« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Le futur de l’Europe doit être inclusif avec les Nouvelles Routes de la soie et le Pont terrestre mondial

Jacques Cheminade

31 juillet 2018




Soyons clairs. L’Union européenne n’est plus que l’ombre d’elle-même, un cadavre moral. En italien, on dirait un « morto che parla ». Mais ce serait destructeur de tomber dans la délectation morbide, ou dans le confort de battre notre coulpe.

Après l’Empire britannique, notre ennemi principal est le pessimisme, car il paralyse notre volonté. Au-delà de toutes les critiques que nous pouvons porter, il y a l’idée et la contribution à la civilisation humaine de la véritable Europe, qui est totalement différente et opposée à l’Union européenne. Notre Europe est celle des nations, un « multiple » qui a généré un « Un », la contribution immortelle à l’humanité dont le monde a besoin. Notre tâche est de réveiller l’Europe de son cauchemar actuel, de la sortir de « la vallée des paumés » où elle stagne pour la transformer en un nouveau phare de liberté éclairant les Nouvelles Routes de la soie.

De Gaulle ne craignait pas de dire que la Princesse des légendes, la France, devait se mobiliser pour construire la cathédrale européenne. Mais, pour des raisons à la fois concrètes et métaphoriques, une cathédrale n’est pas une boutique fermée ; c’est un repère pour ceux qui sont à l’extérieur et un endroit pour concevoir, prier et travailler dur à créer un monde meilleur pour ceux qui entrent.

Nous en sommes bien loin, mais en raison de la situation mondiale et de la nôtre, nous n’avons pas le droit d’échouer. Pour gagner, nous devons d’abord regarder en nous-mêmes et, d’en haut, faire notre examen de conscience ; un examen de conscience joyeux parce que le fait de chercher à nous élever au-dessus de notre état d’esprit présent, vers un état nécessairement supérieur, nous libérera des menottes de l’impuissance et nous permettra de retrouver l’estime de soi.

Engageons-nous à nous hisser hors de la boue de notre Waterloo européen. Depuis plus de trente ans, nos dirigeants n’ont répondu ni aux demandes de leurs peuples, ni aux défis de la situation internationale. Résultat, nous renonçons au changement en nous engageant dans un processus de balkanisation, de décomposition de notre identité.

Nous nous sommes soumis à l’Empire de la City de Londres et de Wall Street, le laissant ruiner l’Europe, mais aussi nos voisins d’Afrique et du Moyen-Orient, pour ensuite blâmer de nos infortunes et de nos malheurs les êtres humains qui fuient ces endroits que nous avons détruits par nos politiques.

Quelle hypocrisie ! Au dernier Conseil européen des 28 et 29 juin derniers, nos dirigeants ont réduit cette question à une chose en soi, tentant de transférer à leurs partenaires ce que tous conçoivent comme un fardeau, sans montrer le moindre engagement à instaurer ne serait-ce qu’un minimum de solidarité.

Certains veulent rassembler les migrants pour les contrôler dans des hotspots établis dans les pays européens, d’autres veulent sous-traiter le problème aux pays dont ils sont originaires ; personne n’est capable de concevoir autre chose que ces « hotspots  » qui, en réalité, ne sont autres que des camps de triage humain, plutôt que de traiter les causes réelles des migrations.

Nos dirigeants se balancent des statistiques et des graphiques à la figure, réduisant les vies humaines à des évaluations comptables. Fin 2014, l’Italie a dû abandonner Mare nostrum, qui était comparativement l’opération humanitaire la mieux organisée par un Etat, faute de soutien européen. Tous ont fini par déléguer le boulot aux ONG avant de se retourner contre elles, les accusant d’être les complices des passeurs. Logiquement, dans ce contexte, on ferme les ports aux bateaux qui amènent les migrants et tous les dirigeants européens sont à blâmer pour l’inaction criminelle de leurs pays.

J’ai décidé de soulever d’abord cette question morale, parce qu’une Union d’Etats dont aucun de ses membres ne considère les migrations comme un défi qu’on ne peut résoudre qu’à travers une aide massive aux pays dont viennent ces migrants ; une Union d’Etats dont aucun des membres ne met correctement en place les moyens pour recevoir ces nouveaux arrivants comme un « potentiel » pour le futur, est une Union qui a perdu le mandat du ciel, comme diraient les Chinois.

