Occident en général car, alors que l’initiative chinoise « une Ceinture et une Route » (en anglais « One Road One Belt » initiative, OBOR) transforme d’ores et déjà le monde à une échelle sans précédent dans l’histoire de l’humanité, les grands médias de part et d’autre de l’Atlantique entretiennent les préjugés et les peurs vis-à-vis de la Chine et de son projet .
Nous assistons aujourd’hui à « un choc entre le vieux paradigme et le nouveau », a déclaré la présidente-fondatrice de l’Institut Schiller international, Helga Zepp-LaRouche, en campagne depuis 40 ans pour la création d’un nouvel ordre économique mondial plus juste. « Et ce nouveau paradigme est très peu compris par les Occidentaux », car ils continuent de voir le monde avec les yeux du passé, c’est-à-dire de ce qu’on appelle la « géopolitique », où la politique est considérée comme un jeu à somme nulle, et où le bonheur des uns ne peut que s’obtenir au détriment de celui des autres.
Depuis les réformes de Deng Xiaoping dans les années 1970-1980, la Chine a réalisé la plus grande transformation économique de l’histoire de l’humanité, a affirmé Mme LaRouche. En trente ans, plus de 700 millions de Chinois ont été sortis d’une extrême pauvreté, à travers une politique d’investissements massifs dans les infrastructures. Qui a fait mieux, dans ce sens, pour faire avancer les droits de l’homme ? En lançant la BRI en septembre 2013, Xi Jinping a su faire entrer la Chine dans une nouvelle phase, l’ouvrant sur le monde extérieur et l’amenant à mettre au profit d’autres pays, notamment les moins développés, les immenses capacités industrielles, technologiques et financières accumulées pendant des décennies. Aujourd’hui, près de 75 pays participent directement à la construction des Nouvelles Routes de la soie, et les capitaux investis sont déjà plusieurs fois supérieurs à ceux du Plan Marshall.
Mme LaRouche a rappelé qu’à la chute du Mur de Berlin en 1989, elle et son mari, l’homme politique et économiste américain Lyndon LaRouche, avaient promu une nouvelle politique de « détente, d’entente et de coopération ». Ils avaient proposé qu’à partir d’un « triangle productif Paris-Berlin-Vienne », soit « lancée une politique de modernisation des anciens pays du Comecon, à l’aide des technologies occidentales via des corridors de développement allant vers l’Europe de l’Est et la Russie. » En 1991, le concept a été élargi à l’Eurasie et devint le « Pont terrestre eurasiatique et mondial » ou les « Nouvelles Routes de la soie ».
Mais cette vision a rencontré l’opposition des dirigeants occidentaux de l’époque. « Ce projet n’était pas dans l’intérêt de l’administration du père Bush ni de Thatcher pour qui la réunification allemande constituait la menace d’un IVe Reich ou encore de François Mitterrand, qui était également opposé à la réunification de l’Allemagne ». Ils ont tous fini par s’incliner devant le « Projet pour un nouveau siècle américain » (PNAC) concocté par les néo-conservateurs, c’est-à-dire un monde unipolaire anglo-américain forgé grâce aux changements de régime, aux révolutions de couleur et à la « démocratie bombardière », comme l’a qualifié avec ironie l’ancien ambassadeur de France Michel Raimbaud, à la conférence.
Christine Bierre, rédactrice en chef de Nouvelle Solidarité, a ensuite montré comment les Nouvelles Routes de la soie prennent leur source dans la philosophie confucéenne, qui connaît justement une renaissance en Chine actuellement, et qui place au cœur de la politique la notion de « bienveillance universelle » qu’on peut traduire chez-nous par « l’amour de l’humanité ». Le miracle économique chinois s’inspire aussi de ses propres traditions scientifiques et industrielles, notamment des âges d’or incarnées par les dynasties Han, Tang et Song, durant lesquelles la pensée confucéenne ou néo-confucéenne fut la grande référence de l’administration publique. Mme Bierre a rappelé que le philosophe allemand Gottfried Leibniz, collaborateur de notre grand Colbert, est le premier à avoir compris au XVIIe siècle l’importance d’établir un dialogue entre la Chine et l’Europe, en particulier à l’aune de la philosophie confucéenne, en raison des principes universels sur lesquels elle se fonde, et que l’on retrouve dans l’héritage de la pensée classique européenne. Par exemple, la notion de « poursuite du bonheur », évoquée par Xi Jinping dans son discours lors du XIXe Congrès du Parti communiste chinois, se trouve dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Cette notion implique que les dirigeants politiques reçoivent un « mandat du ciel » afin de servir le bien-être du peuple, et que celui-ci peut les écarter s’ils n’honorent plus ce mandat.
