« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020

Le principe classique dans la musique folklorique

Session 3

15 mai 2020

Willis Patterson, chanteur, professeur émérite, doyen associé de l’Ecole de musique, de théâtre et de danse de l’Université du Michigan

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Je m’appelle Willis Patterson, et j’aimerais vous parler brièvement de la valeur de la chanson folklorique comme moyen d’apporter une plus grande clarté et un secours bien nécessaires pour les jours périlleux que nous, les êtres humains, vivons actuellement. Je ne fais pas seulement référence au virus COVID-19 qui menace nos vies et la planète sur laquelle nous vivons, mais aussi au besoin sociétal de progrès, dans le confort et la compréhension mutuelle. C’est une question qui se pose à nous, êtres humains, depuis des lustres : comment mettre en œuvre des améliorations urgentes et significatives, et en faire une option beaucoup plus productive que nos guerres incessantes.

Les philosophes et penseurs de tous les temps ont consacré, à la résolution de ce problème délicat, des efforts bien plus brillants et efficaces que mes simples paroles et intentions. Mais lorsque je considère le parcours de ma propre vie, je me rends compte du rôle que les chansons en général, et les chansons populaires en particulier, ont joué et comment elles ont contribué à un besoin de compréhension et d’adaptation, d’abord de moi-même, puis de ceux qui m’entourent : mes parents, mes frères et sœurs, mes amis, mes connaissances, et tous ceux avec qui je suis en contact quotidien ou seulement occasionnel.

A cause de ma lenteur d’apprentissage, je n’ai que partiellement achevé ce processus, mais la fascination et l’amour que j’ai éprouvés pour les chansons populaires tout au long de ma vie, le fait de les chanter et les faire vivre, m’ont beaucoup facilité la tâche.

Pour bien comprendre ce que j’entends par « musique folk », voici la définition que je propose : je fais référence à la musique issue de la culture populaire traditionnelle, écrite ou interprétée dans le style des chansons folkloriques, y compris le jazz, les spirituals, le country, le blues, les comédies musicales de Broadway, le « rhythm and blues », le rock, la musique religieuse comme le gospel et la musique chrétienne contemporaine. Cette musique est généralement écrite pour être interprétée par des chanteurs solistes, des groupes, des chœurs ou de petits ensembles, ou les deux ; mais elle apparaît également souvent sous forme instrumentale. Cette musique doit être comparée à la musique classique, dont une grande partie est basée et élaborée à partir de thèmes et de motifs de musiques folkloriques, parfois très anciennes, mais composée intentionnellement par des compositeurs de toutes les cultures.

Le grand pianiste de jazz et compositeur Billy Taylor aimait à dire : « Le jazz est la musique classique de l’Amérique. » J’aimerais nuancer cette affirmation en disant que le jazz et les autres musiques dérivées du Negro Spiritual, comme le blues, le gospel, la soul, le rock et d’autres, ont trouvé leur popularité folklorique dans les ingrédients créatifs de la magie de l’improvisation libre. C’est cela, la musique classique américaine.

Oui, l’improvisation vient de cette impulsion spontanée et créative qui fut responsable de la croissance de la créativité dans les parties répétées des opéras des XVIe et XVIIe siècles, et d’une grande partie de la musique de l’époque baroque. C’est cette même tradition de créativité, en tant que caractéristique essentielle de l’improvisation inspirée des Negro Spirituals, qui permit à la musique folklorique d’être aussi attachante et attirante pour le peuple dont la musique est issue.

Mais le principal ingrédient de cette implication populaire est la présence d’un texte qui met de l’avant son sens et son inspiration clairs et non complexes. L’absence de prescription pour la mélodie, le rythme et la forme générale permit une participation populaire universelle dans l’expression musicale des peines, des joies, des amours, des peurs et des autres sentiments profonds animant le peuple. Ni les différences régionales et culturelles, ni les distances géographiques, ni les conditions climatiques n’ont empêché cette impulsion naturelle de donner une expression musicale claire à ces émotions et significations profondément ressenties, et souvent, de permettre à des événements et moments importants de leur époque de trouver dans la musique un langage clair et sans ambiguïté.

En tant qu’Afro-Américain, je me suis battu pour mieux comprendre le destin tortueux et l’énigme de mon peuple, et en quoi cela a influé sur ma croissance et mon développement personnels. Cette énigme s’est quelque peu éclaircie grâce à ma relation avec l’histoire de ce jeune esclave africain qui interroge son Dieu, dans la chanson Lord, How Come Me Here ? Cette chanson fut arrangée pour moi par la regrettée, merveilleuse et très compétente Sylvia Olden Lee, une enseignante d’opéra, de chant artistique et de Spirituals, qui m’a également accompagné pour l’interprétation que nous avons donnée lors d’un concert au National Music Camp, à Traverse City, dans le Michigan, il y a plus de 40 ans.