Toutes les nations européennes partagent une vision géopolitique de notre planète comme d’un univers relativement fini, une sorte de canot de sauvetage dont la capacité d’accueil est limitée face à une population croissante. Voilà le véritable problème de l’Union européenne : elle ne produit plus de richesse réelle, elle ne fait plus d’enfants et ne veut plus accueillir d’étrangers car elle a accepté la règle d’un jeu universel à somme nulle, une sorte de forteresse Europa hostile aux peuples mais amicale envers la spéculation financière, dont l’euro est devenu la courroie de transmission.

Tous les « réformateurs » européens autant que les soi-disant populistes, à quelques exceptions près, essaient de résoudre le problème en appliquant les mêmes paramètres qui l’ont causé. Aucun ne veut affronter la cause, qui est la politique de l’Empire britannique, de Wall Street et de la City de Londres. M. Macron a exhibé ses talents d’orateur à l’université de la Sorbonne, ou en Grèce, mais ce n’était que des mots, sans lien avec la réalité. Il a appelé à une « refondation de l’Europe » mais dans le contexte d’un libéralisme financier. Il n’a pas été capable d’endosser la Loi Glass-Steagall lorsqu’il en avait l’opportunité en tant que conseiller, puis ministre des Finances de François Hollande. Et il ne le fait toujours pas aujourd’hui, alors que certains ministres italiens et leurs conseillers appellent à une séparation stricte entre les banques utiles et celles qui spéculent.

Il prétend être le « premier de cordée », mais en réalité, il quémande de l’argent à l’Allemagne pour s’acheter son matériel d’escalade, alors qu’Angela Merkel essaie de gérer son gouvernement et couvre des intérêts financiers qui tous, comme la Deutsche Bank, sont potentiellement en faillite. D’autres, sans vision, s’éparpillent dans toutes les directions. Aucun n’a le courage de regarder plus loin que le bout de son nez.

Dès lors, comment pouvons-nous être moralement et culturellement optimistes ? Parce que si nous regardons au-delà de la situation terrible où nous sommes, nous voyons, depuis septembre 2013, un développement nouveau : un nouveau mode de relations entre grandes puissances a été mis de l’avant, le modèle de la Nouvelle Route de la soie. C’est un modèle fondé sur le principe du respect absolu de la souveraineté des autres, un nouvel ordre basé sur la confiance et le bénéfice mutuels. Son intention, selon le ministre des affaires étrangères Wang Yi, est de transcender les concepts surannés de choc des civilisations, de guerre froide, en allant au-delà d’une pensée fondée sur la géométrie des jeux à somme nulle ou de clubs exclusifs.

C’est précisément le modèle qui devrait nous inspirer en Europe aujourd’hui. Durant son voyage en Chine, en janvier dernier, Emmanuel Macron a déclaré dans son discours à Xi’an : « Nous vivons un temps où la France et la Chine peuvent se permettre de rêver ensemble », où ces « routes de la soie réactivent une imaginaire de civilisation », qui peut être partagé. Fort bien dit, mais typique de l’Europe actuelle ! C’est au sein d’un modèle libéral financier que l’Europe tente de localiser cette dynamique. Ce sont les barreaux de sa prison idéologique, un exemple clinique de la pensée faillie d’un Européen aujourd’hui, une tentative d’enfermer un rossignol dans une cage.

Le concept chinois de Tianxia, qui, élargi par Confucius et Mencius, inspire aujourd’hui les politiques de Xi Jinping, établit que toute chose venant de l’extérieur doit être adoptée à l’intérieur avec une approche qui ne soit ni celle d’un club exclusif, ni d’une boutique fermée, où cette chose extérieure vient s’ajouter sans produire de changement. Au contraire, elle doit produire un mouvement dynamique qui provoque les conditions d’une montée vers un ordre plus élevé de coexistence. Pour Xi Jinping, « la politique n’est pas, comme certains le croient, la domination par la force, mais l’art de créer une coopération globale ». Elle n’est donc ni une uniformisation ni une domination, mais ce qu’on appelle dans les termes philosophiques chinois « complémentarité », avec les qualités d’inclusivité, de connectivité et d’attractivité. Ah, diront certains, vous amenez là un modèle asiatique. Etes-vous sûr qu’il puisse être appliqué en Europe ? La réponse est non : il doit l’être à l’échelle mondiale !