Ce nouveau paradigme naissant implique que nous entrions dans l’ère du co-développement, et que nous jetions à la rivière la notion d’ « aide au développement » dont on se gargarise hypocritement aujourd’hui en Occident, a expliqué Sébastien Périmony, responsable Afrique de l’Institut Schiller. Pour cela, nous devons nous débarrasser de l’image erronée d’une Afrique non civilisée, un continent d’ethnies, où « l’homme africain » ne serait « pas assez entré dans l’histoire », comme l’avait dit le président Sarkozy à Dakar en 2007.
De nombreux pays africains se tournent aujourd’hui vers la Chine, précisément parce que celle-ci leur propose des projets à bénéfices partagés, là où les Occidentaux n’ont rien d’autre à leur offrir que les quelques millions de dollars d’ « aide au développement » de la Banque mondiale, qui dans les meilleurs cas finissent dans la construction de panneaux solaires ça ou là. Sans parler du pillage éhonté pratiqué systématiquement par les Bollorés et consorts...
Ainsi, comme l’a admis le cabinet McKinsey dans une étude publiée en juin 2017 et intitulée « La danse des lions et des dragons », la Chine ne pille pas l’Afrique. 89 % des travailleurs employés par les entreprises chinoises en Afrique sont aujourd’hui africains. De plus, 64 % de ces travailleurs reçoivent une formation, dont 44 % à un niveau de cadre. Plusieurs lignes ferroviaires à grande vitesse ont déjà été construites au Nigéria, au Kenya ainsi qu’en Éthiopie, où une ligne électrifiée de 750 km reliant la capitale Addis Abeba à Djibouti a été inaugurée en octobre 2016. La réalisation de ces infrastructures fait renaître le rêve de construire une grande liaison ferroviaire reliant la corne de l’Afrique à l’Afrique de l’Ouest. En même temps, l’immense projet Transaqua de remise en eau du Lac Tchad par la construction d’un canal de 2400 km entre le bassin du Congo et le fleuve Chari, dans les cartons depuis plusieurs décennies, redevient réalité aujourd’hui, sous l’impulsion de la Chine, comme l’a expliqué à la conférence Mana Boubakari, directeur technique à la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT).
Il est temps de sortir du faux dilemme protectionnisme-libéralisme « open-bar », comme l’a dit Karel Vereycken, directeur de la publication du journal Nouvelle Solidarité : une troisième attitude est possible, basée sur la coopération et le développement mutuel. Pour cela, avec notamment la « Caisse de dépôts International Capital », une nouvelle catégorie de fonds souverains a vu le jour – les « fonds souverains de contrepartie » – impliquant un investissement à part égale, garantie d’une coopération équitable, comme cela a été pratiqué avec un certain succès dans les accords PSA-Citroën-Dongfeng et du Grand Paris. A l’heure où, victimes de sous-investissement chronique, les infrastructures françaises se décomposent à petit feu, et où le transport du fret ferroviaire s’effondre, ce type de coopération pourrait s’avérer essentielle. Faute d’infrastructures ferroviaires et fluviales adaptées dans son hinterland, un port comme Le Havre se retrouve contraint d’évacuer 89% des containers qui arrivent par la route. Les fonds souverains chinois sont disposés à co-investir dans nos infrastructures car c’est là aussi du gagnant-gagnant.
La bonne nouvelle est que les lignes commencent à bouger : un « Fonds franco-chinois pour l’investissement dans les pays tiers » a été créé en 2016, avec pour perspective l’ouverture d’un « trilogue franco-sino-africain ». Une coopération encore timide côté français, qui a fait s’interroger un personne du public : « Pourquoi le coq français a-t-il tellement peur de danser avec les dragons (la Chine) et les lions (l’Afrique) ? ».