Après avoir travaillé sur ces chants et ces Spirituals, je me suis de plus en plus intéressé à l’histoire de l’esclavage, de la discrimination et de la ségrégation dans ce pays et dans d’autres dits « développés ». Cela me permit de développer une familiarité vocale et artistique avec d’autres Negro Spirituals, qui évoquent des souffrances intérieures et des tragédies familiales ayant influencé notre rapport avec notre époque et notre mode de vie.

Cet autre arrangement du Spiritual populaire Sometimes I Feel Like a Motherless Child fut composé par un jeune étudiant afro-américain en composition de l’université du Michigan, originaire de Chicago. [Cf. version de Marian Anderson ] Il composa pour moi un ensemble de Spirituals, à condition que j’accepte de l’inclure dans un récital de la faculté, pensant peut-être que je n’oserais pas le faire. J’ai accepté.

Je compare l’origine allemande de Sontag (Dimanche), qui évoque un jeune homme désireux de voir sa petite amie le dimanche, avec le chant artistique afro-américain du compositeur de l’université Howard, Thomas Kerr, mettant en scène le poème folklorique Riding to Town, du génial poète afro-américain Paul Laurence Dunbar, dans lequel un jeune homme réalise le même souhait d’être avec sa petite amie, Katie May, en l’emmenant en ville dans son chariot branlant tiré par un cheval, sur une route de campagne très cahoteuse, et souhaite que la route soit encore plus longue et cahoteuse pour passer plus de temps auprès de sa bien-aimée !

J’ai nommé cette présentation « L’universalité du chant populaire ». C’est, à mon sens, cette universalité qui le rend accessible à tous, comme les nombreux autres genres musicaux, avec leur multitude de richesses particulières. Et j’ai utilisé mon expérience personnelle pour développer un sentiment de confiance, une personnalité et une conscience de soi, comme moyen de passer d’une insécurité extrême et d’un grand manque de confiance à une relative estime de soi. Je n’ai certes pas atteint la perfection, mais je me suis rapproché d’un meilleur état d’esprit grâce à mon engagement dans l’art et à l’apport de la musique et des chansons folkloriques, en travaillant à soulager mes débuts hésitants et incertains. Je dois une grande partie de mon émancipation à l’heureuse introduction de l’art de la musique, à mes débuts, et c’est une grande chance. Je ne peux m’empêcher d’être très confiant dans l’assurance de résultats similaires, pourvu que l’on introduise de manière universelle une plus grande immersion dans l’art du chant populaire.

En 1965, mes études de chant me conduisirent à Fribourg et à Bleichgau. Mon attrait pour les lieder allemands avait commencé lors de mes études à l’université du Michigan, et cette fascination s’intensifia encore lorsque je ressentis, en interprétant ces lieder, la même profondeur d’âme qu’en chantant les chants folkloriques de mon peuple.

J’appris également que beaucoup de ces chants avaient pour base des chants folkloriques, qui avaient inspiré des compositeurs tels que Schubert, Brahms, Mozart et bien d’autres. Je me donnai alors pour objectif de maîtriser les Lieder allemands. Ce faisant, j’acquis une assez bonne capacité à parler et à comprendre la langue, résultat auquel le jeune homme ne s’attendait pas.

Brahms composa beaucoup de lieder qui, je crois, furent tout d’abord un chant folklorique.

Dans la foulée de ces travaux, je me familiarisai avec l’art de la musique et les autres arts qui furent développés et appliqués à résoudre les conflits culturels et raciaux dans ce pays et dans le monde. Mon engagement précoce pour les bienfaits de la musique folklorique s’est combiné au talent vocal, qui était et reste toujours agréable pour moi, ainsi que pour d’autres qui, malgré mon âge avancé, disent toujours vouloir m’entendre.

C’est ainsi que j’ai toujours soutenu que l’art était beaucoup plus à même de résoudre les problèmes mondiaux que les guerres. Je sais que la musique folklorique existe dans presque toutes les cultures et sociétés du monde, sinon dans toutes. Ses bienfaits et son potentiel pour l’avancement nécessaire de la maturité personnelle et de l’appréciation interpersonnelle et internationale de chaque être humain, c’est ce que représente l’Hymne à la Joie de Schiller. [Ecouter Willis Patterson dans le solo de l’Hymne à la Joie, final de la 9ème symphonie de Beethoven.]

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