Pourquoi en suis-je si sûr ? Parce que notre très grand philosophe européen, Leibniz, l’avait compris. Dans ses Novissima Sinica (Nouvelles de Chine) et dans plusieurs lettres à ses amis jésuites, il écrivait que le concept d’« harmonie sociale » des Chinois pouvait enrichir la culture européenne. A l’époque, nous avons raté cette opportunité, sabotée par l’oligarchie féodale et les financiers britanniques. Mais elle a laissé ses marques, ses empreintes sur notre Europe. De façon intéressante, le concept de « complémentarité » rencontre celui de « complétude » de Leibniz, rejet d’une uniformisation destructrice en faveur d’une inspiration mutuelle harmonieuse.

Pour l’Occident aujourd’hui, il est très difficile de saisir cette nouvelle dynamique des Routes de la soie. La vérité est que l’Europe, comme on le voit dans la question des migrants, est prisonnière du vieux paradigme de la géopolitique et de la concurrence soi-disant libre et non faussée qui, en réalité, n’a jamais existé. Dans un livre provocateur, Le viol d’Europe, l’historien français Robert Salais décrit comment, depuis le début, l’Union européenne a été sous le double joug du libre-échange et, pire encore, d’une libéralisation financière allant à l’encontre de la conception même d’Etats-nations souverains.

C’est mon point de vue : l’Europe doit être libérée de ce carcan financier et idéologique, dont Emmanuel Macron et la plupart des dirigeants européens sont les meilleurs exemples. L’Europe doit être libérée de ce péché originel, de plus en plus animée par un prosélytisme vindicatif totalement opposé à la notion d’harmonie confucéenne et leibnizienne.

En d’autres termes, l’Union européenne n’est pas une union harmonieuse mais une construction inductive/déductive, basée sur des codes, des standards et des règles appelées « instructions », basée sur des catégories fixes, et, en tant que telle, vouée à l’autodestruction, s’effaçant dans le néant à cause de son manque de créativité. Ce ne sont pas « les autres » qui la détruisent, mais ses axiomes anti-créateurs, son mental fermé. Je vois l’Union européenne comme une série sans fin de polygones (la France s’appelle d’ailleurs elle-même « Hexagone »), incapable d’atteindre l’ordre supérieur du cercle tel que Cues le décrit, chaque polygone se voyant lui-même comme une réalité ou ayant la prétention d’être un cercle ; chacun voyant son unité, mais incapable de comprendre le principe supérieur de rotation qui crée le cercle.

Ce qui me met le plus en colère est de voir une contre-culture qui se répand partout, banalisant les perceptions humaines et les appétits, entre jeux vidéos ultra-violents et «  world music » imbécile. Le pire exemple en est ce que Macron a organisé sur le perron de l’Elysée pour la Fête de la musique, le 21 juin. Lui qui prétend aimer la philosophie, la pompe et les dorures de la Cour, a invité un groupe de stars de la DJ qui ont transformé le palais présidentiel en un night club géant où ils ont « chanté » des choses du genre : «  Viens, viens danser, enculé » et « brûlons cette maison ce soir, brûlons-la de haut en bas » ou encore « chions partout, elle suçait ma queue ». Tous, bien sûr, à moitié dénudés, hip-hopant à tout va et donnant la pire image des Africains à une population déjà désorientée.

Pas surprenant, dès lors, de voir chuter la concentration des enfants et que, sauf pour des shows voyeuristes, la plupart des adultes n’éprouve plus de curiosité pour ce qui se vit ailleurs dans le monde. Ceci a lieu dans notre Europe où les points de référence sociaux s’effondrent, dans une société contrôlée par ceux qui prétendent lutter pour les droits de l’homme. L’Europe a perdu sa positivité parce que les idées sociaux disparaissent et qu’il n’y a aucun projet pour un avenir meilleur. Au mieux, les gens voient l’Union européenne et l’euro comme une protection contre les autres, une sorte de préservatif géant, et non comme une Ode à la joie. Voyons Macron prétendant aimer l’Europe et faisant jouer l’Ode à la joie comme une mantra, alors qu’en même temps, il transforme le Palais de l’Elysée en night club dépravé.