La vérité est que la France, si elle demeure enfermée dans le carcan de l’euro et d’une vision comptable, restera incapable de se hisser à la hauteur du défi. Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès, a ensuite traité des fondements économiques de la BRI. Le secret du miracle chinois « est que la Chine n’a pas fait comme nous avons fait depuis 1971. L‘adoption par les Occidentaux du système britannique d’économie politique – c’est à dire la soumission à une conception monétariste de l’économie définie par un profit monétaire – a entraîné des conséquences désastreuses. La Chine a au contraire adopté les conceptions de l’économie physique de Friedrich List, d’Henry Carey et de la planification indicative française, que nous avons abandonnées en Occident, au profit d’un court-termisme financier destructeur. Celles aussi de Lyndon LaRouche, pour qui la richesse d’une nation est définie par sa capacité d’accueil – le potentiel de densité démographique relatif. Un accueil rendu possible par l’introduction constante de nouvelles découvertes fondamentales s’exprimant sous forme de technologies nouvelles, appliquant les découvertes de ces nouveaux principes physiques. N’est-ce pas la même chose que dit Xi Jinping, lorsqu’il parle d’un système gagnant-gagnant fondé sur l’avantage mutuel, d’un investissement dans les infrastructures et les technologies les plus avancées, ‘le capital patient’, c’est à dire à long terme, dans une société par principe innovatrice et enfin d’un système interconnecté ‘inclusif’ , dans chaque élément de cette dynamique ? »
Le projet des Nouvelles Routes de la soie crée aussi la possibilité d’apaiser les conflits dans le monde en proposant une approche de développement mutuel. M. Rastbeen a mis en relief la différence d’approche de la Chine et des États-Unis au Moyen-Orient. « Les relations de la Chine avec les pays du Moyen-Orient sont amicales ; ils ont des visions similaires sur de nombreuses questions régionales et internationales comme la paix et le développement, alors que les principaux objectifs de Washington dans la région restent la maîtrise des ressources pétrolières et de ses artères d’acheminement, ainsi que le maintien de la sécurité d’Israël et sa supériorité militaire par rapport aux voisins ». Il nota aussi que la Chine et Israël entretiennent depuis longtemps de bonnes relations commerciales. La Nouvelle Route de la soie pourra donc passer aussi par ces sinueux sentiers.
L’ancien Ambassadeur Michel Raimbaud a décrit les nombreux projets de reconstruction d’Une Ceinture et une Route dans le Moyen-Orient, dévasté par les politiques occidentales. Ce projet, dit-il, « intègre dans un vaste ensemble de coopération économique ‘gagnant-gagnant’ une bonne partie du Grand Moyen-Orient, notamment la Syrie et ses voisins (l’Iran, le Liban, l’Irak), ainsi que ses alliés (la Russie, la Chine), et répond aux attentes d’une Syrie invaincue mais en partie détruite, d’un Liban miné de toutes parts et d’un Iran menacé par l’Amérique de Trump. Le projet est de nature à bousculer les déséquilibres régionaux, à réorienter les échanges et à briser la logique nord dominant/sud dominé. »
Pour l’heure cependant, l’espoir gagnant-gagnant chinois ne concerne pas encore le Yémen, pourtant joyau des anciennes Routes de la soie. Paul Bonnenfant, ancien directeur de Recherche au CNRS et spécialiste du monde arabe et musulman, a analysé les visées stratégiques de l’Arabie saoudite dans la région et dénoncé les crimes de guerre qu’elle commet contre le Yémen, avec le soutien des principaux pays occidentaux – notamment de la France. Il invita le public a manifester son désaccord avec ces politiques.
Mettre fin à la géopolitique de la guerre, recentrer l’action des États sur les objectifs communs de l’humanité, parmi lesquels l’éradication de la pauvreté extrême dans le monde, mais aussi, comme l’a souligné Sébastien Drochon, responsable scientifique de l’Institut Schiller France, assurer au plus grand nombre de nations un accès aux bénéfices de l’exploration spatiale, voilà l’ensemble des questions que cette conférence a voulu traiter.
Pour conclure, Mme LaRouche a lancé avec une certaine ironie provocatrice : « Il est temps que l’Europe rajeunisse ! »
Les enjeux de la politique de la Chine Ali Rastbeen, président de l’Académie de Géopolitique de Paris
L’incroyable espérance que représente la Chine pour l’humanité Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale de l’Institut Schiller
La Corée du Nord, comment la géopolitique occidentale a conduit à une impasse nucléaire Alain Corvez, consultant en géopolitique internationale
Aux fondements philosophiques confucéens du projet chinois Une Ceinture, une route Christine Bierre est rédactrice-en-chef du journal Nouvelle Solidarité
L’espace, objectif commun de l’humanité au XXIe siècle Sébastien Drochon, équipe scientifique de l’Institut Schiller
Partenariat financier franco-chinois : en France et en pays tiers. La nécessaire modernisation du port du Havre Karel Vereycken, directeur de publication du journal Nouvelle Solidarité
L’industrialisation de l’Afrique en marche : Éthiopie, Kenya, Tchad Sébastien Périmony, responsable Afrique de l’Institut Schiller
Projet Transaqua de remise en eau du Lac Tchad : Power China et Bonifica signent pour une étude de faisabilité Mana Boubakari, directeur technique à la Commission du Bassin du Lac Tchad
Syrie, Iran, Liban, comment la Nouvelle Route de la soie reconstruit le Moyen-Orient Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France dans le monde arabe, en Afrique et en Amérique latine
Yémen, de « l’Arabie heureuse » aux crimes de guerre actuels Paul Bonnenfant, ancien directeur de recherche au CNRS, affecté à l’IREMAM (Aix en Provence)
Créativité, R&D, infrastructures : de Carey et List à Lyndon LaRouche La politique économique sous-jacente au projet Une ceinture, une route Jacques Cheminade, économiste et homme politique