Encore une fois, pourquoi suis-je si sûr que l’Europe a ce qu’il faut pour rejoindre le nouveau paradigme ? Parce que, comme l’a illustré Leibniz, elle possède en elle des ressources pouvant être éveillées et inspirées. Historiquement, l’Europe et les Etats-Unis ont été à la tête d’une forme active d’humanisme. C’est Nicolas de Cues, si cher à Helga Zepp-LaRouche, qui explique comment la pensée humaine peut créer un ordre supérieur où toutes les différences sont transcendées. Ce sont les concepts de posse facere omnia ou de posse ipsum qu’il développe dans ses écrits tardifs : quelque chose qui n’est pas compréhensible par la pensée humaine comme un point fixe, mais seulement dans son devenir ; c’est le moment où la créativité humaine rencontre le processus de l’univers, comme lorsque la lumière se manifeste elle-même dans les objets visibles.

C’est dans ces moments que l’être humain est réellement, créativement humain, contribuant par de nouvelles découvertes au futur de la société, au-delà des règles établies de la logique formelle, à un niveau où ce qui apparaît comme contradictoire ne l’est plus – c’est-à-dire à un ordre plus élevé. C’est ce que Cues appelle la « coïncidence des opposés », une inspiration qui cherche à pénétrer le futur inconnu, cela même qui est interdit par les instructions de l’Union européenne.

Nous pouvons donc dire qu’en tant que construction, l’Union européenne a violé le meilleur de la culture européenne, que notre mission est de faire revivre. L’ordre supérieur du macrocosme ne peut exister qu’en présence du plus grand développement possible de tous les microcosmes. Pour parvenir à un monde harmonieux, tous les êtres humains doivent se développer de façon maximale et agir dans leur propre intérêt et celui de l’autre, de même que toutes les nations doivent se développer de façon maximale et agir dans leur propre intérêt et celui des autres.

C’est l’esprit même de la Paix de Westphalie : pour surmonter la guerre, on doit pratiquer une politique étrangère fondée sur la curiosité et l’intérêt de l’autre. C’est le principe d’une véritable République, et cela n’est pas seulement complémentaire avec le Tianxia, mais découle de la même source cognitive et émotionnelle. Le principe est l’humanité d’abord, l’aspiration pour les êtres humains et les nations. Car, comme le disait Schiller, devoir et passion, nécessité et liberté sont unes.

Nous avons tout cela dans les tiroirs de notre histoire. Cessons donc nos petites querelles, cessons de nous comporter comme des enfants dans une cour de récréation tragique. Relisons nos classiques philosophiques pour pouvoir accueillir ceux de l’Est, et trouvons notre inspiration dans l’œuvre de Lyndon LaRouche, Les 50 prochaines années de la terre, qui, bien qu’écrit en 2004, a contribué à notre futur. Je vous conseillerai aussi de lire Rabelais et Heine – surtout Rabelais, qui rejetait toutes les autorités indues et criminelles avec l’arme du rire créateur, contre tous les carriéristes et courtisans qui régurgitent les réponses et les ambiances attendues par les principautés et pouvoirs d’un monde autodestructeur.

Glass-Steagall, une Banque nationale, du crédit pour l’infrastructure et le développement, la fusion thermonucléaire et les contributions les plus avancées de la science – les quatre principes de LaRouche, vus non comme un prosélytisme pour convertir, mais comme une inspiration commune pour construire ensemble.

Laissez-moi conclure avec cette citation de Confucius : « Si vous rencontrez un homme de grande valeur, essayez de lui ressembler ; si vous rencontrez un homme médiocre, essayez d’identifier ses défauts en vous-même. » C’est l’un des secrets pour atteindre le Ren – le souverain bien pour l’avantage de l’autre – dans un monde harmonieux. Soyons de vrais citoyens de la République, ou d’une Union plus parfaite, et pas sa caricature habitée par des non-entités satisfaites. C’est notre instrument pour atteindre le futur, pour redécouvrir l’Europe comme un chemin vers le Pont terrestre mondial.


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